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T-1944-77; T-1945-77
Robert Cameron MacKay (Requérant)
c.
Clive L. Rippon (Intimé)
et
Brian Joseph Kevany (Requérant)
c.
Clive L. Rippon (Intimé)
Division de première instance, le juge Cattanach— Vancouver, les 16 et 27 mai 1977.
Compétence Brefs de prérogative Prohibition Des membres des Forces armées commettent des infractions qui constituent également des infractions militaires Les contre- venants doivent être jugés par une cour martiale Demande de prohibition L'incorporation au code de discipline mili- taire, des infractions opposables à tous les habitants du Canada prive-t-elle les requérants de leur droit à l'égalité
devant la loi et à la protection de la loi? Loi sur la Cour
fédérale, S.R.C. 1970 (2e Supp.), c. 10, art. 18 Déclaration
canadienne des droits, S.C. 1960, c. 44, art. lb), IS.R.C. 1970, Appendice III] Loi sur la défense nationale, S.R.C. 1970, c. N-4, art. 120.
Les requérants, tous deux membres des Forces armées cana- diennes, ont été inculpés respectivement de six et de quatre infractions distinctes de trafic de stupéfiants, perpétrées en violation de la Loi sur les stupéfiants. Ces infractions consti tuent également des infractions militaires au sens de la Loi sur la défense nationale. Les requérants, se fondant sur l'article 18 de la Loi sur la Cour fédérale, demandent qu'il soit interdit à l'intimé, président d'une cour martiale permanente, d'instruire et de juger les infractions dont ils sont inculpés. On fait valoir que les dispositions de la Loi sur la défense nationale qui prévoient l'instruction par une cour martiale composée de militaires, des infractions opposables à tous les habitants du Canada, privent les requérants du droit à l'égalité devant la loi et à la protection de la loi, et sont donc inopérantes.
Arrêt: la demande est rejetée. Lorsque l'incompétence est évidente, sur le vu des pièces procédurales, il y a lieu à prohibition, mais lorsque le vice de compétence n'est pas aussi clair, la délivrance d'un bref de prohibition est facultative. L'incompétence n'est pas évidente vu les nombreuses décisions qui ont suivi l'affaire Drybones. Cependant, il n'est pas néces- saire d'exercer ce pouvoir discrétionnaire. L'exception d'incom- pétence aurait être soulevée d'abord comme fin de non-rece- voir devant la Cour martiale permanente. Si cela avait été fait et que la Cour martiale permanente ait débouté les requérants sur l'exception d'incompétence, celle-ci aurait pu faire l'objet d'un appel devant le Tribunal d'appel des cours martiales dont l'arrêt peut lui-même faire l'objet d'un pourvoi à la Cour suprême du Canada. Le droit de demander à la Cour d'appel fédérale de réviser la décision d'une cour martiale est expressé- ment exclu par le paragraphe (6). En conséquence il serait bien incongru, vu que la Cour d'appel est incompétente en vertu de
l'article 28, que la Division de première instance soit compé- tente pour ce faire en vertu de l'article 18 de la Loi sur la Cour fédérale, par la voie d'un bref de prérogative.
Arrêts suivis: La Reine et Archer c. White [1956] R.C.S. 154; Curr c. La Reine [1972] R.C.S. 889 et Regina c. Burnshine [1975] 1 R.C.S. 693. Arrêts approuvés: Rex c. Kirkup (1950) 34 Cr. App. R. 150 et Rex c. Russell (1951) 1 W.W.R. (N.S.) 585. Arrêts analysés: La Reine c. Drybones [1970] R.C.S. 282 et Le Procureur général du Canada c. Lave!! [1974] R.C.S. 1349. Arrêt appliqué: Prata c. M. M. & I. [1972] C.F. 1405.
DEMANDE de prohibition. AVOCATS:
David R. Wilson pour les requérants. Mark M. De Weerdt, c.r., pour l'intimé.
PROCUREURS:
Wilson, Hitch & Easdon, Victoria, pour le requérant Robert Cameron MacKay.
Cook, Roberts & Whittaker, Victoria, pour le requérant Brian Joseph Kevany.
Le sous-procureur général du Canada pour l'intimé.
