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T-3830-76
Romulo C. Manalaysay, Luisito M. Villaflor, Manuel M. Tumbokon, Felipe G. Gensaya Jr., Leopoldo M. Gawaran, Alejandro S. Galanga, Danilo De La Cruz, Luis P. Pena, Juanito L. Lucero, Crus C. Sablon, Gladio N. Ruiz, Rodolfo C. Gonzales, Arturo B. Adolfo, Sigfredo L. Torres, Joselito M. Pajarillo, Felizardo T. Rozul, Vin- cente L. Losbanes, Antonia F. Magbanua, Domingo G. Corcochea, Agapito A. Mallorca, Antonio P. Panaquiton, Rodolphe D. Celorico (Demandeurs)
c.
Le navire Oriental Victory (Défendeur)
Division de première instance, le juge Walsh— Montréal, le 28 juin; Ottawa, le 8 juillet 1977.
Droit maritime Contrats de travail Contrats indivi- duels de travail signés par les membres de l'équipage dans les Philippines Convention collective signée plus tard entre le syndicat et les propriétaires du navire Les membres de l'équipage n'étaient pas parties à la convention collective et ne se sont affiliés au syndicat qu'après la signature de la conven tion L'équipage peut-il réclamer la différence de salaire et les taux plus favorables de la convention collective? Code civil du Québec, art. 1029.
Les membres de l'équipage du navire Oriental Victory ont signé des contrats individuels de travail, aux Philippines, avec les propriétaires dudit navire. Avant l'expiration desdits con- trats, les propriétaires ont signé avec l'International Transport Workers' Federation un accord stipulant que toutes les clauses de ladite convention collective de l'ITF s'appliqueraient à tous les marins à bord du navire. Le défendeur a payé à l'équipage un taux de salaire plus élevé conformément à la convention signée avec l'ITF, mais seulement dans des ports l'ITF avait des syndicats affiliés et l'a payé à un taux plus bas le reste du temps, conformément aux contrats individuels. Les demandeurs réclament la différence, qu'ils n'ont pas reçue, entre les taux de salaires stipulés dans chacun des contrats individuels et ceux de
la convention collective. -
Arrêt: l'action est accueillie. Le défendeur a volontairement (quoique sans doute à la suite de pressions considérables) conclu un accord pour que le navire soit pourvu d'un équipage syndiqué à l'ITF, sachant fort bien qu'il en résulterait des taux de salaire plus élevés que ceux stipulés dans les contrats indivi- duels de travail conclus par les membres de l'équipage du navire. Une fois que celui-ci fut en mer, le défendeur n'a pas rempli ses obligations qui, quoique contractées avec l'ITF, étaient pour le bénéfice de chacun des membres de l'équipage. Bien que ceux-ci aient été liés par les modalités des contrats individuels, ces derniers leur ont pour ainsi dire été retirés par le contrat signé entre les propriétaires et l'ITF; il faut considé- rer ce contrat comme remplaçant les contrats individuels. Les demandeurs ont droit aux taux de salaire plus élevés.
ACTION.
AVOCATS:
J. Nuss, c.r., et G. Waxman pour les
demandeurs.
E. Baudry pour le défendeur.
PROCUREURS:
Ahern, Nuss & Drymer, Montréal, pour les demandeurs.
Chauvin, Marier & Baudry, Montréal, pour le défendeur.
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
LE JUGE WALSH: La présente action et celle portant le numéro du greffe T-4791-76 ont été réunies et instruites ensemble, les parties et les questions en litige étant les mêmes. Tous les demandeurs sont marins et ont été engagés, par contrats de louage de services individuels, conclus à Manille (Philippines) avec Okada Kaiun Com pany Limited d'Osaka (Japon), gérante du N.M. Oriental Victory, enregistré à Panama et battant le pavillon de cet état, pour lui servir d'équipage à compter du 2 février 1976. Les contrats de travail étaient pour une durée de douze mois selon l'échelle de salaire et les autres bénéfices margi- naux y stipulés; ils ont été déposés au National Seamen's Board à Manille. L'équipage fut trans porté par avion à Ghent (Belgique) se trouvait le navire à l'époque afin de remplacer l'ancien équipage qui quittait le navire à cet endroit. Les membres de l'ancien équipage avaient adhéré à l'International Transport Workers' Federation (ci- après appelée ITF).
