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T-2438-77
Société des Produits Marnier-Lapostolle (Appe- lante) (Opposante)
c.
Robert Macnish & Company Limited (Intimée) (Requérante)
et
Le registraire des marques de commerce (Mis- en-cause)
Division de première instance, le juge Marceau— Montréal, le 16 novembre; Ottawa, le 28 novembre 1977.
Marques de commerce Dessin présenté pour emploi en liaison avec des boissons alcooliques Marques antérieures uniquement pour le whisky Opposition rejetée sommaire- ment sans audition La décision du registraire doit-elle être annulée et faut-il suivre la procédure normale d'opposition? Loi sur les marques de commerce, S.R.C. 1970, c. T-10, art. 6(2), 12(1), 16(1) et 37(4).
L'appelante conteste la décision du registraire des marques de commerce qui a rejeté sommairement, sans audition, parce qu'elle ne soulevait aucune question sérieuse, son opposition à la demande de l'intimée visant l'enregistrement d'une «marque de commerce et dessina. Le dessin fait ressortir les mots «Grand Macnish« écrits en lettres gothiques et est destiné à être employé en liaison avec des boissons alcooliques. Après examen de ce dessin et de celui employé par l'appelante, le registraire a conclu qu'il n'y avait aucune possibilité de confusion. L'appe- lante soutient que la décision doit être annulée parce que prématurée et erronée en fait et en droit, et que la procédure d'opposition doit suivre son cours.
Arrêt: l'appel est accueilli et le dossier référé au registraire pour que la procédure d'opposition suive son cours. Les mar- ques de commerce dont la requérante est déjà propriétaire ne sont applicables qu'à une espèce particulière de boissons alcoo- liques, le whisky et le scotch-whisky. Le dessin qui fait l'objet de la nouvelle demande est prévu, lui, comme devant être utilisé pour n'importe quelle boisson alcoolique. Cette donnée soulève deux questions. La première est une question de droit: le propriétaire d'une marque de commerce liée à certaines mar- chandises spécifiques peut-il «étendre la base d'application« de cette marque en obtenant le droit d'utiliser pour des marchan- dises autres un dessin dont le but principal est de mettre en évidence cette marque de commerce déjà utilisée par lui? La seconde est à la fois une question de droit et de fait: si la requérante entend utiliser son nouveau dessin pour des boissons de même espèce que celles depuis longtemps mises en marché par l'appelante, soit des liqueurs et plus spécialement des liqueurs d'orange, ne se présenterait-il pas alors une possibilité de confusion entre la marque proposée et celle de l'appelante et une telle possibilité, une fois admise, ne doit-elle pas être tenue comme faisant obstacle à la demande telle que soumise? L'op- position de l'appelante n'est pas futile, considérée eu égard à toute les données du dossier.
APPEL. AVOCATS:
Hughes Richard pour l'appelante-opposante. Claude Joyal pour l'intimée-requérante et le mis-en-cause.
PROCUREURS:
Léger, Robic, Rouleau & Richard, Montréal, pour l'appelante-opposante.
Le sous-procureur général du Canada pour l'intimée-requérante et le mis-en-cause.
Voici les motifs du jugement rendus en français par
LE JUGE MARCEAU: L'appelante conteste ici la décision du mis-en-cause, le registraire des mar- ques de commerce, qui, le 18 avril 1977, rejetait, sous l'autorité de l'article 37(4) de la Loi sur les marques de commerce, S.R.C. 1970, c. T-10, l'op- position qu'elle avait fait valoir à l'encontre d'une demande de l'intimée visant l'enregistrement d'une «marque de commerce et dessin (design)». Cet article 37(4)' est celui qui permet au registraire de rejeter sommairement, sans preuve ni audition, une opposition qui lui paraîtrait futile parce qu'à sa face même elle ne soulèverait aucune «question sérieuse pour décision». L'appelante soutient que le rejet sommaire de son opposition est prématuré et erroné en fait et en droit, que la décision doit en conséquence être annulée, et le dossier retourné au registraire pour que la procédure d'opposition suive son cours normal. L'intimée n'a pas comparu devant cette cour; seul le registraire mis-en-cause conteste le bien-fondé de l'appel.
