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T-4497-75
La Reine (Demanderesse) c.
Barbara Jean Prytula (antérieurement Barbara Jean Erickson) (Défenderesse)
Division de première instance, le juge Cattanach— Ottawa, le 10 mai 1977.
Compétence Dette en vertu de la Loi canadienne sur les prêts aux étudiants La Cour fédérale est-elle compétente pour accorder un jugement par défaut? Loi canadienne sur les prêts aux étudiants, S.R.C. 1970, c. S-17.
La défenderesse n'a pas respecté les termes d'un contrat signé en vertu de la Loi canadienne sur les prêts aux étudiants. La demanderesse sollicite de la Cour un jugement contre la défenderesse pour défaut de présenter une défense.
Arrêt: la demande de jugement par défaut contre la défende- resse est rejetée. Il ne suffit pas que la responsabilité découle d'une loi et de ses règlements d'application. Certes, la Loi autorise la banque à prêter aux étudiants et prévoit les modali- tés du prêt, dont le remboursement est garanti par le Ministre qui, s'il dédommage la banque d'une perte quelconque, est alors subrogé dans les droits de celle-ci; mais la Loi, en elle-même, n'impose aucune responsabilité et il n'en existe aucune si l'on excepte celle de l'emprunteur, laquelle découle non de la Loi, mais de son obligation contractuelle de rembourser le prêt. La responsabilité est fondée sur l'accord et l'action sur la violation dudit accord, non sur une disposition de la Loi comme c'est le cas pour la Loi de l'impôt sur le revenu. Si la banque avait obtenu de l'emprunteur un billet à ordre, garanti ou endossé par le Ministre et si la demande était fondée sur le billet à ordre, la Loi sur les lettres de change s'appliquerait alors et en vertu de l'article 23 de la Loi sur la Cour fédérale, la Cour a compétence concurrente lorsque la Couronne est en cause.
Arrêt appliqué: McNamara Construction (Western) Ltd. c. La Reine [1977] 2 R.C.S. 654.
ACTION. AVOCATS:
Craig J. Henderson pour la demanderesse. PROCUREURS:
Le sous-procureur général du Canada pour la demanderesse.
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
LE JUGE CATTANACH: Il s'agit en l'espèce d'une requête la demanderesse, se fondant sur la Règle 324, demande jugement contre la défen- deresse pour défaut de présenter une défense, con-
formément à la Règle 432, pour une somme déter- minée. Entre parenthèses, je signale que, dans le projet du jugement par défaut demandé, l'intérêt en souffrance devrait être calculé jusqu'à la date dudit jugement et y exprimé en une somme déterminée.
Le litige a trait à un contrat conclu par une banque et la défenderesse en vertu des dispositions de la Loi canadienne sur les prêts aux étudiants, S.R.C. 1970, c. S-17. L'objet de cette loi est simple et fort clair. Il s'agit d'un programme, administré par le fédéral, d'assistance financière à certains étudiants pour leur permettre de poursuivre leurs études dans une institution d'enseignement recon- nue. Le prêt est accordé à l'étudiant par une banque, au sens de la Loi sur les banques, S.R.C. 1970, c. B-1, ou par un autre établissement de crédit désignés par le ministre des Finances comme étant une banque aux fins de la Loi canadienne sur les prêts aux étudiants. D'après cette loi et les règlements y relatifs, le Ministre impose à la banque les modalités du contrat à conclure entre elle et les étudiants. En vertu de l'article 4 de la Loi, les sommes avancées par la banque ne portent pas intérêt avant l'expiration d'un délai spécifié, consécutif à la période l'étudiant demeure ins- crit à plein temps; ultérieurement, le prêt porte intérêt à un taux prédéterminé.
En vertu de l'article 6 de la Loi, le Ministre verse à la banque l'intérêt pour la période durant laquelle l'étudiant n'a pas à le payer.
En vertu de l'article 7, le Ministre se porte garant envers la banque de toute perte subie par celle-ci par suite du prêt qu'elle a accordé à l'étu- diant. En bref, le Ministre cautionne la dette de l'étudiant.
En vertu des pouvoirs que lui confère l'article 13j), le gouverneur en conseil est autorisé à édicter des règlements subrogeant Sa Majesté dans les droits de la banque à l'égard d'un prêt d'études garanti. Une telle réglementation a effectivement été adoptée.
