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T-3943-75
Canadien Pacifique Limitée (Demanderesse)
c.
Travailleurs unis des transports (Défendeur)
Division de première instance, le juge Dubé— Ottawa, les 23, 24 et 25 mars et le 1" avril 1977.
Compétence Relations de travail Les termes de la décision arbitrale du 8 janvier 1975 font-ils partie de la convention collective en vigueur? La Cour peut-elle réviser la décision de l'arbitre? Loi de 1973 sur le maintien de l'exploitation des chemins de fer, S.C. 1973-74, c. 32, art. 13(2),(3), 16(1),(4) Code canadien du travail, S.R.C. 1970, c. L-1, dans sa forme modifiée par S.C. 1972, c. 18, art. 107, 155, 156, 157, 159 Loi sur la Cour fédérale, art. 23.
L'action de la demanderesse C.P. vise à obtenir un jugement déclarant qu'une décision arbitrale en date du 8 janvier 1975 (relative à une proposition de la demanderesse de réduire de deux à un le nombre des serre-freins sur les trains de marchan- dises) fait partie de la convention collective en vigueur entre C.P. et le syndicat défendeur. Deux conventions collectives conclues entre les parties le 25 juin 1971, pour les régions de l'Est et de l'Ouest, ont expiré le 31 décembre 1972. Leur révision a fait l'objet d'un rapport de conciliation adressé au ministre du Travail, le 24 août 1973. A cause d'une grève d'autres employés de chemins de fer au cours de cette année-là, le Parlement a adopté la Loi de 1973 sur le maintien de l'exploitation des chemins de fer qui a prolongé les conventions collectives de manière à y inclure la période allant du l"janvier 1973 au 31 décembre 1974, ou à la date d'entrée en vigueur des nouvelles conventions, si cette dernière date est antérieure à l'autre, et qui a prévu la nomination d'un arbitre pour résoudre les points litigieux.
L'arbitre a été nommé le 13 septembre 1973. Après son rapport préliminaire du 16 janvier 1974, les parties ont conclu des conventions collectives qui expiraient le 16 décembre 1974, mais laissaient à l'arbitre le soin de trancher, entre autres, la question de .composition de l'équipe». L'arbitre a rendu sa décision sur cette question le 3 décembre 1974, mais elle n'a été publiée que le 8 janvier 1975. La Cour d'appel a rejeté une demande formulée par le Syndicat en vertu de l'article 28 aux fins d'examiner et d'annuler la décision; elle a donné comme motif que c'était une question purement théorique car l'effet de la décision était épuisé. Depuis ce temps, les parties ont conclu d'autres conventions collectives pour la période du 1" janvier 1976 au 31 décembre 1977. Elles ne révisent ni ne mentionnent la question de »composition de l'équipe». La demanderesse soutient qu'elle fait partie de la convention col lective en vigueur.
Arrêt: l'action est rejetée. La Cour n'a pas compétence pour interpréter la convention collective, ce qui ne peut se faire que par la voie des mécanismes prévus dans la convention interve- nue entre les parties et le Code canadien du travail. Depuis l'arrêt de la Cour suprême dans McNamara Construction (Western) Ltd. c. La Reine, il est clair que la Cour fédérale est incompétente pour accorder un redressement dans un contrat à moins qu'il ne soit réclamé en vertu d'une loi fédérale existante
et applicable. L'article 23 de la Loi sur la Cour fédérale prévoit que la Cour a compétence sauf si cette compétence «a par ailleurs fait l'objet d'une attribution spéciale». L'article 155 du Code canadien du travail prévoit le règlement .par voie d'arbi- trage ou autrement», et les parties ont convenu d'aller en arbitrage. L'arbitre n'est pas un office créé par la loi et n'est pas sujet à révision par voie de certiorari quand les parties ont convenu de régler le différend par voie d'arbitrage et non «autrement».
Arrêts appliqués: Canadien Pacifique Ltée c. Quebec North Shore Paper Co. (1976) 9 N.R. 471; McNamara Construction (Western) Ltd. c. La Reine (1977) 13 N.R. 181; Howe Sound Company c. International Union of Mine, Mill and Smelter Workers (Canada), Local 663 [1962] R.C.S. 318 et Port Arthur Shipbuilding Company c. Arthurs [1969] R.C.S. 85.