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
LE JUGE CATTANACH: Les deux requérants en cause font partie du troisième bataillon canadien d'infanterie légère «Princess Patricia» et sont sta- tionnés à la base des Forces armées canadiennes d'Esquimalt, en Colombie-Britannique.
Ils ont été inculpés respectivement de six et de quatre infractions distinctes de trafic de stupé- fiants, perpétrées en violation de la Loi sur les stupéfiants, S.R.C. 1970, c. N-1, présumément à la base même; en vertu de l'article 120 de la Loi sur la défense nationale, S.R.C. 1970, c. N-4, ces infractions constituent des «infractions militaires» au sens de l'article 2 de cette loi et donc, des infractions au «Code de discipline militaire» insti- tué par les Parties IV et IX de la Loi.
Les requérants, se fondant sur l'article 18 de la Loi sur la Cour fédérale, demandent qu'il soit interdit à l'intimé, président d'une cour martiale permanente, d'instruire et de juger les infractions dont ils sont inculpés, faisant valoir que les disposi tions de la Loi sur la défense nationale et de ses règlements d'application, qui prévoient l'instruc- tion, par une cour martiale composée de militaires,
des infractions au droit pénal général du Canada, auquel tous les habitants du Canada sont assujet- tis, sont inopérantes vu qu'autrement ce serait priver les requérants du «droit de l'individu à l'égalité devant la loi et à la protection de la loi», en violation de l'article l b) de la Déclaration canadienne des droits, S.C. 1960, c. 44 [voir S.R.C. 1973, App. III] .
Cette prétention équivaut à mon sens simple- ment à ceci: les requérants, pour jouir de l'égalité et de la protection de la loi, auraient le droit d'être jugés par les juridictions de droit commun compé- tentes en matière criminelle; les traduire en justice selon le droit militaire constituerait une privation de l'exercice de leurs droits.
Le droit militaire, administré au sein des Forces armées, existe depuis des temps immémoriaux; au Canada, il remonte à l'époque a été créée la première force armée canadienne, un an après la Confédération. Toutefois, il existe un principe constitutionnel fondamental voulant qu'un soldat n'échappe pas, du fait de son enrôlement dans l'armée et du statut militaire qui en conséquence devient le sien, aux juridictions de droit commun de notre pays. Il s'ensuit que le droit commun applicable à tous les citoyens s'applique aussi aux membres des Forces armées, mais ceux-ci souscri- vent du fait de leur enrôlement des obligations juridiques additionnelles, acquièrent ou perdent certains droits, c'est-à-dire qu'ils sont alors régis par le droit militaire canadien.
Sans code de discipline militaire, les Forces armées ne pourraient accomplir la fonction pour laquelle elles ont été créées. Vraisemblablement ceux qui s'enrôlent dans les Forces armées le font, en temps de guerre, par patriotisme et, en temps de paix, pour prévenir la guerre. Pour qu'une force armée soit efficace, il faut qu'il y ait prompte obéissance à tous les ordres licites des supérieurs, respect des camarades, encouragement mutuel et action concertée; il faut aussi respecter les tradi tions du service et en être fier. Tous les membres des Forces armées se soumettent à un entraîne- ment rigoureux pour être à même, physiquement et moralement, de remplir le rôle qu'ils ont choisi et, en cela, le respect strict de la discipline est d'une importance capitale.
Plusieurs infractions de droit commun sont con- sidérées comme beaucoup plus graves lorsqu'elles deviennent des infractions militaires, ce qui auto- rise l'imposition de sanctions plus sévères. Les exemples en ce domaine sont légion, ainsi le vol au détriment d'un camarade. Dans l'armée la chose est plus répréhensible puisqu'elle porte atteinte à cet «esprit de corps» si essentiel, au respect mutuel et à la confiance que doivent avoir entre eux des camarades, ainsi qu'au moral de la vie de caserne. Pour un citoyen, en frapper un autre, c'est se livrer à des voies de faits punissables en tant que telles, mais pour un soldat, frapper un officier supérieur, c'est beaucoup plus grave; c'est porter atteinte à la discipline et, en certains cas, cela peut équivaloir à une mutinerie. A l'inverse, l'officier qui frappe un soldat commet aussi une infraction militaire sérieuse. Dans la vie civile, un citoyen peut à bon droit refuser de travailler, mais le soldat qui agit ainsi commet une mutinerie, ce qui est une infrac tion des plus graves, passible de mort en certains cas. De même, un citoyen peut quitter son emploi en tout temps, sa conduite ne sera entachée que d'inexécution d'obligations contractuelles mais, pour un soldat, agir ainsi constitue une infraction sérieuse, qualifiée d'absence sans permission et, s'il n'a pas l'intention de revenir, de désertion.
