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A-397-74
Harlequin Enterprises Limited (Appelante)
c.
La Reine (Intimée)
Cour d'appel, le juge Urie, les juges suppléants MacKay et Kerr—Toronto, le 16 mars; Ottawa, le 4 avril 1977.
Impôt sur le revenu Déductions Livres invendus
retournés à l'éditeur pour crédit La réserve à ce titre
est-elle déductible? Appel Loi de l'impôt sur le revenu, S.R.C. 1952, c. 148, art. 11(1)e), 12(1)e).
L'appelante, éditeur canadien, vendait ses livres par l'inter- médiaire de distributeurs canadiens et américains. Les distribu- teurs traitaient, par l'intermédiaire des grossistes, avec les points de vente au détail ou directement avec les gros détail- lants. Des ententes conclues avec l'appelante (l'éditeur) et les distributeurs comportaient des dispositions relatives aux livres invendus ou renvoyés. Pour son année d'imposition 1969, l'ap- pelante demanda la déduction des montants suivants: (I) $125,- 000 correspondant à ses profits bruts sur les livres aux mains des grossistes canadiens au 31 décembre 1969, c.-à-d. la fin de l'exercice financier de l'appelante; (2) environ $220,000 pour les marchandises dont on pouvait escompter le renvoi aux termes des contrats de vente. Ces déductions furent rejetées par le Ministre. La Division de première instance a rejeté l'appel. L'appelant a interjeté appel à l'égard de la deuxième question.
Arrêt: l'appel est rejeté. La réserve établie constituait un »compte de prévoyance» au sens de l'article 12(1)e) et n'est donc pas déductible. L'autre prétention de l'appelante portant que ce montant devrait être déductible en vertu de l'article 11(1)e) à titre de réserve pour les créances douteuses, n'est pas justifiée par les faits, une telle réserve n'ayant jamais été constituée. Même si elle l'avait été, la déduction suggérée, représentant plus du tiers des comptes recevables ne peut être considérée comme raisonnable.
Distinction faite avec les arrêts Sinnott News Company Limited c. M.R.N. [1956] R.C.S. 433; M.R.N. c. Atlantic Engine Rebuilders Limited [1967] R.C.S. 477 et Time Motors Limited c. M.R.N. [1969] R.C.S. 501. Arrêt critiqué: Western Vinegars Limited c. M.R.N. [1938] R.C.E. 39.
APPEL en matière d'impôt sur le revenu. AVOCATS:
Ronald J. Rolls, c.r., D. A. Ward, c.r., et R.
S. Harrison pour l'appelante.
Derek Aylen, c.r., et A. Butler pour l'intimée.
PROCUREURS:
Davies, Ward & Beck, Toronto, pour l'appelante.
Le sous-procureur général du Canada pour l'intimée.
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
LE JUGE URIE: Il s'agit d'un appel d'un juge- ment de la Division de première instance' qui a rejeté avec dépens le pourvoi logé par l'appelante contre la nouvelle cotisation établie par l'intimée pour l'année d'imposition 1969. Dans sa déclara- tion d'impôt pour l'année 1969, l'appelante, entre- prise d'édition, a déduit de son revenu la somme de $125,040 titre de «bénéfices bruts sur des livres aux mains de grossistes». Cette somme, allègue- t-elle, se rapporte à des livres vendus par elle à des distributeurs, et se trouvant encore aux mains de ces derniers ou des grossistes qui les leur ont achetés à la fin de l'année d'imposition étant entendu que tous les livres invendus lui seraient retournés. La nouvelle cotisation élimine cette déduction.
Voici brièvement les faits. L'appelante commer cialise ses livres au Canada et aux États-Unis par l'intermédiaire de réseaux de distribution et les vend sur le marché de gros et le marché de vente directe. Sur le marché de gros, elle traite avec un distributeur au Canada et un aux États-Unis. Ceux-ci, à leur tour, vendent à un certain nombre de grossistes. Les grossistes traitent ensuite avec des détaillants situés sur leur territoire. Ces détail- lants à leur tour vendent aux clients de détail.
