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T-180-75
Léo Beauchesne Inc. (Demanderesse)
c.
La Reine (Défenderesse)
Division de première instance, le juge Marceau— Montréal, le 14 décembre 1976; Ottawa, le 4 janvier 1977.
Impôt sur le revenu Faillite Libération du failli Nouvelle cotisation pour dette fiscale émise après la libération Déductions non autorisées au cours des années précédentes, mais il n'est pas question de fraude Une dette d'impôt est-elle éteinte par la libération? Loi sur la faillite, S.R.C. 1970, c. B-3, art. 95(1).
La demanderesse est un failli libéré. Le ministre dti Revenu national, postérieurement à l'ordonnance de libération, a cotisé à nouveau la demanderesse pour une dette fiscale résultant de déductions sur le revenu non autorisées au cours de deux années d'imposition antérieures à la faillite. La période de quatre ans accordée par la Loi de l'impôt sur le revenu n'est pas expirée. (Il n'est pas question de fraude.) Au cours de la faillite, le Ministre a reçu tous les avis requis, mais aucun avis n'a été donné au sujet de la dette d'impôt qui a été cotisée à nouveau après la libération.
Arrêt: l'appel est accueilli. Pour prouver sa créance, le Minis- tre doit cotiser, mais sa créance existe et elle est certes prouva- ble en elle-même avant la cotisation, au même titre que toute autre créance présente et future. Le seul fait que la preuve requise du Ministre soit différente au point de vue forme de celle requise des autres créanciers qui, eux-mêmes, d'ailleurs peuvent être soumis à des exigences de preuves diverses, ne permet pas de soustraire sa créance à l'application des disposi tions de la Loi sur la faillite.
APPEL en matière d'impôt sur le revenu. AVOCATS:
J. LaRocque et M. Desjardins pour la
demanderesse.
H. Richard pour la défenderesse.
PROCUREURS:
Courtois, Clarkson, Parsons & Tétrault, Montréal, pour la demanderesse.
Le sous-procureur général du Canada pour la défenderesse.
Voici les motifs du jugement rendus en français par
LE JUGE MARCEAU: Cette action—prise à l'en- contre d'une décision de la Commission de révision de l'impôt qui a rejeté l'appel de la demanderesse contre la cotisation d'impôt dont celle-ci avait été
l'objet, le 21 mars 1972—ne met en cause aucune question d'appréciation de faits. Ceux-ci ont tous été l'objet d'admissions formelles ou sont attestés par des documents dûment produits qui parlent par eux-mêmes. Le problème soulevé—sur lequel la Commission, pour un motif que j'ignore, ne s'est pas prononcée—en est un de droit que l'exposé des faits mettra aisément en lumière mais qu'il con- vient de formuler dès maintenant: l'ordonnance de libération rendue en faveur de la demanderesse, le 4 janvier 1972, conformément aux dispositions de la Loi sur la faillite,' a-t-elle eu pour effet de la libérer des redevances d'impôts sur le revenu qui seraient dues par elle pour des années d'imposition antérieures, soit 1967 et 1968?
Le 26 mai 1970, la demanderesse, corporation légalement constituée, se prévalait des dispositions de l'article 32 de la Loi sur la faillite, S.R.C. 1970, c. B-3, et faisait à ses créanciers une proposi tion concordataire que ceux-ci devaient accepter et qui fut dûment ratifiée par la Cour supérieure, district d'Arthabaska, Québec, le 13 octobre sui- vant. Le 19 novembre 1971, un avis de dividende définitif était donné aux créanciers et le 25 le syndic était dûment libéré. Le 4 janvier 1972, la demanderesse se voyait accorder elle-même, par ordonnance, sa propre libération.
Il n'est pas contesté que les dispositions de la Loi sur la faillite ont toutes été intégralement respec- tées; que tous les avis requis par la Loi ont été donnés; que le Receveur général du Canada et le ministre du Revenu national étaient inscrits comme créanciers au bilan déposé entre les mains du syndic. La défenderesse, il est vrai, allègue dans ses procédures écrites que le ministre du Revenu national n'a pas reçu l'avis de 30 jours prévu à l'article 108 du c. 14 (120 du c. B-3) pour le dépôt et la preuve des réclamations, mais il est établi, au contraire, que le Receveur général du Canada et le ministre du Revenu national ont été dûment avisés et qu'à la suite de ces avis le bureau du ministère du Revenu national pour la division de Sher- brooke, de qui relève administrativement le district d'Arthabaska, a effectivement procédé à une audi-
Chapitre 14 des Statuts Revisés du Canada de 1952 ou chapitre B-3 des Statuts Revisés du Canada de 1970. Pour plus de simplicité je me référerai ci-après aux chapitres 14 ou B-3 sans plus; à noter que les textes mis en cause sont identiques dans l'un et l'autre mais se retrouvent à des articles numérotés différemment.
