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T-1039-75
Lignes aériennes Canadien Pacifique, Limitée (Demanderesse)
c.
La Reine (Défenderesse)
Division de première instance, le juge Collier— Vancouver, les 20, 21 et 22 septembre 1976; Ottawa, le 8 novembre 1976.
Responsabilité de la Couronne Inexécution—Nature et étendue de l'obligation imposée par la Loi sur l'aéronauti- que— Existe-t-il une relation juridique de fait entre la Cou- ronne et les compagnies d'aviation commerciale?—Le mono- pole engendre-t-il une obligation?—La Loi sur l'aéronautique confère-t-elle un droit d'action aux usagers des aérodro- mes?—Le ministre des Transports a-t-il manqué à ses obliga- tions?—Loi sur l'aéronautique, S.R.C. 1970, c. A-3, art. 3c).
La demanderesse prétend que la Couronne a l'obligation légale absolue de maintenir en état opérationnel ses aérodro- mes, que la demanderesse est obligée d'utiliser, et ce, en vue de servir les intérêts des compagnies d'aviation commerciale. Elle prétend aussi que cette obligation et son droit d'action provien- nent d'une relation de fait entre la Couronne et les compagnies d'aviation commerciale du Canada, spécialement en raison du monopole que la Couronne détient sur l'exploitation et le contrôle des aérodromes civils au Canada.
Arrêt: l'action est rejetée. La Couronne a l'obligation de maintenir ses aérodromes en état opérationnel, non pas à l'usage des compagnies d'aviation commerciale, mais pour servir les intérêts du grand public. La relation de fait ne peut donner lieu à l'obligation légale alléguée ni à un droit d'action. L'obligation consiste simplement à fournir et à maintenir les aérodromes selon les besoins, et l'article 3c) de la Loi sur l'aéronautique ne confère aucun droit d'action aux usagers des aérodromes. Le Ministre est responsable uniquement devant le Parlement pour tous ses manquements et c'est cet organisme qui applique les recours lorsque le Ministre est appelé à rendre des comptes. Même s'il y a un droit d'action, l'obligation imposée par la Loi sur l'aéronautique vise le grand public et non pas principalement les compagnies d'aviation commerciale. Compte tenu des circonstances, le Ministre a donc pris les mesures raisonnables.
Arrêts appliqués: The Hamburg American Packet Co. c. Le Roi (1901) 7 R.C.É. 150; Norton c. Fulton (1908) 39 R.C.S. 202; La Fédération canadienne de l'entreprise indépendante c. La Reine [1974] 2 C.F. 443; Orpen c. Roberts [1925] R.C.S. 364; Direct Lumber Co. Ltd. c. Western Plywood Co. Ltd. [1962] R.C.S. 646 et Phillips c. Britannia Hygienic Laundry Company, Limited [1923] 2 K.B. 832. Distinction faite avec les arrêts: Grossman c. Le Roi [1952] 1 R.C.S. 571; Cleveland -Cliffs S.S. Co. c. La Reine [ 1957] R.C.S. 810; Ministre de la Justice c. Ville de Levis [1919] A.C. 505; Cutler c. Wandsworth Stadium Ld. [1949] A.C. 398; Gentz c. Dawson (1967) 58 W.W.R. 409 et Galashiels Gas Co., Ld. c. O'Donnell [1949] A.C. 275.
ACTION. AVOCATS:
C. R. O. Munro, c.r., et M. J. Sabia pour la demanderesse.
A. M. Garneau et D. Friesen pour la défenderesse.
PROCUREURS:
Lignes aériennes Canadien Pacifique, Limitée pour la demanderesse.
Le sous-procureur général du Canada pour la défenderesse.
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
LE JUGE COLLIER: La demanderesse est une compagnie d'aviation commerciale canadienne. Elle exploite des vols internationaux et intérieurs. Ce faisant, elle utilise les aérodromes des princi- paux centres du Canada, propriété de la défende- resse, qui les exploite par l'entremise de ministères ou ministres. La demanderesse affirme qu'elle a subi des pertes et des dommages lors de l'interrup- tion de vingt et un de ses vols prévus sur l'horaire, les 7 et 8 mars 1975. Ces interruptions ont été causées par la fermeture temporaire des pistes d'envol aux aérodromes internationaux de la défenderesse à Toronto et à Ottawa.
La demanderesse prétend qu'il incombe au ministre des Transports de maintenir ces aérodro- mes et que celui-ci a manqué à cette obligation, les jours en question, manquement qui a entraîné l'annulation ou l'interruption des vingt et un vols. La nature exacte de ses allégations figure dans le paragraphe 8 de la déclaration:
[TRADUCTION] Les aéronefs exploités par la demanderesse, qui suivant les horaires devaient atterrir et décoller aux aéro- dromes de Montréal, de Toronto et d'Ottawa, les 7 et 8 mars 1975, à l'aérodrome de Montréal, le 9 mars 1975, et à l'aéro- drome de Toronto, le 10 mars 1975, dans le cadre des services aériens commerciaux qu'elle fournit, tel qu'autorisé et requis, en ont été empêchés en raison du manquement de Sa Majesté à accomplir l'obligation que lui impose la Loi sur l'aéronautique et à autrement maintenir lesdits aérodromes, en ce que Sa Majesté a omis de prendre ou de faire prendre les mesures raisonnables pour enlever la neige et la glace obstruant les pistes desdits aérodromes. En particulier, Sa Majesté et ses employés ou mandataires, agissant dans l'exercice de leurs fonctions ou de leur emploi, ont omis de prendre des mesures raisonnables pour s'assurer qu'il y aurait un personnel suffisant
pour enlever la neige et la glace sur lesdites pistes.'