Sur le marché direct, le grossiste n'intervient pas. Le distributeur traite directement avec des détaillants importants, comme les succursales des grands magasins, lesquels vendent ensuite aux clients de détail.
La Curtis Distributing Company Limited (ci- après appelée «Curtis Canada») effectuait la distri bution au Canada sur le marché de gros et sur le marché direct en vertu d'un accord écrit en date du 22 mars 1949. Pour bien faire comprendre la question soulevée par cet appel, j'indique ci-après les dispositions les plus importantes de cet accord:
[TRADUCTION] a) «L'éditeur [l'appelante] de- meurera propriétaire desdits livres et assumera tout risque de perte jusqu'à la date de livraison aux grossistes», et
' [1974] 2 C.F. 877.
b) «Tout livre considéré comme invendable pourra être renvoyé ... Curtis aura le droit de porter au crédit de ses états mensuels le montant des renvois, au prix qui lui a été facturé pour
lesdits livres.»
On a informé la Cour que les prix d'achat des livres vendus en vertu de cet accord étaient comp- tabilisés mensuellement et payables à 60 jours. Les livres invendus n'étaient pas renvoyés. On déchi- rait leur couverture et les grossistes les renvoyaient à Curtis Canada qui établissait un bordereau de crédit et en transmettait à l'appelante une copie qui servait de facture, le montant en étant porté à l'actif de Curtis Canada et comptabilisé mensuel- lement comme le prévoyait le contrat.
La distribution sur le marché de gros américain relevait exclusivement de la Curtis Circulation Company (ci-après appelée «Curtis E.-U.») en vertu d'un accord écrit en date du 19 décembre 1968. Voici les dispositions de cet accord, qui s'appliquent au présent appel:
[TRADUCTION] (3) Harlequin convient de vendre et Curtis convient d'acheter les livres pour les revendre en conformité de cet accord .... Curtis devra acquitter le prix d'achat soixante jours après l'expédition des marchandises par Harlequin qui établira une facture mensuelle au nom de Curtis. Les livres seront expédiés et livrés par Harlequin ou ses mandataires aux grossistes ou à tout autre point de vente désigné par Curtis .... Lors de la livraison des livres achetés aux endroits désignés par Curtis, ce dernier en deviendra propriétaire.
(4) Curtis vendra lesdits livres à ses clients sous réserve du droit absolu de ces derniers de les renvoyer, selon les modalités décrites ci-après. Curtis pourra, en tout temps et sans restric tion, renvoyer les livres à Harlequin qui les portera totalement à son crédit. Curtis établira la comptabilité des crédits alloués aux clients pour le renvoi des livres invendus en délivrant des autorisations de renvoi.... Curtis portera au crédit des clients le montant des renvois, dès réception des autorisations prove- nant des clients, et Harlequin portera à son crédit les sommes créditées des clients ....
(6) Harlequin expédiera les livres à Curtis ou aux clients et dans les soixante jours dudit envoi, Curtis lui remboursera les frais y afférents. Ce paiement sera ajusté de manière à inclure les crédits au titre des renvois effectués (accordés en conformité du paragraphe 4 ci-dessus), mais non encore crédités. [C'est moi qui souligne.]
Les renvois s'effectuaient de la même façon qu'au Canada.
La distribution sur le marché direct aux É.-U. se faisait selon un processus tout à fait différent. Elle était régie par un accord conclu avec la compagnie
Simon & Schuster, Inc. (ci-après appelée «Simon & Schuster»). Il appert qu'en substance il s'agit d'une entente selon laquelle l'appelante fournissait, à Simon & Schuster les plaques et négatifs grâce auxquels cette dernière imprimait aux États-Unis les ouvrages que l'appelante devait distribuer au Canada. Des redevances devaient être payées sur les «ventes nettes», celles-ci étant définies comme correspondant aux «exemplaires expédiés par l'édi- teur (Simon & Schuster) aux succursales des grands magasins détaillants, moins les renvois.» Simon & Schuster avait «pouvoir discrétionnaire sur l'acceptation des renvois.» L'entente prévoyait également le paiement des redevances et le décompte des crédits pour le renvoi de livres.
