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T-3277-76
Pierre Isidore Girard (Demandeur)
c.
La Reine (Défenderesse)
Division de première instance, le juge Walsh— Montréal, le 22 février; Ottawa, le 4 mars 1977.
Couronne Contrat de service personnel Le demandeur a-t-il droit, en l'absence de convention à cet effet, à une indemnité à titre de congés payés conformément à l'art. 40 du Code canadien du travail? Le demandeur est-il employé sous le régime des articles 13, 14 ou 16 de la Loi nationale sur le film? L'Office national du film exclu des dispositions du Code canadien du travail Code canadien du travail, S.R.C. 1970, c. L-1, art. 27(2) et 40 Loi nationale sur le film, S.R.C. 1970, c. N-7, art. 10(1)d), 13 et 14 Loi sur les relations de travail dans la Fonction publique, S.R.C. 1970, c. P-35, art. 2.
Le demandeur réclame une indemnité à titre de congés payés en vertu des dispositions du Code canadien du travail, une telle indemnité n'ayant pas été prévue dans son contrat avec l'Office national du film. La défenderesse admet que le demandeur a été employé par l'Office mais prétend que les dispositions du Code ne s'appliquent pas.
Arrêt: la demande est rejetée. La question en litige n'est pas de savoir si le demandeur était un employé de l'Office national du film au sens l'entend la Loi sur les relations de travail dans la Fonction publique, mais de savoir si, en l'absence de toute convention à cet effet, le demandeur a droit à une indemnité à titre de congés payés. Il y aurait droit en vertu seulement de l'article 40 du Code canadien du travail et l'article 27 du Code exclut de ses dispositions les ministères ou corporations, tel l'Office national du film, régis par la Loi sur l'administration financière.
ACTION. AVOCATS:
Pierre Isidore Girard en son nom.
Patricia Gariépy pour la défenderesse. PROCUREURS:
Pierre Isidore Girard, Montréal, pour lui-même.
Le sous-procureur général du Canada pour la défenderesse.
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
LE JUGE WALSH: Le demandeur réclame la somme de $770.60 titre de congés payés suivant une série de contrats signés avec l'Office national
du film du Canada. Cette somme représente 4% du traitement de $19,265 touché par le demandeur durant sa période d'emploi à l'Office de septembre 1973 juillet 1975. La défenderesse admet l'exac- titude de ce montant mais affirme, par ailleurs, que l'emploi s'est terminé le 8 septembre 1975. Elle nie cependant devoir une indemnité pour des congés payés par suite des conditions d'emploi du demandeur et déclare que les dispositions du Code canadien du travail' ne s'appliquent pas en l'espèce.
Durant la période en question, le demandeur a été employé en qualité d'assistant monteur ou de monteur du son dans des productions françaises et anglaises. Il a fait parvenir à l'Office une série de factures englobant la période de janvier à mars 1974 et calculées selon un taux quotidien variant entre $30 et $40; il a reçu lesdites sommes sans déduction. A l'exception de ce mode de rémunéra- tion, son emploi provenait d'une série de contrats, quelques-uns prévoyant un salaire hebdomadaire de $100 et d'autres, des montants de $40, $45 ou $50 par jour payable à toutes les deux semaines. Cette dernière catégorie de contrats stipulait que: [TRADUCTION] «les jours fériés statutaires compris dans cette période seront considérés comme des congés payés». Ses fiches de paye indiquent que des montants affectés à l'impôt provincial et fédé- ral, à l'assurance-hospitalisation du Québec, au régime de pensions du Canada et à l'assurance- chômage étaient régulièrement déduits de ses trai- tements. Par contre, il n'a pu devenir membre du syndicat; il n'y a eu aucune retenue quant au régime de pension de la Fonction publique et au régime d'assurance-médicale; et on ne lui demanda pas de prêter un serment de discrétion au moment de son entrée en fonction.
Le demandeur déclare avoir effectué des jour- nées normales de huit heures de travail, comme tout autre employé, et se considère comme un employé régulier. Dans les cas il rendait simple- ment des services à un employeur, il a produit, à titre d'exemple, un certain nombre de factures, calculées selon un taux horaire, qu'il remettait de temps à autre à Sonolab Inc. et dont il recevait le montant brut.
S.R.C. 1970, c. L-1.