Voici les faits qui m'apparaissent pertinents. La marque de commerce dont il s'agit consiste en un dessin (design) qui encadre et fait ressortir un certain nombre de mots, spécialement les mots «Grand Macnish» écrits en lettres gothiques. Invo- quant l'avoir en fait utilisé depuis quelque temps, l'intimée en demanda l'enregistrement en décem- bre 1975, décrivant les marchandises en liaison avec lesquelles elle entendait s'en servir: «distilled alcoholic beverages». Le 23 décembre 1976, l'ap-
' 37....
(4) Si le registraire estime que l'opposition ne soulève pas une question sérieuse pour décision, il doit la rejeter et donner avis de sa décision à l'opposant.
pelante, après avoir obtenu une prorogation des délais pour ce faire, s'opposait formellement à la demande d'enregistrement. Soutenant que la marque projetée en vue d'une utilisation pour des boissons alcooliques distillées pouvait être source de confusion avec sa propre marque formée des mots «Grand Marnier» écrits en lettres gothiques, marque dûment enregistrée et utilisée par elle depuis longtemps, l'appelante faisait valoir par son opposition les motifs de rejet traditionnels, soit: qu'il s'agissait d'une marque non distinctive ni apte à le devenir au sens de l'article 6(2) z , qu'en consé- quence une telle marque n'était pas enregistrable en vertu de l'article 12(1)d) 3 , et que de toutes façons la requérante n'était pas la personne qui aurait droit d'en obtenir l'enregistrement aux termes de l'article 16(1)a) 4 . Le registraire consi- déra l'opposition sans substance et demanda des explications à son sujet; les explications fournies ne purent toutefois le satisfaire et le 18 avril 1977, il rendait la décision de rejet qui fait l'objet du présent appel. Cette décision, il convient de la reproduire ici intégralement, d'abord parce que l'ensemble du raisonnement d'où est tirée la con clusion est important, et ensuite parce qu'elle fait état d'un certain nombre de faits qu'il faut connaî- tre pour apprécier la situation. Elle se lit comme suit:
(2) L'emploi d'une marque de commerce crée de la confu sion avec une autre marque de commerce lorsque l'emploi des deux marques de commerce dans la même région serait suscep tible de faire conclure que les marchandises en liaison avec ces marques de commerce sont fabriquées, vendues, données à bail ou louées, ou que les services en liaison avec lesdites marques sont loués ou exécutés, par la même personne, que ces mar- chandises ou ces services soient ou non de la même catégorie générale.
12. (1) Sous réserve de l'article 13, une marque de com merce est enregistrable si elle ne constitue pas
d) une expression créant de la confusion avec une marque de commerce déposée; ...
° 16. (1) Tout requérant qui a produit une demande selon l'article 29 en vue de l'enregistrement d'une marque de com merce qui est enregistrable et que le requérant ou son prédéces- seur en titre a employée ou fait connaître au Canada en liaison avec des marchandises ou services, a droit, sous réserve de l'article 37, d'en obtenir l'enregistrement à l'égard de ces marchandises ou services, à moins que, à la date le requérant ou son prédécesseur en titre l'a en premier lieu ainsi employée ou révélée, elle ne créât de la confusion avec
a) une marque de commerce antérieurement employée ou révélée au Canada par une autre personne;
[TRADUCTION] Hull, 18 avril 1977 384994
Messieurs Robic, Robic & associés
2100, rue Drummond
Montréal (Québec)
H3G 1X5
Messieurs,
Objet: Marque de commerce: GRAND MACNISH &
Design (dessin)
Requérante: Robert Macnish & Company Lim
ited
Opposante: Société des Produits Marnier-Lapostolle
Ayant étudié attentivement votre lettre du 28 mars 1977, je ne suis pas convaincu que votre déclaration d'opposition soulève une question sérieuse pour décision ou qu'elle ne devrait pas être rejetée aux termes des dispositions de l'art. 37(4) de la Loi sur les marques de commerce.
