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A-449-75
Eric Barrington Francis (Appelant) c.
Le ministre de la Main-d'oeuvre et de l'Immigra- tion (Intimé)
Cour d'appel, les juges Urie et Le Dain et le juge suppléant MacKay—Toronto, les 15 et 16 juin 1976.
Compétence—Immigration—Commission d'appel de l'im- migration rejetant l'appel en raison de son incompétence— Appelant admis à titre de visiteur—Demande de résidence permanente Déclaré coupable d'infractions—Ordonnance d'expulsion—A-t-il un droit d'appel? Loi sur l'immigration, S.R.C. 1970, c. I-2, art. 5, 7, 11 et 18(1)e) modifiés par S.C. 1973-74, c. 27, art. 5, 7 et 8.
L'appelant est ,entré au Canada le 9 février 1972 et a été admis à titre de visiteur pour une période prenant fin le 6 avril 1972. Le 5 avril 1972, il a déposé une formule d'intention de présenter une demande de résidence permanente suivie d'une demande de résidence permanente le 19 mai 1972 et on lui a fait savoir qu'il serait accepté. La Commission n'a pas statué avant plusieurs mois et le 17 octobre 1973, il a été déclaré coupable de deux infractions. Le 23 avril 1974, il a fait l'objet d'un rapport conforme à l'article 22 et a été frappé d'une ordonnance d'expulsion. La Commission devait déterminer si l'appelant avait un droit d'appel. N'ayant manifestement pas de droit d'appel en vertu de l'article 11(1) de la Loi sur la Commission d'appel de l'immigration modifiée, l'appelant a soutenu que son cas relevait de l'article 7 de la loi modificatrice en ce qu'il était réputé, aux termes de l'article 8(1) de la loi modificatrice, avoir fait une déclaration en conformité de l'arti- cle 7(3) de la Loi sur l'immigration et demandé d'être admis à titre d'immigrant. La Commission semble avoir admis qu'il prétendait se faire inscrire en vertu de l'article 8 de la loi modificatrice dans le délai de soixante jours prescrit à cet égard, mais elle a conclu qu'il n'était pas une des personnes visées par l'article 8; elle considérait que l'article ne visait pas les personnes qui bénéficiaient d'un statut légal au Canada au cours du délai de soixante jours mais visait plutôt des personnes qui y étaient entrées ou y demeuraient illégalement. Ainsi, la Commission a conclu que, ne pouvant pas se faire inscrire en vertu de l'article 8 de la loi modificatrice, l'appelant ne pouvait pas invoquer l'article 7 de ladite loi et n'avait pas le droit d'interjeter appel.
Arrêt: l'appel est rejeté. La Commission n'a pas commis d'erreur de droit. Il est raisonnable de déduire du libellé de l'article 8(1)b) de la loi modificatrice que cet article s'applique aux personnes visées par un des sous-alinéas (vi) à (x) inclusive- ment de l'article 18(1)e) de la Loi, c'est-à-dire des personnes qui autrement seraient considérées comme étant entrées ou demeurant illégalement au Canada. Le but de l'article 8 était de permettre aux personnes entrées au Canada avant une certaine date et y demeurant depuis cette même date, et qui relevaient d'une de ces catégories, de demander à être admises à titre d'immigrants sans s'exposer à un refus parce qu'elles étaient entrées ou demeurées au Canada illégalement. L'article
8(2) de la loi modificatrice n'est pas nécessairement contradic- toire à ce point de vue car il peut raisonnablement être inter- prété comme s'appliquant aux personnes relevant d'un des sous-alinéas susmentionnés de l'article 18(1)e), mais qui ont fait l'objet d'une arrestation, d'un rapport ou d'une ordonnance d'expulsion au sens de ce paragraphe. L'appelant ne pouvait prétendre relever que du sous-alinéa (vi). Il convient de consi- dérer qu'il a bénéficié d'une prolongation de son statut de visiteur non-immigrant lorsque, le 5 avril, il a déposé l'intention de présenter une demande et, le 19 mai, la demande même et qu'on l'a assuré de son acceptation. La perpétration des infrac tions criminelles, en avril et mai 1973, n'avait pas automatique- ment mis fin à son statut et sa demande n'a pas été rejetée avant sa condamnation puisque, selon la Commission, il a témoigné que lorsqu'il s'est fait inscrire en vertu de l'article 8(1), on lui a dit qu'il était sous le coup de deux accusations et qu'il devrait attendre qu'on ait statué à leur sujet. Par consé- quent, il ne relevait pas du sous-alinéa 18(I)e)(vi) ni d'un autre sous-alinéa mentionné à l'article 8(1)b) de la loi modificatrice. Il n'avait pas le droit de se faire inscrire en vertu dudit article 8; il ne relevait pas de l'article 7 de la loi modificatrice et n'avait pas le droit d'interjeter appel. Il prétend que l'article 11 (amendé) ne doit pas s'appliquer à une personne qui avait demandé la résidence avant l'entrée en vigueur de la loi modifi- catrice, car cela aurait pour effet de supprimer rétroactivement un droit d'appel acquis ou «éventuel»; cette prétention n'est pas fondée. Il est évident que l'article 7 indique dans quelle mesure le nouvel article 11 doit s'appliquer aux affaires pendantes après l'entrée en vigueur de la loi modificatrice. Il stipule que l'article 11 modifié doit s'appliquer à toute ordonnance d'expul- sion rendue le ou après le jour de l'entrée en vigueur de la loi modificatrice, avec les exceptions précisées aux alinéas a),b) et c). L'appelant ne relève d'aucune de ces exceptions.