Gilles Roy, directeur adjoint du personnel à l'Office national du film, a témoigné qu'il existait plusieurs catégories différentes d'employés. Pre- mièrement, il y a l'employé régulier dont traite l'article 13 de la Loi nationale sur le film 2 . Le paragraphe (3) de cet article se lit comme suit:
(3) Sous réserve du plan d'organisation approuvé selon le présent article et sous réserve du paragraphe (4), l'Office peut nommer des personnes, pour une durée déterminée ou à titre amovible, qui occuperont les postes établis par le plan, prescrire les conditions de leur emploi et pourvoir à l'avancement, aux traitements et aux augmentations de traitement de ces person- nes, mais les dispositions de la Loi sur l'emploi dans la Fonction publique concernant l'ingérence politique et, lors- qu'elle est applicable, la condition d'emploi relative au paie- ment d'une gratification au décès sous l'autorité de la Loi sur l'administration financière, s'appliquent aux personnes nom- mées en vertu du présent article.
Le paragraphe (4) prévoit que la nomination d'une telle personne à un poste continu comportant un traitement de plus de cinq mille dollars ne devient effective que si le gouverneur en conseil l'a approu- vée. Le paragraphe (5) prévoit qu'un tel employé doit prêter un serment d'office et de discrétion.
L'article 14 traite de la deuxième catégorie d'employés. Il se lit comme suit:
14. L'Office peut employer, dans des charges autres que les postes continus se rattachant au plan approuvé selon l'article 13, les personnes requises, à l'occasion, pour les opérations de l'Office et il peut déterminer leur rémunération et les condi tions de leur emploi.
Cependant, M. Roy prétend que le demandeur a été employé en vertu d'une série de contrats faits conformément à l'article 10(1)d) de la Loi dont voici le libellé:
10. (1) Sous réserve de la direction et du contrôle du Minis- tre, l'Office peut, aux fins pour lesquelles il est établi,
d) conclure des contrats en son propre nom, y compris des contrats de services personnels;
A l'exception de la période de janvier à mars 1974, alors que le demandeur détenait, semble-t-il, un emploi quotidien et était payé en conséquence, tel qu'il appert d'une formule distincte intitulée «Fac- ture pour marchandises et/ou services», sur laquelle on avait indiqué qu'il s'agissait de contrats d'entreprise et pour laquelle l'indemnité de 4% pour des congés payés ne pourrait certainement pas s'appliquer, le demandeur a été employé en vertu d'une série de contrats dont la clause 2,
2 S.R.C. 1970, c. N-7.
relative au traitement, est laissée en blanc, de manière à y insérer le montant convenu au moment de la négociation du contrat. Il appert qu'en certaines occasions, une telle clause prévoit le paiement d'une indemnité de 4% pour des congés payés, à la fin du contrat. Mais ceci ne s'appliquait à aucun des contrats conclus avec le demandeur. Selon M. Roy, le demandeur a été employé en qualité de pigiste. L'article 40 de la négociation collective entre l'Office national du film et le Syndicat général du Cinéma et de la Télévision, catégorie technique, traite du pigisme et se lit comme suit:
40.01 L'employeur maintient le principe et la pratique de retenir les services d'employés réguliers et de pigistes. Il est convenu que les services de pigistes ne doivent pas être retenus dans le but de contourner les dispositions de la convention collective ou pour mettre fin à l'emploi des employés réguliers.
40.02 L'employeur s'engage à consulter à tous les trimestres le Syndicat sur l'utilisation des services de pigistes.
Selon M. Roy, le nom du demandeur figurait sur la liste des pigistes expédiée au syndicat à tous les trois mois. Contrairement aux employés à plein temps, ces pigistes ont le loisir d'exercer un autre emploi au même moment. Ils ne font pas partie du syndicat parce que leur traitement varie selon les ententes conclues. Bien que M. Roy ait prétendu que de. tels pigistes employés en vertu de l'article 10(1)d) reçoivent normalement des traitements de
l'ordre de 10% 15% plus élevés que les traite- ments touchés par des employés à plein temps occupant des fonctions semblables—ce qui a pour effet de les indemniser vu qu'ils ne reçoivent pas l'indemnité de 4% pour des congés payés—le demandeur nie avoir reçu plus d'argent. On a admis que les traitements entre les différents pigis- tes variaient, comme le démontrent effectivement les divers taux de traitement payés au demandeur lui-même en vertu de ces contrats.
M. Roy déclara de plus qu'à un certain moment, l'Office national du film avait demandé un avis afin de savoir s'il devait prélever sur les traite- ments touchés par ces employés, des cotisations d'assurance-chômage; la réponse fut affirmative. Puisque aucun appel ne fut interjeté de cette déci- sion, il n'existe aucune décision rendue par un juge-arbitre en vertu de la Loi sur l'assurance- chômage permettant de résoudre cette question.
