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A-226-77
Marketing International Ltd. (Appelante) c.
S. C. Johnson and Son, Limited et S. C. Johnson & Son, Inc. (Intimées)
Cour d'appel, le juge en chef Jackett, le juge Pratte et le juge suppléant MacKay—Toronto, le 22 avril 1977.
Pratique Appel d'une ordonnance rejetant une demande de remise ou de sursis d'une injonction jusqu'à ce qu'il soit décidé de l'appel interjeté du jugement principal Exercice du pouvoir discrétionnaire du juge de première instance Preuve du préjudice irréparable Dans «l'intérêt de la jus tice» l'appel est accueilli Loi sur la Cour fédérale, S.R.C. 1970 (2e Supp.), c. 10, art. 50(1)b) Règle 1909 de la Cour fédérale.
L'appelante a interjeté appel du jugement de la Division de première instance qui a rejeté sa demande de remise ou de sursis de l'entrée en vigueur d'une injonction jusqu'à ce qu'il soit décidé de l'appel du jugement principal. L'appelante fait valoir que l'application de l'injonction entraînerait sa mise en faillite et qu'elle perdrait l'avantage de gagner ultérieurement l'appel principal. Les intimées ne subiraient qu'un préjudice minime par le sursis de l'injonction.
Arrêt: l'appel est accueilli. Lorsqu'un jugement accorde une injonction, celle-ci devrait à première vue demeurer en vigueur jusqu'à ce que ledit jugement soit infirmé en appel. Cependant, il y a des cas spéciaux ou d'intérêt de la justice» exige que même une cour d'appel examine l'usage qu'un juge de première instance a fait de son pouvoir discrétionnaire. Lorsque la prépondérance du préjudice irréparable causé au défendeur par le maintien de l'injonction pendant l'appel (dans l'éventualité le jugement serait infirmé en appel) sur le préjudice irrépa- rable éventuel causé au demandeur par le sursis de l'injonction jusqu'au règlement de l'appel (si le jugement est confirmé) est telle que l'intérêt de la justice exige le sursis de l'injonction jusqu'au règlement de l'appel, la Cour doit utiliser son pouvoir discrétionnaire à cette fin.
APPEL. AVOCATS:
Kent H. E. Plumley pour l'appelante.
J. D. Kokonis, c.r., et Nicholas H. Fyfe pour
les intimées.
PROCUREURS:
Gowling & Henderson, Ottawa, pour
l'appelante.
Smart & Biggar, Ottawa, pour les intimées.
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement de la Cour prononcés à l'audience par
LE JUGE EN CHEF JACKETT: Il s'agit d'un appel interjeté le 7 avril 1977 contre un jugement de la Division de première instance rejetant une demande présentée en vertu de l'article 50(1)b) de la Loi sur la Cour fédérale ou de la Règle 1909' pour obtenir une ordonnance suspendant l'applica- tion d'une injonction exécutoire. 2
Cet appel a été instruit avec célérité suite à l'ordonnance rendue le 14 avril et dont voici le libellé:
[TRADUCTION] CONSIDÉRANT qu'il s'agit d'un appel d'un jugement rendu le 7 avril 1977 par la Division de première instance, qui a rejeté une demande de remise ou de sursis de l'entrée en vigueur d'une injonction et autre redressement accordés par jugement rendu par ladite Division le 4 avril 1977, et ce jusqu'à ce que la Cour se prononce sur l'appel interjeté dudit jugement;
ET CONSIDÉRANT que par lettre en date du 7 avril 1977, l'appelante a cherché à obtenir une ordonnance enjoignant d'entendre cet appel avec célérité, dérogeant ainsi aux règles qui régissent les appels des jugements de première instance; elle a fait valoir que le rejet de cette demande
a) rendrait son appel futile,
b) lui causerait un préjudice irréparable et irrévocable puis- qu'elle serait déclarée en état de faillite,
c) rendrait impossible l'adoption d'une autre marque de commerce conforme à la Loi,
d) causerait aux fournisseurs commerciaux des embarras financiers immédiats ou les exposerait à la faillite,
e) ferait perdre irrévocablement aux clients leur crédit dans ledit commerce,
faisant ainsi perdre irrévocablement à l'appelante son droit statutaire de poursuivre l'appel interjeté par elle contre le jugement rendu dans l'action principale le 4 avril 1977.