Le Parlement a reconnu et adopté, dans la Loi sur la défense nationale, un code spécial dicté par les nécessités spéciales de la discipline militaire; s'y trouvent énumérées les diverses infractions à cette discipline.
Un tel code, qui ne s'applique qu'au personnel militaire, serait inefficace si les Forces armées n'étaient pas dotées de leurs propres tribunaux pour sanctionner les infractions. Certains délits relèvent du supérieur immédiat de leur auteur, d'autres de son chef de corps et d'autres des cours martiales. Le Parlement, confiant en leur sens des responsabilités et en leur intégrité, a confié l'exer- cice de cette fonction importante à ces officiers, lesquels ne possèdent pas nécessairement de for mation juridique, ainsi qu'aux officiers qui for- ment une cour martiale, lesquels ont l'avantage d'avoir pour collègue un juge-avocat qui, lui, pos- sède une formation juridique et qui, seul, peut constituer une cour martiale permanente.
Comme il est dit plus haut, en vertu de l'article 120 de la Loi sur la défense nationale une infrac-
tion aux lois du Parlement du Canada, notamment au Code criminel, constitue aussi une infraction militaire, passible de sanction en tant que telle. Lorsque la loi qui crée une infraction de droit commun prévoit une sanction minimale et que l'inculpé est déclaré coupable de cette infraction en tant qu'infraction militaire par une juridiction militaire, alors la juridiction militaire doit imposer une sanction conforme à la loi prévoyant une peine minimale; mais elle peut aussi imposer, en sus, une sanction inférieure à ce minimum, pourvu qu'elle soit conforme à l'échelle des sanctions fixée par l'article 125 de la Loi sur la défense nationale. Ces sanctions inférieures sont particulières aux Forces armées et comprennent: la destitution, la rétrogra- dation et la déchéance d'ancienneté.
Le fait qu'un membre des Forces armées soit jugé, déclaré coupable et condamné par les juridic- tions militaires n'enlève pas aux tribunaux de droit commun leur compétence mais, en vertu de l'arti- cle 61 de la Loi sur la défense nationale, lorsqu'un tribunal de droit commun juge celui qui a déjà été condamné par un tribunal militaire, pour la même infraction, il doit, avant d'imposer une sanction, tenir compte de celle imposée par la juridiction militaire à l'égard de l'infraction militaire.
Il fut un temps l'inverse était également vrai, et celui qui était jugé, déclaré coupable et condamné par les juridictions de droit commun pouvait aussi être jugé subséquemment par les juridictions militaires et, advenant une déclaration de culpabilité, la sanction imposée devait tenir compte de celle imposée par la juridiction de droit commun. La loi a été modifiée et maintenant il est interdit à une juridiction militaire de juger un membre des Forces armées déjà jugé par les juri- dictions de droit commun pour la même infraction.
Il découle des différences entre juridiction de droit commun et juridiction militaire des différen- ces dans l'administration de ces tribunaux, la pro- cédure qu'ils emploient, les sentences qu'ils pro- noncent, les qualifications des juges chargés d'instruire les causes, quelques différences acces- soires dans le droit de la preuve, en matière de recevabilité des aveux, dans les recours ouverts contre une condamnation, lorsque sa légalité n'est pas en cause, et dans le droit général applicable habituellement en matière de remise de peine, de sursis, de libération avec ou sans condition, de
probation, de libération conditionnelle, de caution- nement, etc. Toutes ces différences, et d'autres peut-être, ont été signalées en détail et analysées par le procureur des requérants qui soutient qu'en conséquence, parce que ceux-ci sont obligés de subir leur procès devant une cour martiale, ils ne peuvent jouir de l'égalité devant la loi.