ACTION en jugement déclaratoire. AVOCATS:
C. R. O. Munro, c.r., et T. Maloney pour la demanderesse.
M. W. Wright, c.r., et J. L. Shields pour le défendeur.
PROCUREURS:
Contentieux du Canadien Pacifique, Mont- réal, pour la demanderesse.
Soloway, Wright, Houston, Greenberg, O'Grady & Morin, Ottawa, pour le défendeur.
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
LE JUGE Mme: Il s'agit ici d'une action visant à obtenir un jugement déclarant que les termes de la décision rendue par l'honorable Emmett M. Hall, le 8 janvier 1975, propos de la «composition de l'équipe» font partie de la convention collective en vigueur entre les deux parties sur les modalités d'emploi du personnel d'un train. Cette question se ramène grosso modo à la proposition faite par la compagnie de chemins de fer demanderesse de réduire de deux à un le nombre des serre-freins, c'est-à-dire, dans certaines circonstances de faire marcher des trains de marchandises sans la pré- sence d'un second serre-frein dans le fourgon.
Le 25 juin 1971, la demanderesse (ci-après appelée «C.P.R.») et le syndicat défendeur (ci- après appelé «le Syndicat») ont passé deux conven tions collectives, l'une pour les régions de l'Atlanti- que et de l'Est, et l'autre pour les régions du
Pacifique et des Prairies, toutes deux identiques en leurs principaux points sur les modalités d'emploi du personnel de train de C.P.R. Les conventions ont expiré le 31 décembre 1972. Après cette date, leur révision a fait l'objet de procédures devant une commission de conciliation qui a fait rapport au ministre du Travail, le 24 août 1973. Au cours de l'année, certains employés de C.P.R. (mais pas le personnel de train) ont débrayé et interrompu l'exploitation des chemins de fer.
Le 2 septembre 1973, le Parlement a adopté la Loi de 1973 sur le maintien de l'exploitation des chemins de fer' (ci-après appelée «la Loi»), afin d'assurer la reprise des opérations ferroviaires du Canada. Le préambule déclarait «indispensable ... de reprendre immédiatement l'exploitation des
chemins de fer et de prévoir . la reprise des procédures de négociation et de médiation ainsi que le règlement définitif des conditions d'emploi pour les années 1973 et 1974».
En vertu des Parties III et IV de la Loi, les conventions collectives ont été prolongées de manière à inclure la période allant du 1°" janvier 1973 la date d'entrée en vigueur des nouvelles conventions ou au 31 décembre 1974, si cette dernière date est antérieure à l'autre (paragraphe 13(2)). Sur la recommandation du ministre du Travail, le gouverneur en conseil a été autorisé à nommer un arbitre (paragraphe 16(1)). Si l'arbi- tre tranchait une question non encore réglée entre les parties, la convention collective était réputée modifiée par l'incorporation de cette décision dans ladite convention et la convention ainsi modifiée constituait dès lors une nouvelle convention en vigueur pendant la période prenant fin au plus tôt le 31 décembre 1974 (paragraphe 16(4)).
L'arbitre a été nommé le 13 septembre 1973 et a entendu les parties sur la question de «composition de l'équipe» et autres points litigieux. Dans son premier rapport du 16 janvier 1974, il leur a recommandé de prendre certaines mesures prélimi- naires avant le 30 juin 1974; après quoi, il enten- drait d'autres représentations et prendrait une décision concernant «la composition de l'équipe».
Le 1" février 1974 les parties ont passé une convention collective révisant la convention affé- rente au personnel de train, qui devait rester en
' S.C. 1973-74, c. 32.
vigueur jusqu'au 31 décembre 1974 et ensuite jusqu'à sa révision ou son remplacement. La nou- velle convention contenait cette clause:
[TRADUCTION] Réduction de l'équipe dans toutes les catégories de services de marchandises
La demande de la Compagnie (réduction de l'équipe dans toutes les catégories de services de marchandises) doit être réglée de la manière spécifiée dans le rapport de l'arbitre (arbitrage des chemins de fer 1973) en date du 16 janvier 1974.