En Belgique, le capitaine du navire, au nom de Okada Kaiun Company Limited qui avait envoyé un représentant sur les lieux pour négocier, a signé avec l'ITF un accord le 5 mars 1976 stipulant que toutes les clauses de la convention collective de l'ITF en date du ler septembre 1975, s'applique- raient à tous les marins se trouvant à bord du navire et seraient incorporées aux contrats indivi- duels de travail. Il semble que l'équipage n'a signé aucun contrat à ce moment, chaque marin n'étant employé qu'en vertu des stipulations des contrats individuels de travail à bord signés à Manille. Toutefois j'estime que cela n'a pas grande impor tance puisque le paragraphe 1 de la convention collective du 1er septembre 1975, incorporé par
l'accord spécial conclu pour le compte du défen- deur avec l'ITF, prévoit que la convention s'appli- quera aux marins embarqués et mentionnés dans l'accord spécial et que l'article 2 stipule:
[TRADUCTION] Un marin visé par la présente convention col lective, conformément au paragraphe 1 ci-dessus, est couvert par la convention à compter de la date de son engagement, qu'il l'ait signé ou non, jusqu'à la fin de son engagement ou jusqu'à la date où, conformément à la présente convention, la compa- gnie cesse d'être obligée au paiement des salaires. [C'est moi qui souligne.]
Conformément à l'accord spécial, la compagnie a versé les frais d'adhésion de 12 $ÉU et la cotisation annuelle de 24 $EU pour le compte de chaque marin ainsi que la contribution annuelle à la caisse de bienfaisance. On n'a pas demandé aux membres de l'équipage de signer un formulaire de demande d'adhésion au syndicat et ils auraient ignoré en être devenus membres jusqu'en juin 1976, date où, à Brisbane (Australie), par suite de pressions de l'ITF, ils ont reçu leur salaire pour quarante-deux jours, conformément à l'échelle de salaire de l'ITF, qui était considérablement plus élevée que le taux pour lequel individuellement, à Manille, ils avaient accepté de travailler. En temps utile, le syndicat a envoyé à la compagnie des cartes de membre pour l'équipage et celle-ci les a remises au capitaine de l'Oriental Victory à Bris- bane pour qu'il les leurs distribue.
Le défendeur soutient que pour éviter de retar- der le navire et prévenir la naissance d'autres conflits, bien qu'il n'ait nullement eu l'obligation de le faire en vertu des contrats de travail des demandeurs alors en vigueur, il leur a payé les sommes additionnelles correspondant à la diffé- rence, pour un total de quarante-deux jours que le navire a passés dans des ports l'International Transport Workers' Federation avait des syndicats affiliés, entre leur échelle contractuelle et celle de l'ITF. Mais pour le reste du temps, entre le 5 mars et le 31 octobre 1976, chacun a été payé conformé- ment à l'échelle prévue par son contrat de travail individuel initial conclu à Manille, laquelle était considérablement inférieure. Une déclaration modifiée produite à l'audience par les parties de consentement mutuel déclare que le montant total des salaires aux demandeurs collectivement le 31 octobre 1976 était de $142,773.48. Les proprié- taires du navire ont mis fin unilatéralement à leur
contrat de travail le 23 janvier 1977; les deman- deurs ont été rapatriés aux Philippines et récla- ment une indemnité de cessation d'emploi de $12,963.60 au total. La déclaration modifiée ajoute que la créance totale est donc de $166,- 039.39.' Le taux de change du dollar américain étant de 5.5%, il faut donc ajouter à ce total $9,132.16 ce qui fait une réclamation de $175,171.55.