Si je comprends bien, l'appelante ne prétend pas que le Ministre a commis une erreur de droit dans sa nouvelle cotisation en refusant la déduction de $125,040. Aucun argument semblable n'a été sou- levé en appel ou dans l'exposé des faits et du droit soumis par l'appelante. Au contraire l'appelante prétend pouvoir déduire la somme de $232,889, qui figure à son bilan de l'année se terminant le 31 décembre 1969 sous la rubrique «Réserves pour renvois ou indemnités», et qu'il a ramenée suite à une erreur de calcul à un montant approximatif de $220,000. On a effectué le calcul de cette somme en application de pourcentages fondés sur des don- nées historiques et suite à des entrevues avec les distributeurs relativement à leur expérience vérita- ble en matière de renvois et de chiffre d'affaires brut. On a considéré que cette somme représentait un estimé plus exact de la valeur des renvois à la fin d'une année d'imposition. Bien qu'elle figure au bilan de ladite année, elle n'a pas été déduite dans la déclaration d'impôt de 1969.
L'appelante prétend que:
a) on aurait permettre la déduction de $220,000 du montant de ses comptes recevables ou un titre de passif exigible, ou
b) on aurait qualifier cette somme de réserve pour créances douteuses et l'admettre en vertu
de l'article 11(1)e) 2 de la Loi de l'impôt sur le revenu en vigueur en 1969 (ci-après appelée la Loi).
Par ailleurs, selon l'intimée, le juge de première instance avait raison de dire que la déduction envisagée n'était pas permise aux termes de l'arti- cle 12(1)e) 3 de la Loi, puisqu'il s'agissait «d'un montant transféré ou crédité à . .. un compte de prévoyance ...».
Les deux parties avaient présenté les mêmes arguments lors du procès. Le savant juge de pre- mière instance a rejeté ceux de l'appelante et partageait l'opinion de l'avocat de l'intimée selon laquelle les obligations de l'appelante envers ses distributeurs en vertu du contrat conclu entre eux en ce qui concerne le remboursement des livres renvoyés était une obligation éventuelle. Il en était de même de son obligation de rembourser certaines redevances reçues du bénéficiaire de la licence Simon & Schuster pour les livres qu'il avait impri- més et distribués. Le juge s'exprime ainsi la page 894]:
Tout compte établi afin de pourvoir à ces obligations éventuel- les que ce soit sous forme d'une réserve constituée pour les renvois et les redevances dans son bilan ou d'une déduction des gains lors du calcul du revenu imposable constituait un compte de prévoyance au sens de l'article 12(1)e).
Je souscris à cette conclusion et au raisonnement par lequel le savant juge de première instance y est arrivé. Il serait inutile, à mon avis, de reprendre ce raisonnement et de l'énoncer de nouveau, en parti- culier puisque l'appelante n'a pas contesté les con clusions de fait du juge de première instance, mais
2 11. (1) Par dérogation aux alinéas a),b) et h) du paragra- phe (1) de l'article 12, les montants suivants peuvent être déduits dans le calcul du revenu d'un contribuable pour une année d'imposition:
e) un montant raisonnable à titre de réserve pour
(i) les créances douteuses qui ont été incluses dans le calcul du revenu du contribuable pour cette année ou une année antérieure, et
(ii) les créances douteuses résultant de prêts consentis dans le cours ordinaire des affaires par un contribuable, dont l'entreprise ordinaire consistait en partie à prêter de l'argent;
3 12. (1) Dans le calcul du revenu, il n'est opéré aucune déduction à l'égard
e) d'un montant transféré ou crédité à une réserve, à un compte de prévoyance ou à une caisse d'amortissement, sauf autorisation expresse de la présente Partie,
simplement l'application de la loi à ces conclu sions. Spécifiquement, je reconnais avec lui que, selon le témoignage de l'expert assigné par l'appe- lante, la pratique de cette dernière de faire des réserves aux fins des renvois est conforme aux principes comptables généralement acceptés. Cependant, le fait de la reconnaissance de la réserve comme pratique comptable n'en autorise pas pour autant la déduction aux fins de l'impôt. Les dispositions de la Loi nous indiqueront s'il s'agit ou non d'une déduction admissible. Je recon- nais que les dispositions sur les renvois sont éven- tuelles; en effet, bien que l'on sache par expérience qu'il y aura des renvois au cours de toute année d'imposition, leur nombre et leur valeur réelle ne seront déterminés qu'après réception de tous les renvois faits pendant ladite année, ce qui peut bien intervenir après la fin de celle-ci. Ainsi la réserve est comprise dans les déductions non admises de l'article 12(1)e).