Le droit militaire, qui côtoie de près le droit commun général, en fait lui-même partie, quoi qu'il soit restreint dans son application aux mem- bres des Forces armées et à d'autres personnes assujetties également audit droit militaire.
Toutefois, ce qu'il s'agit de déterminer ici, c'est si cette partie du droit commun est rendue inopé- rante par le jeu de la Déclaration canadienne des droits, qui a reçu la sanction royale le 10 août 1960.
Voici le texte des articles pertinents de la Décla- ration canadienne des droits:
1. Il est par les présentes reconnu et déclaré que les droits de l'homme et les libertés fondamentales ci-après énoncés ont existé et continueront à exister pour tout individu au Canada quels que soient sa race, son origine nationale, sa couleur, sa religion ou son sexe:
a) le droit de l'individu à la vie, à la liberté, à La sécurité de la personne ainsi qu'à la jouissance de ses biens, et le droit de ne s'en voir privé que par l'application régulière de la loi;
b) le droit de l'individu à l'égalité devant la loi et à la protection de la loi;
c) la liberté de religion;
d) la liberté de parole;
e) la liberté de réunion et d'association, et J) la liberté de la presse.
2. Toute loi du Canada, à moins qu'une loi du Parlement du Canada ne déclare expressément qu'elle s'appliquera nonob- stant la Déclaration canadienne des droits, doit s'interpréter et s'appliquer de manière à ne pas supprimer, restreindre ou enfreindre l'un quelconque des droits ou des libertés reconnus et déclarés aux présentes, ni à en autoriser la suppression, la diminution ou la transgression, et en particulier, nulle loi du Canada ne doit s'interpréter ni s'appliquer comme ....
Au départ, il est parfaitement clair que les dispositions de la Loi sur la défense nationale ne font pas de discrimination en raison de la race, de l'origine nationale, de la couleur, de la religion ou du sexe; mais ce fait ne suffit pas en lui-même à résoudre le litige. En effet, comme l'a dit le juge Laskin (maintenant juge en chef) dans Curr c. La
Reine [1972] R.C.S. 889, la page 896, l'exis- tence de l'une ou l'autre des formes interdites de discrimination n'est pas une condition sine qua non
de l'application de l'article 1 de la Déclaration canadienne des droits. Les dispositions de la Loi sur la défense nationale prévoyant que les mem- bres des Forces armées relèvent des juridictions militaires pour des infractions déclarées infractions militaires, il faut se demander si ces dispositions violent le droit des requérants à l'égalité devant la loi et à la protection de celle-ci.
Les susdites dispositions prévoyant que les infractions militaires seront instruites par une juri- diction militaire n'ont pas pour l'essentiel varié depuis l'adoption de la Déclaration canadienne des droits; il est clair par ailleurs, d'après son article 5(2), que cette déclaration s'applique à toutes les lois du Canada, préexistantes ou postérieures à son entrée en vigueur.
Le droit antérieur à l'adoption de la Déclaration canadienne des droits, en ce qui concerne la fonc- tion de surveillance des juridictions militaires par le présent tribunal, est clair également.
Dans La Reine et Archer c. White [1956] R.C.S. 154, il a été statué qu'il n'y avait pas lieu à certiorari en matière de déclaration de culpabilité consécutive à une faute de service au sein de la G.R.C., et la similitude existant entre la G.R.C. et les Forces armées était soulignée.
Selon le juge Rand, les fautes de service sont du domaine de la discipline interne à laquelle les membres d'un corps organisé consentent à se sou- mettre lorsqu'ils joignent ses rangs; la loi a entendu conférer aux tribunaux créés par elle pour connaître de ces infractions compétence exclusive en la matière et les juridictions supérieures ne devraient pas intervenir, à moins d'abus des pou- voirs légaux accordés ou d'actions non autorisées.
A cet égard, le juge Rand dit à la page 159:
[TRADUCTION] Le Parlement a énuméré les entorses à la discipline qui entraînent une sanction et, afin de permettre à la Gendarmerie d'y faire face, il l'a dotée de ses propres tribu- naux. Il n'est pas nécessaire de s'étendre sur les raisons qui justifient cette façon de faire. Prima facie, il convient de considérer un pareil code comme étant l'unique moyen prévu pour atteindre ce but donné. Ainsi, en l'absence d'un abus de pouvoir tel qu'il situerait l'acte en dehors des limites de la loi et dans la mesure l'acte est autorisé, il n'appartient pas à une cour supérieure, dans l'exercice d'une compétence depuis long- temps établie relative à la surveillance des tribunaux inférieurs, d'intervenir dans la conduite des affaires internes d'un tel organisme.
