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A-361-76
CAE Industries Ltd. et CAE Aircraft Ltd. (Appe- lantes) (Demanderesses)
c.
La Reine (Intimée) (Défenderesse)
Cour d'appel, le juge en chef Jackett, les juges Urie et Ryan—Ottawa, les 20 et 21 juillet 1976.
Couronne—Pratique—Appel d'une ordonnance de la Divi sion de première instance rejetant une demande d'ordonnance en vertu de la Règle 465 aux fins de faire désigner le ministre de la Défense nationale comme étant le fonctionnaire de la défenderesse qui doit comparaître à un interrogatoire préala- ble—Le Ministre est-il un «fonctionnaire de la Couronne»— Loi sur la Cour fédérale, art. 46(1)a)(i), 52b)(i) et Règles 465(1),(7),(15),(17),(20)—Loi sur la défense nationale, S.R.C. 1970, c. N-4, art. 3.
Dans une action des demanderesses contre la Reine pour inexécution de contrat ou négligence, la Division de première instance a rejeté une demande d'ordonnance en vertu de la Règle 465(1)c) aux fins de faire désigner le ministre de la Défense nationale comme étant le fonctionnaire de la défende- resse qui doit comparaître à un interrogatoire préalable. Le juge de première instance est arrivé à la conclusion que le ministre n'était pas un «fonctionnaire d'un ministère ou dépar- tement ou ... autre fonctionnaire de la Couronne» au sens de l'article 46(1)a)(i) de la Loi sur la Cour fédérale.
Arrêt: l'appel est accueilli. Le juge de première instance avait raison de conclure qu'un ministre n'est pas un «fonctionnaire d'un ministère ou département». La difficulté réside dans l'in- terprétation qu'il a donné aux mots «ou ... autre» de l'article 46(1)a)(i); le juge de première instance est d'avis qu'il est plus probable que ces mots ont pour but d'inclure sous le vocable «fonctionnaire» des personnes employées dans des organismes de la Couronne qui ne relèvent d'aucun ministère et qui sont encore fonctionnaire de la Couronne. Depuis la décision de la Cour suprême dans Jones c. Gamache, en l'absence d'un con- texte spécial quelconque, les mots «fonctionnaires de la Cou- ronne» ne peuvent être interprétés comme excluant un ministre, du moins si ce dernier a été nommé responsable d'un ministère ou département en vertu d'une loi, comme c'est le cas ici du ministre. On ne peut restreindre la portée de ces mots parce qu'ils sont précédés des mots «d'un ministère ou département ou de tout autre». Ces mots signifient que, dans un litige ordinaire auquel la Couronne est partie et le litige découle des activités d'un ministère ou département, le fonctionnaire dési- gné pour l'interrogatoire, dans un tel cas, serait un «fonction- naire d'un ministère ou département». Lorsque la nature du litige le requiert, tout fonctionnaire de la Couronne peut être désigné.
Quant à la décision qu'aurait rendre le juge de première instance, les parties semblent avoir reconnu que le sous-procu- reur général du Canada avait nommé le «fonctionnaire qui doit être interrogé au préalable». La Règle 465(1) ne confère pas au procureur général ou à son substitut le droit de décider de façon péremptoire qui parmi les fonctionnaires sera interrogé. Le fonctionnaire à interroger doit être celui que désignent les
responsables de la conduite des litiges la Couronne est partie, ou celui que désigne la Cour. La partie opposante ne doit pas être tenue d'accepter la désignation faite par la Cou- ronne si elle est inadéquate, et la Règle 465(1)c) ne doit pas s'interpréter ainsi. La question de l'obligation d'établir que la personne désignée par le sous-procureur général n'est pas celle qui devrait l'être n'a pas à être tranchée; des documents nous ont été soumis qui démontrent que le contrat et les observations invoqués ne se limitent pas à un point touchant une partie d'un seul ministère ou département. En l'absence de preuve con- traire, ces documents mènent à la conclusion qu'il est improba ble que la personne désignée soit celle qui aurait l'être. Et, les documents produits par l'appelante établissent quelque fon- dement à la nomination du ministre et, en l'absence de preuve contraire, il devrait être désigné. Dans toute affaire ordinaire, un ministre dont les fonctions s'étendent bien au-delà des affaires de son ministère ne serait pas le fonctionnaire qui doit être désigné; son temps ne devrait pas être utilisé pour accom- plir ce que des fonctionnaires subalternes pourraient tout aussi bien faire et, lorsqu'une poursuite porte sur les activités ordinai- res d'un ministère ou département, l'interrogatoire préalable peut être mieux complété si la personne qui le subit est un fonctionnaire du ministère ou département qui a une meilleure connaissance des affaires relevant de son autorité.