En mars 1975, les aérodromes de Toronto et d'Ottawa disposaient d'un certain nombre d'em- ployés affectés normalement à l'enlèvement de la neige obstruant les pistes. A quelques exceptions près, ils appartenaient à l'une des deux unités de négociation suivantes: le groupe des manoeuvres et hommes de métier (non-surveillant) et le groupe des manoeuvres et hommes de métier (surveillant). Aux fins de négociation collective en vertu de la Loi sur les relations de travail dans la Fonction publique, les deux groupes étaient représentés par l'Alliance de la Fonction publique du Canada agis- sant en qualité d'agent négociateur 2 .
Les conventions collectives couvrant ces groupes ont expiré le 24 novembre 1974. L'avis de négocia- tion a été donné environ deux mois avant, mais les parties n'ont pas pu se mettre d'accord. Les 18 et 19 décembre, certains employés ont débrayé illéga- lement. Le 20 décembre, les parties ont fait appel à une conciliation et, le 6 février 1975, le bureau de conciliation a remis son rapport. Les employés avaient alors le droit de se mettre en grève à tout moment à partir du 13 février 3 . Du 17 au 19 février, il y a eu des grèves tournantes dans plu- sieurs aérodromes de l'Est et du Centre du Canada.
Les deux groupes de négociation que j'ai men- tionnés comptent un certain nombre «d'employés désignés». Leurs fonctions sont
... en tout ou en partie, des fonctions dont l'exercice à un moment particulier ou après un délai spécifié est ou sera nécessaire dans l'intérêt de la sûreté ou de la sécurité du public.
Il est interdit à un employé désigné de participer à une grève s .
' La réclamation relative aux vols touchés par les conditions des pistes à Montréal, a été retirée. Il en a été de même pour celle concernant les conditions de piste à Toronto, le 10 mars 1975.
2 Aux fins de la négociation, l'employeur était le Conseil du Trésor.
3 Voir la Loi sur les relations du travail dans la Fonction publique, S.R.C. 1970, c. P-35, sous-alinéa 101(2)b)(i).
Voir le paragraphe 79(1) de la Loi sur les relations de travail dans la Fonction publique, S.R.C. 1970, c. P-35.
5 Loi sur les relations de travail dans la Fonction publique, S.R.C. 1970, c. P-35, art. 101.
La défenderesse, par l'entremise du ministère des Transports, en raison de l'échec des négocia- tions afférentes aux nouvelles conventions collecti ves, avait déjà prévu des arrêts de travail dans les aérodromes, et élaboré deux plans d'urgence (pièce 3 du 30 janvier 1975).
En cas de grève illégale décrétée par le groupe des manoeuvres et hommes de métier, elle préconi- sait la politique suivante (paragraphe 12 de la pièce 3):
[TRADUCTION] Pendant un arrêt de travail illégal, le Minis- tre a le droit de recourir à tous les moyens pratiques dont il dispose pour maintenir les aérodromes en état opérationnel. Il lui faut faire appel au personnel cadre du groupe des manœu- vres et hommes de métier et à tout autre personnel de gestion possédant la compétence requise, ainsi qu'à toute aide exté- rieure provenant du MDN, des autres ministères et des entre preneurs locaux. Il peut aussi transférer du personnel d'un lieu à un autre lorsqu'il essaie de maintenir une installation très importante. Il doit avoir pour objectif: les opérations habituel- les. Quant à ses possibilités, elles dépendent des effectifs de personnel bénévole et de cadres, dont il disposera, des condi tions qui prévaudront alors et des priorités établies. Toutefois, il doit, pour le moins, tout tenter pour maintenir en service une piste d'envol, une voie de circulation et une aire de manoeuvre, comme l'indique le paragraphe 3 ci-dessus.
En cas d'une grève ou d'un arrêt de travail légal, on a mis au point la politique suivante 6 :
[TRADUCTION] 1. En cas d'un arrêt de travail légal, qu'il soit tournant ou à l'échelle nationale, dans les aérodromes du MOT et installations connexes, déclenché par le personnel des manoeuvres et hommes de métier, le Ministre aura pour objectif de maintenir les services essentiels à la sécurité du public. Le moyen d'assurer cette entreprise est le recours aux employés désignés, suivant les modalités qui figurent dans la pièce justifi- cative ci-jointe, applicables à chaque métier.
2. En supposant que ces employés désignés se présentent au travail conformément aux critères établis et qu'il y ait une tempête de neige ou d'autres conditions défavorables, il lui faudra concentrer tous ses efforts pour continuer les opérations, afin de faire face aux nécessités d'urgence, de préserver les installations, d'assurer le réapprovisionnement des régions du Nord et de pourvoir aux autres services indispensables à la sécurité des voyageurs.
3. Il devra à cet effet faire nettoyer une piste d'envol dans toute sa largeur et sa longueur, une voie de circulation de chaque extrémité de la piste à l'aire de manœuvre et d'autres surfaces aussi étendues qu'il le jugera nécessaire. La piste et la voie de circulation à nettoyer doivent être choisies par le Régisseur régional aviation civile en consultation avec l'Exploitation de l'aéroport, les opérateurs (le MDN, s'il y a lieu) et le directeur de chaque aérodrome. Pour des raisons de sécurité et de changement de vent ou autres conditions connexes, il peut
6 Je n'expose que les paragraphes de la pièce 3 que j'estime importants.
s'avérer nécessaire de choisir une autre piste d'envol et de la préparer, si possible, cette décision étant prise en fonction des ressources disponibles, des conditions qui règnent et des priorités.