Dans ce genre de litige, la déclaration est pres- que toujours rédigée de la même façon; je repro- duis ici les allégations de celle qui nous occupe:
[TRADUCTION] A la Cour fédérale du Canada,
Le sous-procureur général de Sa Majesté pour le Canada, pour le compte de Sa Majesté, fait valoir ce qui suit:
1. La défenderesse, BARBARA JEAN PRYTULA, réside en la ville de Thompson dans la province du Manitoba.
2. Conformément à un contrat écrit en date du 19 novembre 1969, souscrit par la Banque Royale du Canada à Flin Flon, succursale du Manitoba, (ci-après appelée la banque) et la défenderesse, qui, à l'époque de la signature du contrat, se dénommait: »Barbara Jean Erickson», et en vertu des disposi tions de la Loi canadienne sur les prêts aux étudiants, S.R.C. 1970, chap. S-17, et du certificat d'admissibilité MA 619 304 504, la banque a prêté à la défenderesse la somme totale de $540.00.
3. En vertu des dispositions de l'article 4 de la Loi canadienne sur les prêts aux étudiants, le capital prêté par la banque à la défenderesse ne portait intérêt qu'à compter du premier jour du septième mois après que l'étudiant eut cessé d'être inscrit à plein temps. La défenderesse a cessé d'être ainsi inscrite au cours du mois de décembre 1969 et l'intérêt sur le prêt a commencé à courir à compter du 1°" août 1970.
4. En vertu de l'article 12 du Règlement canadien sur les prêts aux étudiants, modifié, l'intérêt a été calculé au taux de 8 3 /s% par année.
5. En contravention avec le paragraphe 7(1) dudit règlement, la défenderesse n'a pas contracté d'accord de prêt consolidé d'étude garanti avec ladite banque pour fixer le montant et la durée des versements mensuels qu'elle devait effectuer; elle n'a effectué aucun paiement en exécution dudit prêt. En raison de ce défaut, la banque a présenté une demande de rembourse- ment conformément à l'article 7 de la Loi canadienne sur les prêts aux étudiants et à l'article 18 dudit règlement; vers le 2 octobre 1972, le ministre des Finances a remboursé à la banque le principal non remboursé du prêt, soit $540.00, et l'intérêt, soit $86.86, couru entre le 1" janvier 1970 et le 2 octobre 1972.
6. En vertu des faits allégués à l'alinéa 5 et de l'article 21 du Règlement canadien sur les prêts aux étudiants, modifié par C.P. 1969-1328, adopté en vertu de l'article 13 de la Loi canadienne sur les prêts aux étudiants, S.R.C. chap. S-17, Sa Majesté est subrogée dans tous les droits de la banque à l'égard des prêts garantis visés à l'alinéa 2.
7. Sa Majesté a demandé paiement à la défenderesse du princi pal non remboursé du prêt et de l'intérêt couru mais cette dernière n'obtempère pas.
8. Le sous-procureur général du Canada, au nom de Sa Majesté la Reine, réclame ce qui suit:
a) le principal non remboursé du prêt, soit $540.00;
b) l'intérêt, au taux de 8 3 /s% l'an, couru sur lesdits $540.00 entre le 1" août 1970 et la date du jugement;
c) les dépens de l'instance;
d) toute autre forme de réparation que la Cour estimera justifiée.
Annexée à la déclaration, on trouve copie de la demande de prêt et du contrat conclu entre la banque et l'étudiante.
Voici le texte du contrat signé par l'étudiante:
[TRADUCTION] PAR LA PRÉSENTE, JE DEMANDE LE PRÊT DU MONTANT DÉSIGNÉ AU POSTE, «SOMME, SI SOMME IL Y A, PRÉSENTEMENT VERSÉE»; ET JE DONNE L'ASSURANCE QUE LA SOMME DÉSIGNÉE AU POSTE «TOTAL DU PRINCIPAL REPORTÉ», CORRESPOND VRAIMENT AU TOTAL DU PRINCIPAL EXIGIBLE, A LA DATE INDIQUÉE, PAR LE PRÉSENT OU TOUT AUTRE PRÊTEUR EN VERTU DE LA LOI CANADIENNE SUR LES PRÊTS AUX ÉTUDIANTS; JE COMPRENDS LES OBLIGATIONS AUXQUELLES JE SOUSCRIS EN VERTU DE LA LOI PRÉCITÉE ET DE SES RÈGLEMENTS D'APPLICATION ET JE REMBOURSERAI EN SON ENTIER LA DETTE CONTRACTÉE, COMME L'EXIGENT LA LOI ET LES RÈGLEMENTS SUSDITS.
Lorsque la requête pour jugement par défaut a été, une première fois, présentée à mon collègue Walsh, celui-ci a ordonné que [TRADUCTION] «d'on communique avec l'avocat de la demanderesse à propos de la compétence de la Cour en l'espèce et notamment, en vertu de quelle loi fédérale, le cas échéant, la Cour aurait compétence, compte tenu de l'arrêt rendu par la Cour suprême le 25 janvier 1977 dans l'affaire McNamara.»