Arrêt suivi: Jones c. Gamache [ 1969] R.C.S. 49.
APPEL. AVOCATS:
L. Mercury et D. Hill pour les appelantes.
J. Scollin, c.r., et G. St. John pour l'intimée.
PROCUREURS:
Aikins, MacAulay, Thorvaldson, Winnipeg, pour les appelantes.
Le sous-procureur général du Canada pour l'intimée.
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement prononcés oralement par
LE JUGE EN CHEF JACKETT: Appel est interjeté d'une ordonnance de la Division de première ins tance qui rejette une demande d'ordonnance aux fins de faire désigner l'honorable James A. Richardson comme étant le fonctionnaire de la défenderesse qui doit comparaître à un interroga- toire préalable sur les affaires en cause dans l'ac- tion pendante devant la Division de première ins tance ladite demande a été présentée.
La demande a été présentée conformément à la Règle 465(1)c). Les extraits de la Règle 465 qui semblent pertinents pour bien saisir la portée de
cette Règle sur le présent appel se lisent comme suit:
Règle 465. (1) Aux fins de la présente Règle, on peut procéder à l'interrogatoire préalable d'une partie, tel que ci-après prévu dans cette Règle,
a) si la partie est un individu, en interrogeant la partie elle-même,
b) si la partie est une corporation ou un corps ou autre groupe de personnes autorisé à ester en justice, soit en son propre nom soit au nom d'un membre de sa direction ou d'une autre personne, en interrogeant un membre de la direction ou autre membre de cette corporation ou de ce groupe,
c) si la partie est la Couronne, en interrogeant un officier ministériel ou autre officier de la Couronne désigné par le procureur général du Canada ou le sous-procureur général du Canada ou par ordonnance de la Cour, et
d) dans tous les cas, en interrogeant une personne qui, avec son consentement, a été agréée par la partie qui procède à l'interrogatoire et par la partie qui en est l'objet,
et dans cette Règle, une partie qui est interrogée au préalable ou qui doit être interrogée au préalable est parfois désignée comme «la partie qui est interrogée au préalable» ou «la partie qui doit être interrogée au préalable» selon le cas et l'individu qui est ou, qui doit être interrogé, est parfois désigné comme «l'individu qui est interrogé» ou «l'individu qui doit être inter- rogé» selon le cas.
(7) Sur demande de la partie qui se propose d'exercer en vertu de la présente Règle un droit d'interrogatoire préalable, toute personne qui est habilitée par le paragraphe (6) pour être l'examinateur et qui a convenu d'agir en cette qualité pour cet interrogatoire particulier doit émettre une convocation signée par elle et fixant les temps et lieu prévus pour l'interrogatoire. (Une telle convocation doit indiquer les noms de la partie qui procède à l'interrogatoire préalable, de la partie qui doit être interrogée au préalable et de l'individu qui doit être interrogé).
(15) A un interrogatoire préalable autre qu'un interrogatoire en vertu du paragraphe (5), l'individu qui est interrogé doit répondre à toute question sur tout fait que la partie interrogée au préalable connaît ou a les moyens de connaître et qui peut soit démontrer ou tendre à démontrer ou réfuter ou tendre à réfuter une allégation de fait non admis dans une plaidoirie à la cause de la partie qui est interrogée au préalable ou de la partie qui procède à l'interrogatoire.
(17) Afin de se conformer au paragraphe (15) l'individu interrogé peut être requis de se renseigner et, à cet égard, l'interrogatoire peut être ajourné si nécessaire.
(20) Si un individu qui doit être interrogé omet sans excuse raisonnable de comparaître et de se soumettre à un interroga- toire comme l'exige la présente Règle, ou ne se conforme pas à une ordonnance rendue en vertu du paragraphe (18), la Cour pourra, à sa discrétion, si la partie qui est interrogée est un demandeur, rejeter son action et si c'est un défendeur, faire radier sa défense et faire placer cette partie dans la même
situation que si elle n'avait pas déposé de défense. La preuve de «l'excuse raisonnable», aux fins de la présente Règle, incombe à la partie qui est interrogée.
La demande a été présentée dans une action des demanderesses contre le gouvernement canadien (Sa Majesté du chef du Canada) pour inexécution de contrat ou négligence. Cette action semble fondée principalement sur une lettre écrite par le ministre des Transports et à laquelle auraient sous- crit le ministre de l'Industrie et du Commerce ainsi que le ministre des Approvisionnements et Services chargé de la production de défense. Il appert de la déclaration et des autres procédures au dossier, que la réclamation ne résulte pas de transactions commerciales de la part d'un «minis- tère ou département» en particulier, créé par le Parlement.