Le juge Abbott ajoute, aux pages 168 et 169:
[TRADUCTION] La Loi sur la Gendarmerie royale du Canada et ses règlements d'application forment un code de droit régissant le recrutement, l'administration et la discipline de cette force policière.
Bien qu'elle ne soit pas intégrée aux Forces armées du Canada, la Gendarmerie royale du Canada est pour plusieurs de ses aspects organisée sur le plan militaire; les modalités de recrutement, les dispositions en matière d'uniforme, de quar- tiers de résidence, de rations, de discipline et de pension ressem- blent beaucoup à ceux des Forces armées de terre, de mer et de l'air. Il est tout aussi nécessaire de maintenir des normes élevées de conduite et de discipline au sein de la Gendarmerie royale du Canada que dans les Forces armées et, à cet égard, je ne puis voir aucune distinction de principe entre ces deux corps.
A mon avis donc, la jurisprudence suivant laquelle les tribu- naux n'ont pas le pouvoir d'intervenir en matière de conduite et de discipline militaire en général est applicable en matière de conduite et de discipline d'une force policière comme la Gen- darmerie royale du Canada. Voir Rex c. Army Council ex parte Ravenscroft [1917] 2 K.B. 504, et la jurisprudence qui y est citée et approuvée.
Dans Rex c. Kirkup (1950) 34 Cr. App. R. 150 lord Goddard, juge en chef d'Angleterre, a dit que lorsqu'un soldat de l'armée active commet une infraction reliée aux biens de l'État dans les quar- tiers, camps ou autres lieux il est stationné, c'est à son chef de corps qu'il appartient d'instruire l'affaire et de traiter l'infraction conformément au droit militaire.
C'est une indication de la tendance prévalant en Angleterre, tendance adoptée et approuvée par la Cour d'appel de la Colombie-Britannique dans Rex c. Russell (1951) 1 W.W.R. (N.S.) 585.
A mon sens, ces deux décisions signifient que les infractions perpétrées par le personnel militaire doivent normalement être instruites par les juridic- tions militaires et non par les autorités civiles et les tribunaux de droit commun. Je ne vois aucune raison logique de limiter la catégorie des infrac tions militaires aux infractions impliquant les biens publics, comme l'a fait lord Goddard.
Les tribunaux ont toujours refusé d'intervenir dans les affaires des tribunaux militaires par voie de prohibition en cas d'erreurs graves dans les procédures, bien que les mêmes erreurs, commises par une juridiction inférieure de droit commun, eussent été de leur ressort.
Il est intéressant de noter que l'article 201 de la Loi sur la défense nationale crée un Tribunal d'appel des cours martiales, chargé d'instruire et
de juger leurs décisions en appel. Ce tribunal doit se composer d'au moins quatre juges de la Cour fédérale du Canada et, en sus, d'un certain nombre de juges des cours supérieures de juridiction crimi- nelle, nommés par le gouverneur en conseil. Ce tribunal peut accueillir ou rejeter l'appel. Dans le premier cas, il rejette le verdict et ordonne l'enre- gistrement d'un verdict de non-culpabilité ou la tenue d'un nouveau procès. Le Tribunal peut con- clure à l'illégalité d'une condamnation d'une cour martiale, mais il ne peut imposer la sanction légale appropriée, ce qui est réservé au Ministre auquel le Tribunal doit déférer le cas. De même si l'appel est accueilli sur un chef d'accusation, mais rejeté sur un autre, le Tribunal ne peut réduire la sentence; ici encore, il doit déférer le dossier au Ministre qui verra à réduire la peine. Le fait que la loi refuse au Tribunal d'appel des cours martiales le pouvoir de modifier les condamnations de ces cours repose sans aucun doute sur la présomption que l'autorité militaire est la mieux qualifiée pour fixer la sanc tion à imposer en cas d'infraction militaire, et cette présomption a été acceptée par le Parlement.