Comme vous le savez sans doute, la requérante est le proprié- taire inscrit des marques de commerce suivantes:
d'enreg.: 191, 979
Date d'enreg.: 22 juin 1973
Marchandises: Whisky
Marque de Commerce: GRAND MACNISH & Design
(Dessin)
d'enreg.: NS 27/7640
Date d'enreg.: 4 janvier 1937
Marchandises: Scotch Whisky
Marque de commerce: THE GRAND MACNISH
N°d'enreg.: NS 191/48646
Date d'enreg.: 23 décembre 1953
Marchandises: Whiskey
Marque de commerce: MACNISH
Les marchandises reliées à ces marques de commerce sont le whisky ou le scotch whiskey et la marque de commerce que la requérante désire maintenant faire enregistrer est la suivante:
[Le dessin de la marque] 5 et les marchandises sont des boissons alcooliques.
J'attire particulièrement votre attention sur la marque GRAND MACNISH & Design (dessin) (n° d'enregistrement 191,- 979) les premières lettres de chaque mot sont reproduites en lettres gothiques. Cette marque est en usage au Canada depuis 1929.
[Le dessin de la marque] 5
La marque qui fait l'objet de la présente opposition est reproduite ci-dessous:
[Le dessin de la marque] 5
Le dessin de la marque dont il est question est reproduit dans la lettre: cette reproduction n'est pas essentielle ici pour mon propos.
Relativement à la nouvelle marque de commerce, la requé- rante n'a pas présenté de demande et en fait, n'a pas besoin de présenter une demande d'enregistrement ou de renouvellement de l'enregistrement, puisque l'expression GRAND MACNISH, la marque en cause, constitue un tout dans lequel l'expression YE AULD FLAGON ressort plus particulièrement, de sorte que j'ai été en premier lieu frappé par le relief caractéristique de chacune des marques des parties, considérées dans leur ensem ble. De plus, la demande de la requérante, bien qu'elle ait été répertoriée au Bureau des marques de commerce sous le nom de GRAND MACNISH & Design (dessin), n'a pas été présentée en vue d'enregistrer le dessin «GRAND MACNISH» de la requé- rante puisque ce dessin a été enregistré, comme on l'a indiqué plus haut, le 22 juin 1973, sous le 191,979.
La demande en l'espèce vise en fait l'enregistrement d'une marque de commerce qui, si on la regarde dans son ensemble, ne ressemble aucunement à la marque de commerce de l'oppo- sante éventuelle et ne peut créer de confusion avec cette dernière. Le fait que chacune de ces marques comprennent un G et un M en lettres gothiques et le mot «grand» ne constitue pas le critère approprié pour déterminer s'il y a confusion; pour ce, les marques doivent être considérées dans leur ensemble. Bien que votre lettre allègue une vraisemblance de confusion fondée sur les ressemblances entre les mots «Grand» et les lettres gothiques G et M en usage au Canada depuis au moins 1929, cette marque a été utilisée au Canada durant la même période la marque sur laquelle est fondée l'opposition a été utilisée au Canada.
Si l'on prend pour acquis que les faits allégués par l'oppo- sante sont vrais, je conclus qu'il est impossible que les marques de la requérante et de l'opposante puissent créer de la confusion au Canada. Je conclus que l'opposition projetée ne peut absolu- ment pas être accueillie.
Par conséquent, je suis d'avis que l'opposition• projetée ne soulève pas une question sérieuse et je la rejette aux termes des dispositions de l'art. 37(4) de la Loi.
Je vous prie d'agréer, messieurs, l'expression de mes senti ments distingués.