Au cours de l'interrogatoire préalable tenu pour la présente instance, le 26 novembre 1976, on a demandé à un agent du Syndicat, George McDe- vitt, si la convention du l er février 1974 donnait [TRADUCTION] «effet à la décision arbitrale rendue le 16 janvier 1974 par M. Hall, dans la mesure elle touchait les employés itinérants de C.P. Rail représentés par les Travailleurs unis des transports». Il a répondu affirmativement.
En juillet et août 1974, l'arbitre a entendu d'au- tres représentations sur la «composition de l'équipe». Le 3 décembre, il a pris une décision sur les quatre affaires consignées dans son premier rapport, notamment sur la «composition de l'équipe» et a signé une décision arbitrale à ce sujet, qu'il a envoyée au ministère du Travail. A ce moment-là, ou vers ce moment-là, un fonctionnaire du ministère a informé les agents du Syndicat que la décision était plus favorable à C.P.R. qu'au Syndicat.
Le Syndicat était alors en train de procéder auprès de ses membres à un référendum au scrutin secret dans tout le Canada concernant la ratifica tion de la nouvelle convention collective. Un agent du Syndicat a fait part à l'arbitre et à un fonction- naire du ministère de ses craintes que la publica tion d'une décision défavorable juste à ce Moment-là. ait une influence malheureuse sur le résultat du vote, risque qui pourrait être évité en repoussant ladite publication de quelques jours, c'est-à-dire jusqu'à ce que le scrutin soit achevé. L'arbitre et le ministère ont alors décidé de scinder la décision en deux parties: 1) les trois autres points litigieux qui devraient être rapportés en temps opportun et 2) la «composition de l'équipe» qui serait publiée au début de l'année suivante. En fait, elle a été publiée le 8 janvier 1975 et porte cette date.
Peu après, le 16 janvier, le Syndicat a saisi la Cour d'appel fédérale en vertu de l'article 28 de la
Loi sur la Cour fédérale, en lui demandant d'exa- miner et d'annuler la décision arbitrale afférente à la «composition de l'équipe». Le Syndicat n'a pas fait valoir que ladite décision était publiée après le 31 décembre 1974; mais, le second jour de l'ins- tance dans sa réponse à l'avocat du Syndicat, la Cour ex proprio motu s'est exprimée dans les termes suivants 2 :
[TRADUCTION] La Cour n'a pas l'impression que la décision arbitrale attaquée dans les présentes procédures ait une inci dence sur l'exploitation des chemins de fer ou sur les conven tions collectives y afférentes postérieures à la fin de 1974. Son effet, si elle en a eu un, semble épuisé. La Cour n'est donc nullement convaincue que les points litigieux soulevés soient autres que purement théoriques et qu'elle puisse y apporter un quelconque redressement.
Sur ce, l'avocat du Syndicat, après avoir demandé et obtenu un ajournement, a porté l'af- faire à l'attention de l'arbitre. Il y a eu consulta tion entre les avocats des deux parties et une autre audience, le 3 septembre 1975, l'avocat de C.P.R., avec l'accord de celui du Syndicat, a tenté de déposer plusieurs documents. La Cour a refusé de les admettre en observant à nouveau que les points litigieux étaient théoriques et a invité l'avo- cat du Syndicat à faire connaître sa position sur ce point. Celui-ci a accepté que sa demande soit rejetée et elle l'a effectivement été. Les deux par ties ont tout reconnu dans leur exposé conjoint des faits.
Et maintenant, retournons au 11 décembre 1974. A cette date, les deux parties ont passé une convention collective révisant les conventions pré- cédentes, qui est entrée en vigueur le 1°" janvier 1975 et devait le demeurer au moins jusqu'au 31 décembre 1975.
Et, pour compléter la série des événements, le 21 juillet 1976, les parties ont passé deux autres conventions collectives pour la période du 1" jan- vier 1976 au 31 décembre 1977.
Les conventions du 21 juillet 1976, pas plus que celles du 11 décembre 1974, n'ont révisé les termes des conventions précédentes quant à la «composi- tion de l'équipe». Ces documents n'y font aucune allusion.