4. Il ressort des observations qu'un arrêt de travail peut être décidé de manière à coïncider avec de mauvaises conditions atmosphériques et intervenir sur une base tournante dans plu- sieurs régions. Toutefois, il ne faut pas négliger l'éventualité d'un débrayage à l'échelle nationale.
5. Quant aux employés désignés du groupe manoeuvres et hommes de métier, la Direction a le droit, lors d'une grève légale, de les affecter au maintien des services essentiels. Toute- fois, s'ils refusent de se présenter au travail ou d'accomplir leurs fonctions conformément aux termes de la justification et du plan de travail convenu à l'avance entre ces employés et le directeur de l'aérodrome, ils agissent illégalement et doivent faire l'objet d'un rapport à la Région (ou aux Régions), qui avisera immédiatement l'Administration centrale.
8. Si les employés désignés refusent d'exécuter les travaux essentiels, la Direction a toute latitude pour faire appel à une aide extérieure auprès des entrepreneurs locaux, afin de remé- dier, par exemple, à l'interruption des lignes d'utilité publique, aux problèmes électriques, au nettoyage des routes, aux problè- mes de chauffage, etc. Toutefois, elle doit en discuter aupara- vant avec l'Administration centrale.
Le 13 février 1975, H. E. A. Devitt, directeur général de l'aérodrome international de Toronto, a tenu une réunion pour tous les transporteurs aériens qui l'utilisent. La demanderesse y était représentée. On y a donné les grandes lignes du plan général exposé dans la pièce 3. Devitt a déclaré dans sa déposition avoir avisé son auditoire que si une grève légale se produisait à un moment les conditions atmosphériques sont défavorables à l'aérodrome de Toronto, il s'efforcerait de main- tenir en état opérationnel une seule piste d'envol avec les services connexes. Il envisageait pour cela de faire appel aux employés désignés.
Devitt possède une expérience longue et variée de l'exploitation des aérodromes et, en particulier, des difficultés engendrées par la neige et la glace. Il a indiqué que les mois de mars et d'avril sont les pires, car les tempêtes de neige compliquent l'at- terrissage dans les aérodromes du Sud de l'Onta- rio. La neige est lourde et dense. Elle pèse près de trente livres par pied cube et s'entasse souvent, ce qui rend en général dangereux le freinage des avions. Ce genre de tempête de neige a commencé, le matin du 7 mars 1975.
A 10 heures, le syndicat a fait savoir que ses membres allaient débrayer. Il s'agissait d'une grève légale.
La Direction a alors tenté, en faisant appel à certains employés désignés, de conserver la piste 05 (droite) ouverte. Vers 14 heures, les condi tions d'atterrissage étant devenues trop dangereu- ses, Devitt a ordonné la fermeture de l'aérodrome. Puis, un changement étant prévu dans la direction des vents, on a amené l'équipement d'enlèvement de la neige sur la piste 14/32, afin de tenter de la rendre utilisable. encore, la Direction a fait appel à un certain nombre d'employés désignés. La neige était très lourde et une machine est tombée en panne. Quelques minutes avant minuit, la piste 14/32 a été remise en service, mais avec certaines restrictions.
A peu près au même moment, ou peut-être un peu plus tôt, l'aérodrome international d'Ottawa a été assailli par les mêmes problèmes atmosphéri- ques et de main-d'oeuvre. Le personnel autre que les employés désignés a procédé à un arrêt de travail légal. A cause de la neige et de la glace (conditions d'atterrissage dangereuses) l'aéro- drome est resté fermé, les jours en question, pen dant environ quinze heures. Comme à Toronto, la Direction a essayé de maintenir une piste en état opérationnel.
Je passe maintenant aux mesures prises dans les deux aérodromes. A Toronto, les effectifs affectés au nettoyage de la neige (M.D.O.) comptent nor- malement 42 personnes. Il s'agit d'opérateurs d'équipement lourd. Le personnel du syndicat «sur- veillant» n'est pas requis de faire marcher l'équipe- ment. A Toronto, vingt-quatre M.D.O. sont des employés désignés. Le 7 mars, dix-sept d'entre eux ont travaillé, mais pas les sept autres. C'était leur jour de congé régulier. Le 8 mars, six seulement des M.D.O. désignés ont travaillé, dix-sept ont pris leur jour de congé régulier et un, son congé annuel.
La défenderesse n'a pas demandé aux employés désignés, dont les jours de congé régulier tom- baient le 7 et le 8 mars, de se présenter au travail pour affronter les difficultés atmosphériques, car il se serait agi pour eux d'heures supplémentaires. Avant l'arrêt de travail, Devitt a pris contact avec le syndicat, qui lui a fait remarquer que ses mem- bres étaient très sensibles aux difficultés qui sur- gissaient du fait que certains d'entre eux (les employés désignés) se voyaient interdire de se mettre en grève, alors que d'autres y étaient auto- risés. Il a souligné que si on demandait aux
employés désignés de faire des heures supplémen- taires, ce groupe bénéficierait alors de chèques de paye plus élevés, ce qui donnerait lieu à un problè- me moral. Les syndiqués ordinaires pourraient alors prendre des mesures pour empêcher les employés désignés de travailler. La défenderesse, par l'entremise de Devitt, s'est engagée à ne faire appel aux employés désignés, pendant le conflit, qu'en équipes de travail régulières. En contrepar- tie, le syndicat semble avoir accepté qu'il n'y ait pas de harassement. La défenderesse, selon Devitt, a décidé de ne prendre aucune mesure, telle qu'im- poser des heures supplémentaires, qui pourrait être interprétée par le syndicat comme une tentative de briser la grève.
