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T-358-75
Manitoba Fisheries Limited et Harry Gordon Marder et Sophia Marder (Demanderesse)
c.
La Reine (Défenderesse)
Division de première instance, le juge Collier— Winnipeg, les 8, 9 et 10 novembre; Vancouver, le
22 décembre 1976.
Action en jugement déclaratoire réclamant que la demande- resse ait droit à une indemnité pour le bien dont elle a été dépossédée et à la juste valeur marchande de l'entreprise acquise par la Couronne Acquisition de l'achalandage qui rend les installations et l'équipement sans valeur La Loi a-t-elle pour objet de priver la demanderesse de son achalan- dage et de son entreprise? Refus des offres d'indemnité La privation des biens est-elle illégale aux termes de la Déclaration canadienne des droits? Loi sur la commerciali sation du poisson d'eau douce, S.R.C. 1970, c. F-13, art. 21,
23 et 25 Déclaration canadienne des droits, S.C. 1960, c. 44, par. la) et 2e).
La compagnie demanderesse réclame une déclaration établis- sant qu'elle a droit à une indemnité pour la perte de son entreprise et de son achalandage, que la défenderesse a acquis en vertu de la Loi sur la commercialisation du poisson d'eau douce. Il soutient que le fait d'avoir perdu son achalandage et son entreprise a rendu ses avoirs sans valeur. Même si la loi prévoit l'octroi de licences ou que des règlements permettent à des particuliers de poursuivre leurs activités, il n'y a eu en l'espèce ni licence ni règlement, en sorte qu'elle a été effective- ment dépossédée de son entreprise d'une manière qui contre- vient à la Déclaration canadienne des droits.
Arrêt: l'action est rejetée. Bien que la compagnie demande- resse ait perdu son entreprise et son achalandage, ce n'est pas l'intention de la loi. Son alinéa 25(2)c) envisage le paiement d'une indemnité aux personnes dont les installations ou l'équi- pement sont devenus superflus, ce qui laisse à penser qu'il n'y a pas eu l'intention d'acquérir ces biens matériels et que «l'appli- cation régulière» a eu lieu conformément aux exigences de la Déclaration canadienne des droits. Un accord entre le gouver- nement du Canada et celui du Manitoba est intervenu en vertu de l'article 25, aux termes duquel la Province s'est engagée à verser une indemnité. Elle a fait deux offres à ce titre, que les demandeurs ont refusées.
Arrêts appliqués: Ulster Transport Authority c. James Brown and Sons Ltd. [1953] N.I. 79; Belfast Corporation c. O.D. Cars Ltd. [1960] A.C. 490 et MacAlpine c. Turk (1954) 12 W.W.R. (N.S.) 499.
ACTION. AVOCATS:
K. M. Arenson, D'Arcy C. H. McCaffrey, c.r., et J. S. Lamont pour la demanderesse.
L. P. Chambers et S. M. Lyman pour la défenderesse.
PROCUREURS:
Arenson & Company, Winnipeg, pour la demanderesse.
Le sous-procureur général du Canada pour la défenderesse.
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
LE JUGE COLLIER: La compagnie demanderesse réclame une déclaration en vue d'établir qu'elle a droit à une indemnité pour le bien dont elle a été dépossédée'. Elle allègue également que la défen- deresse a acquis son entreprise et son achalandage au titre de la Loi sur la commercialisation du poisson d'eau douce 2 . Elle réclame aussi une autre déclaration établissant que:
[TRADUCTION] ... La demanderesse a droit à la juste valeur marchande de ladite entreprise qui, au Zef mai 1969, était une entreprise en marche....
La plupart des faits saillants et pertinents n'ont pas été contestés.
En 1920, à Oak Point (Manitoba), un certain Bercovitch a fondé une entreprise de poisson d'eau douce. En 1926 ou 1927, il a constitué la compa- gnie demanderesse (sous une autre raison sociale) et a transféré son siège social à Winnipeg. Berco- vitch est décédé en 1948. L'entreprise est revenue à sa veuve et à ses anciens employés. En 1951, le témoin Marder a épousé la veuve. Peu après, ladite exploitation l'a occupé à plein temps. Sa soeur, son frère et sa femme y ont tous travaillé jusqu'en mai 1969.
La compagnie, de ses débuts à la période qui nous intéresse ici, a acheté du poisson aux pêcheurs de divers lacs du Manitoba. Ces pêcheurs, les premiers producteurs (si on peut employer ce terme) n'étaient pas des employés. Mais, au cours des années, la demanderesse et les autres entreprises du secteur les ont financés afin
I Il y a d'autres actions pendantes avec d'autres compagnies qui s'occupaient également du poisson d'eau douce au Mani- toba. Elles apparaissent en tant que demanderesses et récla- ment contre la défenderesse un redressement analogue:
Main Fisheries Ltd. c. La Reine (T-1417-75); Canadian Fish Producers Ltd. c. La Reine (T-1419-75); Bodner Fish Dis tributors Ltd. c. La Reine (T-1420-75); et Keystone Fisher ies Ltd. c. La Reine (T-1731-75).