En l'occurrence, il convient de noter, simple- ment pour régler la question, qu'un projet de
2 du greffe A-15-75, le 9 juillet 1975.
règlement a été adopté par les deux parties, le 7 novembre 1974, entre les chemins de fer (y com- pris C.P.R.) et les syndicats des chemins de fer associés (y compris le Syndicat), qui incluait la clause selon laquelle [TRADUCTION] des change- ments précédents règlent pleinement toutes les demandes ... et toutes les autres questions en litige à la date de la signature de ce projet de règlement». Le Syndicat a invoqué cette clause dans son exposé de défense, mais il l'a rattaché seulement aux questions en litige communes à tous les chemins de fer et à tous les syndicats, et non pas à celle de la «composition de l'équipe», point litigieux qui ne concerne que C.P.R. et le Syndicat.
La question se résume ainsi: la décision de l'ar- bitre concernant la «composition de l'équipe» fait- elle ou non partie de la convention collective en vigueur?
C.P.R. prétend que oui, en vertu de la conven tion du ler février 1974 qui lie les deux parties et que les conventions subséquentes n'ont pas révisée, y compris celle qui est actuellement en vigueur, et en vertu du paragraphe 16(4) de la Loi de 1973 sur le maintien de l'exploitation des chemins de fer, dont voici le libellé:
16. (4) S'il est nommé un arbitre en vertu du paragraphe (1) et que l'arbitre tranche une question non encore réglée, au moment de sa décision, entre les parties à une convention collective visée par la Partie I, II ou III, selon le cas, cette convention collective est réputée modifiée par l'incorporation de cette décision dans ladite convention et la convention collective ainsi modifiée constitue dès lors une nouvelle convention collet five modifiant ou révisant la convention collective visée par la Partie I, II ou III, selon le cas, qui est en vigueur pendant la période prenant fin au plus tôt le 31 décembre 1974 que l'arbitre peut fixer.
La demanderesse affirme qu'un arbitre a bien été nommé et qu'il a tranché la question de la «composition de l'équipe». Donc, la convention du 1 n février 1974 et ses révisions subséquentes ont introduit sa décision, qui lie encore aujourd'hui les deux parties. En outre, le Syndicat a admis, à l'interrogatoire préalable, que la convention don- nait effet à la décision arbitrale.
Dans son premier moyen de défense, l'avocat de la défenderesse prétend que cette cour est incom- pétente pour régler la question. Le savant avocat a déjà lancé une attaque à ce sujet par voie de requête en radiation de la déclaration de la deman- deresse, requête que mon collègue Cattanach a
rejeté sans motifs écrits. La Cour d'appel a con firmé sa décision et le juge Heald, qui a prononcé le jugement non publié de la Cour, dit aux pages 4 et 5 de ses motifs':
[TRADUCTION] L'appelante présente aussi une seconde requête subsidiaire à la première. Elle y prétend que si l'article 23 de la Loi sur la Cour fédérale donne à la Division de première instance de cette cour compétence pour déterminer les points litigieux portant sur les questions ferroviaires entre sujets, sur les faits de l'espèce, le Parlement a .spécialement attribué» à un arbitre, en vertu de l'article 155 du Code canadien du travail, la compétence de statuer sur l'interpréta- tion des conventions collectives ....
L'appelante invoque donc l'exception contenue dans l'article 23 de la Loi sur la Cour fédérale, dont voici les termes: »sauf dans la mesure cette compétence a par ailleurs fait l'objet d'une attribution spéciale».
A cet argument, l'intimé répond que l'article 155 du Code canadien du travail n'attribue aucune compétence à un arbitre et qu'il exige simplement des parties à une convention collective qu'elles s'entendent sur une méthode pour en arriver au règle- ment définitif de certains différends .par ... arbitrage ou autrement». L'intimé adopte comme point de vue que le Code canadien du travail laisse entièrement aux parties le soin de déterminer la manière de régler leurs différends et que cela est tout à fait distinct d'une situation le Parlement aurait .spécialement attribué» compétence à un arbitre pour trancher la question.