APPEL. AVOCATS:
J. L. Pinkofsky pour l'appelant. G. R. Garton pour l'intimé.
PROCUREURS:
J. Pinkofsky, Toronto, pour l'appelant.
Le sous-procureur général du Canada pour
l'intimé.
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement prononcés oralement par
LE JUGE LE DAIN: Il s'agit d'un appel d'une décision rendue le 8 avril 1975 par la Commission d'appel de l'immigration, rejetant pour incompé- tence l'appel d'une ordonnance d'expulsion rendue contre l'appelant, le 11 octobre 1974.
L'appelant est un citoyen de la Jamaïque. Il est entré au Canada le 9 février 1972, et a été admis, à la suite d'un examen, à titre de visiteur en vertu de l'article 7(1)c) de la Loi sur l'immigration pour
une période prenant fin le 6 avril 1972. Le 5 avril 1972, l'appelant a déposé auprès du ministère de la Main-d'oeuvre et de l'Immigration une formule d'«Intention de présenter une demande de rési- dence permanente». Le 19 mai 1972, il a rempli une «Demande de résidence permanente» et il a eu une entrevue avec un fonctionnaire à l'immigra- tion, qui lui a fait savoir que sa demande serait acceptée et qui lui a donné des formules à présen- ter à un médecin. Selon la décision de la Commis sion, l'appelant a témoigné à l'enquête qu'à sa connaissance les rapports médicaux étaient satisfaisants.
La Commission n'a pas statué avant plusieurs mois sur la demande de résidence permanente de l'appelant. Selon la décision de la Commission, ce retard était apparemment aux difficultés que présentait l'examen de la demande d'admission de l'épouse de l'appelant comme personne à charge.
Le 17 octobre 1973, l'appelant a été déclaré coupable sous deux chefs d'accusation de mise en circulation de monnaie contrefaite, pour des infractions commises en avril et mai 1973.
Le 23 avril 1974, l'appelant a fait l'objet d'un rapport conforme à l'article 22 de la Loi sur l'immigration puis, après enquête, a été frappé d'une ordonnance d'expulsion le 11 octobre 1974 au motif, notamment, qu'il faisait partie de la catégorie interdite décrite à l'article 5d) de la Loi sur l'immigration, puisqu'il avait été déclaré cou- pable d'un crime impliquant la turpitude morale, et qu'il faisait aussi partie de la catégorie interdite décrite à l'article 5t) de la Loi parce qu'il ne possédait pas de visa d'immigrant encore valide délivré conformément à l'article 28(1) du Règle- ment sur l'immigration. L'appelant a interjeté appel devant la Commission de cette ordonnance d'expulsion.
La Commission devait déterminer si l'appelant avait un droit d'appel. Il appert que l'appelant n'a pas de droit d'appel en vertu du paragraphe 11(1) de la Loi sur la Commission d'appel de l'immi- gration, promulgué par l'article 5 de la Loi modi- fiant la Loi sur la Commission d'appel de l'immi- gration, S.C. 1973-74, c. 27 (ci-après appelée la «loi modificatrice»), qui est entrée en vigueur le 15 août 1973. Le paragraphe 11(1) dit que:
11. (1) Sous réserve des paragraphes (2) et (3), une per- sonne frappée d'une ordonnance d'expulsion, en vertu de la Loi sur l'immigration, peut, en se fondant sur un motif d'appel qui implique une question de droit, une question de fait ou une question mixte de droit et de fait, interjeter appel devant la Commission, si au moment l'ordonnance d'expulsion est prononcée contre elle, elle est
a) un résident permanent;
b) une personne qui cherche à être admise au Canada en qualité d'immigrant ou de non-immigrant, l'exception d'une personne qui, aux termes du paragraphe 7(3) de la Loi sur l'immigration est réputée être une personne qui cherche à être admise au Canada) et qui, au moment un fonction- naire à l'immigration a établi, conformément à l'article 22 de la Loi sur l'immigration, le rapport la concernant, était en possession d'un visa valide d'immigrant ou de non-immi grant, selon le cas, que lui avait délivré hors du Canada un fonctionnaire à l'immigration;
c) une personne qui prétend être un réfugié que protège la Convention; ou
d) une personne qui prétend être citoyen canadien.