2 S.R.C. 1970, c. F-13. Dans ces motifs, je la désignerai par «la loi» ou «la Loi». Elle a été adoptée le 27 février 1969.
d'obtenir leurs prises qu'ils transformaient ensuite de plusieurs façons et vendaient surtout (environ 85 à 90 p. 100) à des clients américains. La commercialisation du poisson d'eau douce était très compétitive, en particulier aux États-Unis. Je suis convaincu, d'après les dépositions de MM. Marder, Lazarenko et Page, que la compagnie demanderesse et ses concurrents possédaient leur propre clientèle. Bercovitch et son entreprise jouis- saient d'une bonne réputation qui, d'après la preuve, a persisté lorsque Marder a assumé la direction. De 1963 1969, la demanderesse, pour des raisons financières compréhensibles, avait quelque peu réduit ses opérations; néanmoins, elle occupait toujours une place compétitive et avait sa propre clientèle.
La défenderesse a prétendu qu'il ressort de la preuve qu'au ler mai 1969, la compagnie demande- resse n'avait (en fait ni en droit) aucun «achalan- dage». Ses déclarations de revenu pour les années d'imposition prenant fin le 31 mars de chacune des années 1964 à 1969, du point de vue comptable, indiquent qu'elle n'avait aucun achalandage écono- mique mesurable. En admettant même qu'en droit, la défenderesse avait «pris» l'entreprise de la demanderesse, il n'existait en fait aucun achalan- dage indemnisable; la demanderesse n'avait donc aucune cause d'action.
Je n'accepte pas la prétention selon laquelle, au 1 er mai 1969, la demanderesse n'avait pas d'acha- landage. La Couronne s'est principalement fondée sur la déposition de l'expert comptable Shields qui a examiné les états financiers de la compagnie demanderesse de 1964 1969. La défenderesse l'a prié de calculer, du point de vue comptable, le montant «mesurable» (s'il y avait lieu) [TRADUC- TION] «... de l'achalandage, qui avait une valeur économique pour Manitoba Fisheries Ltd., immé- diatement avant mai 1969.» Il s'est exprimé en ces termes:
[TRADUCTION] ... du point de vue comptable, il n'est pas tenu compte de l'achalandage d'une entreprise commerciale, sauf lorsqu'on l'achète (l'entreprise) et qu'on détermine le montant à un moment donné. [C'est moi qui souligne.]
L'achalandage devient mesurable lorsqu'un acheteur éven- tuel paie plus pour l'actif net d'une entreprise que pour la valeur marchande des actifs intrinsèques.
Il continue ensuite en appliquant, avec exemples à l'appui, une formule mathématique comptable, dont l'emploi est admis, et qui pose en postulat une vente hypothétique. Il conclut qu'il n'y avait pas d'achalandage mesurable.
Toutefois, au cours d'un contre-interrogatoire, il a admis que dans le monde des affaires, les acqué- reurs n'utilisent pas nécessairement une technique comptable. Il a déclaré franchement qu'un homme d'affaires, ayant l'expérience de la commercialisa tion, aurait fort bien pu conclure qu'il existait un achalandage, au sens commercial du terme, et payer pour, alors qu'un comptable, en utilisant ses techniques, aurait pu démontrer que, mathémati- quement, il n'y avait pas d'achalandage ou même que l'achalandage était négatif.
Pour cet aspect de l'affaire, la défenderesse s'est fondée aussi sur un certain nombre de décisions judiciaires relatives au sens d'achalandage et à la manière de le calculera, dans les cas particuliers. Les affaires invoquées se rattachent à la Loi de l'impôt sur le revenu. Elles portent essentiellement sur la manière de traiter dans ce contexte «l'acha- landage» aux fins d'imposition.
A mon avis, il faut considérer l'achalandage dans son sens commercial. Cela comprend la méthode employée par les hommes d'affaires et non pas simplement la méthode mathématique du cent et du dollar, qui est celle de l'expert-compta- ble. Je me fonde sur les commentaires suivants formulés par le lord juge en chef MacDermott dans Ulster Transport Authority c. James Brown and Sons Ltd. 4 :
[TRADUCTION] «Achalandage» est un terme utilisé parfois pour désigner une clientèle toute prête, dont la valeur réside dans ses fortes chances de continuité. Mais, dans son sens commercial, le terme peut signifier beaucoup plus que cela. Comme le fait observer lord Macnaghten, dans In land Revenue Commissioners c. Muller & Co.'s Margarine Ltd. [1901] A.C. 217, 224, il est «la force attractive qui amène la clientèle» et peut consister non seulement en contacts commerciaux mais aussi en bien d'autres choses telles que: des locaux particuliers, une longue expérience dans une sphère spécialisée ou une bonne réputation en liaison avec un nom commercial ou une marque
3 Losey c. M.R.N. 57 DTC 1097; Dominion Dairies Ltd. c. M.R.N. [1966] R.C.É. 397; Butler c. M.R.N. [1967] 1 R.C.É. 425; Herb Payne Transport Ltd. c. M.R.N. [1964] R.C.É. 1. Les jugements classiques relatifs à l'achalandage sont examinés dans MacAlpine c. Turk (1954) 12 W.W.R. (N.S.) 499 par le juge en chef du Manitoba McPherson, aux pp. 502 et 503.