Il suffit d'exposer la requête de l'avocat adverse, comme j'ai essayé de le faire succinctement ci-dessus, pour apprécier que la réclamation soulève ici d'importantes questions de droit. Le juge de première instance n'a pas donné de motifs pour rejeter la demande. Toutefois, je suis convaincu que son jugement est défendable parce que la déclaration soulève une sérieuse ques tion de droit et que cela constitue en soi une bonne base pour exercer une discrétion de rejet.
L'avocat du défendeur a choisi de ne pas deman- der une décision préliminaire en vertu de la Règle 474; il a préféré attendre l'instance avant de con- tester à nouveau la compétence de la Cour. Dans l'intervalle, la Cour suprême du Canada a rendu deux arrêts qui touchent à la compétence de la Cour fédérale: Canadien Pacifique Liée c. Quebec North Shore Paper Co. 4 et La Reine c. McNarna- ra Construction (Western) Ltd. 5 Il ressort nette- ment de ces deux arrêts que la Cour fédérale est incompétente pour accorder un redressement dans un contrat, à moins que ledit redressement ne soit réclamé en vertu d'une loi du Parlement. Il ne suffit pas que l'entreprise envisagée par la conven-
3 du greffe A-31-76, distribué le 21 mai 1976.
4 (1976) 9 N.R. 471.
5 (1977) 13 N.R. 181.
tion tombe globalement dans le pouvoir législatif fédéral, il faut une loi fédérale que l'on puisse invoquer à l'appui de toute procédure engagée devant cette cour.
Trois lois fédérales traitent de la question en litige: la Loi spéciale du Parlement pour régler les conflits des compagnies de chemins de fer, la Partie V du Code canadien du travail 6 et la Loi sur la Cour fédérale.
Comme je l'ai mentionné, la Loi de 1973 sur le maintien de l'exploitation des chemins de fer pré- voit la nomination d'un arbitre, la prise de déci- sions arbitrales et leur incorporation dans les con ventions collectives. Toutefois, elle ne spécifie pas un moyen, mais son paragraphe 13(3) prévoit que la Partie V du Code s'applique à l'égard de la convention ainsi modifiée. Les dispositions princi- pales de la Partie V sont celles de l'article 155, dont voici le libellé:
155. (1) Toute convention collective doit contenir une clause de règlement définitif, sans arrêt de travail, par voie d'arbitrage ou autrement, de tous les conflits surgissant, à propos de l'interprétation, du champ d'application, de l'application ou de la présumée violation de la convention collective, entre les parties à la convention ou les employés liés par elle.
(2) Lorsqu'une convention collective ne contient pas de clause de règlement définitif ainsi que l'exige le paragraphe (1), le Conseil doit, par ordonnance, sur demande de l'une des parties à la convention collective, établir une telle clause, et celle-ci est censée être une disposition de la convention collec tive et lier les parties à la convention collective ainsi que tous les employés liés par celle-ci. [C'est moi qui souligne.]
L'article 156 prévoit que toute ordonnance de l'arbitre est définitive et qu'aucune procédure ne doit être engagée devant un tribunal. L'alinéa 157c) confère à l'arbitre le pouvoir de décider si une question portée devant lui peut être soumise à l'arbitrage. L'article 159 donne un aperçu général de la procédure d'exécution.
En vertu d'une convention du l er septembre 1971, les chemins de, fer et les syndicats (y compris les parties à la présente action) ont convenu de créer à Montréal le Bureau d'arbitrage des che- mins de fer canadiens avec un seul arbitre nommé par les signataires. Actuellement, quelqu'un rem- plit ces fonctions.
6 S.C. 1972, c. 18.
L'article 23 de la Loi sur la Cour fédérale prévoit que la Division de première instance a une compétence concurrente en première instance sur certaines questions, à une exception près:
23. La Division de première instance a compétence concur- rente en première instance, tant entre sujets qu'autrement, dans tous les cas une demande de redressement est faite en vertu d'une loi du Parlement du Canada ou autrement, en matière de lettres de change et billets à ordre lorsque la Couronne est partie aux procédures, d'aéronautique ou d'ouvrages et entre- prises reliant une province à une autre ou s'étendant au-delà des limites d'une province, sauf dans la mesure cette compé- tence a par ailleurs fait l'objet d'une attribution spéciale. [C'est moi qui souligne.]