' Ces dispositions prévoient:
50. (1) La Cour peut, à sa discrétion, suspendre les procé-
dures dans toute affaire ou question,
b) lorsque, pour quelque autre raison, il est dans l'intérêt de la justice de suspendre les procédures.
Règle 1909. Une partie contre laquelle a été rendu un jugement ou une ordonnance peut demander à la Cour la suspension de l'exécution du jugement ou de l'ordonnance ou quelque autre redressement à l'encontre de ce jugement ou de cette ordonnance, et la Cour peut, par ordonnance, accor-
der le redressement qu'elle estime juste, au x conditions qu'elle estime justes.
2 Le jugement portait également sur une demande de surseoir à l'exécution d'une ordonnance enjoignant de remettre les biens, mais cette question a été réglée devant nous à l'amiable par les avocats.
Par cette lettre, elle proposait que certains documents qu'elle a soumis servent à statuer sur cet appel et que l'exposé compléter) produit en Division de première instance puisse servir d'exposé devant la Cour.
ET CONSIDÉRANT que par lettre en date du 12 avril 1977, l'intimée a présenté les arguments suivants:
L'avis d'appel en date du 7 avril concerne une ordonnance interlocutoire qui a rejeté une demande présentée par Mar keting International Ltd. visant la remise ou le sursis de l'entrée en vigueur de l'injonction accordée par le jugement formel de la Cour en date du 5 avril. Par lettre adressée à l'Administrateur de la Cour le 7 avril, les avocats de l'appe- lante demandent que l'on fixe l'audition de l'appel à la première date convenable pour la Cour. Pour permettre une action prompte, copie des documents a été envoyée afin d'aider le greffe à préparer le dossier conjoint. Une lettre en date du 12 avril adressée à l'Administrateur de la Cour s'accompagnait de documents complémentaires. Les pièces identifiées dans les lettres des 7 et 12 avril doivent manifeste- ment faire partie du dossier conjoint. Cependant nous regret- tons de vous informer qu'à notre avis, ces documents ne sont pas complets en eux-mêmes.
Comme l'aura remarqué le greffe, le juge Cattanach en prononçant ses motifs de rejet de la demande de l'appelante, a souligné que son jugement tenait compte [TRADUCTION] «de tout le contexte évoqué au procès lors de l'audition de la preuve ...». Ceci étant, nous ne croyons pas que les disposi tions de la Règle 1206 soient respectées si la transcription des dépositions n'est pas versée au dossier. A cet égard, nous avons étudié particulièrement la Règle 1206(2). D'après les observations présentées au juge Cattanach à l'audition de la demande de l'appelante, objet du présent appel, nous com- prenons que la transcription de la preuve est en cours actuellement.
Il appert que les Règles de la Cour fédérale concernant les appels de cette nature prévoient aussi que l'exposé des faits et du droit par l'intimée doit être déposé au plus tôt dans un délai d'une semaine de la réception par les avocats de celle-ci de l'exposé des faits et du droit de l'appelante et d'une copie du dossier conjoint. Nous ferons l'impossible pour respecter ce délai, mais compte tenu de la difficulté susmentionnée concernant la préparation dudit dossier conjoint, nous croyons prématurée la «demande unilatérale d'audition de cet appel» présentée par l'appelante. Par ailleurs, lorsque le dossier sera prêt et que les deux parties auront déposé leur exposé des faits et du droit, nous coopérons de notre mieux avec l'avocat de l'appelante pour déterminer une date réci- proquement convenable. Actuellement (sans connaître la date d'expiration du délai fixé par les règles), nous pouvons dire que nous préférerions que l'appel soit entendu à Toronto (notre deuxième choix serait Ottawa) l'un des vendredis le juge Collier ne siège pas au procès de Xerox c. IBM. Cela permettrait à W Kokonis (qui a plaid é pour l'intimée devant le juge Cattanach) de la représenter en appel. Nous consta- tons que le juge Collier ne siège pas ailleurs les vendredis 22 avril, 6 mai, 20 mai et 3 juin, aussi nous croyons que l'une de ces dates conviendrait.