Enfin, en ce qui concerne les équipes affectées à l'enlèvement de la neige, les 7 et 8 mars, la défen- deresse n'a manifestement pas fait appel à des travailleurs non syndiqués ni à des militaires ni à des entrepreneurs indépendants pour tenter de ramener les effectifs à leur importance normale'.
Devitt, en se fondant sur son expérience, a estimé que, le 7 mars, même avec un complément de personnel normal, l'aérodrome de Toronto aurait été fermé pendant au moins deux heures 8 . Si cette opinion est juste, on peut dire, après coup, qu'il y aurait eu probablement beaucoup moins de vols interrompus.
J'en viens maintenant à l'aérodrome d'Ottawa. Il y avait des employés désignés dont les fonctions comprenaient l'enlèvement de la neige et de la glace obstruant les pistes (la preuve n'en révèle pas le nombre), ainsi que des opérateurs d'équipement lourd non syndiqués, engagés sur une base saison- nière. Le 7 mars, l'équipe de jour pour le nettoyage des pistes comprenait trois M.D.O. désignés et deux employés saisonniers, et l'équipe de nuit, trois employés désignés, qui travaillaient sur les pistes. Le 8 mars, l'équipe de jour affectée aux pistes comprenait deux employés désignés et deux employés saisonniers, et l'équipe de nuit, cinq employés. A Ottawa, comme à Toronto, les 7 et 8
Je compare, comme l'a fait l'avocat de la demanderesse, ce qui, selon la défenderesse, pouvait être fait et, implicitement serait fait pour introduire des gens de l'extérieur dans une affaire de grève illégale. Voir le paragraphe 12 de la pièce 3.
8 La défenderesse a fait une objection contre ce témoignage pour le motif qu'il aurait faire l'objet d'un affidavit avant le procès, en vertu de la Règle 482. J'ai rejeté l'objection.
mars, aucun employé désigné ne travaillait sur les pistes si lesdites dates correspondaient à leur jour de congé régulier (heures supplémentaires). L'ex- plication en a été donnée, lors de l'interrogatoire préalable, de la manière suivante:
[TRADUCTION] Q. 120 Pourquoi en était-il ainsi? Il semble qu'il y ait eu des équipes au travail, ainsi que des employés désignés, ce qui, d'après la Direction, n'était pas utile, vu l'état de grève.
Q. 121 Quelles étaient les circonstances qui rendaient cela inutile? R. Il semble que pour l'entretien des pistes, la Direction était raisonnablement bien placée pour prendre le travail en mains.
Q. 122 Quel était le travail à prendre en mains? Il s'agissait d'un état de grève. L'objectif consistait à maintenir en état opérationnel une piste d'envol, par une tempête de neige qui avait commencé vers midi, le 7 mars.
Q. 123 Le ministère des Transports a-t-il été capable de maintenir une piste constamment en état opérationnel, les 7, 8 et 9 mars? Je m'excuse, je veux dire, les 7 et 8 mars, à Ottawa? R. La piste a été fermée pendant quinze heures environ, les 7 et 8 mars.
A l'audience, la défenderesse a admis que, s'il n'y avait pas eu l'arrêt de travail de ses employés à l'aérodrome d'Ottawa, le vol 71 de la demande- resse en date du 8 mars n'aurait pas été inter- rompu «pour cause de fermeture de l'aérodrome» 9 . Le vol 71 part de Montréal, tous les jours à 7 heures via Ottawa, Toronto, Winnipeg, Edmonton, Vancouver et San Francisco.
A ce stade, il me faut examiner la prétention de la défenderesse, suivant laquelle la demanderesse n'a pas prouvé que les vingt autres vols, ou au moins certains d'entre eux, avaient effectivement été interrompus ou annulés en raison de la ferme- ture de l'aérodrome de Toronto. Cette affirmation est surtout fondée rétrospectivement. Par exemple, la défenderesse fait remarquer que si le vol 69, en provenance de Montréal, était arrivé à Toronto en temps prévu, il aurait pu quitter cette ville avant la fermeture de l'aérodrome. Elle prend aussi comme exemple le vol 74 (Vancouver, Edmonton, Winni- peg, Toronto, Ottawa, Montréal). Il est d'abord (paraît-il) retourné à Winnipeg, craignant de ne pouvoir atterrir à Toronto; quand il est reparti, il est allé faire le plein à Thunder Bay. Elle soutient que l'interruption était inutile parce que, vu rétros- pectivement, l'aérodrome de Toronto était encore
9 Les mots entre guillemets proviennent de mes notes. La défenderesse a voulu dire que si les employés non désignés n'avaient pas débrayé, l'aérodrome d'Ottawa n'aurait pas été forcé de fermer.
ouvert à l'heure normale d'arrivée de ce vol. Il ressort de la preuve produite à l'audience que certains vols ont été interrompus parce que la demanderesse, dans certaines villes, a de son propre chef apporté des changements à l'itinéraire ou au classement de certains de ses aéronefs, dans la crainte de fermetures éventuelles.