Le savant juge de première instance est arrivé à la conclusion que l'honorable Richardson, le minis- tre de la Défense nationale, n'est pas un «fonction- naire d'un ministère ou département ou ... autre fonctionnaire de la Couronne» au sens de l'article 46(1)a)(i) de la Loi sur la Cour fédérale', qui constitue le fondement de la Règle 465, et il a par conséquent rendu l'ordonnance dont il est fait appel. Je suis porté à accepter la conclusion du savant juge de première instance qu'un ministre du gouvernement n'est pas un «fonctionnaire d'un ministère ou département». Cependant, j'éprouve des difficultés à accepter le raisonnement contenu dans la partie de son jugement [[1977] 1 C.F. 206 aux pages 213-14] que voici:
Il reste à déterminer si les termes «ou ... autre» à l'article 46(1)a)(i) de la Loi et à la Règle 465(1)c), visent un ministre? C'est avec réticence que je conclus que non. Si le mot «fonction- naire» comprend tous les fonctionnaires de la Couronne, l'ex- pression «ministère ou département» n'a pas sa raison d'être. On peut suivre le même raisonnement si les mots «ou ... autre»
I L'article 46(1)a)(i) se lit comme suit:
46. (1) Sous réserve de l'approbation du gouverneur en conseil, et, en outre, du paragraphe (4), les juges de la Cour peuvent, quand il y a lieu, établir des règles et ordonnances générales qui ne sont incompatibles ni avec la présente loi ni avec aucune autre loi du Parlement du Canada,
a) pour réglementer la pratique et la procédure à la Division de première instance et à la Cour d'appel, et notamment, sans restreindre la portée générale de ce qui précède, établir
(i) des règles prévoyant, dans une procédure à laquelle la Couronne est partie, l'interrogatoire préalable d'un fonctionnaire d'un ministère ou département ou de tout autre fonctionnaire de la Couronne,
sont inclus pour non seulement viser un «fonctionnaire» d'un «ministère ou département» mais également tout autre fonction- naire. A mon avis, il est plus probable que les mots «ou ... autre» ont pour but d'inclure sous le vocable «fonctionnaire» des personnes employées ou engagées dans différents organismes de la Couronne mais qui ne relèvent d'aucun ministère et qui, en raison de leurs fonctions sont des fonctionnaires de la Couronne.
Étant donné ce qui précède et après avoir soigneusement étudié la jurisprudence citée devant cette Cour par les avocats des parties, j'en viens à la conclusion que l'honorable James A. Richardson, ministre de la Défense nationale dans le gouverne- ment canadien, n'est pas un «fonctionnaire d'un ministère ou département ou ... autre fonctionnaire de la Couronne» au sens de cette expression à l'article 46(1)a)(i) de la Loi sur la Cour fédérale.
Dans la mesure le savant juge de première instance a basé sa décision sur le raisonnement de jugements antérieurs de la Cour de l'Échiquier, je suis d'avis que cette décision ne peut être mainte- nue parce que, si je comprends bien l'arrêt de la Cour suprême du Canada dans Jones c. Gama- chez, ce raisonnement est inacceptable. Depuis cette décision, je ne crois pas qu'en l'absence d'un contexte spécial quelconque, les mots «fonction- naire de la Couronne» puissent être interprétés comme excluant un ministre de la Couronne, du moins si ce dernier a été nommé responsable d'un ministère ou département du gouvernement en vertu d'une loi, comme c'est le cas de l'honorable Richardson'. De plus, je ne crois pas qu'on puisse restreindre la portée des mots «fonctionnaire de la Couronne» parce qu'ils sont précédés des mots «d'un ministère ou département ou de tout autre». A mon sens, ces mots signifient que, dans un litige ordinaire auquel la Couronne est partie et le litige découle des activités d'un ministère ou dépar- tement quelconque du gouvernement, le fonction- naire désigné pour l'interrogatoire, dans un tel cas, serait un «fonctionnaire d'un ministère ou départe- ment». Cependant, je ne vois pas dans ces mots une restriction à la portée des mots qui les suivent, et dont le sens est général. A mon avis, lorsque la nature du litige le requiert, tout fonctionnaire de la Couronne peut être «désigné».
2 [1969] R.C.S. 119.
3 Voir l'article 3 de la Loi sur la défense nationale, S.R.C. 1970, c. N-4, qui se lit comme suit:
3. Est établi un département du gouvernement du Canada, appelé le ministère de la Défense nationale, auquel préside le ministre de la Défense nationale nommé par le gouverneur général au moyen d'une commission sous le grand sceau.
En conséquence, je suis d'avis que le jugement dont on fait appel, ne peut être maintenu si l'on tient compte du raisonnement du savant juge de première instance. A mon avis, il est donc de mon devoir d'envisager quelle décision le savant juge de première instance aurait rendre 4 .