tion des livres de la compagnie débitrice et produit une réclamation qui fut d'ailleurs acceptée. Bien sûr, la défenderesse n'a pas reçu d'avis en tant que créancière d'une dette d'impôts sur le revenu pour des années de cotisations antérieures, puisque à ce moment aucune des cotisations dont la compagnie avait été l'objet n'était en souffrance, et on se rend compte au surplus que les avis destinés à la défen- deresse n'ont pas tous été adressés de la même manière et au même endroit. Je ne vois pas pour autant cependant comment la défenderesse pour- rait prétendre n'avoir pas été avisée et mise au courant de toutes et chacune des procédures de concordat dûment produites par ou au nom de la demanderesse. Le procureur de la défenderesse n'a d'ailleurs pas insisté sur ce point.
C'est donc postérieurement au jugement de libé- ration que fut émise la nouvelle cotisation dont il est question ici. Cette nouvelle cotisation, il n'est pas utile de s'attarder à l'analyser, la demande- resse ayant admis sa validité au strict point de vue de la Loi de l'impôt sur le revenu: la demanderesse avait en effet, sans droit, traité comme dépenses déductibles de ses revenus, en 1967 et 1968, des montants de taxes de vente dont elle s'était rendue comptable au cours des années 1964, 1965, 1966 et 1967 mais qu'elle ne remboursa qu'en 1968 sur réclamation spéciale de la Division des douanes et accises du ministère du Revenu datée du 21 août 1968. Ce qu'il importe de noter c'est que la nou- velle cotisation ne se réfère pas à une première cotisation fondée sur des déclarations incomplètes ou fausses: il n'est pas question de fraude mais de déductions non autorisées et de données compta- bles traitées de façon non conforme à certaines prescriptions de la Loi de l'impôt sur le revenu.
On voit maintenant comment se pose la question que je formulais au début. La demanderesse sou- tient que cette dette d'impôts que le Ministre lui réclame a été éteinte par l'ordonnance de libéra- tion rendue en sa faveur le 4 janvier 1972 en vertu de la Loi sur la faillite. La défenderesse soutient au contraire qu'une telle ordonnance de libération ne pouvait affecter la dette dont elle réclame paiement.
Aussi étonnant que cela puisse paraître, le pro- blème soulevé ne semble pas avoir fait l'objet de décisions judiciaires et je n'ai pu trouver d'auteurs qui en aient directement traité. Sa solution toute-
fois me paraît facilitée par l'existence incontesta ble de trois données fondamentales:
(1) Les dispositions de la Loi sur la faillite lient la Couronne du chef du Canada (art. 172 du c. 14 devenu l'art. 187 du c. B-3).
(2) Une ordonnance de libération à la suite d'une proposition concordataire faite en vertu de la Partie III de la Loi sur la faillite a la même portée et le même effet qu'une ordonnance de libération à la suite d'une faillite pure et simple (art. 38 du c. 14 devenu l'art. 46 du c. B-3).
(3) Une ordonnance de libération libère le débi- teur de toutes «réclamations prouvables» en vertu de la Loi sur la faillite (art. 35(2) du c. 14 devenu art. 42(2) du c. B-3) sauf celles expressément réservées (art. 135 du c. 14 devenu art. 148 du c. B-3) 2 , parmi lesquelles n'est mentionnée, ni direc- tement ni implicitement, une dette d'impôts «ne résultant pas de fraude», qu'elle ait ou non fait l'objet d'une cotisation en vertu de la Loi de l'impôt sur le revenu.
Ces trois données de base montrent que le pro- blème posé soulève en définitive une seule ques tion: la somme exigible d'un contribuable en vertu de la Loi de l'impôt sur le revenu est-elle objet
2 148. (1) Une ordonnance de libération ne libère pas le failli:
a) de toute amende ou peine imposée par un tribunal, ou de toute dette provenant d'un engagement ou d'un cautionne- ment en matière pénale;
b) de toute dette ou obligation pour pension alimentaire;
c) de toute dette ou obligation selon une ordonnance de pension alimentaire ou une ordonnance d'attribution de paternité ou selon une convention pour l'entretien et le soutien d'un conjoint ou d'un enfant, vivant séparé du failli;
d) de toute dette ou obligation résultant de la fraude, du détournement, de la concussion ou de l'abus de confiance alors qu'il agissait à titre fiduciaire;
e) de toute dette ou obligation résultant de l'obtention de biens par des fausses allégations ou des présentations erro- nées et frauduleuses des faits;
J) de l'obligation visant le dividende qu'un créancier aurait eu droit de recevoir sur toute réclamation prouvable non révélée au syndic, à moins que ce créancier n'ait été averti ou n'ait eu connaissance de la faillite et n'ait omis de prendre les mesures raisonnables pour prouver sa réclamation; ou
g) de toute dette ou obligation pour des marchandises four- nies comme nécessités de la vie, et le tribunal peut rendre telle ordonnance, concernant leur paiement, qu'il estime juste ou opportune.