La preuve appuie amplement cette conclusion. Comme on l'a dit, l'appelante a cité comme expert au procès un comptable agréé, M. Scott, pour qu'il témoigne sur les principes comptables générale- ment acceptés pour l'établissement de réserves ou autres dispositions figurant dans le bilan d'une entreprise en prévision d'événements éventuels dont il faut tenir compte dans la préparation des bilans. Au cours de son contre-interrogatoire, on lui a posé la question suivante et la réponse claire qui suit confirme mon opinion et celle du juge de première instance selon la «réserve pour les renvois et redevances», opérée par l'appelante dans son bilan, en fait une obligation éventuelle:
[TRADUCTION] Q. Non. Qu'entendez-vous par l'expression compte de prévoyance.
R. Il ne s'agit pas d'une expression très explicite. Si je devais en expliquer la signification comptable, je me reporterais aux écrits et à la pensée des comptables, ce qui me démontrerait que ces derniers distinguent trois sortes d'éventualités. Ils parlent d'éventualité lorsqu'il est diffi- cile de prévoir raisonnablement la venue d'un événement. Un exemple classique serait, je crois, lorsque, suite à une période d'inflation, la direction d'une compagnie s'in- quiète d'une chute de la Bourse et qu'elle veut parer à une baisse de l'inventaire. Pour un comptable, la seule solution serait de prévoir une réserve, soit selon ma définition, une affectation de bénéfices. Il ne peut, pen dant un certain temps, tenir compte de ce type d'éventua- lité dans le calcul de l'impôt.
A l'autre extrême, les comptables parlent d'éventualité lorsqu'ils ont de bonnes raisons de s'attendre à un événe- ment et si la base de cet événement survenait ou si l'on en tenait compte pour une année en particulier, disons l'an- née un, et qu'on ait toutefois de bonnes raisons de croire en s'appuyant sur l'expérience, que l'événement survien- dra lors d'une année subséquente et affectera le calcul du revenu de la première année, on dit alors en comptabilité qu'il faut prévoir cette éventualité dans les comptes, et la réserve pour les renvois de livres ici en serait un exemple classique.
Parmi tout cela, on trouve des situations complexes il faut prendre des décisions difficiles; parfois on rapporte ces éventualités futures envisagées, parfois on ne le fait pas; l'exigence de cette situation intermédiaire, l'exigence minimale de cette situation est d'indiquer ces éventualités au bilan, ce qui peut se répercuter sur l'entreprise. [C'est moi qui souligne.]
Relativement à la méthode de calcul du revenu employée par l'appelante dans sa déclaration et comportant la déduction d'une somme de $125,- 040, je partage l'opinion du juge de première instance la page 890] selon laquelle «on ne peut raisonnablement justifier l'élimination de l'ensem- ble de l'élément bénéfice, y compris les bénéfices imputables à environ neuf livres sur dix dont on ne prévoyait pas le renvoi [tel a été le cas, selon la preuve].» Ceci ajouté au fait que le témoin expert n'ait pas déclaré qu'au point de vue comptable on accepte généralement une telle pratique, nous amène à conclure que si ce n'est pas une prati- que comptable acceptable et si aucune disposition de la Loi ne permet une telle déduction, l'intimée a eu raison de ne pas l'admettre.