4 [1953] N.I. 79, aux pp. 109 et 110.
de commerce. Il est en quelque sorte forgé par l'effort qui ajoute à la valeur de l'entreprise. Quand j'examine les réalisa- tions d'une entreprise bien établie, rentable, qui fournit un service spécial (tel que le service de déménagement de meubles fournis par l'intimée), j'estime qu'il est presque impossible de distinguer entre l'entreprise qui a été mise sur pied et son achalandage ou de donner à ce dernier un sens isolé et précis. J'aborde donc la question en me fondant sur le fait que la perte ici est vraiment une perte d'achalandage, dans le sens commer cial du terme, tel que lord Macnaghten l'a défini dans l'affaire Muller & Co.
D'après la preuve, je suis convaincu que l'entre- prise de la demanderesse comportait un achalan- dage, au sens commercial et juridique du terme. Il se peut que la valeur économique ou pécuniaire, aux fins de dommages-intérêts ou d'indemnité, en définitive soit faible. En l'espèce, les parties ont convenu que le montant de l'indemnité serait fixé par accord mutuel et, au cas elles n'y parvien- draient pas, par un juge de cette cour. La deman- deresse n'a donc appelé aucun témoin pour calcu- ler une valeur au dollar et au cent.
Je passe maintenant à la prétendue «mainmise» de la défenderesse sur l'entreprise de la demanderesse.
Un peu avant 1969, dans quelques provinces et territoires, il a été procédé à une enquête sur le secteur du poisson d'eau douce. Un rapport (dési- gné comme le rapport Mclvor) a été publié en 1964-65. Il ne fait pas partie de la preuve. Je ne sais donc pas quels étaient les problèmes (s'il y en avait) afférents à l'industrie de la pêche en eau douce en Alberta, en Saskatchewan, au Manitoba, en Ontario et dans les territoires du Nord-Ouest. Je ne sais pas non plus quelles ont été les recom- mandations du rapport. En tous cas, à la demande' des quatre provinces et des territoires mentionnés, le Parlement a adopté la Loi sur la commerciali sation du poisson d'eau douce, dont j'ai déjà parlé.
La demanderesse prétend que ladite loi et la manière dont les pouvoirs qu'elle confère ont été exécutés ou détenus, ont eu pour effet pratique et juridique de lui prendre son achalandage et de l'investir dans un Office de l'État, sans aucune indemnisation. Elle prétend aussi que les actifs corporels, par suite de la mainmise sur l'achalan- dage, ont perdu commercialement toute leur valeur. encore, aucune indemnité n'a été payée.
5 Voir la pièce 18.
La demanderesse reconnaît que pour fonder sa demande d'indemnité, il lui faut établir un droit reconnu par la loi 6 . Toutefois, elle s'appuie sur les principes énoncés par lord Atkinson dans l'arrêt Le procureur général c. De Keyser's Royal Hotel, Ltd. 7 :
[TRADUCTION] Pour interpréter les lois, la règle est la sui- vante: sauf si ses termes l'exigent, une loi ne doit pas être interprétée de manière à déposséder une personne de ses biens sans indemnisation.
et par le juge d'appel Wilson, de la Cour d'appel de la Colombie-Britannique dans l'arrêt B.C. Power Corp. Ltd. c. Le procureur général de la Colombie-Britannique 8 :
[TRADUCTION] Mais je cite les commentaires suivants empruntés à l'ouvrage de Maxwell, intitulé Interpretation of Statutes, 11 éd., p. 275 à 277:
Les lois qui empiètent sur les droits du citoyen en ce qui concerne sa personne ou ses biens, doivent également faire l'objet d'une interprétation stricte comme je l'ai déjà expli- qué. C'est une règle reconnue qu'elles doivent être interpré- tées, si possible, de manière à respecter de tels droits.... Le législateur n'est pas censé enlever les droits portant sur les biens sans prévoir une indemnisation à moins qu'il ne l'ai précisé en termes clairs. Quand une telle intention ne résulte pas manifestement du but de la loi, on présume que le législateur ne désire pas confisquer les biens ni empiéter sur le droit des citoyens; si telle est son intention, on doit s'attendre à ce qu'il la manifeste de façon précise, sinon en termes exprès, du moins de manière implicite et hors de tout doute raisonnable. C'est une bonne règle d'interprétation de ne pas interpréter une loi comme s'immisçant dans les droits des citoyens ou y portant atteinte sans indemnité, à moins qu'on ne soit obligé de l'interpréter ainsi.
Lord Radcliffe, dans Belfast Corporation c. O.D. Cars Ltd. 9 conseille en guise de méthode
6 Sisters of Charity of Rockingham c. Le Roi [1922] 2 A.C. 315, à la p. 322 (C.P.); Le Roi c. Thomas Lawson & Sons Ltd. [1948] R.C.É. 44, à la p. 57.
' [1920] A.C. 508, à la p. 542.
8 (1962) 34 D.L.R. (2e) 25, à la p. 44.
9 [1960] A.C. 490, à la p. 523 (H.L.(N.I.)). Dans le résumé des arguments présentés au nom de l'intimé, rapporté à la page 509, on trouve ce qui suit:
[TRADUCTION] Il ne faut pas présumer que le Parlement a l'intention de s'approprier des biens sans indemnisation. Si on s'en tient à cette position, elle influencera les cours lorsqu'elles seront appelées à interpréter les lois du Parle- ment, au point qu'elles refuseront d'attribuer au législateur une pareille intention, à moins que les termes employés soient clairs et irréfutables. Mais si le Parlement s'exprime claire- ment à ce sujet, les cours devront bien entendu se conformer à sa volonté.