J'évoque le Tribunal d'appel des cours martiales parce que le procureur des requérants, soutenant que ceux-ci se sont vus refuser l'égalité devant la loi, a souligné le fait qu'ils ont été traduits devant une cour martiale et privés d'un procès devant un juge nommé en vertu de l'article 96 de l'Acte de l'Amérique du Nord britannique, 1867. Mais pré- cisément le Tribunal d'appel des cours martiales n'est composé que de juges nommés en vertu de cet article ainsi que de juges d'une cour constituée en vertu de l'article 101 «pour la meilleure adminis tration des lois du Canada».
Si je comprends bien, le procureur des requé- rants s'appuie principalement sur l'arrêt de la Cour suprême du Canada dans La Reine c. Dry - bones [_1970] R.C.S. 282. L'intimé, Drybones, un Indien, avait été déclaré coupable, dans les terri- toires du Nord-Ouest, d'avoir été ivre hors d'une réserve, en infraction à l'article 94b) de la Loi sur les Indiens, S.R.C. 1952, c. 149. II n'existait pas de réserve dans les territoires du Nord-Ouest. L'article 94b) ne s'appliquait qu'aux Indiens seule- ment. II rendait l'intimé coupable d'une infraction pénale pour un acte qui n'aurait pas été passible de
sanction si son auteur n'était pas un Indien.
La majorité de la Cour a été d'avis que l'article 94b) créait délibérément une infraction précise qui ne pouvait être perpétrée que par un Indien et qu'en conséquence il y avait création d'une inéga- lité devant la loi en vertu de considérations raciales.
L'article 94b) a donc été jugé inopérant.
Le juge Ritchie, qui a rédigé les motifs de la majorité de la Cour, a prudemment fait remar- quer, à la page 298, que, quoique l'article 94b) soit inopérant parce qu'était réputé infraction punissa- ble en droit, pour une personne, à cause de sa race, un acte que ses concitoyens canadiens qui ne sont pas de cette race peuvent poser sans encourir aucune sanction, cela est bien loin d'être applica ble à toutes les dispositions de la Loi sur les Indiens.
Dans l'arrêt Le Procureur général du Canada c. Lavell [1974] R.C.S. 1349, une Indienne avait épousé un non-Indien et le registraire avait radié son nom du registre conformément à l'article 12(1)b) de la Loi sur les Indiens.
A la page 1370, le juge Ritchie distingue l'af- faire Lavell de l'affaire Drybones en faisant remarquer que dans cette dernière, l'article 946) ne pouvait être appliqué sans priver l'intéressé de l'égalité de traitement, mais que semblable inéga- lité de traitement entre Indiens et Indiennes ne résultait pas de l'application de l'article 12(1)b).
A mon avis, la ratio decidendi de l'affaire Lavell, c'est que la Déclaration canadienne des droits ne saurait avoir pour effet de modifier ni de réviser les dispositions de l'Acte de l'Amérique du Nord britannique, 1867, et que la compétence législative exclusive attribuée au Parlement sur les «Indiens et les terres réservées pour les Indiens» ne peut être exercée en pratique sans adopter des lois fixant les conditions requises pour que tel ou tel individu ait le statut d'Indien.
Dans l'arrêt Curr c. La Reine [1972] R.C.S. 889, aux pages 899-900, le juge Laskin (mainte- nant juge en chef) examinait l'étendue du pouvoir de contrôle des tribunaux en vertu de l'article la) de la Déclaration canadienne des droits (la dispo-
sition sur l'application régulière de la loi) sur le fond même de la législation fédérale. Présumant
l'existence d'un tel pouvoir, il a dit:
... il faudrait avancer des raisons convaincantes pour que la Cour soit fondée à exercer en l'espèce une compétence conférée par la loi (par opposition à une compétence conférée par la constitution) pour enlever tout effet à une disposition de fond dûment adoptée par un Parlement compétent à cet égard en vertu de la constitution et exerçant ses pouvoirs conformément au principe du gouvernement responsable, lequel constitue le fondement de l'exercice du pouvoir législatif en vertu de l'Acte de l'Amérique du Nord britannique.