Cependant l'appelant soutenait que son cas rele- vait de l'article 7 de la loi modificatrice, qui prévoit que:
7. L'article 5 s'applique en ce qui concerne toute ordonnance d'expulsion prononcée à la date d'entrée en vigueur de la présente loi ou ultérieurement, sauf lorsqu'une telle ordonnance est prononcée après
a) un examen supplémentaire ou une enquête tenus à la suite d'un rapport présenté par un fonctionnaire à l'immigration à un enquêteur spécial conformément à l'article 22 de la Loi sur l'immigration
(i) avant le 18 juin 1973, ou
(ii) à l'égard d'une personne qui est réputée, aux termes du paragraphe 8(1), avoir fait une déclaration en confor- mité du paragraphe 7(3) de la Loi sur l'immigration et avoir demandé d'être admise au Canada à titre d'immigrant;
b) une enquête tenue à la suite d'instructions données con- formément à l'article 25 de la Loi sur l'immigration avant le 18 juin 1973, par le directeur mentionné à cet article; ou
c) une enquête tenue ainsi que le prescrit l'article 24 de la Loi sur l'immigration à la suite d'une arrestation effectuée avant le 18 juin 1973.
L'appelant prétendait être une personne qui est réputée, aux termes du paragraphe 8(1) de la loi modificatrice, avoir fait une déclaration en confor- mité du paragraphe 7(3) de la Loi sur l'immigra- tion et avoir demandé d'être admise au Canada à titre d'immigrant. Le paragraphe 8(1) de la loi modificatrice est ainsi rédigé:
8. (1) Toute personne se trouvant au Canada et qui se fait inscrire par un fonctionnaire à l'immigration aux fins du pré- sent article au plus tard le soixantième jour suivant l'entrée en vigueur de la présente loi et qui convainc ce fonctionnaire à
l'immigration qu'elle est entrée au Canada au plus tard le 30 novembre 1972 et qu'elle y est demeurée depuis cette date
a) est réputée être une personne qui a fait une déclaration en conformité du paragraphe 7(3) de la Loi sur l'immigration et a demandé d'être admise au Canada à titre d'immigrant, et
b) est réputée ne pas être une personne visée par l'un quel- conque des sous-alinéas 18(1)e)(vi) à (x) de la Loi sur l'immigration,
et il ne peut être intenté de procédure contre cette personne en vertu des articles 46 ou 48 de la Loi sur l'immigration relative- ment à quelque question touchant la manière dont elle est entrée au Canada ou demeurée au Canada avant de se faire inscrire par un fonctionnaire à l'immigration aux fins du pré- sent article.
Bien que cela ne ressorte pas très clairement de sa décision, la Commission semble avoir admis que l'appelant prétendait se faire inscrire en vertu de l'article 8 de la loi modificatrice dans le délai de soixante jours prescrit à cet égard, et nous faisons la même hypothèse aux fins de l'espèce. La Com mission a conclu cependant que l'appelant n'était pas une des personnes visées par l'article 8 comme ayant le droit de se faire inscrire en vertu de celui-ci et de bénéficier des applications d'une telle inscription en vertu des alinéas (1)a) et (1)b) du même article. La Commission considérait en effet que l'article 8 ne visait pas le cas de l'appelant, qui a bénéficié d'un statut légal au Canada au cours dudit délai de soixante jours, mais visait plutôt des personnes qui étaient entrées ou demeuraient au Canada illégalement.
Par conséquent, la Commission conclut que, n'ayant pas le droit de se faire inscrire en vertu de l'article 8 de la loi modificatrice, l'appelant ne pouvait pas invoquer l'article 7 de ladite loi, et n'avait donc pas le droit d'interjeter appel de l'ordonnance d'expulsion.