(2) Une ordonnance de libération libère le failli de toutes autres réclamations prouvables en matière de faillite.
d'une «réclamation prouvable» au sens de la Loi sur la faillite avant que ne soit émise une cotisa- tion la concernant.
C'est l'article 83(1) du chapitre 14 (art. 95 du c. B-3) qui donne la définition d'une réclamation prouvable. Il se lit comme suit:
95. (1) Toutes créances et tous engagements, présents ou futurs, auxquels le failli est assujetti à la date de la faillite, ou auxquels il peut devenir assujetti avant sa libération, en raison d'une obligation contractée antérieurement à la date de la faillite, sont réputés des réclamations prouvables dans des procédures entamées en vertu de la présente loi.
Le procureur de la défenderesse reconnaît spon- tanément le principe que les impôts sont dus au moment sont perçus les revenus. Mais il sou- tient, si je comprends bien sa prétention, que le contribuable n'y est pas «assujetti», au sens de cet article 83(1) (c. 14) que nous venons de lire, avant l'émission d'une cotisation qui en établit la quotité. La cotisation serait un acte administratif néces- saire pour créer l'assujettissement du débiteur, i.e. la possibilité pour lui d'être contraint de payer, car auparavant, non seulement le ministre ne connaît pas l'existence de la créance, mais il ne lui est pas permis d'en requérir en justice le paiement.
Une telle thèse ne me paraît pas acceptable. La cotisation est un acte administratif spécifiquement réglementé mais rien ne permet de dire, à mon avis, qu'elle est plus que l'établissement d'une créance d'impôt et sa réclamation dans les formes voulues par la loi. Pour prouver sa créance, le Ministre doit cotiser, mais sa créance existe et elle est certes prouvable en elle-même avant la cotisa- tion, au même titre que toute autre créance pré- sente et future. Le seul fait que la preuve requise du Ministre soit différente au point de vue forme de celle requise des autres créanciers—qui, eux- mêmes, d'ailleurs peuvent être soumis à des exi- gences de preuves diverses,—ne permet pas, à mon avis, de soustraire sa créance à l'application des dispositions de la Loi sur la faillite. Il est vrai qu'il peut être difficile en pratique pour le Ministre d'agir à l'intérieur des délais impartis par l'article 108 (c. 14) dans les cas de tous les contribuables qui ont recours à la Loi sur la faillite, mais c'est une considération dont le Parlement pouvait tenir compte en faisant la Loi, mais dont le juge, chargé strictement d'appliquer cette loi, ne saurait se préoccuper. Au reste, il convient de noter que le
législateur s'est préoccupé de cette situation parti- culière du Ministre, comme en témoigne spéciale- ment le paragraphe (3) de l'article 108 du chapitre 14 (120 du c. B-3) 3 , et le juge ne saurait, par une interprétation fantaisiste, chercher à aller au-delà de ce qu'il a sur ce plan voulu et clairement exprimé.
Le procureur de la défenderesse croit inadmissi ble qu'une loi comme la Loi sur la faillite puisse avoir pour résultat d'accorder à un contribuable un avantage considérable auquel nul autre ne saurait prétendre: celui d'être à l'abri, avant l'écoulement du délai de quatre ans de l'article 46(4) de la ,Loi de l'impôt sur le revenu, de toute réclamation supplémentaire pour des impôts dus mais non payés, s'il ne s'est rendu coupable d'aucune fraude. Il me semble au contraire qu'un tel résultat reste for compréhensible si on tient compte de ce que l'un des objectifs essentiels de la législation actuelle en matière de faillite est de permettre à un citoyen honnête mais malheureux en affaires d'ob- tenir une libération de ses dettes qui lui donne la chance d'un nouveau départ et soit en conséquence la plus complète possible.
L'action de la demanderesse me paraît bien fondée, et jugement sera rendu en conséquence.
3 120. (3) Nonobstant le paragraphe (2), une réclamation peut être présentée pour un montant exigible sous l'autorité de la Loi de l'impôt de guerre sur le revenu ou de la Loi de l'impôt sur le revenu dans les délais prescrits au paragraphe (2) ou dans quatre-vingt-dix jours à compter du moment la déclaration du revenu ou autre preuve des faits sur laquelle est fondée la réclamation, est déposée devant le ministre du Revenu national ou est signalée à son attention.
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