L'avocat du Syndicat prétend que la compétence relative à l'affaire en litige a été attribuée à un arbitre par le Code canadien du travail et par une convention intervenue entre les parties, et donc que cette cour est incompétente. A l'appui de sa pré- tention, il invoque un arrêt rendu en 1976 par la Cour suprême du Canada dans Brunet c. General Motors of Canada Ltd.', il a été statué que les droits demandés par un employé provenaient d'une convention collective et qu'il n'existait aucun recours auprès d'un tribunal. Le remède convena- ble, c'est le recours à l'arbitrage tel que le prévoit l'article 88 du Code du travail 8 du Québec, modi- fié par l'article 28 du chapitre 48 de la loi de 1969. En voici le libellé:
88. Tout grief doit être soumis à l'arbitrage en la manière prévue dans la convention collective si elle y pourvoit et si les parties y donnent suite; sinon il est déféré à un arbitre choisi par les parties ou, à défaut d'accord, nommé par le ministre.
Le défendeur invoque aussi Close c. Globe and Mail Ltd. 9 , la Cour d'appel de l'Ontario a statué qu'une réclamation sur l'interprétation d'une convention collective ne pouvait être réglée qu'en recourant au mécanisme prévu dans la con vention collective et que les tribunaux sont incompétents.
Ford c. Trustees of the Ottawa Civic Hospital 1 ' est une autre affaire ontarienne plus récente. La Haute Cour a statué que le demandeur employé sous le régime d'une convention collective, n'avait
7 (1977) 13 N.R. 233.
8 S.R.Q. 1964, c. 141.
9 (1967) 60 D.L.R. (2e) 105.
10 (1973) 37 D.L.R. (3e) 169.
pas le droit d'engager une action, mais était tenu de régler sa réclamation par voie d'arbitrage. Le paragraphe 37(1) de la Labour Relations Act de l'Ontario" édicte que toute convention collective doit prévoir un arbitrage définitif et comminatoire:
[TRADUCTION] 37.—(1) Toute convention collective doit prévoir un règlement définitif et comminatoire par voie d'arbi- trage, sans arrêt de travail, de tous les différends entre les parties provenant de l'interprétation, du champ d'application, de l'application ou de la présumée violation de la convention, y compris la question de savoir si tel ou tel différend est soumis à l'arbitrage.
Mais les articles des lois de l'Ontario et du Québec ne sont pas identiques à l'article 155 du Code canadien du travail. Ce dernier, que j'ai reproduit précédemment, prévoit que toute conven tion collective ddit contenir une clause de règle- ment définitif par voie d'arbitrage ou autrement. La demanderesse affirme que l'article 155 n'im- pose pas l'arbitrage.
L'article 22 de la Labour Relations Act ' 2 de la Colombie-Britannique est plus proche, presque identique à l'article 155 du Code fédéral:
[TRADUCTION] 22. (1) Toute convention collective passée après l'entrée en vigueur de la présente loi doit contenir une clause de règlement définitif et péremptoire sans arrêt de travail, par voie d'arbitrage ou autrement, de tous les différends entre les personnes liées par la convention en ce qui concerne son interprétation, son champ d'application, son fonctionne- ment ou toute présumée violation y afférente.
(2) Lorsqu'une convention collective, qu'elle soit passée avant ou après l'entrée en vigueur de la présente loi, ne contient pas la clause exigée par le présent article, le Ministre doit par ordonnance prescrire une clause à cette fin et une clause ainsi prescrite sera réputée être une disposition de la convention collective et lier toutes les personnes liées par la convention. [C'est moi qui souligne.]
La demanderesse invoque avec insistance l'arrêt rendu par la Cour suprême du Canada en 1962 dans Howe Sound Company c. International Union of Mine, Mill and Smelter Workers (Canada), Local 663 13 . Dans cette affaire, on a prétendu que lorsqu'on lit la clause de la conven tion selon laquelle la décision de la Commission est définitive à la lumière du paragraphe 22(1) de la Loi de la Colombie-Britannique, elle a l'effet d'in- terdire aux deux parties d'aller devant les tribu- naux. Le juge Cartwright, en prononçant le juge- ment de la Cour, déclare à la page 330:
" S.R.O. 1970, c. 232. 12 S.C.-B. 1954, c. 17. " [1962] R.C.S. 318.