A notre avis, la Commission n'a pas commis d'erreur de droit en arrivant à cette conclusion. Nous estimons en effet qu'il est raisonnable de déduire du libellé de l'alinéa (1)b) de l'article 8 de la loi modificatrice, que cet article était destiné à s'appliquer aux personnes visées par un des sous- alinéas (vi) à (x) inclusivement de l'article 18(1)e) de la Loi sur l'immigration, c'est-à-dire des per- sonnes qui autrement seraient considérées comme étant entrées ou demeurant illégalement au Canada pour une des raisons qui y sont données. Le but de l'article 8 était de permettre aux person- nes entrées au Canada avant une certaine date et y
demeurant depuis cette même date, et qui rele- vaient d'une de ces catégories, de demander à être admises à titre d'immigrants sans s'exposer à un refus parce qu'elles sont entrées ou demeurées au Canada illégalement. Le paragraphe (2) de l'arti- cle 8 de la loi modificatrice, qui interdit à certaines personnes de se faire inscrire en vertu de cet article, n'est pas nécessairement contradictoire à ce point de vue, car il peut raisonnablement être interprété comme s'appliquant aux personnes rele vant d'un des sous-alinéas susmentionnés de l'arti- cle 18(1)e) de la Loi sur l'immigration, mais qui ont fait l'objet d'une arrestation, d'un rapport ou d'une ordonnance d'expulsion au sens de ce para- graphe. Le seul de ces sous-alinéas de l'article 18(1)e) dont l'appelant prétend relever, ou dont il pourrait effectivement relever, compte tenu des faits admis par les parties en l'espèce, est le sous- alinéa (vi), à titre de personne qui «est entrée au Canada comme non-immigrant et y demeure après avoir cessé d'être un non-immigrant ou d'apparte- nir à la catégorie particulière dans laquelle elle a été admise en qualité de non-immigrant». A notre avis, il convient de considérer, conformément au point de vue adopté par cette cour dans des décisions précédentes, que l'appelant a bénéficié d'une prolongation de son statut de visiteur non immigrant lorsque, le 5 avril 1972, il a déposé une formule d'«Intention de présenter une demande de résidence permanente», et que le bureau de l'immi- gration l'a convoqué pour un examen, et encore, le 19 mai 1972, lorsqu'il a déposé une «Demande de résidence permanente», qu'on l'a assuré de l'accep- tation de sa demande et qu'on lui a donné des formules pour un examen médical. La perpétration des infractions criminelles, en avril et mai 1973, n'avait pas automatiquement mis fin à son statut de visiteur non immigrant et sa demande de rési- dence permanente n'a pas été rejetée avant sa condamnation, le 17 octobre 1973, puisque, selon la décision de la Commission, l'appelant a témoi- gné que lorsqu'il s'est fait inscrire en vertu de l'article 8(1) de la loi modificatrice [TRADUC- TION] «le fonctionnaire à l'immigration devant lequel il s'était présenté lui a dit que, puisqu'il était sous le coup de deux accusations, il devrait atten- dre jusqu'à ce qu'on ait statué sur ces chefs d'accu-
Voir, par exemple, l'arrêt Koo Shew Wan c. Le ministre de la Main-d'oeuvre et de l'Immigration [1973] C.F. 578, juge- ment prononcé par cette cour à Montréal, le 23 mai 1973.
sation». Par conséquent, selon nous, l'appelant ne relevait pas du sous-alinéa (vi) de l'article 18(1)e) de la Loi sur l'immigration ni d'un autre sous-ali- néa mentionné à l'article 8(1)b) de la loi modifica- trice; il n'avait pas le droit de se faire inscrire en vertu dudit article 8 ni d'en tirer avantage; par conséquent, il n'était pas une personne relevant de l'article 7 de la loi modificatrice et n'avait donc pas le droit d'interjeter appel contre l'ordonnance d'expulsion en question.
L'appelant prétend que l'article 11 de la Loi sur la Commission d'appel de l'immigration, tel que modifié, ne doit pas s'interpréter comme s'appli- quant à une personne qui avait demandé la rési- dence permanente avant l'entrée en vigueur de la loi modificatrice, car cette interprétation aurait pour effet de supprimer rétroactivement un droit d'appel acquis ou «éventuel». A notre avis, cette prétention n'est pas fondée. Il est évident que l'article 7 indique dans quelle mesure le nouvel article 11 doit s'appliquer aux affaires d'immigra- tion qui à un stade ou à un autre sont pendantes, après l'entrée en vigueur de la loi modificatrice. Il stipule clairement que l'article 11 modifié doit s'appliquer à toute ordonnance d'expulsion rendue le ou après le jour de l'entrée en vigueur de la loi modificatrice, à savoir le 15 août 1973, avec les exceptions précisées aux alinéas a),b) et c). L'ap- pelant ne relève d'aucune de ces exceptions, et ce serait ajouter une autre exception à la liste de l'article, que d'accepter sa prétention.
Pour tous ces motifs, nous sommes d'avis que l'appel devrait être rejeté.
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LE JUGE URIE y a souscrit.
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LE JUGE SUPPLÉANT MACKAY y a souscrit.
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