Dans l'affaire Regina c. Burnshine [1975] 1 R.C.S. 693, on a soutenu que l'article 150 de la Loi sur les prisons et les maisons de correction, S.R.C. 1970, c. P-21, lequel autorise les juridic- tions de Colombie-Britannique à imposer une sanction supérieure à celle prévue dans les autres provinces, sauf l'Ontario, à un individu n'apparte- nant pas à un certain groupe d'âge, serait inopé- rant parce qu'il violerait la disposition sur «l'éga- lité devant la loi» de l'article 1b) de la Déclaration canadienne des droits.
Par une majorité de six contre trois, il a été jugé que l'article 1 de la Déclaration canadienne des droits proclame l'existence de six libertés et droits de l'homme y définis qui tous existaient en vertu de la common law. La déclaration n'a pas pour but de définir de nouveaux droits et de nouvelles liber- tés. L'article 2 interdit aux lois fédérales de les enfreindre. Une notion d'«égalité devant la loi» donnant à chacun le droit d'exiger qu'aucune loi ne soit adoptée qui ne s'applique à tous les indivi- dus dans toutes les régions du Canada supposerait une atteinte grave à la souveraineté du Parlement du Canada dans l'exercice de sa compétence légis- lative sous le régime de l'article 91 de l'Acte de l'Amérique du Nord britannique, 1867 et ne pour- rait être créée que par un amendement à la consti tution ou par une loi. La Déclaration canadienne des droits n'a pas cet effet; elle ne fait que procla- mer et maintenir des droits préexistants. Elle ne crée pas de nouveaux droits, mais vise à empêcher la violation de droits existants.
Incontestablement, le droit militaire applicable aux membres des Forces armées est antérieur à la Déclaration canadienne des droits et n'a pas été modifié. L'expression: «égalité devant la loi» doit être interprétée dans le cadre du droit en vigueur
au moment de l'adoption de la Déclaration cana- dienne des droits.
Il ne fait aucun doute d'autre part que le Parle- ment, en adoptant la Loi sur la défense nationale et en instituant un code de discipline applicable seulement aux membres des Forces armées ainsi qu'une juridiction pour l'appliquer, adoptait une loi relevant de la compétence législative attribuée au Parlement par l'article 91(7) de l'Acte de l'Amérique du Nord britannique, 1867, dans les domaines suivants: «La milice, le service militaire et le service naval, et la défense du pays». Comme je l'ai fait remarquer plus haut, pour une défense nationale efficace, il doit y avoir, cela va de soi, de la discipline au sein de l'armée et celle-ci doit être en mesure de la faire respecter. L'objet de la Loi est parfaitement clair.
A mon avis, le sens de cette notion d'«égalité devant la loi» a été bien expliqué par le juge en chef Jackett dans l'affaire Prata c. M.M. & I. [1972] C.F. 1405, aux pages 1414-15, lorsqu'il dit:
L'expression «l'égalité devant la loi» m'a toujours semblé signi- fier que les différentes personnes à qui la loi s'applique devaient être traitées de la même façon. Il ne m'est jamais venu à l'esprit que le principe de «l'égalité devant la loi» interdise au Parlement d'adopter, pour des raisons dictées par une saine politique législative, des lois qui s'appliquent à une catégorie de personnes à l'exclusion d'une autre. Il me semble qu'il est de la nature même de la fonction législative de viser à créer des dispositions applicables à des catégories de personnes et dans des circonstances définies de façon à favoriser la réalisation des objectifs nationaux, d'ordre économique, social ou autre, fixés par le Parlement. Le fait qu'une règle de fond s'applique à une catégorie de personnes et non à une autre ne peut pas, à mon sens, constituer en lui-même une discrimination inacceptable aux termes de l'article lb) de la Déclaration canadienne des droits. Cela n'empêche pas qu'une loi ne puisse être discrimina- toire à d'autres points de vue, de la même manière qu'une loi peut être discriminatoire «quant à la race, l'origine nationale, la couleur, la religion ou quant au sexe». Dans un tel cas, j'estime que la loi correspondrait, dans la mesure elle présenterait ce caractère discriminatoire, à des objectifs législatifs inaccepta- bles et contraires à l'article lb) de la Déclaration canadienne des droits. Mais on me permettra de reprendre, à l'égard de cet argument d'incompatibilité avec l'article lb), les observations du juge Laskin, dans l'affaire Curr, sur les termes de l'article la) et de les appliquer aux termes de l'article Ib): «c'est avec une extrême prudence que j'aborde les termes très généraux de l'article la) ... lorsqu'on me demande de les appliquer pour annuler des dispositions législatives de fond validement adop- tées par un Parlement dans lequel les représentants élus par le peuple jouent un rôle primordial».