Ces commentaires me paraissent résumer de façon succincte la jurisprudence.
d'examiner si un texte de loi envisage une «main- mise sans indemnisation»:
[TRADUCTION] D'une part, il y aurait le principe général adopté par le législateur et scrupuleusement défendu par les cours, à savoir qu'une personne ne doit pas être dépossédée d'un titre de propriété ou de la jouissance d'un bien sans indemnisa- tion complète. L'acquisition du titre ou de la jouissance consti- tue une «mainmise». Les divers aspects de ce principe figurent dans les règles établies par les cours, qui exigent la présence des mots les plus explicites pour qu'une acquisition puisse être sanctionnée par une loi du Parlement sans une complète indem- nisation, ou pour introduire l'intention d'indemniser et les moyens de calculer l'indemnité dans une loi du Parlement qui ne l'exclut pas positivement. Cette vigilance exercée sur la protection des droits du citoyen, dans la mesure elle est compatible avec les exigences de l'expropriation des biens dont celui-ci jouissait précédemment en numéraire, a été considérée comme une garantie importante de la liberté individuelle. Ce serait une erreur d'y voir un conflit entre le législateur et les cours. En règle générale, le principe est commun aux deux.
En l'espèce, je pense qu'il y a deux questions à trancher, dans l'ordre suivant:
(1) La loi comportait-elle l'intention de «pren- dre» l'entreprise et l'achalandage de la demande- resse et de ses concurrents?
(2) Et, dans l'affirmative, envisageait-elle de le faire sans indemnisation?
Il me faut entrer dans les détails de ladite loi. Au début, elle crée un Office de commercialisation du poisson d'eau douce, qui comporte un conseil d'administration 10 . Il y a un administrateur pour chaque province participante et quatre autres administrateurs ". L'Office est mandataire de Sa Majesté du chef du Canada (la Couronne fédé- rale). Tout bien qu'il acquiert devient la propriété de la Couronne fédérale. Il a été créé
... aux fins de commercialiser, de vendre et d'acheter du poisson, des produits et des sous-produits du poisson, à l'inté- rieur et à l'extérieur du Canada....
A ces fins, il a reçu d'autres pouvoirs statutaires 12.
10 Voir l'article 3.
" Pour «province participante», voir les articles 2 et 25.
12 Voir les alinéas 7a) à i). Un Comité consultatif conseille
l'Office (articles 18 et 19).
Je passe maintenant à la Partie III de la Loi. En vertu de l'article 23, l'Office
... a le droit exclusif de procéder à la commercialisation, à l'achat et à la vente du poisson dans le commerce interprovin- cial et le commerce d'exportation; il exerce ce droit, soit par lui-même, soit par ses mandataires, en vue de
a) commercialiser le poisson d'une façon ordonnée;
b) augmenter le revenu des pêcheurs; et
c) ouvrir les marchés internationaux au poisson et accroître le commerce interprovincial et le commerce d'exportation du poisson.
Le droit exclusif se limite aux espèces (dont la liste figure dans une annexe) pêchées à des fins com- merciales dans une province participante. i3
L'article 21(1) est rédigé dans les termes suivants:
21. (1) Sauf en conformité des modalités indiquées dans toute licence qui peut être délivrée par l'Office à cette fin, aucune personne autre que l'Office ou un mandataire de l'Of- fice ne doit
a) exporter du poisson hors du Canada;
b) envoyer, transporter du poisson d'une province partici- pante à une autre province participante ou à toute autre province;
c) dans une province participante, recevoir du poisson pour le transporter hors de la province; ou
d) vendre ou acheter, ou convenir de vendre ou d'acheter du poisson se trouvant dans une province participante pour le livrer dans une autre province, participante ou non, ou hors du Canada.
Je me réfère en dernier à l'article 25. Il autorise le Canada à conclure avec l'Alberta, la Saskatche- wan, le Manitoba, l'Ontario et les territoires du Nord-Ouest 14 , des accords prévoyant, entre autres:
25. (2) ...
c) la conclusion d'ententes par la province en vue du paie- ment d'une indemnité au propriétaire d'un établissement ou de matériel servant à l'emmagasinage, à la transformation ou autre forme de préparation du poisson pour le marché, lorsqu'un tel établissement ou matériel devient ou peut deve- nir superflu du fait d'activités que la présente Partie autorise l'Office à exercer; ....
Après avoir examiné l'ensemble de la loi, j'en conclus qu'elle n'a pas pour objet de prendre, dans les provinces participantes, les biens d'une per- sonne avec ou sans indemnisation.
13 Voir l'article 20.
14 L'article 22 de la Loi autorise le Canada, par règlement, à exempter des dispositions de la Partie III toute zone ou région dans une province participante ou toute opération, toute per- sonne ou toute catégorie d'opérations ou de personnes.
A mon avis; le législateur a voulu, aux fins de commercialisation du poisson, créer un Office chargé de le commercialiser méthodiquement, d'augmenter les recettes des pêcheurs et de pro- mouvoir les marchés et le commerce. Pour remplir ces objectifs, il a reçu des droits exclusifs. Toute- fois, il peut délivrer des licences qui permettent à leurs titulaires de participer à l'exportation et à la commercialisation interprovinciale du poisson d'eau douce.