Ainsi, vu cette conclusion, il semble qu'aucune des quatre décisions sur lesquelles s'appuyait l'ap- pelante ne s'applique aux faits de l'espèce. L'avo- cat s'est d'abord fondé sur le jugement du juge Kellock dans Sinnott News Company Limited c. M.R.N. 4
Dans cette affaire, l'appelante revendiquait le droit de déduire de son revenu imposable pour une année d'imposition une «réserve» pour la perte sur les renvois représentant l'élément de bénéfice dans le prix de vente des périodiques non vendus par les commerçants à la fin de l'année d'imposition et
4 [I 956] R.C.S. 433.
susceptibles d'être renvoyés à l'appelante. Le Ministre a allégué que l'article 6(1)d) alors en vigueur, interdisait cette réserve. En fait, il s'agis- sait de la même disposition que l'article 12(1)e) qui nous intéresse ici.
Le juge Kellock a jugé que la vente des périodi- ques n'était pas soumise à la condition «vente ou retour» au sens de la Règle 4 de l'article 19 de The Sale of Goods Act (Ontario), parce qu'à son avis, le titre de propriété est transmis aux détaillants au moment de la livraison des périodiques. Cepen- dant, il a conclu qu'il s'agissait de ventes «sous réserve d'une condition résolutoire» ce qui signifie qu'en cas de renvoi, la propriété des livres était rétrocédée à l'appelante. Ainsi, il a déclaré que l'appelante n'avait pas le droit d'établir une «réserve» pour les bénéfices comme elle l'a fait. Ce qu'elle pouvait faire, c'est, dit-il la page 438]: [TRADUCTION] «déduire la valeur estimative des ventes elles-mêmes, sous réserve cependant d'un ajustement dans l'année desdits renvois, lors de la détermination du chiffre réel à l'expiration de la période de trois mois.» En conséquence il a fait droit à l'appel, mais pour des motifs différents de ceux avancés par l'appelante.
Par ailleurs, c'est pour d'autres motifs que la majorité de la Cour a fait droit à l'appel. Au nom de la majorité, le juge Locke a déclaré qu'en l'espèce le titre de propriété des périodiques n'était pas transféré à l'acheteur et que les livraisons étaient faites sous une condition de «vente ou retour». Bien que, comme on l'a dit, la constitution d'une réserve ne menait pas au but désiré, l'appe- lante pouvait déduire du total de ses ventes toute somme relative aux périodiques livrés et invendus, se trouvant encore aux mains des détaillants à la fin de l'année d'imposition.
Respectueusement, je dirai que les faits sont différents en l'espèce. L'entente écrite prévoit expressément et implicitement la cession des titres relativement aux livres distribués aux grossistes et aux détaillants. Les procédures comptables de l'ap- pelante reflètent bien ces ententes. Si je comprends bien, il s'agissait manifestement de vente à forfait et l'appelante devait racheter tous les livres que les distributeurs renverraient. Donc il ne s'agissait pas de vente en consignation ni de vente sous condition de «vente ou retour», puisque le titre avait été transféré aux acheteurs avant tout renvoi. Il
importe peu, je crois, que l'on détermine si ces ventes étaient «sujettes à une condition résolutoire» car, même si l'on considère l'obligation de racheter comme une condition résolutoire ici, il s'agit d'une obligation contingente au sens de l'article 12(1)e). Le juge Kellock n'a pas conclu qu'il s'agissait d'une obligation contingente au sens de l'article 6(1)d), l'ancêtre de l'article 12(1)e). Il a jugé que la «valeur estimative des ventes» était bien déducti- ble des ventes brutes pendant l'année d'imposition. Ainsi cette affaire se distingue de la première, que son fondement soit celui sur lequel s'est appuyée la majorité ou celui sur lequel s'est appuyé le juge Kellock pour rendre jugement.
Je partage également l'avis du juge de première instance selon lequel les décisions de la Cour suprême du Canada M.R.N. c. Atlantic Engine Rebuilders Limited 5 et Time Motors Limited c. M.R.N. 6 reposent sur des faits différents. Dans chacune de ces affaires, il existait des obligations courantes déterminées, contrairement à la présente affaire aucune obligation de ce genre n'existe à moins que les détaillants n'exercent leur droit de renvoyer les livres invendus, et jusqu'au dit renvoi.
