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A-68-76
Antares Shipping Corporation (Appelante) c.
Le navire Capricorn alias le navire Alliance et ses propriétaires (Intimés)
Cour d'appel, les juges Ryan et Le Dain et le juge suppléant Hyde Montréal, les 8 et 9 mars; Ottawa, le 27 mai 1977.
Pratique Droit maritime Appel d'une ordonnance augmentant la garantie pour les dépens à $140,777.76 Dépens pour couvrir les frais engagés par les défendeurs afin d'obtenir la caution exigée pour le navire saisi Une garantie pour de telles dépenses peut-elle être exigée en vertu des Règles de la Cour fédérale? La Cour a-t-elle exercé sa discrétion d'une manière appropriée en accordant la somme demandée? Règles 446, 1004 et 1005 de la Cour fédérale.
L'appelante prétend que les Règles de la Cour fédérale ne permettent pas à la Cour d'exiger une garantie pour les dépens dans le but de couvrir les frais engagés afin d'obtenir une caution et que, même si elles le permettent, la Cour a exercé sa discrétion d'une manière inappropriée en accordant le montant demandé puisque les intimés avaient déjà saisi en vertu de procédures intentées devant la Cour supérieure du Québec une somme de $517,500 appartenant à l'appelante.
Arrêt: l'appel est rejeté. La Règle 446 de la Cour fédérale permet à la Cour d'accorder la garantie pour les dépens de l'action ou d'autres procédures qui semble juste, et même si la caution n'est pas destinée à améliorer la défense d'une action au mérite, elle constitue une démarche prévue expressément par les Règles 1004 et 1005 et elle a des conséquences en procé- dure. Le montant saisi dans les procédures intentées devant la Cour supérieure du Québec a trait à une action différente et ne garantit aucunement ce que les intimés pourront avoir le droit de recouvrer devant la Cour fédérale.
APPEL. AVOCATS:
Guy Vaillancourt pour l'appelante. Gilles de Billy, c.r., pour les intimés.
PROCUREURS:
Langlois, Drouin & Laflamme, Québec, pour l'appelante.
Gagnon, de Billy, Cantin, Dionne, Martin, Beaudoin & Lesage, Québec, pour les intimés.
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
LE JUGE LE DAIN: Il s'agit d'un appel d'une ordonnance de la Division de première instance enjoignant l'appelante d'augmenter sa garantie
pour les dépens à $140,776.76 afin de couvrir les frais engagés par les propriétaires du navire intimé pour fournir la caution exigée pour obtenir mainle- vée de la saisie pratiquée par l'appelante.
Le 7 juin 1973, l'appelante a institué une action in rem et fait saisir le navire intimé. L'action, qui est encore pendante, vise à obtenir une déclaration portant que la vente du navire par Delmar Ship ping Limited (ci-après appelée «Delmar») à Port- land Shipping Company Inc. (ci-après appelée «Portland») est nulle et de nul effet; elle vise également à obtenir l'exécution pure et simple d'une prétendue entente prévoyant la vente du navire par Delmar à l'appelante ainsi que des dommages-intérêts. Le 15 juin 1973, il fut ordonné à l'appelante, une demanderesse non résidante, de donner une garantie pour les dépens que les parties ont fixée, sur la base des frais prévus à ce moment-là, à $25,000.
La caution pour la mainlevée de la saisie du navire a été fixée à 4,000,000 $ÉU et a été déposée par Portland le 22 juin 1973. A peu près au même moment, Portland a institué devant la Cour supé- rieure du district de Québec, des procédures contre l'appelante pour se faire indemniser des dommages subis à la suite de la saisie du navire, qui, a-t-elle prétendu, serait injustifiée. Portland réclamait entre autres à titre de dommages une somme de $80,000 représentant le coût de la lettre de crédit nécessaire pour garantir le cautionnement. Au cours des procédures en Cour supérieure, Portland a saisi une somme de $517,500 que l'appelante avait fait parvenir à s'es procureurs en exécution de ses obligations prévues au prétendu contrat de_ vente conclu avec Delmar.
En janvier 1976, les propriétaires du navire ont demandé à la Division de première instance d'émettre une ordonnance enjoignant l'appelante d'augmenter sa garantie pour les dépens à $140,- 777.76 afin de couvrir la prime d'assurance et la commission payées par les propriétaires pour obte- nir un cautionnement pour le navire. Ce montant de $140,777.76 comprend une somme, de $40,000 pour la prime d'assurance (pour la période du 22 juin 1973 au 22 juin 1976) versée à la Royale du Canada, Compagnie d'Assurance qui a émis le cautionnement et une autre de $100,777.76 en commission (au taux de 1% par année sur $4,000,- 000) versée à Irving Trust Company qui a émis la
lettre de crédit en faveur de la Royale du Canada, Compagnie d'Assurance. La Division de première instance a accueilli la demande.