Deux décisions de la Commission des relations de travail dans la Fonction publique ont été citées.
La première, en date du ler mai 1974 et portant le 147-8-7, est rendue aux termes de l'article 33 de la Loi sur les relations de travail dans la Fonction publique. Dans cette affaire, le requérant, le Syn- dicat général du Cinéma et de la Télévision, cher- chait à établir l'affiliation d'un certain M. Leblanc, à son unité de négociation. Les conditions d'emploi de M. Leblanc à l'Office national du film étaient semblables à celles du demandeur dans la présente affaire. On peut lire, à la page 6 de la décision:
M. Leblanc a accompli les mêmes fonctions, selon le même horaire de travail et sous la même surveillance que les employés réguliers du service de synchronisation des épreuves.
Et à la page 7:
Les parties conviennent que les personnes embauchées comme pigistes par l'intimé ne sont pas des employés au sens l'entend la convention collective ou la Loi sur les relations de travail dans la Fonction publique et qu'ils n'appartiennent pas à l'unité de négociation. 3
Après analyse des dispositions de l'article 2 de la Loi sur les relations de travail dans la Fonction publique 4 qui se lit comme suit:
2. Dans la présente loi
«employé» désigne une personne employée dans la Fonction publique, sauf
a) une personne que le gouverneur en conseil, en vertu d'une loi du Parlement, nomme à un poste statutaire décrit dans cette loi,
b) une personne recrutée sur place hors du Canada,
c) une personne dont la rétribution pour l'exercice des fonc- tions normales de son poste ou de sa charge consiste en honoraires ou est en rapport avec le revenu du bureau dans lequel elle est employée,
d) une personne qui d'ordinaire n'est pas astreinte à plus du tiers de la durée normale de travail exigée des personnes exécutant des tâches semblables,
e) une personne qui est membre ou constable spécial de la Gendarmerie royale du Canada ou qui est employée par cette Gendarmerie à des conditions sensiblement les mêmes que celles qui s'appliquent à un de ses membres,
f) une personne employée à titre occasionnel ou temporaire, à moins qu'elle n'ait été ainsi employée pour une période de six mois ou plus,
g) une personne employée par la Commission ou qui relève de son autorité, ou
3 Le demandeur a témoigné qu'il a éventuellement versé au syndicat des cotisations—et ce, volontairement—dans l'espoir que le syndicat pourrait, en temps opportun, inclure les «pigis- tes» dans l'unité de négociation mais, à défaut d'une modifica tion dans la convention collective, ceci n'a aucune importance.
4 S.R.C. 1970, c. P-35.
h) une personne préposée à la gestion ou à des fonctions confidentielles,
et, aux fins de la présente définition, une personne ne cesse pas d'être employée dans la Fonction publique du seul fait qu'elle a cessé de travailler par suite d'une grève ou du seul fait qu'elle a été congédiée contrairement à la présente loi ou à quelque autre loi du Parlement;
et de l'article 10(1)d) de la Loi nationale sur le film (précitée), la Commission a conclu à la page 11 que l'article 2 de la Loi sur les relations de travail dans la Fonction publique n'exclue pas les personnes qui, comme M. Leblanc, ont détenu un emploi de façon continue pendant plus de six mois et que, par conséquent, M. Leblanc est compris dans la définition d'un employé donnée à l'article 2 de la Loi sur les relations de travail dans la Fonction publique.
Après s'être reportée aux termes du contrat d'emploi, aux articles 13 et 14 et 10(1)d) de la Loi nationale sur le film, la Commission a conclu que M. Leblanc n'avait, à aucun moment, été nommé à un poste continu à titre d'employé régulier et que, par conséquent, il demeurait un pigiste nonobstant le fait qu'il travaillait en vertu d'une série de contrats de services personnels conclus avec ses employeurs et que, partant, il ne pouvait pas être affilié à l'une des unités de négociation du requérant.