En réponse, le procureur de la demanderesse, dans une lettre du 13 avril 1977, fait valoir ce qui suit:
[TRADUCTION] En réponse à votre lettre du 1»' avril 1977, veuillez noter qu'à mon avis la requête pour jugement dans l'affaire qui nous occupe relève de la Cour fédérale.
Nous notons l'importance que Votre Seigneurie accorde à l'arrêt McNamara de la Cour suprême et nous indiquons qu'à notre avis la loi fédérale sur laquelle se fonde la compétence de la Cour est, bien sûr, la Loi canadienne sur les prêts aux étudiants, S.R.C. chap. 17 et ses règlements d'application.
Le Règlement canadien sur les prêts aux étudiants a été adopté en vertu de l'article 13j) de la Loi canadienne sur les prêts aux étudiants; l'article 21 du Règlement (C.P. 1968-1491, du 31 juillet, modifié par l'article 13 du C.P. 1969-1328, du 23 juillet 1969) prévoit ce qui suit:
21. (1) Lorsqu'en vertu de la Loi et du présent Règle- ment, le Ministre a versé à une banque le montant de la perte que la banque a subie en conséquence d'un prêt d'études garanti, Sa Majesté est dès lors subrogée dans tous les droits de la banque à l'égard du prêt d'études garanti, et, sans restreindre la généralité de ce qui précède, tous les droits et pouvoirs de la banque à l'égard
a) du prêt d'études garanti,
b) de tout jugement obtenu par la banque à l'égard du prêt, et
e) de toute garantie de remboursement du prêt, détenue
par la banque, en vertu du paragraphe (3) de l'article 8, sont alors dévolus à Sa Majesté et Sa Majesté peut alors exercer tous les droits, pouvoirs ou privilèges que la banque possédait ou pourrait exercer à l'égard du prêt, du jugement ou de la garantie, y compris le droit d'entreprendre ou de poursuivre toute mesure ou procédure, de souscrire toute libération, tout transport, vente ou cession, ou par n'importe quel moyen recouvrer, réaliser ou exécuter le prêt, le juge- ment ou la garantie.
(2) Toutes les procédures à l'égard d'un prêt d'études garanti dont Sa Majesté a pris l'initiative peuvent être prises au nom de Sa Majesté.
Ces textes montrent que le droit de Sa Majesté, en vertu de la Loi canadienne sur les prêts aux étudiants, d'intenter une action en remboursement du prêt est prévu par la loi et, cette loi étant une loi fédérale, elle attribue à la Cour fédérale du Canada compétence pour connaître des litiges portant sur les prêts consentis aux étudiants au Canada lorsque Sa Majesté la Reine est demanderesse.
Respectueusement, il est allégué que la Loi canadienne sur les prêts aux étudiants et ses règlements d'application établissent un programme d'aide financière aux étudiants, programme dont la gestion est fédérale, que Sa Majesté doit rembourser la banque en cas de défaut de paiement de l'étudiant, que cette obligation lui est imposée par la Loi, que le recours de Sa Majesté contre l'étudiant défaillant lui est accordé par les lois fédérales et que donc, en conclusion, on peut affirmer que l'arrêt McNamara, dans la mesure il concerne la compé- tence de la Cour fédérale en matière de recours exercés par Sa Majesté ne s'applique pas en l'espèce vu que la Cour est qualifiée pour connaître des affaires régies par le droit fédéral. La Loi canadienne sur les prêts aux étudiants, de toute évi- dence, est comprise dans cette exception et donc, je fais valoir respectueusement que le jugement par défaut demandé devrait être accordé.
Dans l'affaire McNamara ([1977] 2 R.C.S. 654), le juge en chef, au nom de la Cour, a dit la page 658]:
Cette compétence relèverait de l'art. 101 de l'Acte de l'Améri- que du Nord britannique qui confère notamment au Parlement le pouvoir législatif d'établir des tribunaux «pour la meilleure administration des lois du Canada». Dans l'arrêt Quebec North Shore Paper Company c. Le Canadien Pacifique Limitée, ([1977] 2 R.C.S. 1054), (arrêt rendu après les jugements de la Cour d'appel fédérale en l'espèce), cette Cour a statué que les dispositions de l'art. 101 posent comme condition préalable à l'exercice par la Cour fédérale de sa compétence, l'existence d'une législation fédérale applicable sur laquelle on puisse fonder les procédures. Il ne suffit pas que le Parlement du Canada puisse légiférer sur un domaine dont relève la question soumise à la Cour fédérale. Comme l'a indiqué cette Cour dans l'arrêt Quebec North Shore Paper Company, la compétence judiciaire en vertu de l'art. 101 ne recouvre pas le même domaine que la compétence législative fédérale.