J'estime donc que toutes personnes ou entrepri- ses du secteur auquel la demanderesse appartient, peuvent poursuivre leurs affaires pourvu que l'Of- fice leur délivre une licence ou que le gouverne- ment fédéral les exempte par règlement de l'appli- cation de la Partie III. La loi envisage d'octroyer des licences aux exportateurs et autres personnes, mais elle reste muette sur les modalités de cet octroi à un particulier. Il est vrai que le pouvoir d'octroyer une licence est facultatif ou discrétion- naire. Néanmoins, lorsque j'examine l'esprit géné- ral de la Loi, je n'y trouve aucune intention de prendre ou de confisquer des biens au profit de la Couronne. Si j'ai raison, alors la seconde question que j'ai soulevée, ne se pose plus.
Toutefois, la demanderesse prétend qu'il faut lire entre les lignes de la loi. Lorsque l'Office refuse de délivrer des licences et la Couronne fédérale d'exempter les personnes de l'application de la Partie III, on aboutit pratiquement à la mainmise ou à la confiscation des entreprises de tous les exportateurs et commerçants dans le sec- teur du poisson d'eau douce. Il faut voir les choses telles qu'elles sont. L'Office fonctionne depuis le ler mai 1969 et la Partie III de la Loi avec les interdictions énoncées dans l'article 21 (sous réserve de l'octroi des licences) est entrée en vigueur à la même date. Or, l'Office n'a jamais délivré de licence et le gouvernement fédéral n'a exempté personne de l'application de la Partie 111' 5 .
Dès ses débuts, l'Office, parce qu'il n'y avait pas d'autre source de fourniture, a obtenu la clientèle américaine de la demanderesse et de ses concur- rents du Manitoba. Brooker, son directeur des ventes, l'a franchement admis. Il est indéniable
15 Seule une partie de l'Ouest de l'Ontario est assujettie à la Partie III de la Loi.
que l'Office n'a pas acheté leurs biens, leurs listes de clients ni leurs autres droits corporels, incorpo- rels et commerciaux. Toute concurrence étant en fait interdite, les acheteurs contractuels des États- Unis n'ont plus eu en vue, après le 1" mai 1969, qu'un seul producteur, un seul exportateur et un seul vendeur.
La demanderesse fait valoir que ladite loi et les pouvoirs qu'elle confère à l'Office ont eu pour conséquence naturelle de détourner au profit de la Couronne fédérale, les affaires (ou une partie importante d'entre elles) qu'elle et leurs concur- rents ne sont plus autorisés à transiger.
Ulster Transport Authority c. James Brown and Sons Ltd. 16 est invoquée comme une affaire parti- culièrement frappante qui fait jurisprudence. L'Ir- lande du Nord avait une garantie constitutionnelle interdisant au Parlement de passer [TRADUCTION] «... une loi qui ait pour effet direct ou indirect de ... prendre des biens sans indemnisation.» En 1935, une loi transféra à un organisme public diverses entreprises de transport routier. Elle pré- voyait le paiement d'une indemnité aux anciens propriétaires qui, en retour, recevaient l'interdic- tion de faire concurrence à la commission, et com- portait une exception pour les entreprises de démé- nagement d'entreposage de meubles. L'intimée, James Brown and Sons Ltd., se consacrait à ces activités depuis 1898. En 1948, le législateur alla encore plus loin. La Loi transféra tous les actifs et les pouvoirs de l'ancienne commission des trans ports routiers à la Ulster Transport Authority (l'appelante). En même temps, l'exemption qui avait permis à l'intimée et à d'autres entreprises de faire concurrence à la commission en matière de déménagement de meubles, fut supprimée. Toute- fois, l'administration, comme auparavant la com mission, pouvait autoriser (avec l'agrément du Ministre) des véhicules automobiles à déménager des meubles par la route. Bien entendu, l'intimée n'a jamais bénéficié de cette autorisation. Elle a alors contesté la Loi au motif qu'elle violait la garantie constitutionnelle contre la [TRADUCTION] «mainmise sur des biens sans indemnisation.»
16 [1953] N.I. 79.
Elle a eu gain de cause. Le lord juge en chef MacDermott, à propos du pouvoir d'autorisation conféré à l'administration, déclare aux pages 105 et 106:
[TRADUCTION] Et pour trancher le point, j'ajouterai que la disposition qui prévoit l'autorisation et l'approbation de l'admi- nistration n'a aucune influence notable sur les questions que soulève le présent appel. Si ladite interdiction pèche parce qu'ultra vires du Parlement d'Irlande du Nord, ce n'est pas un pouvoir de dispense confié à l'entière discrétion d'un ministre, ou a fortiori d'un concurrent commercial qui la légitimera. Dans l'arrêt James c. Cowan [1932] A.C. 542, 558, lord Atkin a dit [TRADUCTION]: «il ne faut pas tourner la constitution en remplaçant une ingérence législative dans la liberté par une ingérence administrative». Cette opinion s'adressait à une situa tion différente, mais le principe de base est le même. On ne peut pas plus transgresser les limites du pouvoir législatif en autorisant quelqu'un à écarter selon son gré les conséquences des infractions à la loi qu'en le laissant libre de passer outre les interdictions.