La Commission des relations de travail dans la Fonction publique a rendu une autre décision en date du 18 novembre 1976 et portant le 143-8- 160. Dans cette affaire, le requérant, soit le Syndi- cat général du Cinéma et de la Télévision, cher- chait à être accrédité à titre d'agent négociateur pour les personnes liées à l'Office national du film par un contrat de service personnel d'au moins six mois et astreintes à plus du tiers de la durée normale de travail exigée des membres de la caté- gorie technique exécutant des tâches semblables. La demande était fondée sur le fait que ces travail- leurs faisaient l'objet de la même surveillance, travaillaient au même endroit et dans les mêmes conditions de travail et, dans certains cas, avaient droit à certains avantages sociaux, tels que congés annuels et jours fériés statutaires payés et heures supplémentaires rémunérées. Les personnes en cause étaient employées en vertu de l'article 10(1)d) de la Loi, n'avaient pas prêté le serment d'office exigé par l'article 13(5) et n'étaient pas tenues de contribuer au fonds de retraite établi par
la Loi sur la pension de la Fonction publique. Cette décision renvoie encore une fois à la défini- tion d'«employé» contenue dans la Loi précitée. Elle fait aussi référence à la définition de «Fonction publique» contenue à l'article 2 de cette loi dont voici le libellé:
«Fonction publique» désigne l'ensemble des postes qui sont compris dans un ministère, département ou autre élément de la fonction publique du Canada que spécifie à l'occasion l'annexe I, ou qui en relèvent;
L'Office national du film est compris dans la Partie II de l'annexe I et est, par conséquent, un «employeur distinct» au sens de la définition d'«em- ployeur» contenue dans l'article 2 qui se lit comme suit:
«employeur» désigne Sa Majesté du chef du Canada représentée,
a) dans le cas de tout élément de la fonction publique du Canada que spécifie la Partie I de l'annexe I, par le conseil du Trésor, et
b) dans le cas de tout élément de la fonction publique du Canada que spécifie la Partie II de l'annexe I, par l'em- ployeur distinct qui est en cause;
La Commission a conclu qu'il ne faisait aucun doute que les personnes embauchées en vertu de l'article 13(3) ou de l'article 14 de la Loi nationale sur le film sont des personnes employées dans la Fonction publique et, par conséquent, elles sont des «employées» au sens l'entend la Loi sur les relations de travail dans la Fonction publique. Par ailleurs, elle a conclu que les personnes embau- chées en vertu de l'article 10(1)d) de la Loi n'oc- cupent pas des «postes» au sens de la définition de «Fonction publique», ne sont donc pas des employées au sens de la Loi sur les relations de travail dans la Fonction publique, et que seuls ces employés peuvent être représentés par un agent négociateur accrédité.
La présente cour n'est liée ni par la décision du ministre du Revenu national relative au prélève- ment sur la rémunération du demandeur de cotisa- tions versées à l'assurance-chômage, ni par les deux décisions rendues par la Commission des relations de travail dans la Fonction publique, bien que ces décisions présentent un intérêt considéra- ble quant à la solution du présent litige. En ce qui concerne les faits, il est clair qu'à plusieurs égards, l'emploi du demandeur ressemble beaucoup plus à un contrat de service personnel qu'à un contrat d'entreprise. Il existe cependant d'autres facteurs,
cités plus haut, indiquant que le demandeur ne pouvait être considéré comme un employé de l'Of- fice national du film au sens l'entend la Loi sur les relations de travail dans la Fonction publique, vu la façon dont il a été nommé à son poste. Le point en litige dans l'affaire qui nous intéresse n'est pas de savoir si l'emploi du demandeur ren- contrait les dispositions de la Loi sur les relations de travail dans la Fonction publique—c'était, par contre, le point dans les deux affaires susmention- nées—mais simplement de savoir si, en l'absence de toute disposition spécifique à cet effet dans les différents contrats d'emploi, le demandeur avait droit à l'indemnité de congés payés de 4%. En l'absence de toute convention à cet effet, il y aurait droit en vertu seulement de l'article 40 du Code canadien du travail. L'article 27(2) de cette loi, compris dans la Partie III traitant de la durée normale du travail, du salaire, des vacances et des jours fériés, se lit comme suit:
27. (2) La présente Partie s'applique à toute corporation établie pour remplir une fonction ou une attribution pour le compte du gouvernement du Canada, à l'exception des corpora tions qui sont des ministères aux termes de la Loi sur l'admi- nistration financière.
Malheureusement pour le demandeur, l'Office national du film est un ministère aux termes de la Loi sur l'administration financières et désigné comme tel en vertu du décret 1903 de 1952. L'Office est par conséquent exclu des dispositions de la Partie III du Code canadien du travail. Le redressement sollicité par le demandeur afin d'ob- tenir des congés payés doit, par conséquent, être rejeté.
Puisque la Cour n'a apparemment jamais été saisie de cette question auparavant, et vu le fait que le demandeur croyait qu'il était amplement justifié à demander ce redressement, j'exercerai mon pouvoir discrétionnaire en rejetant son action, comme je suis tenu de le faire, mais ce, sans frais.
5 S.R.C. 1970, c. F-10.
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