Nous ordonnons que cet appel soit entendu à Toronto à 10 h 30 le vendredi 22 avril aux conditions suivantes:
1. Les documents déjà déposés par l'appelante à cette fin et les documents additionnels qui seront déposés avant cette date, avec le concours de l'intimée, constitueront le dossier de l'affaire;
2. L'exposé de l'appelante comprendra donc ce qu'elle a proposé.
3. L'intimée n'a pas à produire ou signifier d'exposé à moins qu'elle n'en décide ainsi.
4. Si, après avoir entendu les parties à ce moment, la Cour est convaincue de pouvoir autrement accueillir l'appel, elle enten- dra les parties sur les questions suivantes:
a) Quels autres documents devraient être versés au dossier?
b) Quel délai devrait être accordé à l'intimée pour produire son exposé?
c) Dans quel délai l'appel doit-il être entendu?'
Nous croyons que la Division de première ins tance pouvait rendre l'ordonnance demandée.
A notre avis, lorsqu'un jugement accorde une injonction, celle-ci devrait à première vue demeu- rer en vigueur jusqu'à ce que ledit jugement soit infirmé en appel.
Cependant, il y a des cas spéciaux «l'intérêt de la justice» exige que même une cour d'appel examine l'usage qu'un juge de première instance a fait de son pouvoir discrétionnaire 4 . Lorsque la prépondérance du préjudice irréparable causé au défendeur par le maintien de l'injonction pendant l'appel (dans l'éventualité le jugement serait infirmé en appel) sur le préjudice irréparable éven- tuel causé au demandeur par le sursis de l'injonc- tion jusqu'au règlement de l'appel (si le jugement est confirmé) est telle que l'intérêt de la justice exige le sursis de l'injonction jusqu'au règlement de l'appel, la Cour doit utiliser son pouvoir discré- tionnaire à cette fin.
En l'espèce, il appert de la preuve soumise au juge de première instance, que si l'on ne sursoit pas à l'injonction,
D'un commun accord, l'appel a été entièrement plaidé sur le dossier constitué conformément à cette ordonnance, sous réserve de certaines adjonctions énumérées dans les minutes de la Cour, et sans que l'exposé de l'intimée ait été produit ni signifié.
4 Cf. Frank c. Alpert [1971] R.C.S. 637, par le juge Hall prononçant le jugement de la Cour, à la p. 640.
a) on mettra fin à l'entreprise de l'appelante et, s'il est fait droit à l'appel principal, l'appelante n'en bénéficiera pas—en d'autres termes dans cette éventualité tout se passerait comme si on avait éliminé l'appelante comme partie au litige dans le procès de l'intimée, procès qui serait alors privé de fondement, et
b) l'appelante sera mise en faillite et s'il est fait droit à l'appel principal, ses commanditaires, ses clients, ses fournisseurs et autres personnes qui entretiennent avec elle des relations d'affaires subiront des pertes substantielles et des embar- ras financiers qu'ils n'auraient pas connus n'eût été ce litige finalement privé de fondement juridique.
Par ailleurs, si sur la même preuve, on sursoit à l'injonction à des conditions sensiblement sembla- bles à celles imposées, plus tôt, par le juge Mar- ceau, la compagnie américaine intimées aura droit à des dommages-intérêts ou à la comptabilisation des ventes occasionnées par le sursis, s'il appert de la décision rendue en appel que ces ventes contre- venaient aux droits de l'intimée sur ses marques de commerce; et le seul préjudice irréparable éventuel qu'elle pourrait subir serait le ralentissement de ses affaires découlant de la violation de sa marque de commerce, ce qui ne peut s'évaluer financière- ment. Comme l'intimée n'exploite pas d'entreprise au Canada, ce facteur n'a vraisemblablement aucune importance appréciable.
Nous concluons donc que l'appel doit être accueilli et qu'un jugement ordonnant de surseoir à l'injonction doit être rendu dans les termes suivants:
1. que l'appel du jugement principal soit entendu aussi promptement que possible;
2. que l'appelante tienne un relevé de toutes les ventes de biens relatives à la marque de com merce «bugg-off» et dépose au greffe de la Cour le 15 et le dernier jour de chaque mois une
La première intimée semble avoir été nommée à tort dans l'intitulé de la cause, puisqu'il n'y a aucun jugement en sa faveur.
somme représentant 10 pour cent du prix de vente desdits biens vendus dans la quinzaine précédente, à titre de garantie pour le paiement de tous dommages-intérêts ou bénéfices dus à l'intimée relativement à ces ventes; et
3. que l'intimée puisse demander le rétablisse- ment de l'injonction après règlement de l'appel ou suite à la violation par l'appelante d'une des présentes conditions.
Nous concluons que les dépens de la demande et du présent appel suivront le sort de l'appel du jugement principal.
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