Gardant â l'esprit l'objet législatif fort clair des dispositions attaquées de la Loi sur la défense
nationale et retenant aussi les remarques susmen- tionnées du juge Laskin dans l'arrêt Curr c. La Reine, précité, paraphrasées par le juge en chef de la présente cour, cité ci-dessus, je suis d'avis qu'il ne m'appartient pas d'empêcher, en vertu de la Déclaration canadienne des droits, l'application d'une loi fédérale visant un objectif national, au motif qu'elle s'applique à une seule catégorie d'individus.
Adaptant à l'instance ce qu'a dit le juge Mart - land dans l'arrêt Regina c. Burnshine (précité), je dirai que les requérants devraient me convaincre, à tout le moins, qu'en adoptant les dispositions con- testées de la Loi sur la défense nationale, le Parle- ment ne cherchait pas à atteindre un objectif fédéral valide. Cela n'a pas été établi, on n'a pas cherché à le faire et on ne pourrait y réussir.
Pour les motifs qui précèdent, les requêtes sont rejetées, les dépens allant à l'intimé sur sa demande.
Vu la conclusion à laquelle j'en arrive, je n'ai pas à me demander s'il y aurait eu lieu en l'espèce d'exercer mon pouvoir discrétionnaire alors que d'autres voies de recours sont ouvertes.
Le bref de prohibition, comme tous les brefs de prérogative, n'est pas accordé de plein droit, mais en vertu du pouvoir discrétionnaire des tribunaux, exercé avec grande prudence et bienveillance pour que justice soit faite en l'absence d'autres recours.
Lorsque l'incompétence est évidente, sur le vu des pièces procédurales, il y a lieu à prohibition, mais lorsque le vice de compétence n'est pas aussi clair, la délivrance d'un bref de prohibition est facultative.
A mon avis, en l'espèce l'incompétence n'est pas évidente, vu les nombreuses décisions qui ont suivi l'affaire Drybones.
Il me semble donc que l'exception d'incompé- tence aurait être soulevée d'abord comme fin de non-recevoir devant la Cour martiale permanente, ce que les requérants étaient en droit de faire, mais n'ont pas fait.
Si cela avait été fait et que la Cour martiale permanente ait débouté les requérants sur l'excep-
tion d'incompétence, celle-ci aurait pu faire l'objet d'un appel devant le Tribunal d'appel des cours martiales dont l'arrêt peut lui-même faire l'objet d'un pourvoi à la Cour suprême du Canada.
En outre, le droit de demander à la Cour d'appel fédérale de réviser la décision d'une juridiction fédérale en vertu de l'article 28 de la Loi sur la Cour fédérale, lorsqu'il s'agit de la décision d'une cour martiale, est expressément exclu par le para- graphe (6). La raison de cette exclusion des cours martiales du pouvoir de surveillance de la Cour d'appel dans le cas d'une infraction militaire, et particulièrement lorsqu'elle est instruite par une cour martiale, est évidente; il existe une voie de recours devant le Tribunal d'appel des cours mar- tiales. En conséquence, il me semble qu'il serait bien incongru, vu que la Cour d'appel est incompé- tente pour exercer un tel contrôle en vertu de l'article 28, que la Division de première instance soit compétente pour ce faire, en vertu de l'article 18 de la Loi sur la Cour fédérale, par la voie d'un bref de prérogative.
Toutefois, comme je l'ai dit, vu la conclusion à laquelle j'arrive, il ne m'appartient pas d'examiner si je puis exercer mon pouvoir discrétionnaire pour accorder le bref de prohibition, ce que je refuse de faire en l'espèce. Je m'y refuse, car je ne veux pas que mes remarques puissent gêner mes collègues qui pourraient avoir à statuer sur ce point précis.
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