Jugements

Informations sur la décision

Contenu de la décision

A-15-74
Nathan Bernstein (Appelant)
c.
Le ministre du Revenu national (Intimé)
Cour d'appel, les juges Ryan et Le Dain et le juge suppléant Hyde—Montréal, le 9 mars; Ottawa, le 16 mai 1977.
Impôt sur le revenu Calcul du revenu Compagnies
Prestations accordées aux employés sous forme d'option d'achat d'actions Choix de la façon d'établir l'impôt S'agit-il d'un plan d'appropriation des bénéfices non distri- bués? Loi de l'impôt sur le revenu, S.R.C. 1952, c. 148, art. 85A.
En établissant la nouvelle cotisation de l'appelant, président d'une compagnie, le Ministre lui a refusé le droit d'appliquer les dispositions de l'article 85A de la Loi de l'impôt sur le revenu en ce qui concerne des prestations en actions qu'on lui avait accordées en sa qualité d'employé de la compagnie. Le montant de $99,800 fut donc ajouté au revenu de l'appelant pour l'année d'imposition 1964. La Division de première ins tance a rejeté le pourvoi de l'appelant contre cette cotisation.
Arrêt: l'appel est rejeté. Le jugement de la Division de première instance pourrait signifier que l'employé-actionnaire qui détient le contrôle ne pourrait pas prétendre au choix prévu à l'article 85A(2), mais ce n'est pas le cas. On doit tenir compte de tous les facteurs entourant l'octroi de la prestation par la compagnie. Lorsqu'il est clair que les options sont accordées parce que les employés sont actionnaires, ceux-ci n'y ont plus droit.
APPEL en matière d'impôt sur le revenu. AVOCATS:
Bruce Verchère et S. Sweibel pour l'appelant. Alban Caron, c.r., et Jean Paul Fortin, c.r., pour l'intimé.
PROCUREURS:
Verchère & Gàuthier, Montréal, pour l'appe- lant.
Le sous-procureur général du Canada pour l'intimé.
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
LE JUGE SUPPLÉANT HYDE: Appel est interjeté par l'appelant Bernstein d'un jugement rendu par la Division de première instance [[1973] C.F. 1305] et qui rejetait son appel d'une cotisation de l'année 1964 aux termes de la Loi de l'impôt sur le revenu, S.R.C. 1952, c. 148.
Conformément à l'article 85A de la Loi, M. Bernstein avait exercé un choix pour l'imposition de la prestation qu'il avait reçue en 1964 sous forme d'option d'achat d'actions d'un montant de $99,800. Ce n'est pas le calcul de l'impôt contesté qui est mis en cause mais le droit de M. Bernstein de faire le choix prévu au paragraphe 85A(2).
M. Bernstein était employé et actionnaire de Highland Knitting Mills Inc. (Highland). En fait, il était président de la compagnie et propriétaire bénéficiaire de 50% de son capital-actions et un certain M. Kamichik qui était vice-président et trésorier' avait le beneficial ownership du reste. MM. Bernstein et Kamichik constituèrent High land en corporation en 1956 afin qu'elle acquière leur entreprise de fabrication et de distribution de vêtements de tricot. Ils ont fait de bonnes affaires comme en témoigne l'augmentation du chiffre d'affaires qui est passé de $350,000 en 1956 à $1,100,000 en 1964.
Grâce à des transactions multiples et complexes, Highland acquit en octobre 1964 2 20,000 actions privilégiées, non cumulatives, portant intérêt à 5% et sans droit de vote d'une filiale en propriété exclusive, Berkam Investments Limited (Berkam) pour une valeur au pair de $10 l'action. Le 23 novembre 1964, Highland conféra à M. Bernstein et à M. Kamichik le droit de lui acheter 10,000 desdites actions privilégiées de Berkam pour $200 et tous les deux firent valoir ce droit le 11 décem- bre 1964.
'Selon le dossier, M. Kamichik était seulement secrétaire- trésorier mais durant le contre-interrogatoire, lorsqu'on a
demandé à M. Stanley S. Rosan, C.A., vérificateur de High land Knitting Mills Inc. et témoin principal cité par M. Bern- stein au procès, quel poste détenait M. Kamichik en 1960, il a répondu «de pense qu'il était vice-président et également tréso- rier» (page 172 de la transcription).
2 Comme les diverses étapes de cette affaire sont pertinentes en l'espèce, je cite les paroles du juge de première instance [[1973] C.F. 1305, aux pages 1307-081:
Au mois de septembre 1964, ils ont acquis la charte d'une compagnie, la Salbron Investments Limited, qui avait été incorporée en vertu d'une charte québécoise le 2 décembre 1963, mais qui n'avait pas jamais fait d'affaires. Son capital social était constitué à cette époque de 9,900 actions privilé- giées, non cumulatives, portant intérêt à 5%, remboursables, sans droit de vote et ayant une valeur au pair de $10 chacune. Par lettres patentes supplémentaires du 11 septem- bre 1964, le capital fut augmenté par la création de 11,000 actions privilégiées non cumulatives, portant intérêt à 5%,
Le 14 décembre 1964, Berkam racheta ces actions privilégiées et M. Bernstein toucha ainsi la somme de $100,000 en contrepartie d'un débours de $200, soit le bénéfice considérable de $99,800 qui est à l'origine de la cotisation contestée.
