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A-367-76
B. Keith Penner, Norman Cafik, Harry Assad et Northwestern Ontario Municipal Association (Requérants)
c.
La Commission de délimitation des circonscrip- tions électorales pour l'Ontario et le Commissaire à la représentation pour le Canada (Intimés)
Cour d'appel, le juge en chef Jackett, les juges Pratte et Ryan—Ottawa, les 22, 23 et 24 décem- bre 1976.
Compétence—Demande d'examen et d'annulation du rap port de la Commission de délimitation des circonscriptions électorales pour l'Ontario—Les recommandations contenues au rapport sont-elles «justifiées par un motif à cet effet»?— Décision finale du gouverneur en conseil—La Cour n'a pas compétence pour examiner une décision du gouverneur en conseil—Loi sur la Cour fédérale, art. 28(1),(6)—Loi sur la revision des limites des circonscriptions électorales, S.R.C. 1970, c. E-2, art. 3, 12, 17 23 et dans sa forme modifiée par S.C. 1974-75-76, c. 10, art. 1.
Les requérants ont présenté, conformément à l'article 28 de la Loi sur la Cour fédérale, une demande d'examen et d'annu- lation relative au rapport de la Commission de délimitation des circonscriptions électorales pour l'Ontario, établi le 13 mai 1976. Le rapport a été établi en vertu de la Loi sur la revision des limites des circonscriptions électorales, laquelle a pour objet la redistribution des circonscriptions fédérales après chaque recensement décennal. Le moyen invoqué est que les recommandations ne sont pas «justifiées par un motif à cet effet», comme le requiert la modification apportée à la Loi sur la revision des limites des circonscriptions électorales, S.C. 1974-75-76, c. 10, art. 1.
Arrêt: la demande est rejetée. Le rapport constitue unique- ment une étape, parmi une série d'autres, qui aboutit à l'obliga- tion et au pouvoir que la loi confie au gouverneur en conseil de rendre une ordonnance ayant pour effet de donner force de loi à quelque chose d'autre. Le gouverneur en conseil doit, avant de rendre une telle ordonnance, décider si ces étapes ont été franchies conformément à la loi, et cette Cour ne peut pas rendre une ordonnance annulant une décision ou une ordon- nance du gouverneur en conseil en vertu de l'article 28(6) de la Loi sur la Cour fédérale.
DEMANDE d'examen judiciaire. AVOCATS:
John D. Richard et George E. Fisk pour les requérants.
A. T. Hewitt, c.r., et Peter R. Hughes pour les intimés.
PROCUREURS:
Gowling & Henderson, Ottawa, pour les requérants.
Hewitt, Hewitt, Nesbitt, Reid, McDonald & Tierney, Ottawa, pour les intimés.
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus à l'audience par
LE JUGE EN CHEF JACKETT: Il s'agit d'une demande introduite en vertu de l'article 28 1 , ten- dant à l'annulation de ce qui y est décrit comme [TRADUCTION] «une décision ou ordonnance inti- tulée Rapport de la commission de délimitation des circonscriptions électorales pour l'Ontario rendue le 13 mai 1976».
Le rapport en question a été établi en vertu de la Loi sur la revision des limites des circonscriptions électorales 2 laquelle a pour objet la redistribution des circonscriptions fédérales après chaque recen- sement décennal moyennant une procédure dont les étapes générales, pour les besoins de l'espèce, peuvent être décrites comme suit:
(1) une commission est établie pour chaque pro vince pour «enquêter ... faire rapport sur la revision de la représentation des provinces à la Chambre des communes, qui doit être faite dès l'achèvement d'un semblable recensement» (arti- cle 3);
L'article 28(1) de la Loi sur la Cour fédérale prescrit: 28. (1) Nonobstant l'article 18 ou les dispositions de toute autre loi, la Cour d'appel a compétence pour entendre et juger une demande d'examen et d'annulation d'une décision ou ordonnance, autre qu'une décision ou ordonnance de nature administrative qui n'est pas légalement soumise à un processus judiciaire ou quasi judiciaire, rendue par un office, une commission ou un autre tribunal fédéral ou à l'occasion de procédures devant un office, une commission ou un autre tribunal fédéral, au motif que l'office, la commission ou le tribunal
a) n'a pas observé un principe de justice naturelle ou a autrement excédé ou refusé d'exercer sa compétence;
b) a rendu une décision ou une ordonnance entachée d'une erreur de droit, que l'erreur ressorte ou non à la lecture du dossier; ou
c) a fondé sa décision ou son ordonnance sur une conclu sion de fait erronée, tirée de façon absurde ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance. 2 S.R.C. 1970, c. E-2.