Quant à l'intention ou à l'objet de ladite loi, lord MacDermott déclare à la page 111:
[TRADUCTION] La prochaine question est celle de savoir si l'interdiction a pour effet de «prendre» les biens ainsi perdus. Ce verbe a fait l'objet de nombreuses discussions qui se rattachent à deux arguments avancés par l'appelante, à savoir: (1) «pren- dre» signifie acquérir ou prendre en charge, c'est-à-dire désigne un transfert ou une cession de biens d'une personne à une autre et s'oppose à une dépossession sans acquisition telle que la dissipation ou la destruction; et (2) une simple interdiction ne saurait être une mainmise, quels que puissent être les autres sens de «prendre»...
Et ensuite aux pages 112-113:
[TRADUCTION] Je suis d'avis, après avoir entendu les argu ments de l'appelante, que les biens de l'intimée seraient pris en contravention de l'article 5(1). Je pense qu'il s'agirait d'une mainmise et non pas simplement d'une dépossession et que cette mainmise ne serait pas seulement un effet de la loi contestée, mais serait aussi conforme à son intention. Maintenant, en admettant que cela soit juste (et je dirai dans un moment pourquoi je pense que cela l'est) alors, bien que le Parlement de l'Irlande du Nord ne se soit pas exprimé clairement sur l'acqui- sition d'une partie des entreprises de déménagement de meu- bles, l'article 5 sera indiscutablement enfreint parce qu'il inter- dit une mainmise tant par des moyens directs qu'indirects et vise donc tout plan législatif conçu en vue d'acquérir des biens sans indemnisation, tout en n'étant pas censé le faire.
Un plan aussi spécieux ne doit pas être attribué facilement au législateur, mais quand on considère la nature de ladite loi et ses conséquences illustrées par les observations faites en l'es- pèce, je ne vois aucun moyen d'échapper aux conclusions que j'ai mentionnées. Quant au code, il prescrit d'abord une acquisi tion générale des entreprises de transport routier contre le paiement d'une indemnité pour les actifs corporels et incorpo- rels (comme l'indique la seconde annexe à la Loi de 1935), mais il prévoit une exception pour les entreprises de déménage- ment et d'entreposage de meubles, que leurs propriétaires sont laissés libres d'exploiter. Puis, sans reparler de l'acquisition
avec indemnité, il leur interdit de continuer une partie impor- tante de leurs activités. Quelle est la raison de ce changement? Elle ne peut pas résider dans les conséquences imprévues de quelque omission involontaire ou erreur non reconnue. Les divergences qui existent entre l'article 15(4)e)(iii) de la Loi de 1935 et l'article 19(1)d) de la Loi de 1948 sont nettement délibérées et intentionnelles. Mais quelle est l'intention? Il faut présumer que le Parlement a voulu tirer de ses lois l'effet nécessaire et, lorsqu'on répond à cette question, on ne peut pas perdre de vue que dans ce secteur spécialisé (et ici les faits diffèrent notablement de ceux de l'affaire Benson [ 1940] N.I. 133) l'exécution de l'interdiction aura pour conséquence natu- relle de transférer à l'appelante les affaires (ou au moins une partie importante d'entre elles) que leurs anciens concurrents ne sont plus autorisés à transiger. Il se peut que le transfert ne s'effectue pas à 100 p. 100, mais rares sont les personnes qui pourront dérober plus de quelques miettes. Il est difficile d'imaginer que le gros des affaires pourra légitimement aller à d'autres qu'à l'appelante. Quant à cette dernière, elle ne pourra pas non plus rester éloignée desdites affaires puisqu'il n'y aura personne d'autre pour s'en occuper et que, compte tenu de la nature de ses fonctions, l'article 5 de la Loi de 1948 lui impose de pourvoir aux besoins du public. Je pense donc que la loi et la nature de son objet m'autorisent à répondre que le législateur a eu pour intention de permettre à l'appelante de s'emparer des entreprises frappées d'interdiction et ce, sans frais. Je ne vois aucune autre interprétation qui offre une explication plus plau sible de ces dispositions. Quand j'ai invité l'avocat de l'appe- lante à m'en fournir une qui s'adapte aussi bien ou mieux aux circonstances, il est resté muet.
et à nouveau à la page 114:
[TRADUCTION] A mon avis, il ressort de ces conclusions que l'interdiction aura l'effet voulu par le législateur, si on retient le point de vue que j'ai exprimé et qu'elles viennent étayer. En me référant à la conclusion (14), je n'entends pas, bien entendu, insinuer que l'intention de l'appelante reflète nécessairement celle du législateur. A mes yeux, cette conclusion est pertinente parce qu'elle indique que la loi contestée a pour dessein d'offrir à l'appelante le moyen facile et pratique d'acquérir l'achalan- dage de l'intimée sans indemnisation.
J'ajouterai, avant d'aller plus loin, que je ne vois aucune raison de faire des conjectures sur les motifs auxquels le législateur a obéi lorsqu'il a passé cette loi. Quels qu'ils aient bien pu être en réalité, c'est l'intention du législateur, telle qu'elle ressort des termes de la loi, qui doit guider la Cour dans la présente instance.