Le point en litige est de savoir si la prestation accordée à l'appelant sous forme d'option d'achat d'actions est prévue par l'article 85A et si l'appe- lant a donc le droit de choisir le calcul particulier de l'impôt prévu par le paragraphe 85A(2) 3 .
remboursables, sans droit de vote, d'une valeur au pair de $10 chacune et le nom de la compagnie fut changé à Berkam Investments Limited (ci-après appelée «la Berkam»). La Highland, à une assemblée tenue le 28 octobre 1964, s'enga- gea à souscrire 94 actions ordinaires et 20,000 desdites actions privilégiées de la Berkam, ainsi que les actions qui avaient été accordées et émises aux trois actionnaires d'ori- gine qui avaient demandé la constitution. La compagnie emprunta à la banque pour payer ces actions, la Highland ayant émis un chèque de $201,000 en faveur de la Berkam. Le chèque était daté du 26 octobre 1964, mais la banque n'y a apposé son tampon que le 4 décembre 1964.
Le 23 novembre 1964, la Highland conféra à Bernstein et Kamichik le droit de lui acheter chacun 10,000 desdites actions privilégiées pour $200 et tous les deux exercèrent ce droit par écrit en date du 11 décembre 1964. Le même jour, une assemblée de la Berkam approuva le transfert des actions de la Highland aux acheteurs. Le 14 décembre 1964, la Berkam adopta une résolution prévoyant le rachat et l'annu- lation de 20,000 desdites actions privilégiées. Cette résolution fut dûment approuvée à une assemblée générale spéciale à la même date et, le 16 décembre 1964, on obtint des lettres patentes supplémentaires confirmant la réduction du capital de la Berkam par l'annulation desdites actions de sorte que le capital n'était plus constitué que de 900 actions privilégiées et 100 actions ordinaires d'une valeur au pair de $10 cha- cune. A toutes les assemblées des deux compagnies, à partir du moment la Highland acquit les actions de la Berkam, Kamichik et Bernstein étaient présents et constituaient le quorum des administrateurs ou des actionnaires selon le cas. '85A....
(2) Lorsque, d'après l'alinéa a), b), c) ou d) du paragraphe
(1), une prestation est censée avoir été reçue par un employé en raison de son emploi dans une année d'imposition, l'employé doit, s'il opte en ce sens, payer comme impôt pour l'année sous le régime de la présente Partie, au lieu du montant qui serait autrement payable, un montant égal à l'ensemble
a) de l'impôt qui serait payable par l'employé pour l'année sous le régime de la présente Partie si nulle prestation n'était ainsi censée avoir été reçue par lui dans l'année, et
b) du montant, s'il en est, par lequel
(i) la proportion de la prestation ainsi réputée avoir été reçue que l'ensemble des impôts qui auraient été payables par l'employé sous le régime de la présente Partie pour les trois années précédant immédiatement l'année d'imposi- tion (avant toute déduction prévue par l'article 33, 38 ou
(Suite à la page suivante)
La cotisation primitive, datée du 28 juin 1965, fixait l'impôt en se fondant sur le choix de l'appe- lant en vertu de l'article 85A mais, par avis de nouvelle cotisation daté du 25 juin 1969, il reçut une nouvelle cotisation lui interdisant de se préva- loir de ce choix, à la suite de quoi, on ajouta la somme de $99,800 son revenu imposable pour l'année d'imposition, 1964. L'appelant s'opposa à la nouvelle cotisation qui fut néanmoins confirmée; son appel en Cour fédérale fut rejeté par la Divi sion de première instance, d'où le présent appel.
La nouvelle cotisation se fondait sur le paragra-
phe 85A(7) que voici:
85A....
(7) Le présent article ne s'applique pas lorsque la prestation accordée par la convention n'a pas été reçue à l'égard, au cours ou en vertu de l'emploi.
L'argument principal dirigé par l'appelant contre le jugement dont il est interjeté appel porte sur le raisonnement la page 1325] suivant:
... l'appelant et Kamichik étaient les seuls actionnaires en même temps que les seuls employés véritables de la compagnie; en leur qualité de seuls actionnaires de la Highland, ils l'ont amenée à leur conférer une prestation que, malgré les déclara- tions portant qu'il s'agissait d'une prestation conférée en raison de leur emploi, ils ont effectivement reçue parce qu'ils étaient les seuls actionnaires de la compagnie et qu'ils la contrôlaient de façon à pouvoir conférer une telle prestation. En consé- quence, ils ne l'ont pas reçue en vertu de leur emploi au sens de l'article 85A(7), mais plutôt en conséquence du fait qu'ils sont actionnaires de la compagnie; il s'ensuit que l'article 85A ne peut être invoqué par l'appelant pour éviter l'application des articles 137(2) et 8(1)c) de la loi. L'appel est par conséquent rejeté avec dépens. [C'est moi qui souligne.]