[TRADUCTION] Même si la convention ne contenait pas l'article 25 et la phrase qui termine le premier paragraphe de la clause B de l'article 16 susmentionnée, je suis d'avis qu'il faudrait des termes plus clairs que les leurs et ceux de la loi pour évincer la compétence des tribunaux. Selon moi, les parties ont toute latitude, lorsque l'occasion s'en présente, de contester la compétence de la Commission ou la validité de toute décision arbitrale qu'elle rend de cette manière comme le permet l'Arbitration Act, S.R.C.-B. 1960, c. 14 ou la common law.
Bien entendu, en l'espèce, les parties n'auraient pas la latitude de porter une réclamation devant cette cour, notamment sur la validité d'une déci- sion, en vertu de l'Arbitration Act susmentionnée ou de la common law. Tout recours devant cette cour doit être fondé sur une loi fédérale. Les termes de la convention qui lient les deux parties dans la présente action sont fort clairs. Voici le libellé du paragraphe 4 de la convention du ler septembre 1971:
[TRADUCTION] 4. La compétence de l'arbitre, dans chaque cas, à la demande d'une compagnie de chemins de fer ou d'un ou de plusieurs de ses employés représentés par un agent négociateur, et signataires à la présente convention, s'étendra et sera limitée à l'arbitrage:
(A) des différends relatifs au sens ou à la prétendue viola tion d'une ou plusieurs des clauses d'une convention collec tive valide et en vigueur entre cette compagnie et l'agent négociateur, y compris les réclamations relatives à ces clauses comme quoi un employé a été injustement châtié ou congé- dié; et
(B) d'autres différends qui, en vertu d'une clause d'une convention collective valide et en vigueur entre cette compa- gnie de chemins de fer et l'agent négociateur, doivent être renvoyés devant le Bureau d'arbitrage des chemins de fer canadiens pour règlement définitif et comminatoire par voie d'arbitrage,
mais cette compétence doit toujours être assujettie à la présen- tation du différend au Bureau d'arbitrage, strictement en accord avec les termes de cette convention.
Le mot «différend» est défini dans le paragraphe 107(1) de la Partie V du Code canadien du travail:
107. (1) Dans la présente Partie,
adifférend» désigne un différend à l'occasion de la conclu sion, du renouvellement ou de la révision d'une convention collective et au sujet duquel un avis peut être donné au Ministre en vertu de l'article 163;
Les termes de cette convention sont réellement très clairs. Ils embrassent la question actuellement portée devant cette cour, à savoir: la convention collective en vigueur inclut-elle ou non la décision arbitrale sur la «composition de l'équipe»? Il ne
peut s'agir que d'un différend sur le sens d'une convention collective.
Le paragraphe 155 (1) signifie simplement que toute convention collective doit contenir une clause de règlement définitif, que ce soit par arbitrage ou autrement. En l'espèce, les deux parties ont con- venu que ce ne serait pas «autrement», mais par voie d'arbitrage si on en juge par la convention du 1°" septembre 1971. En outre, le règlement définitif doit porter sur «tous» les différends, y compris ceux sur l'«interprétation» ou le «champ d'application» de la convention collective.
Si une convention ne contient pas de clause de règlement définitif, alors c'est au conseil et non pas à cette cour qu'il incombe, en vertu du paragraphe 155(2), de combler cette lacune. Si la convention en contient une et que cette clause ne parle pas d'arbitrage, mais d'un autre mode de règlement, alors la Loi ne prévoit ni remède ni procédé spéci- fique. Il ne s'ensuit pas inéluctablement que le recours doit avoir lieu auprès de la Cour fédérale. En tous cas, la demanderesse n'a pas prouvé que la convention intervenue entre les parties contient une clause de règlement définitif par un mode autre que l'arbitrage.