L'appelante fonde son appel de l'ordonnance de la Division de première instance sur deux moyens. Elle allègue premièrement que les Règles de la Cour fédérale ne permettent pas d'exiger une garantie pour les dépens dans le but de couvrir les frais engagés afin de fournir la caution exigée pour la mainlevée de la saisie du navire et, deuxième- ment, que, si elles le permettent, la Division de première instance a exercé sa discrétion, dans la présente cause, d'une manière inappropriée puis- que la somme d'argent saisie en vertu des procédu- res intentées devant la Cour supérieure du district de Québec fournit aux propriétaires du navire une garantie suffisante pour couvrir de telles dépenses.
La pratique de la Division de première instance qui consiste à inclure les dépenses engagées pour fournir une caution dans la garantie pour les dépens, paraît bien établie. Il serait regrettable de s'apercevoir maintenant qu'une telle pratique n'était pas fondée. La question se pose parce que les Règles ne prévoient pas expressément que de telles dépenses font partie des frais taxables, comme c'est le cas en vertu des Règles de la Cour suprême d'Angleterre ou comme c'était le cas pour celles de la Cour de l'Échiquier du Canada à qui on a appliqué la règle anglaise. Avant l'adoption de la règle en Angleterre, on a jugé que de telles dépenses ne pouvaient être recouvrées comme frais, quoique cela fût possible dans une action pour saisie injustifiée couronnée de succès. Voir Le Collingrove, Le Numida (1885) 10 P.D. 158. L'Écosse a adopté la même position. Voir Eller - man's Wilson Line, Limited c. The Commissioners of Northern Lighthouses [1921] S.C. 10. Des dis positions spéciales ont été insérées dans les règles anglaises afin de permettre que de telles dépenses, dans une certaine limite, puissent être recouvrées comme frais taxables. Actuellement', cette dispo sition se lit ainsi:
[TRADUCTION] La commission ou les honoraires payés à une personne garante d'un cautionnement ou qui a donné une garantie ou signé un engagement, au lieu d'un cautionnement, ne dépassant pas une livre pour cent du montant pour lequel le cautionnement, la garantie ou l'engagement a été pris, doivent être accordés sur taxation.
' RSC Ord. 62. App. 2, Partie IX, Note aux articles 93 et 94.
La pratique anglaise sur cette question s'appli- quait à la Cour de l'Échiquier en vertu de l'article 35 de la Loi sur la Cour de l'Échiquier 2 et en vertu de la Règle 215 des Règles de la Cour de l'Échiquier en Amirauté'.
La disposition contenue dans les Règles de la Cour suprême d'Angleterre a fait l'objet du com- mentaire suivant formulé par le juge d'appel sup pléant Sidney Smith dans Owners of aChinook» c. «.Dagmar Salem» [1955] R.C.É. 210 les pro- priétaires d'un navire ont cherché sans succès à recouvrer en tant que frais plus d'un pour cent du montant de la garantie donnée au lieu du cautionnement:
[TRADUCTION] Mises à part les règles statutaires, aucune de ces dépenses ne peut être recouvrée, même en tant que frais, Le Numida (précité); mais depuis cette décision, on a apporté une modification en Angleterre. La modification touche la présente cour également à cause de la règle qui porte le numéro 0.12, R21 A des Règles de la Cour suprême (Angleterre) qui se lit ainsi:
La commission ou les honoraires payés à une personne garante d'un cautionnement ou qui a autrement donné une garantie peuvent être recouvrés sur taxation; le montant d'une telle commission ou d'un tel honoraire ne doit pas dépasser au total une livre pour cent du montant pour lequel le cautionnement est donné.
Notre Loi sur la Cour de l'Échiquier, à l'article 35, prévoit que la pratique de la Haute Cour d'Angleterre suivie le 1 janvier 1928 s'applique à tous les cas qui ne sont pas prévus par nos règles; la Règle 21 A précitée s'applique donc ici; voir The Cape Breton [(1907) 11 R.C.É. 227]. Je crains que la règle soit intraitable et qu'on ne puisse s'en écarter.
Ni la Loi sur la Cour fédérale ni les Règles de la Cour fédérale ne prévoient que les règles de pratique anglaise s'appliquent aux questions qui
2 35. A la Cour de l'Échiquier, la pratique et la procédure dans les poursuites, actions et affaires sont régies par la prati- que et la procédure suivies dans les poursuites, actions et affaires analogues, à la Haute Cour de Justice de Sa Majesté; en Angleterre, le 1" janvier 1928, dans la mesure elles sont applicables et à moins qu'il ne soit autrement prescrit par la présente loi ou par des règles générales édictées en exécution de la présente loi.