Vu la preuve, je suis convaincu que tout change- ment d'itinéraire ou de classement effectué par la demanderesse, dans les circonstances ambiantes, a été raisonnable. Je suis aussi convaincu que la demanderesse a prouvé par la prépondérance des probabilités que l'interruption ou l'annulation de ses vingt et un vols était attribuable à la fermeture des aérodromes de Toronto et d'Ottawa. Je suis enfin convaincu que cette fermeture a bien été causée par l'interruption des services fournis par les membres non désignés des deux syndicats (grève «légale») 1 O Pour arriver à cette conclusion, j'ai pris en considération et accepté le point de vue de Devitt, lorsqu'il prétend qu'en tous cas l'aéro- drome de Toronto aurait pu être fermé pour une courte période".
Il reste la question la plus délicate, à savoir: la responsabilité, s'il y a lieu, de la défenderesse pour tout dommage ou perte subi par la demanderesse.
Voici les arguments de la demanderesse:
(1) La loi oblige la Couronne à maintenir tous ses aérodromes civils commerciaux en état opé- rationnel. Outre cette obligation, elle doit pren- dre toutes les mesures raisonnables et pratiques pour leur fonctionnement, ce qui inclut l'enlève- ment de la neige et de la glace obstruant les pistes.
(2) Les 7 et 8 mars, la Couronne n'a pas pris toutes les mesures raisonnables ou pratiques. Elle s'est délibérément abstenue d'amener du personnel supplémentaire ou extérieur pour aug- menter son effectif de nettoyage des pistes, qui se trouvait réduit. Elle aurait le faire. Ce qu'on est convenu d'appeler la «grève légale» et l'interruption des services fournis par les employés ne l'excusent pas d'avoir manqué à son devoir.
10 Je laisse de côté, pour le moment, l'obligation qui incombe à la défenderesse dans cette situation et la question de savoir si elle y a manqué ou non.
" Les parties ont convenu que si la Cour juge la défenderesse responsable, les dommages feront l'objet d'une référence en vertu de la Règle 500.
(3) A la suite des conditions d'enneigement, les pistes en question ont été inutilisables pendant une longue période; vingt et un vols de la demanderesse ont alors été interrompus ou annulés; la demanderesse a subi une perte ou un dommage; la défenderesse est donc responsable.
Quant à l'obligation que la loi impose à la défenderesse, la demanderesse estime qu'elle existe sur trois plans, alternativement et cumulativement.
Tout d'abord, elle se fonde sur l'alinéa 3c) de la Loi sur l'aéronautique 12:
3. Il incombe au Ministre"
e) de construire et maintenir tous les aérodromes et stations ou postes d'aéronautique de l'État, y compris toutes les installations, machines et tous les bâtiments nécessaires à leur équipement et entretien efficaces;
Elle soutient avec insistance que ledit alinéa impose au Ministre l'obligation absolue" de «maintenir»; ce qui, selon elle, signifie qu'il doit, dans la mesure du possible, maintenir tous ses aérodromes, à toutes les heures raisonnables, en état opérationnel.
L'historique de cette obligation imposée par la loi, selon elle, jette quelque lumière sur sa nature absolue et sur l'intention du législateur pour qui le mot «maintenir» signifie entre autres: garder les aérodromes en état d'exploitation et d'utilisation. En 1919, la Commission de l'Air s'est vu imposer une obligation comparable. Il lui incombait alors «... de construire et maintenir tous les aérodromes et stations ou postes d'aéronautique de l'État
.»i 5 . En 1922, les pouvoirs, les obligations et les fonctions conférés à la Commission de l'Air ont été transférés au ministre de la Défense nationale 16 . A ce - moment-là, tous les aérodromes concernés étaient des aérodromes militaires. En 1927, le gouvernement du Canada a exploité son premier aérodrome civil à Saint-Hubert (Québec). La pre- mière utilisation d'un aérodrome civil de l'État par
12 S.R.C. 1970, c. A-3.
13 En l'occurrence, le ministre des Transports.
14 L'avocat de la défenderesse a invoqué les arrêts The Ham- burg American Packet Co. c. Le Roi (1901) 7 R.C.É. 150 et Norton c. Fulton (1908) 39 R.C.S. 202, l'obligation imposée à un fonctionnaire ou à un ministre a été jugée absolue et non pas discrétionnaire.
15 Loi de la Commission de l'Air, S.C. 1919, c. 11, al. 3c).
16 Loi sur la Défense nationale, S.C. 1922, c. 34, parag. 7(2).
une compagnie d'aviation se situe en 1928. En 1936, les responsabilités et obligations afférentes aux aérodromes civils sont passées du ministre de la Défense nationale au ministre des Transports 17 .
La demanderesse soutient que l'obligation existe depuis longtemps. Elle fait valoir en outre que C.P. Air et les autres compagnies d'aviation canadien- nes sont requises de fournir des services fixes sur horaire à destination et en provenance de certains centres, ainsi que d'utiliser les aérodromes de la défenderesse. Elles dépendent totalement de la dis- ponibilité de ces aérodromes pour fournir ces servi ces et justifier les gros capitaux engagés dans l'équipement et l'exploitation d'une ligne aérienne. Il y a des droits à payer pour leur utilisation. Il existe, prétend la demanderesse, un accord com mercial fictif entre les compagnies d'aviation et la Couronne, avec obligation réciproque de la défen- deresse de garder les aérodromes désignés en état opérationnel.