(2) après que le commissaire à la représenta- tion 3 a publié le nombre de membres attribués à chaque province à la suite du recensement, la commission pour la province doit préparer un «rapport» renfermant ses «recommandations» concernant
a) le partage de la province en circonscrip- tions électorales et
b) la description des limites de ces circons- criptions, leur représentation et le nom à leur attribuer (article 12);
mais, «avant de compléter son rapport», elle doit tenir au moins une séance pour entendre les observations que les personnes intéressées dési- rent formuler (article 17(1)). Un préavis de 30 jours doit précéder la «séance» (article 17(2)) par une annonce contenant
a) une carte ou un dessin, qu'a préparé la commission montrant le partage projeté indi- quant la représentation et le nom qu'on pro- jette de donner, et
b) une annexe révélant les limites proposées de chaque circonscription (article 17(3));
(3) Chaque rapport de la commission, qui doit être complété dans le délai d'un an, doit être transmis au commissaire à la représentation (article 18);
(4) Sur réception du rapport d'une commission, le commissaire à la représentation doit en faire tenir un exemplaire à l'Orateur de la Chambre des communes (article 19(1));
(5) Sur réception de l'exemplaire du rapport d'une commission, l'Orateur doit le faire déposer à la Chambre ou le faire publier dans la Gazette du Canada et, dans ce dernier cas, un exem- plaire du numéro en question de la Gazette doit être envoyé à chaque membre de la Chambre représentant les circonscriptions électorales de la province intéressée (article 19);
(6) Dans un certain délai, une motion contenant une opposition à certaines recommandations du rapport et signée par au moins dix membres de la Chambre, peut être adressée à l'Orateur; dans ce cas, la Chambre «doit ... être saisie de la motion et étudier le sujet sur lequel est fondée l'opposition» (article 20);
3 Voir Loi sur le commissaire à la représentation, S.R.C. 1970, c. R-6.
(7) Quand une opposition a été ainsi étudiée par la Chambre, l'Orateur doit retourner au com- missaire à la représentation le rapport ainsi qu'un exemplaire de l'opposition et un exem- plaire des Débats de la Chambre qui y a trait «pour que la commission l'étudie de nouveau en tenant compte de l'opposition»;
(8) Dans les trente jours qui suivent la date le rapport est renvoyé, la commission doit «étu- dier le bien-fondé de l'opposition et en décider» (article 21(1) );
(9) Dès qu'il a été statué sur l'opposition par la commission, «un exemplaire certifié du rapport de la commission, avec ou sans modification selon que l'exige la décision rendue à l'égard de l'opposition» doit être retourné à l'Orateur par le commissaire à la représentation (article 21(1)). L'Orateur doit attirer l'attention des membres en déposant l'exemplaire du rapport à la Cham- bre ou autrement, de la même manière prévu pour le dépôt du rapport initial (article 21(2));
(10) Après que les dix rapports ont fait l'objet de la procédure précitée, le commissaire à la représentation doit préparer et transmettre au secrétaire d'État un «projet d'ordonnance» (appelé «ordonnance de représentation») qui doit
a) préciser le nombre de membres qui doivent être élus pour chacune des provinces «selon que l'a calculé le commissaire à la représenta- tion ...» et
b) diviser chacune des provinces en circons- criptions électorales, décrire les limites de chacune de ces circonscriptions et préciser la représentation et le nom qui doivent lui être attribués, «conformément aux recommanda- tions formulées dans les rapports ...» (article 22);
(11) Dans les cinq jours qui suivent la date à laquelle le secrétaire d'État a reçu le projet d'ordonnance, «le gouverneur en conseil doit, par proclamation, déclarer que le projet d'ordon- nance de représentation est en vigueur à comp- ter de la dissolution du Parlement alors existant ... et, dès sa promulgation, l'ordonnance a, en
conséquence, force de loi» (article 23). 4
La Loi sur la revision des limites des circonscrip- tions électorales a été modifiée par le chapitre 10 des Statuts de 1974-75-76, qui y a inséré notam- ment les définitions suivantes:
«recommandation», relativement à une recommandation indi- quée dans un rapport, désigne une recommandation justifiée par un motif à cet effet;
«rapport» désigne un rapport d'une commission, toute annonce publiée dans un journal aux termes du paragraphe 17(3) et dans la Gazette du Canada comme l'exigent les dispositions de la présente loi et les recommandations qui y sont indiquées;
En l'espèce, ce qui est attaqué est décrit dans la demande introduite en vertu de l'article 28 comme étant le rapport établi par la commission pour l'Ontario le 13 mai 1976 et le moyen invoqué est que les recommandations qui y sont contenues ne sont pas «justifiées par un motif à cet effet». Si je comprends bien le dossier, les faits sont les suivants:
a) avant de tenir ses audiences, la commission pour l'Ontario a bien publié les annonces exigées par l'article 17(3) dans lesquelles elle a indiqué le partage projeté de la province ainsi que les motifs sous le titre «motifs pour les limites initia- les proposées»;
b) après les audiences, la commission a apporté certains changements au partage projeté de la province tel qu'annoncé mais, par ailleurs, a utilisé dans son rapport établi en vertu de l'arti- cle 18, le texte de l'annonce (y compris les motifs et leur titre qui y sont mentionnés) et
c) la commission, après le renvoi de son rapport ainsi que de l'opposition et des Débats de la Chambre, a apporté certains changements à la description des circonscriptions et les a renvoyés, avec son rapport initial au commissaire à la représentation, les présentant comme sa décision sur la question en vertu de l'article 21(1).