3 [TRADUCTION] Règle 215. Dans tous les cas non prévus par les présentes règles, la pratique générale en vigueur relati- vement aux procédures intentées devant la Cour de l'Échiquier du Canada sera suivie et s'ils ne sont pas autrement prévus par ladite pratique générale ou par une loi du Parlement du Canada, une règle générale ou une ordonnance de la Cour de l'Échiquier du Canada, alors la pratique et la procédure devront se conformer et être régies, autant que possible, par la pratique et la procédure suivies dans les poursuites, actions et affaires analogues, à la Supreme Court of Judicature de Sa Majesté en Angleterre.
n'ont pas été prévues. L'article 42 de la Loi édicte que «Le droit maritime canadien existant immé- diatement avant le 1°r juin 1971 reste en vigueur sous réserve des modifications qui peuvent y être apportées par la présente loi ou toute autre loi,» mais le «droit maritime canadien», tel que défini par la Loi 4 , ne paraît pas envisager les questions de pratique et de procédure prévues par les Règles et les ordonnances 5 . Il est donc clair, je pense, que la disposition spéciale contenue dans les Règles anglaises relativement au point en litige dans le présent appel ne régit pas la pratique de la Cour fédérale. En vertu de la Règle 446, la Cour peut «ordonner au demandeur de fournir pour les dépens qui pourront être adjugés au défendeur à l'action ou autre procédure, la garantie qui semble juste». Les frais taxés entre parties sont régis par le tarif B. Si les dépenses engagées pour fournir la caution exigée pour la mainlevée de la saisie du navire sont recouvrables en tant que frais taxés et peuvent donc être incluses de bon droit dans la garantie pour les dépens, cela doit être fait sur la base de l'article 2(2)b) du tarif B qui se lit ainsi:
b) peuvent également être accordés les autres débours qui, selon la conviction du fonctionnaire taxateur, étaient essentiels à la conduite de l'action.
Le point en litige, selon moi, est de savoir si fournir une caution doit être considéré comme une démarche faite ou une mesure prise dans les procé- dures. Je ne pense pas qu'on doive accorder une importance excessive au mot «essentiel» contenu à l'article ci-dessus. Il s'y trouve probablement pour assurer que seuls les débours raisonnablement encourus dans une action soient accordés. La cau tion n'est pas destinée à améliorer la défense d'une action au mérite; c'est une démarche prévue expressément par les Règles 6 , et qui a des consé- quences en procédure. Quel que soit le point de vue
4 L'article 2 de la Loi sur la Cour fédérale définit ainsi le «droit maritime canadien»:
«droit maritime canadien» désigne le droit dont l'application relevait de la Cour de l'Échiquier du Canada, en sa juridiction d'amirauté, en vertu de la Loi sur l'Amirauté ou de quelque autre loi, ou qui en aurait relevé si cette Cour avait eu, en sa juridiction d'amirauté, compétence illimitée en matière maritime et d'amirauté, compte tenu des modifications apportées à ce droit par la présente loi ou par toute autre loi du Parlement du Canada.
5 Voir Oy Nokia Ab c. Le «Martha Russ. [1973] C.F. 394 aux pages 401 et 402.
6 Règles 1004 et 1005.
exprès ou tacite formulé dans les décisions qui m'ont été citées au sujet de la nature d'une cau tion, je crois que nous devons nous en remettre sur ce point à l'opinion du juge Ritchie formulant la décision de la majorité de la Cour suprême du Canada dans Antares Shipping Corp. c. Le navire « Capricorn» 7 :
Il est vrai que la comparution initiale dans la présente affaire a eu lieu sous réserve de la compétence de la Cour, mais dans les circonstances en cause, le cautionnement représente désor- mais le navire et son dépôt à la demande de la Portland constitue une intervention dans la cause et partant, une renon- ciation à la réserve apportée: voir l'arrêt Dunbar & Sullivan Dredging Co. et autres c. Le navire «Milwaukee» (1907) 11 R.C.E. 179.
Me basant sur ce point de vue quant à la nature et à l'effet de fournir caution, et sur celui qui, selon moi, découle des termes de l'article 2(2)b) du tarif B, je suis d'avis que les dépenses engagées pour fournir caution font partie des frais taxables pour lesquels il peut être ordonné, en vertu de la Règle 446, de donner une garantie.
Au sujet du second moyen, je suis d'avis que la saisie d'un montant d'argent à l'occasion des pro- cédures intentées devant la Cour supérieure du district de Québec ne constitue pas une raison valable pour refuser de fournir une garantie pour les dépens afin de couvrir les dépenses engagées pour fournir caution devant la Cour fédérale. Les deux actions sont tout à fait différentes. Les inti- més peuvent mener à bien leur défense à l'action intentée devant la présente cour et cependant être incapables d'établir la preuve requise pour réussir dans une action pour saisie injustifiée. Le montant saisi dans les procédures intentées devant la Cour supérieure du district de Québec ne garantit aucu- nement ce que les intimés pourront avoir le droit de recouvrer devant la Cour fédérale à titre de frais engagés pour fournir caution.
Pour ces motifs, je suis d'avis que la Division de première instance a exercé sa discrétion de façon appropriée en rendant l'ordonnance portée en appel et, en conséquence, il y a lieu de rejeter l'appel avec dépens.
* * *
LE JUGE RYAN: J'y souscris.
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LE JUGE SUPPLÉANT HYDE: J'y souscris. 7 (1976) 65 D.L.R. (3') 105à la page 126.
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