Je présumerai que l'obligation imposée au Ministre a un caractère absolu et qu'une fois qu'il a construit un aérodrome, il doit le «maintenir»; et quelle que soit l'obligation que la loi lui impose, elle ne l'autorise pas à ne pas le «maintenir» du tout 18 . Toutefois, je ne souscris pas au point de vue de la demanderesse, à savoir que l'obligation pres- crite consiste à maintenir et à conserver par tous les moyens pratiques les aérodromes et leurs pistes d'envol en état opérationnel, de manière que les compagnies d'aviation puissent les utiliser.
Le mot «maintenir» peut avoir beaucoup de sens, selon les circonstances on l'utilise. Je note qu'ici le législateur l'a placé en connotation avec «cons- truire». Dans Gentz c. Dawson 19 , le juge fait un
17 Loi sur le ministère des Transports, S.C. 1936, c. 34. Je note que l'année suivante, en 1937, se situe la création des Lignes aériennes Trans -Canada (maintenant, Air Canada): la Loi sur les Lignes aériennes Trans -Canada, S.C. 1937, c. 43.
19 A comparer, par exemple, avec la position du ministre des Postes, qui dirige les postes et les commentaires du juge Maho- ney dans La Fédération canadienne de l'entreprise indépen- dante c. La Reine [1974] 2 C.F. 443, en particulier aux pages 447 et 450.
19 (1967) 58 W.W.R. 409, un jugement du juge Smith de la Cour du Banc de la Reine du Manitoba.
examen judicieux de plusieurs définitions et sens du mot «maintenir». De l'aveu général, les faits de cette affaire-là diffèrent notablement; le mot lui- même est pris dans le contexte d'un bail et non pas, comme ici, dans celui d'un texte législatif. Néanmoins, à mon avis, certains des sens qui y sont examinés s'appliquent en l'espèce à l'obliga- tion qui incombe au Ministre de maintenir les aérodromes. J'estime que, dans l'intérêt du grand public, l'obligation consiste à préserver, à entrete- nir, «à conserver en existence ou en continuation» 20 ou à réparer. Je n'ai pas la prétention de donner une définition qui comprenne tous les sens du terme employé à l'alinéa 3c). Toutefois, je suis convaincu que l'obligation ne dépasse pas les limi- tes générales que j'ai indiquées. En particulier, à mon avis, elle n'a pas la portée que la demande- resse lui attribue, à savoir: s'assurer, dans les limites pratiques, que les installations des aérodro- mes sont opérationnelles ou fonctionnent (par comparaison avec l'entretien, la réparation ou la durée des installations), à tous les moments raison- nables. Je dis que l'obligation de maintenir, inter- prétée correctement, ne va pas si loin.
Deuxièmement, la demanderesse essaie de baser l'obligation (et son champ d'application), ainsi que sa cause d'action, sur ce qu'elle prétend être une relation de fait entre les compagnies d'aviation commerciale du Canada 2' et la défenderesse. La demanderesse dit compter sur les installations des aérodromes; elle est, en vérité, obligée de les utili- ser; la Couronne, elle, est chargée de les construire et de les maintenir; et cela crée une relation juridi- que sur laquelle on peut baser une cause d'action. Je suis incapable de voir comment cette situation de fait peut donner lieu à l'obligation légale allé- guée qui, à son tour, prétend la demanderesse, confère un droit d'action aux compagnies d'avia-
20 Ibid, p. 414. Voir aussi les sens analogues donnés dans The Shorter Oxford Dictionary, éd., 1968 reprint, à la p. 1190 et dans The Living Webster Encyclopedic Dictionary 1971. Dans Sevenoaks c. London, Chatham and Dover Rly. (1879) 11 Ch. D. 625, aux pp. 634 635, on trouve une discussion utile du maître des rôles Jessel sur les mots «maintenir» et «travaux d'entretien».
21 La demanderesse exclut les compagnies d'aviation étrangè- res qui, selon elle, ne bénéficient pas du tout de l'obligation.
tion commerciale pour une prétendue inexécution, ou à quiconque utilise les installations des aérodro- mes. A mon avis, les arrêts invoqués, Grossman c. Le Roi 22 et Cleveland -Cliffs S.S. Co. c. La Reine 23 diffèrent tant sur les faits que sur le principe.
Troisièmement, la demanderesse prétend que l'obligation provient du monopole que la défende- resse détient sur l'exploitation et le contrôle des aérodromes civils au Canada; du moment qu'elle a un droit exclusif, elle a l'obligation de garder les services monopolistiques à la disposition des utili- sateurs éventuels. A l'appui de cette proposition générale, la demanderesse invoque l'arrêt Ministre de la Justice c. Ville de Lévis 24 . encore, je pense que cette affaire diffère sur les faits et sur le principe. Le juge y déclare que certains droits et certaines obligations découlent des circonstances et des positions relatives des parties. En l'espèce, les circonstances et les positions relatives des parties diffèrent notablement. Il se peut que la Couronne, à des fins pratiques, ait un monopole. L'obligation, telle que je la vois, consiste à fournir suffisamment d'aérodromes et à les entretenir afin qu'ils ne soient pas abandonnés pour des raisons de sécurité ou autres. A mon avis, elle s'arrête là.
Je passe maintenant à un autre point litigieux important entre les parties. L'alinéa 3c) de la loi confère-t-il un droit d'action à la demanderesse et aux autres usagers canadiens des aérodromes, qui prétendent avoir été lésés par l'inexécution de l'obligation? Ici, il me faut présumer que l'obliga- tion a bien la portée que la demanderesse lui attribue. Dans Orpen c. Roberts, le juge Duff a défini le critère de la façon suivante 25:
[TRADUCTION] Cependant on doit examiner l'esprit et la lettre d'une loi en vue de déterminer si la création au profit d'un particulier de droits sanctionnés par une action correspond à l'économie de la loi; ou si les redressements prévus par la loi sont les seuls qui soient accordés pour garantir le respect de l'obligation légale au profit du public ou pour indemniser les personnes lésées par suite de la non-exécution de cette obligation.