La Cour fédérale, en tant que cour créée par une loi, a une compétence limitée aux pouvoirs que les lois du Parlement lui confèrent. Lorsque l'arbi- trage est prévu, comme c'est nettement le cas en l'espèce, le Code exige que les différends sur l'in- terprétation soient réglés par voie d'arbitrage. Lorsque l'arbitre (en l'occurrence l'arbitre unique du Bureau d'arbitrage des chemins de fer cana- diens) a pris sa décision, comme l'article 157 du Code l'habilite à le faire, alors cette décision peut être déposée devant la Cour fédérale en vertu de l'article 159. Une fois déposée, elle a le même effet et la même force que si elle avait été obtenue devant cette cour.
Dans Port Arthur Shipbuilding Company c. Arthurs' 4 , la Cour suprême du Canada a statué que l'article 34 de The Labour Relations Act 15 de l'Ontario est clair et non équivoque: il impose un recours auprès d'un conseil d'arbitrage et les par ties ne disposent d'aucune autre alternative. Le
14 [1969] R.C.S. 85.
15 S.R.O. 1960, c. 202.
conseil est donc créé par la loi et en tant que tel ses décisions sont sujettes à révision devant les tribu- naux par certiorari. A la page 92, le juge Judson déclare:
[TRADUCTION] Il est vrai que la législation de la Colombie- Britannique est très proche de celle de l'Ontario; néanmoins, elle comporte des différences, dont la plus importante est qu'elle prévoit le règlement des différends survenant sous le régime d'une convention collective par arbitrage ou autrement, tandis que la législation de l'Ontario ne prévoit strictement que l'arbitrage. Le juge Cartwright l'a admis et il a soigneusement réservé son opinion quant à l'exactitude de l'interprétation donnée par la Cour d'appel de l'Ontario dans l'affaire Rivando, à la législation de l'Ontario. [C'est moi qui souligne.]
A la suite de ces arrêts et d'autres décisions de la Cour suprême du Canada, il est établi qu'à cause des termes «ou autrement» figurant dans l'article 155 du Code, l'arbitre prévu par ledit article n'est pas un office créé par la loi et n'est donc pas sujet à révision par voie de certiorari. Si C.P.R. avait porté cette affaire en arbitrage, en vertu de l'article 155, on n'aurait peut-être pas ensuite demandé aux tribunaux de réviser la déci- sion de l'arbitre. L'article 156 confirme que:
156. (1) Toute ordonnance ou décision rendue par un con- seil d'arbitrage ou par un arbitre nommé en application d'une convention collective est définitive et ne peut être mise en question devant un tribunal ni ravisée par un tribunal.
(2) Aucune ordonnance ne peut être rendue, aucun bref ne peut être décerné ni aucune procédure ne peut être engagée, par ou devant un tribunal, soit sous forme d'injonction, certiorari, prohibition ou quo warranto, soit autrement, pour mettre en question, reviser, interdire ou restreindre une activité exercée en vertu de la présente Partie par un arbitre ou un conseil d'arbitrage.
(3) Aux fins de la Loi sur la Cour fédérale, ni un conseil d'arbitrage, ni un arbitre nommé en application d'une conven tion collective n'est un office, commission ou autre tribunal fédéral au sens l'entend cette loi.
Mais il ne s'ensuit pas qu'une partie à une convention collective, qui contient une clause d'ar- bitrage en vertu du paragraphe 155(1) est libre d'ignorer cette clause et d'engager des procédures devant les tribunaux. Quant à l'article 156, on ne peut sûrement pas s'en servir comme d'un moyen de contourner le mode d'arbitrage convenu entre les deux parties en vertu de l'article 155.
Comme il le dit dans le préambule du Code, le Parlement a nettement eu l'intention de favoriser «l'encouragement de la pratique des libres négocia- tions collectives et du règlement positif des diffé- rends». L'article 155 a manifestement pour objet
de prévoir une méthode de «règlement définitif» de «tous les conflits ... entre les parties».
Je suis donc d'avis que cette cour est incompé- tente pour interpréter la convention collective intervenue entre les parties, car il s'agit d'une affaire qui ne peut être décidée qu'en recourant au mécanisme prévu par ladite convention et par le Code canadien du travail.
Je rejette l'action de la demanderesse avec dépens.
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