R. Carson
Registraire des
marques de commerce
c.c.: Fetherstonhaugh & Co.,
(Dorval)
(Réf.: 349-2)
Cette décision, à une première lecture, paraît difficile à critiquer: les faits rapportés sont claire- ment exposés, le raisonnement est logique et la situation, telle que présentée, paraît bien corres-
pondre à celle visée par l'article 37(4) 6 . Si l'on part du postulat qu'il ne saurait être question de contester à la requérante le droit d'utiliser les mots «Grand Macnish» écrits en lettres gothiques, parce que ce droit lui est déjà acquis, il est clair à ce moment que la possibilité de confusion ne peut s'apprécier qu'au regard du dessin dans son ensem ble avec toutes ses précisions et particularités, et qu'une telle possibilité doit être dite inexistante. Et pourtant, si on y regarde de plus près, on se rend compte que la décision est loin d'être aussi satisfai- sante et convaincante qu'elle peut paraître à prime abord. C'est que son postulat de départ est contes- table parce qu'il ne tient apparemment aucun compte d'une donnée du dossier qui semble fonda- mentale et susceptible d'attribuer à l'objection de l'appelante une perspective toute autre que celle retenue par le registraire.
Alors que les marques de commerce enregis- trées, dont est déjà propriétaire la requérante, ne sont applicables qu'à une espèce particulière de boissons alcooliques, soit: le whisky et le scotch- whisky, le dessin ou design qui fait l'objet de la nouvelle demande d'enregistrement est prévu, lui, comme devant être utilisé pour n'importe quelle boisson alcoolique (distilled alcoholic beverages). Face à l'opposition soumise, cette donnée essen- tielle du dossier ne manque pas de soulever des difficultés qu'on peut ramener à deux questions. La première est une question de droit: le proprié- taire d'une marque de commerce liée à certaines marchandises spécifiques peut-il «étendre la base d'application» de cette marque en obtenant le droit d'utiliser pour des marchandises autres un dessin dont le but principal est de mettre en évidence cette marque de commerce déjà utilisée par lui? La seconde est à la fois une question de droit et de fait: si la requérante entend utiliser son nouveau «design» pour des boissons de même espèce que celles depuis longtemps mises en marché par l'ap- pelante, soit des liqueurs et plus spécialement des liqueurs d'orange, ne se présenterait-il pas alors,
6 L'interprétation de l'article 37(4) a été maintes fois déga- gée par la jurisprudence de cette cour: voir notamment Pepsico Inc., et Pepsi-Cola Canada Ltd. c. Le registraire des marques de commerce [1976] I C.F. 202; Canadian Tampax Corp. Ltd. c. Le registraire des marques de commerce 24 C.P.R. (2e) 187; David Creaghan, Exécuteur testamentaire de la succession de Thomas Cyril Creaghan c. La Reine [1972] C.F. 732; Amoco Canada Petroleum Company Ltd. c. Texaco Exploration Canada Ltd. [1976] 1 C.F. 258.
comme l'invoquait l'opposition, une possibilité de confusion entre la marque proposée et celle de l'appelante et une telle possibilité, une fois admise, ne doit-elle pas être tenue comme faisant obstacle à la demande telle que soumise?
A mon avis, l'opposition de l'appelante n'était pas futile, considérée, comme elle devait l'être, eu égard à toutes les données du dossier. Elle soule- vait des questions qui méritaient considération et ne pouvaient être résolues avant que l'appelante n'ait eu l'opportunité de présenter ses arguments et de fournir une preuve, si elle le jugeait à propos. Il est vrai, comme le souligne le procureur du regis- traire, que ni les allégués de la procédure initiale d'opposition ni les explications fournies par la suite à leur sujet n'ont posé clairement les véritables questions que l'opposition soulevait. La réaction du registraire peut ainsi s'expliquer, mais la décision elle-même, rendue sommairement sur seule vue de l'opposition, n'en est pas moins critiquable, fondée qu'elle est sur une prémisse qui ne tient pas compte de toutes les données du dossier.
L'appel sera donc maintenu, la décision attaquée annulée et le dossier référé au registraire pour que la procédure d'opposition soit régulièrement poursuivie.
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