22 [1952] 1 R.C.S. 571.
23 [1957] R.C.S. 810. Le juge Rand, en analysant l'arrêt Grossman, a employé l'expression sur laquelle se fonde la demanderesse: [TRADUCTION] a... une relation de fait fondée sur la confiance et la responsabilité ...».
24 [1919] A.C. 505.
25 [1925] R.C.S. 364, à la p. 370.
Dans Direct Lumber Co. Ltd. c. Western Ply wood Co. Ltd., le juge Judson, parlant au nom de la Cour suprême du Canada, a souscrit à l'extrait que je viens de citer 26 :
[TRADUCTION] Je suis convaincu, comme l'a été le juge d'appel Johnson après une revue complète de la jurisprudence, dont Cutler c. Wandsworth Stadium Ld. est le point culminant, que cette loi criminelle ne donne aucune cause d'action civile pour son inexécution et je ratifie le jugement qui fait l'objet du pourvoi pour les raisons données par le juge d'appel Johnson, à savoir que cette loi créant un nouveau délit, a été adoptée exclusivement pour la protection de l'intérêt public et n'engen- dre pas une cause d'action civile. Elle ne comporte aucun principe nouveau et, en dépit de l'examen répété du problème, rien n'a été ajouté aux commentaires que le juge Duff a fait dans Orpen c. Roberts ... .
Dans l'arrêt Cutler 27 cité par le juge Judson, lord Simonds déclare 28 :
[TRADUCTION] Si par exemple nous sommes en présence d'une obligation dont l'inexécution n'est soumise à aucun recours par voie de sanction ou autrement, nous pouvons présumer que la personne lésée par l'inexécution jouit d'un recours civil car, si tel n'était pas le cas, la loi se résumerait à un souhait pieux.
Pour autant que je sache, la Loi sur l'aéronautique ne prévoit ni sanction ni autre recours contre le ministre des Transports, lorsqu'il n'exécute pas une de ses obligations. Néanmoins, je ne pense pas qu'en l'espèce les propos de lord Simonds aident la demanderesse. Dans l'affaire Cutler, la partie lésée par l'inexécution de l'obligation était une compa- gnie privée exploitant un stade réservé aux courses de chiens. Ici, l'organisme que l'on veut poursuivre est la Couronne, par l'entremise d'un ministre. Il me semble que le Parlement serait mal venu d'im- poser des sanctions à un ministre de la Couronne à propos d'une inexécution. De toutes façons, ce dernier est responsable devant le Parlement pour tous ses manquements. Il appartient au législateur d'appliquer les recours, si on peut utiliser ces termes, lorsque le Ministre est appelé à lui rendre des comptes.
26 [1962] R.C.S. 646, la p. 648. Voir aussi le juge Estey
dans Toronto-St. Catharines Transport Ltd. c. Ville de Toronto [1954] R.C.S. 61, aux pp. 71 77. Dans Commerford c. Board of School Commissioners of Halifax [ 1950] 2 D.L.R. 207, le juge Isley a passé en revue une certaine jurisprudence britannique antérieure à l'arrêt Cutler. Il a statué qu'une ordonnance enjoignant les propriétaires d'enlever la neige recouvrant les trottoirs en face de leurs locaux, ne conférait pas un droit d'action à un piéton blessé par suite de l'inexécution de l'obligation.
27 [1949] A.C. 398.
28 A la p. 407.
L'alinéa 3c) ne peut pas être examiné isolément. Après avoir considéré toutes les autres obligations qu'impose l'article 3, la Loi prise dans son ensem ble, ainsi que toutes les circonstances, ambiantes qui, selon la demanderesse, font ressortir une obli gation donnant lieu à un litige je conclus que la loi ne confère pas un droit d'action, comme celui allégué en l'espèce. Dans l'affaire Phillips c. Bri- tannia Hygienic Laundry Company, Limited, le lord juge Atkin pose la question de la manière suivante 29:
[TRADUCTION] Le législateur a-t-il voulu que l'obligation soit due à la partie lésée et à l'État ou qu'elle soit seulement une obligation publique? Cela dépend de l'interprétation de la loi et des circonstances dans lesquelles elle a été adoptée et auxquel- les elle se rattache.
Je conclus que l'obligation imposée au Ministre par l'alinéa 3c) de la loi n'est pas exécutable par les personnes, y compris la demanderesse, à qui son inexécution cause un dommage corporel ou matériel. Il s'agit d'une obligation exclusivement publique. Le Ministre répond de son inexécution devant le seul Parlement.
Bien que ce qui précède suffise à disposer de l'action, je me sens tenu d'examiner le dernier point litigieux invoqué à l'audience: le Ministre a-t-il négligé d'exécuter son obligation? Je présu- merai donc (a) qu'il avait l'obligation de garder les pistes d'envol de l'aérodrome en état opérationnel et (b) qu'en cas d'inexécution, cette obligation est exécutable par voie d'action, à l'instance de la demanderesse.