Sur la base de ces faits, je ne suis pas convaincu que l'argument selon lequel le rapport de la com mission n'était pas justifié par des motifs doive être accepté comme un moyen suffisant pour l'an-
4 L'article 23 doit être lu en regard de l'article 17(2) de la Loi d'interprétation, S.R.C. 1970, c. I-23, laquelle dispose que «Lorsque le gouverneur général est autorisé à lancer une procla mation, cette dernière doit s'entendre comme étant une procla mation lancée aux termes d'un décret du gouverneur en con- seil...».
nuler en vertu de l'article 28 de la Loi sur la Cour fédérale. Il me semble qu'il n'est pas possible de dire que des «motifs» avancés par un groupe de personnes pour justifier leurs recommandations ne sont pas satisfaisants parce qu'une autre personne ou un autre groupe de personnes (dans lequel j'inclus un groupe de juges) considère que les motifs donnés ne démontrent pas que les recom- mandations sont «justes, exactes et appropriées». 5 A mon avis, dans ce contexte, une recommanda- tion doit être considérée comme «justifiée par un motif à cet effet» si quelque chose est «employée comme argument» 6 pour le justifier. Selon cette opinion, des motifs doivent être acceptés en tant que tels sans tenir compte de leur bien-fondé selon le jugement des personnes qui reçoivent les recom- mandations. A moins qu'on puisse dire que ce qui est décrit comme «motifs» est un simple trompe- l'oeil, je ne crois pas qu'on puisse soutenir que ce ne sont pas du tout des motifs. A cet égard, je me demande si l'absence de tout motif, devant l'écono- mie très spéciale de cette loi, entraînerait la nullité d'un «rapport». En d'autres termes, quand je pense à l'effet désappointant de considérer les motifs comme obligatoires, je ne suis pas convaincu que la loi doive être interprétée comme impliquant que l'exigence de fournir des motifs constitue une obli gation et non simplement une directive.
Toutefois, il n'est pas nécessaire d'exprimer une opinion finale sur cet aspect de la question. En supposant, comme je le fais, que la demande intro- duite en vertu de l'article 28 tend à l'annulation du rapport initial dans sa forme modifiée par le rap port du 13 mai 1976, elle ne constitue pas, selon moi, «une décision ou une ordonnance» relevant du champ d'application de l'article 28(1) de la Loi sur la Cour fédérale. Le rapport constitue uniquement une étape, parmi une série d'autres, qui aboutit à l'obligation et au pouvoir que la loi confie au ;, gouverneur en conseil de rendre une ordonnance ayant pour effet de donner force de loi à quelque chose d'autre. Selon moi, le gouverneur en conseil doit, avant de rendre une telle ordonnance, décider si ces étapes ont été franchies conformément à la
Comparer le sens de «justification» dans The Shorter Oxford English Dictionary [TRADUCTION] «Action de justifier ou de montrer que quelque chose est juste, exacte et appropriée».
6 Comparer le sens de [TRADUCTION] «motif» dans le même dictionnaire, [TRADUCTION] «Déclaration d'un fait (réel ou supposé) employé comme argument pour justifier ... une action».
loi. Cette Cour ne peut pas, en vertu de l'article 28(1) de la Loi sur la Cour fédérale, rendre une ordonnance annulant une décision ou une ordon- nance du gouverneur en conseil (article 28(6) de la Loi sur la Cour fédérale'). Si cette Cour n'est pas compétente pour annuler directement la décision ou l'ordonnance du gouverneur en conseil, elle ne peut pas, à mon avis, le faire indirectement en annulant une «décision» qui n'a pas d'autre effet sur le plan légal que celui de constituer une condi tion préalable à l'obligation et au pouvoir du gou- verneur en conseil de rendre la décision ou l'ordon- nance qui a un effet juridique.
Selon moi et pour les motifs précités, cette Cour n'est pas compétente pour statuer sur l'objet de la demande introduite en vertu de l'article 28 et cette demande doit, en conséquence, être rejetée. Par- tant, il n'est pas nécessaire d'exprimer une opinion au sujet des autres moyens d'opposition soulevés par les intimés contre la demande introduite en vertu de l'article 28.
* * *
LE JUGE PRATTE est d'accord sur la question de compétence.
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LE JUGE RYAN est d'accord sur la question de compétence.
L'article 28(6) de la Loi sur la Cour fédérale prescrit: (6) Nonobstant le paragraphe (1), aucune procédure ne doit être instituée sous son régime relativement à une déci- sion ou ordonnance du gouverneur en conseil, du conseil du Trésor, d'une cour supérieure ou de la Commission d'appel des pensions ou relativement à une procédure pour une infraction militaire en vertu de la Loi sur la défense nationale.
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