En ce qui concerne la décision Western Vinegars Limited c. M.R.N.', sur laquelle s'appuie en grande partie l'appelante, le juge Thorson a mis en doute son bien-fondé dans Kenneth B. S. Robert- son Limited c. M.R.N. s et je partage son opinion. Dans l'affaire Western Vinegars, l'appelante avait vendu ses produits en barils et en barillets et facturait la valeur de ceux-ci à son client en sus du prix du contenu. Le client pouvait renvoyer les contenants, et s'ils étaient en bon état, le montant facturé à ce titre lui était crédité. On remettait le prix coûtant des contenants ainsi renvoyés dans l'inventaire de la compagnie. L'appelante préten- dait en l'espèce que le renvoi des livres et celui des contenants impliquaient les mêmes éléments. Aux pages 45-6 de son rapport, le juge Angers déclare:
5 [ 1967] R.C.S. 477.
6 [ 1969] R.C.S. 501.
' [1938] R.C.É. 39.
8 [1944] R.C.É. 170à la page 178.
[TRADucTtoN] Les profits sur les contenants ne sont pas, à mon avis, une réserve proprement dite; et la perte de ces profits, sur le retour des contenants, n'est pas seulement une éventualité mais une certitude. La seule chose incertaine est la quantité de contenants qui sera retournée et le moment de leur retour' Je crois qu'une déduction doit être faite pour les contenants renvoyés. Si aucune déduction n'était faite, cela signifierait que l'appelante devrait payer impôt sur des bénéfices non réalisés. Je ne crois pas que telle était l'intention du législateur en adoptant l'alinéa 6(1)d).
En l'espèce on ne peut dire «que l'appelante devrait payer impôt sur des bénéfices non réalisés.» En fait, si je comprends bien, au moment des renvois, on déduisait le prix d'achat du montant brut des ventes pour déterminer le bénéfice brut. Si, vers la fin de l'année d'imposition, certains livres vendus par l'appelante sont sujets à renvoi par le distributeur, il y a un élément incertain dans le montant brut des ventes lequel, une fois déter- miné, serait déductible pour l'année d'imposition ont été effectués les renvois, sous forme de crédit aux distributeurs. Lorsque cela est fait, les bénéfices bruts et donc les bénéfices imposables pourraient être proportionnellement réduits cette année-là.
Cette méthode de comptabilité pour les renvois (mise à part la question de l'utilité de faire une réserve dans les comptes, en prévision des renvois, pour l'information de la compagnie, ce dont on a déjà parlé) s'accorde non seulement avec une bonne pratique comptable, mais aussi avec la règle générale voulant que les bénéfices soient taxés l'année même ils sont reçus et les pertes suppor- tées l'année même elles sont réclamées. Ceci étant, nous croyons que l'affaire Western Vinegars se distingue dans les faits et sinon, à notre avis la décision rendue est mal fondée. De toute façon, elle ne lie pas la Cour.
L'appelante prétend en outre que, si la réserve pour les renvois n'est pas déductible, elle devrait être traitée comme une réserve pour les créances douteuses et être alors déduite en vertu de l'article 11(1)e)(i) de la Loi; cette prétention n'est pas fondée. Pour les motifs donnés par le premier juge, je ne peux accepter cette allégation. Si je com- prends bien, il n'y a pas eu de comptes non encais- sables entre l'appelante et Curtis Canada, Curtis E.-U. ou Simon & Schuster. Ainsi, dans les faits,
rien ne justifiait l'établissement d'une réserve pour créances douteuses et jamais une telle réserve n'a été constituée. Même si elle l'avait été, il est évident que lorsque le bilan de 1969 montre un total de comptes recevables de $616,538 et suggère de faire une réserve pour le tiers de cette somme, soit $220,000, une telle réserve ne tient nullement compte de la situation entre débiteurs et créancier et ne peut être considéré comme une réserve rai- sonnable dont la déduction serait permise aux termes de l'article 11(1)e)(i).
Donc, pour tous ces motifs, l'appel doit être rejeté.
* * *
LE JUGE SUPPLÉANT KERR: J'y souscris.
* * *
LE JUGE SUPPLÉANT MACKAY: Je souscris aux motifs et conclusions de mon collègue le juge Urie.
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