La demanderesse prétend que la loi donne à l'obligation un caractère absolu. Selon son avocat, il est possible d'affirmer que la preuve de la ferme- ture des pistes pour cause d'enneigement constitue en soi une preuve suffisante de l'inexécution de l'obligation qu'a la défenderesse de les maintenir en état opérationnel. Il invoque à cet effet de la jurisprudence et notamment l'affaire Galashiels Gas Co., Ld. c. O'Donnel1 30 un travailleur a trouvé la mort lorsque le frein d'un ascenseur a apparemment fait défaut. La loi pertinente impo- sait aux employeurs du défendeur l'obligation sui- vante: [TRADUCTION] «Chaque ... ascenseur doit
29 [1923] 2 K.B. 832, la p. 841.
[ 1949] A.C. 275. Je note que lord McDermott, aux pp. 286
et 287 examine divers sens du mot «maintenir».
être correctement maintenu ....» La définition de «maintenu» était la suivante: [TRADUCTION] «Con- servé dans un état d'efficacité, dans un état de marche satisfaisant et en bonne réparation». Le juge de première instance avait conclu:
[TRADucTioN] Je suis convaincu que les défendeurs ont pris toutes les mesures pratiques pour s'assurer que le mécanisme de l'ascenseur fonctionnait bien et que son utilisation était sans danger. Je suis également convaincu que personne ne pouvait prévoir le défaut du frein ni n'est capable de l'expliquer après l'accident ... .
La Chambre des Lords a conclu que l'obligation imposée par la loi en l'occurrence avait un carac- tère absolu et que le fait d'avoir pris toutes les mesures pratiques n'était pas un moyen de défense valable contre le défaut mécanique qui s'était produit.
En l'espèce, Me Munro, avocat de la demande- resse, a déclaré ne pas avoir l'intention de donner une telle importance à l'obligation du Ministre. Il s'est contenté d'affirmer que ce dernier aurait exécuté son obligation s'il avait pris toutes les mesures pratiques pour maintenir les aérodromes et leurs pistes d'envol en état opérationnel.
La demanderesse souligne que le Ministre avait probablement l'intention de prendre, en cas de grève illégale, certaines mesures qu'il n'envisage pas en cas de grève légale. C'est indéniable (voir la pièce 3). La demanderesse prétend aussi que ni la loi ni le droit en général ne justifient ce plan dichotome.
L'obligation consistait (j'énonce ici crûment le point de vue de la demanderesse) à maintenir les aérodromes, quoi qu'il advienne. Le Ministre fait l'objet d'une attaque pour ne pas avoir essayé, en présence d'une réduction des effectifs affectés au nettoyage des pistes:
a) de s'assurer le concours du personnel de sur veillance ou de gestion;
b) d'obtenir les services du personnel de la Défense nationale;
c) de faire venir du personnel du ministère des Transports affecté à d'autres lieux de travail;
d) de faire appel à des entrepreneurs ou à du personnel de la région.
A Toronto, le Ministre s'est abstenu de prendre les mesures que la demanderesse qualifie de «prati- ques»; il a préféré compter exclusivement sur un
nombre limité d'employés désignés; en fait, au lieu de s'efforcer de maintenir l'aérodrome en état opérationnel par des moyens pratiques, il a agi de manière à rendre sa fermeture inévitable. A Ottawa, (toujours selon la demanderesse), il n'a pris aucune mesure (pratique ou autre) pour aug- menter les effectifs; il a apparemment estimé que toute aide supplémentaire était inutile; il a eu tort. L'avocat de la demanderesse a souligné que le recours aux briseurs de grève était une mesure pratique envisagée par le Ministre, en cas de grève illégale. En réponse aux questions que je lui ai posées, Me Munro a franchement déclaré qu'aux yeux de la demanderesse, le recours aux briseurs de grève à Toronto et à Ottawa, les 7 et 8 mars, constituait également une mesure pratique que le Ministre aurait prendre (vis-à-vis les compa- gnies d'aviation commerciale et les autres usagers des installations).
En me fondant sur les hypothèses que j'ai rete- nues dans l'examen de ce point litigieux, j'estime que l'obligation du Ministre se limitait à prendre toutes les mesures qui étaient raisonnables dans les circonstances, tout en gardant présent à l'esprit les intérêts du grand public. Les diverses obligations qu'énonce l'article 3 de la Loi sur l'aéronautique sont, pour le moins, dues à l'$tat et à ses citoyens. Elles visent les intérêts (et notamment la sécurité) de tous les usagers des services aéronautiques et non pas principalement le bien-être des compa- gnies d'aviation commerciale. Or, le grand public et les usagers des aérodromes ont intérêt à ce que l'employeur, le ministère des Transports, et ses employés entretiennent des relations de travail harmonieuses. Le fait de faire venir du personnel extérieur, quel qu'il soit, pour garder toutes les pistes ouvertes lorsque le temps est inclément doit être mis dans la balance avec les effets provoca- teurs qu'il risque d'avoir sur les employés qui font une grève pacifique et légale. A mon avis, le Ministre doit trouver la juste mesure lorsqu'il décide (tout en gardant présent à l'esprit la sécu- rité du public) quelles sont les mesures raisonna- bles pour s'acquitter de l'obligation qu'il a de maintenir les pistes en service lorsque les questions de main-d'oeuvre et de travail sont instables et compliquées et qu'il en est de même des conditions atmosphériques. En me fondant sur les faits de cette cause, j'estime que les 7 et 8 mars, compte
tenu des circonstances, le Ministre a pris les mesu- res raisonnables. Sa décision de se limiter aux équipes régulières d'employés désignés et de ne pas suivre les procédés proposés par la demanderesse a également été raisonnable.
Je rejette l'action, avec dépens en faveur de la défenderesse.
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