Bien que cela n'apparaisse nulle part dans les affidavits produits au dossier, ni dans l'exposé des faits que les parties ont déposé devant cette cour, il appert des motifs du juge de première instance que les parties ont- reconnu devant lui que le sous-pro- cureur général du Canada avait nommé Brian Thomas Boyd, Chef de la Division des Opérations, Centre de la gestion des programmes, ministère des Approvisionnements et Services, comme «fonc- tionnaire qui doit être interrogé au préalable». Le mémoire déposé devant cette cour par le procureur général du Canada pose les questions suivantes sur le deuxième volet de l'affaire:
[TRADUCTION] 2. Si la réponse à la question 1 est affirmative, est-ce que la Cour fédérale a compétence pour rendre une ordonnance en vertu de l'alinéa 465(1)c) des Règles de ladite Cour, considérant le fait que le sous-procureur général du Canada a déjà désigné une personne pour l'interrogatoire?
3. Si les réponses aux questions 1 et 2 sont affirmatives, l'appelante a-t-elle l'obligation d'établir que la personne dési- gnée par le sous-procureur général du Canada pour être inter- rogée n'est pas celle qui aurait être désignée?
A mon avis, la Règle 465 (1) ne confère pas au procureur général du Canada ou à son substitut, le droit de décider de façon péremptoire qui parmi les fonctionnaires de la Couronne sera interrogé. S'il s'agit d'une compagnie ordinaire, la Règle 465(1)b) permet à la partie opposante de choisir parmi «un membre de la direction» de cette compa- gnie. S'il s'agit de la «Couronne» compte tenu, présumément, de l'étendue et de la diversité de ses activités, le fonctionnaire à interroger doit être celui que désignent les responsables de la conduite des litiges la Couronne est partie, ou celui que désigne la Cour. En principe, je ne vois aucune raison pour laquelle la partie opposante serait
4 Voir l'article 52b)(i) de la Loi sur la Cour fédérale, qui se
lit comme suit:
52. La Cour d'appel peut
b) dans le cas d'un appel d'une décision de la Division de première instance,
(i) rejeter l'appel ou rendre le jugement que la Division de première instance aurait rendre et prendre toutes mesures d'exécution ou autre qu'elle aurait prendre,
tenue d'accepter la désignation faite par la Cou- ronne quelque inadéquate qu'elle soit; et je n'ad- mets pas non plus que la Règle 465(1)c) doive s'interpréter ainsi.
En ce qui concerne l'«obligation» d'établir que la personne désignée par le sous-procureur général n'est pas celle qui doit être interrogée, cette ques tion, à mon avis, n'a pas à être tranchée comme une question de droit en l'espèce. Des documents nous ont été soumis qui démontrent qu'en l'ab- sence de toute preuve contraire, le contrat et les observations sur lesquels se fonde l'appelante, cou- vrent tout le bataclan des activités gouvernementa- les et ne se limitent pas à un point touchant une partie d'un seul ministère ou département. En l'absence de preuve contraire, à mon avis, ces documents mènent à la conclusion qu'il est impro bable que le fonctionnaire désigné par le sous-pro- cureur général soit celui qui aurait être désigné.
Enfin, les documents produits par l'appelante au soutien de sa demande établissent, à mon avis, quelque fondement à la nomination de l'honorable Richardson et, en l'absence de preuve contraire, je suis d'avis qu'il devrait être désigné.
Cependant, il me faut souligner que dans toute affaire qui ne sort pas de l'ordinaire, je ne devrais pas considérer un ministre dont les fonctions s'étendent bien au-delà des affaires du ministère qu'il préside, comme étant le fonctionnaire qui doit être désigné pour l'interrogatoire préalable. A mon avis, le temps d'un ministre ne devrait pas être utilisé pour accomplir ce que des fonctionnaires subalternes pourraient tout aussi bien faire. De plus, lorsqu'une poursuite porte sur les activités ordinaires d'un ministère ou département, l'inter- rogatoire préalable peut être complété de façon plus rapide et plus efficace si la personne qui le subit est un fonctionnaire du ministère ou départe- ment qui a une connaissance suffisante des affaires en litige, en autant qu'il soit investi de pouvoirs ministériels ou autres sur ce qui est à l'origine du litige.
Je suis d'avis d'accueillir l'appel avec dépens, d'annuler l'ordonnance de la Division de première instance et de désigner l'honorable James A. Richardson, en vertu de la Règle 465(1)c), comme étant le fonctionnaire de l'intimée qui doit compa-
raître à l'interrogatoire préalable mené en vertu de cette Règle.
* * *
LE JUGE ÜRIE y a souscrit.
* * *
LE JUGE RYAN y a souscrit.
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