Pris hors de contexte, ceci pourrait signifier que l'employé-actionnaire qui détient le contrôle ne pourrait pas prétendre au choix prévu au paragra- phe 85A(2) et je ne suis pas de cet avis. On doit tenir compte de tous les facteurs entourant l'octroi de la prestation par la compagnie.
L'un de ces facteurs est que MM. Bernstein et Kamichik étaient certes les seuls actionnaires puis- qu'ils détenaient chacun la moitié des actions.
(Suite de la page précédente)
41) si nulle prestation n'était censée, d'après l'alinéa a), b), c) ou d) du paragraphe (1), avoir été reçue par lui dans les trois années susdites, représente par rapport à l'ensemble des revenus de l'employé pour ces années, moins la presta- tion censée, par l'alinéa a), b), c) ou d) du paragraphe (1), avoir été reçue par lui dans les trois années susdites,
dépasse
(ii) vingt pour cent du montant de la prestation ainsi réputée avoir été reçue.
Mais cela n'est pas un critère suffisant puisqu'ils étaient aussi les employés les plus importants.
Pour des raisons obscures, M. Bernstein a touché un salaire de $34,000 en 1964 et M. Kami- chik, $18,000 seulement bien qu'ils aient en tous les deux $17,000 en 1963. Ils ont tous deux touché une prestation égale sous forme d'option d'achat d'actions en 1964.
Cette transaction exigeait l'affectation d'une bonne partie du surplus d'exploitation de Highland qui avait été déjà imposé. Bien qu'elle puisse être comparée à une augmentation de salaire ou un boni ;lui aurait constitué une dépense déductible pour la compagnie, cette transaction ne visait pas l'intérêt de la compagnie mais plutôt l'octroi de conditions fiscales avantageuses aux bénéficiaires. Bien qu'il soit vrai que MM. Bernstein et Kami- chik aient rendu des services d'une grande valeur, il y avait d'autres employés qui, faute de contrôle des actions, auraient pu vraisemblablement parti- ciper à ladite prestation sous forme d'option d'achat d'actions. M. Rosan (page 223 de la trans cription) a témoigné, par exemple, que trois employés de longue date qui travaillaient pour MM. Bernstein et Kamichik depuis 1950 au moins, avant la constitution de la compagnie en corporation, touchaient en 1964 des salaires relati- vement modestes de $7,000 par an.
De plus, Highland a emprunter à ses ban- quiers afin de fournir le montant de $200,000 qu'elle a versé à Berkam pour ses actions privilé- giées, emprunt qui a été remboursé le 8 janvier 1965 grâce à des prêts du même montant consentis par MM. Bernstein et Kamichik pour lesquels ils reçurent des billets à ordre de Highland de l'ordre de $100,000. Bien que ces billets aient porté un intérêt annuel de 6%, M. Rosan a témoigné que MM. Bernstein et Kamichik avaient renoncé à cet intérêt.
Comme l'indique le paragraphe 85A(7), les pres- tations sous forme d'option d'achat d'actions doi- vent être touchées par les bénéficiaires à titre d'employés et non à titre d'actionnaires. Le fait que l'employé soit actionnaire à l'occasion ne l'em- pêche pas de jouir de cette prestation mais lorsqu'il est clair, comme en l'espèce, que les options sont accordées parce que les employés sont actionnai- res, en fait les seuls actionnaires, ces derniers n'y ont plus droit.
Il est évident que la déclaration intéressée qui figure dans l'option (Ex. Mc vol. 1, p. 70) et selon laquelle la prestation est accordée à M. Bernstein «à l'égard de son emploi et en vertu dudit emploi» n'établit pas cela comme un fait. 11 ressort claire- ment du témoignage de M. Rosan (les pages 183 à 232 en particulier), que les deux associés ne vou- laient pas tirer le surplus d'exploitation de la com- pagnie par voie de paiement de dividendes selon l'usage courant, à cause de l'incidence fiscale et aussi que cette manoeuvre avait été conçue par M. Rosan, à l'aide d'un avocat, pour réaliser indirecte- ment ce qu'ils ne voulaient pas faire directement.
A mon avis, les faits que j'ai observés suffisent à prouver que les dispositions du paragraphe 85A(7) doivent s'appliquer à l'appelant Bernstein.
L'appel est rejeté avec dépens.
* * *
LE JUGE RYAN: J'y souscris.
* * *
LE JUGE LE DAIN: J'y souscris.
 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.