A mon avis, l'affaire Ulster Transport Autho rity diffère. En l'occurrence, la Loi de 1948 a eu pour objet de prendre en charge, sous une forme ou une autre, les entreprises de déménagement de meubles, mais n'a prévu aucune indemnisation. Elle a donc violé la garantie constitutionnelle.
Je ne suis pas convaincu que la Loi sur la commercialisation du poisson d'eau douce essaie indirectement ou par des moyens spécieux de s'em-
parer ou de prendre les biens, les entreprises ou l'achalandage de la demanderesse et de ses concur- rents. Elle a pour objet la création d'un Office de commercialisation exclusif, assujetti à un système de licences. Malheureusement, jusqu'à mainte- nant, l'Office, dans sa sagesse, a décidé de ne délivrer aucune licence. Cette politique a eu pour effet pratique de forcer la demanderesse et ses concurrents à cesser leurs activités. Je sympathise, mais je ne peux qu'interpréter la loi et l'appliquer. Je ne peux pas la modifier.
Je ne néglige pas non plus l'alinéa 25(2)c) de la Loi. Il envisage le paiement d'une indemnité par une province participante, en l'occurrence le Mani- toba, à des personnes dans la position des demandeurs
... lorsqu'un tel établissement ou matériel devient ou peut devenir superflu du fait d'activités que la présente Partie autorise l'Office à exercer....
ce qui, à mon sens, n'indique pas l'intention d'ac- quérir les biens matériels de la demanderesse et de ses concurrents. L'Office a créé son propre établis- sement. Si celui-ci et ses installations matérielles ont pour effet, en ce qui a trait à la production du poisson pour le marché, de rendre le matériel et l'établissement de la demanderesse superflus, alors une sorte d'indemnité limitée est envisagée. Je note que l'alinéa ne prévoit pas expressément que les personnes lésées ont absolument droit à une indemnité; on peut seulement le déduire. Toute- fois, il ne contient aucune intention ou proposition portant que la Couronne fédérale doit fournir cette indemnité. L'article autorise simplement le minis- tre fédéral à passer des accords avec les provinces participantes pour un certain nombre de choses, y compris la conclusion d'ententes par la province en vue du paiement d'une indemnité.
Le 4 juin 1969, le Canada et le Manitoba ont passé un accord, dont l'article 5 prévoit ce qui suit:
[TRADUCTION] La province s'engage à conclure les ententes nécessaires avec le propriétaire de tout établissement ou maté riel situé dans la province du Manitoba, servant à l'emmagasi- nage, à la transformation ou autre forme de préparation du poisson pour le marché, en vue du paiement d'une indemnité lorsqu'un tel établissement ou matériel devient ou peut devenir superflu du fait d'activités que la loi autorise l'Office à exercer.
Finalement, la demanderesse a invoqué la
Déclaration canadienne des droits" dont l'alinéa la) prévoit ce qui suit:
1. Il est par les présentes reconnu et déclaré que les droits de l'homme et les libertés fondamentales ci-après énoncés ont existé et continueront à exister pour tout individu au Canada quels que soient sa race, son origine nationale, sa couleur, sa religion ou son sexe:
a) le droit de l'individu à la vie, à la liberté, à la sécurité de la personne ainsi qu'à la jouissance de ses biens, et le droit de ne s'en voir privé que par l'application régulière de la loi;
L'alinéa 2e) est rédigé dans les termes suivants:
2. Toute loi du Canada, à moins qu'une loi du Parlement du Canada ne déclare expressément qu'elle s'appliquera nonobs- tant la Déclaration canadienne des droits, doit s'interpréter et s'appliquer de manière à ne pas supprimer, restreindre ou enfreindre l'un quelconque des droits ou des libertés reconnus et déclarés aux présentes, ni à en autoriser la suppression, la diminution ou la transgression, et en particulier, nulle loi du Canada ne doit s'interpréter ni s'appliquer comme
e) privant une personne du droit à une audition impartiale de sa cause, selon les principes de justice fondamentale, pour la définition de ses droits et obligations;
Me Lamont a fait un plaidoyer détaillé et minu- tieux sur l'application de ce texte législatif. Il a prétendu que la Loi sur la commercialisation du poisson d'eau douce violait le droit de la demande- resse de n'être privée de la jouissance de ses biens que par l'application régulière de la loi. Si on se place du point de vue pratique, il semble que ladite loi autorise justement cette privation. Le Parle- ment n'a pas déclaré expressément qu'elle doit s'appliquer nonobstant la Déclaration canadienne des droits. La Cour doit donc l'interpréter comme ne privant la demanderesse de ses biens que par son application régulière. Or, l'application régu- lière de la loi inclut le droit à une indemnité.
J'ai déjà conclu que la loi, lorsqu'elle est correc- tement interprétée, n'est pas censée prendre ou autoriser la mainmise sur les biens d'une personne ni priver quelqu'un ou autoriser un organisme d'État à priver quelqu'un de la jouissance de ses biens. A mon avis, on arrive raisonnablement à cette interprétation sans recourir aux principes énoncés dans la Déclaration canadienne des droits.
Je suis au regret de rejeter l'action de la demanderesse.