Plus loin il dit [aux pages 659-660]:
Il ne s'agit donc pas de décider en l'espèce si la demande de redressement de la Couronne relève d'un domaine de compé- tence législative fédérale, mais de déterminer si elle est fondée sur la législation fédérale applicable. Je ne pense pas que, pris littéralement, le par. 17(4), qui vise à habiliter la Cour fédérale à connaître de tout genre d'action d'ordre civil du seul fait que la Couronne du chef du Canada fait une réclamation à titre de demanderesse, constitue une législation fédérale valide en vertu de l'art. 101 de l'Acte de l'Amérique du Nord britannique.
Il ajoute plus loin encore la page 662]:
Il reste donc à déterminer, quant à la question de la compé- tence, s'il existe une législation fédérale applicable aux présents pourvois qui donne à la Cour fédérale compétence pour connaî- tre de l'action de la Couronne concernant la demande de dommages-intérêts et la réclamation fondée sur le cautionne- ment.
J'interprète l'arrêt McNamara comme disant que, pour que la Cour fédérale soit compétente, il faut qu'il existe une loi fédérale applicable que l'on puisse invoquer à l'appui de la procédure engagée et que cette dernière le soit sur le «fondement» de cette loi. Il ne suffit pas que la Couronne soit partie à un contrat en vertu duquel elle poursuit à titre de demanderesse.
L'avocat de la demanderesse dans sa lettre du 13 avril 1977, fait valoir que l'action de celle-ci se fonde sur la Loi canadienne sur les prêts aux étudiants et le paragraphe 21(1) de son règlement d'application. Je ne mets nullement en doute le fait que cette loi-là est une loi fédérale; ce que je n'accepte pas, c'est la prétention voulant que l'ac- tion soit engagée sur le «fondement» de cette loi au sens le juge en chef emploie ce terme dans l'affaire McNamara.
Il est vrai que le Ministre est subrogé dans les droits de la banque en cas de prêt non remboursé dont il doit indemniser celle-ci mais cette subroga- tion ne donne pas au Ministre des droits différents de ceux dont jouissait la banque.
La déclaration montre clairement que la deman- deresse fonde son action sur l'inexécution de l'ac- cord contracté par la banque et l'étudiante, accord pour l'exécution duquel la demanderesse est subrogée.
Il ne suffit pas que la responsabilité découle d'une loi et de ses règlements d'application.
Certes, la Loi autorise la banque à prêter aux étudiants, prévoit les modalités du prêt, dont le remboursement est garanti par le Ministre qui, s'il dédommage la banque d'une perte quelconque, est alors subrogé dans les droits de celle-ci; mais la Loi, en elle-même, n'impose aucune responsabilité et il n'en existe aucune si l'on excepte celle de l'emprunteur, laquelle découle non de la Loi, mais de son obligation contractuelle de rembourser le prêt. La responsabilité est fondée sur l'accord et
l'action sur la violation dudit accord, non sur une disposition de la loi comme c'est le cas pour la Loi de l'impôt sur le revenu, la législation en matière de douanes et d'accise et d'autres lois fédérales semblables.
L'affaire McNamara comportait les mêmes élé- ments que la présente espèce et pourtant la Cour suprême a statué à l'unanimité que la demande de la Couronne en inexécution contractuelle n'avait pas son fondement dans une loi.
Soit dit en passant, le Ministre est investi de tous les pouvoirs et droits de la banque en matière de sûreté détenue par celle-ci en garantie du rem- boursement du prêt. Il n'est pas tout à fait impossi ble que la banque, comme c'est presque toujours l'usage, ait obtenu de l'emprunteur un billet à ordre, garanti ou endossé par le Ministre. Dans ce cas, si la demande était fondée sur le billet à ordre, la Loi sur les lettres de change, S.R.C. 1970, c. B-5, se serait alors appliquée et, en vertu de l'arti- cle 23 de la Loi sur la Cour fédérale, S.R.C. 1970 (2e Supp.), c. 10, la Cour a compétence concur- rente lorsque la Couronne est en cause.
Toutefois, n'ayant pas à me prononcer sur ce point, je m'en abstiendrai, l'action, comme l'allè- gue la déclaration, se fondant sur l'obligation sous- crite par l'étudiante de rembourser la banque et non sur un effet de commerce.
Pour les motifs qui précèdent, je conclus que la demande de la Couronne n'a pas son fondement dans une loi et, en conséquence, la requête pour jugement contre la défenderesse en défaut de pré- senter une défense est rejetée, la présente cour étant incompétente pour connaître de la déclara- tion.
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