17 S.R.C. 1970, App. III. J'ai souligné les parties sur lesquel- les les demandeurs se fondent.
Je ne peux pas conclure sans me référer à certaines autres questions qui figurent dans la preuve et, à mon avis, ne changent pas le résultat légal.
La demanderesse et ses anciens concurrents qui, pour voir la réalité en face, ont été contraints de cesser leurs activités, se sont efforcés jusqu'au litige d'obtenir une indemnité. La province du Manitoba leur a d'abord offert $1,250 pour leur établissement et leur matériel, en vertu de l'alinéa 25(2)c), qui parle de superfluité 18 . Le 8 septembre 1972, elle leur a fait une seconde offre de $4,104, montant correspondant à 25 p. 100 de la valeur dépréciée estimative de leur matériel. La deman- deresse a refusé les deux offres, et il ne leur en a pas été fait d'autre depuis.
Le 24 janvier 1974, M. Davis, alors ministre fédéral des Pêches, a adressé aux demandeurs et aux autres entreprises du secteur, la lettre suivante:
[TRADUCTION] Ottawa (Ontario)
K1A 0H3
24 janvier 1974
Northern Lakes Fisheries Company 904-99 Wellington Crescent
Winnipeg 9 (Manitoba)
Messieurs,
Le Premier ministre m'a chargé de répondre à votre télex du 18 septembre 1973.
Je partage votre déception devant la mauvaise volonté du gouvernement du Manitoba à vous verser une indemnité com- plémentaire, ainsi qu'à vos concurrents, car vous avez été contraints de cesser toutes vos activités par suite de la création de l'Office de commercialisation du poisson d'eau douce. Je refuse d'admettre que nous ayons violé notre promesse. Vous n'ignorez certainement pas que la Loi sur la commercialisation du poisson d'eau douce a été passée à la demande des gouverne- ments provinciaux et bien qu'elle prévoie une indemnité pour les biens qui ne sont plus requis dans l'industrie, c'est aux provinces qu'il incombe de la verser. Dans un esprit coopératif, le gouvernement du Canada a offert de rembourser aux provin ces jusqu'à 50 p. 100 de ces paiements.
18 Les termes «superflu» et «superfluité» jouissent, de nos jours, d'une grande popularité. Je présume que celui qui a rédigé l'alinéa 25(2)c) avait en tête qu'en raison des activités de l'Office, les établissements et les matériels des autres exploi- tants servant à l'emmagasinage, à la transformation et à la préparation, étaient devenus superflus ou inutiles. Toutefois, en l'espèce, c'est toute l'exploitation des demandeurs qui est deve- nue «superflue», c'est-à-dire, en réalité qui a été supprimée. «Superflu» qui, au premier abord, semble être un terme un peu faible, peut embrasser des situations destructrices.
Bien qu'il ait été généralement admis que l'indemnité vise les éléments d'actif, le gouvernement est maintenant disposé à accepter, aux fins d'indemnisation, que les éléments d'actif soient évalués comme s'il s'agissait d'une entreprise en pleine activité. Le gouvernement de l'Alberta a déjà reçu des paie- ments de cet ordre.
Quant à la demande que vous nous adressez de vous aider à porter cette affaire devant les tribunaux, elle ne me paraît guère réalisable.
Comme vous le savez, j'ai déjà écrit au ministre du Manitoba responsable. Je lui ai demandé de réviser le montant de l'in- demnité et lui ai offert de partager le paiement de toute indemnité complémentaire. Il a refusé cette offre.
Veuillez agréer l'expression de mes sentiments dévoués,
Jack Davis
11 ressort de la preuve produite devant moi que la demanderesse et ses anciens concurrents ont été injustement traités. Il s'agit de citoyens et de contribuables coincés dans les différends politiques qui s'élèvent entre deux niveaux de gouverne- ment 19 , et qui ont abouti à leur suppression sur le plan économique. A mon avis, il ne peut y avoir un recours contre la Couronne fédérale et il me semble improbable qu'il y en ait un contre le gouvernement provincial. Toute indemnité serait purement ex gratia.
Mes commentaires reposent sur les éléments de preuve que j'ai devant moi. Il peut y avoir d'autres faits que je ne connais pas, mais que les gouverne- ments et les membres de l'industrie connaissent, qui seraient susceptibles de me convaincre de reve- nir sur mes critiques.
En me fondant seulement sur ce que j'ai entendu dans la salle d'audience, j'estime que la demande- resse mérite un meilleur traitement de la part de ses gouvernements. Cette cour ne peut pas changer la loi. Son rôle consiste à l'interpréter (si besoin est) et à l'appliquer. Je me suis efforcé de le faire dans la présente cause. La loi, selon moi, impose le rejet de la demande d'indemnité formulée par la demanderesse. Il ne s'ensuit pas pour autant que justice (dans la véritable acception du mot) a été faite.
Je rejette l'action. La défenderesse a droit aux dépens.
19 Par contre, en Alberta, la législature provinciale a passé une loi pertinente qui, à certains égards, complète la loi fédé- rale relative à l'indemnité pour perte d'établissement et de matériel. Elle prévoit expressément une indemnité à verser (où l'achalandage n'est pas inclus) et un appel de la décision. Voir Quality Fish Producers Ltd. c. Minister of Lands and Forests [1973] 4 W.W.R. 720 (Div. app., C.S.A.).
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