La deuxième action intentée, qui porte le numéro du greffe T-4791-76, porte sur les gages réclamés pour le mois de novembre seulement et, d'après la déclaration modifiée, les salaires et bénéfices supplémentaires encore dus s'élèvent à $19,279.24 auxquels $1,060.30 doivent être ajou- tés par suite du calcul du change du dollar améri- cain au taux de 5.5%, ce qui donne une réclama-
tion collective totale de $20,339.60, partager entre les demandeurs conformément aux détails qui seront fournis à la Cour. 2
Tandis que nous en sommes aux chiffres, il faut dire que la Cour a demandé aux avocats des parties de calculer les réclamations de chacun, ce qui a été fait après un bref ajournement. Les totaux comprennent la réclamation pour le mois de novembre et donc les sommes dues dans les deux actions si jugement était rendu en faveur des demandeurs, et comprennent aussi des postes comme les fins de semaine supplémentaires, les congés civils, le remboursement des sommes ver sées au capitaine parfois après pressions une fois que le navire eut quitté l'Australie et les congés payés, le tout transposé en dollars américains. Le tableau suivant indique ces différentes sommes:
Romulo C. Manalaysay $ 6,947.53
Luisito M. Villaflor $12,751.12
Manuel M. Tumbokon $11,281.95
Felipe G. Gensaya Jr. $11,139.71
Leopoldo M. Gawaran $ 3,859.60
Alejandro S. Galanga $ 6,705.50
Danilo De La Cruz $ 6,705.50
' De toute évidence il y a une erreur de calcul. En outre, le nom d'Agapito A. Mallorca n'apparaît plus au nombre des demandeurs dans la déclaration modifiée bien qu'il ait été inclus dans la déclaration initiale et que les sommes qui lui sont dues soient comprises dans le total réclamé.
2 Ici encore le nom d'Agapito A. Mallorca est omis bien qu'il ait été inclus dans la déclaration initiale et que les sommes qui lui sont dues pour novembre soient comprises dans la réclama- tion totale.
Luis P. Pena $ 3,735.11
Juanito L. Lucero $18,683.68
Crus C. Sablon $11,250.30
Gladio N. Ruiz $ 8,314.89
Rodolfo C. Gonzales $ 7,094.79
Arturo B. Adolfo $10,768.69
Sigfredo L. Torres $ 7,044.97
Joselito M. Pajarillo $ 3,735.11
Felizardo T. Rozul $ 5,723.42
Vincente L. Losbanes $ 4,823.74
Antonia F. Magbanua $11,435.36
Domingo G. Corcochea $ 7,300.28
Agapito A. Mallorca $12,750.93
Antonio P. Panaquiton $ 7,298.17
Rodolphe D. Celorico $ 5,683.39
Ce qui fait un total de $185,033.74 qui, tout en étant supérieur au total indiqué dans la déclaration modifiée de l'action numéro T-3830-76 (même avant que l'on déduise l'erreur arithmétique qui s'y trouve) n'est pas supérieur au total des montants réclamés par les deux actions pour toute la période. A proprement parler, chaque action appellerait un jugement distinct pour les montants y réclamés; cela impliquerait cependant un nou- veau calcul des chiffres de chaque réclamant indi- viduel afin de supprimer les montants réclamés pour le mois de novembre dans chaque cas pour ce qui est de l'action numéro T-3830-76, après le calcul du taux de change dans chaque cas, et le transfert de ces sommes à l'action numéro T-4791-76 qui ne porte que sur ce mois-là; pour plus de commodité jugement sera rendu pour le total des sommes réclamées dans l'action numéro T-3830-76, même si ce total peut être supérieur aux sommes réclamées dans ladite action, et le jugement rendu dans l'affaire T-4791-76 ne fera qu'indiquer que les sommes réclamées et accordées dans cette action auront été accordées dans l'ac- tion numéro T-3830-76.
Au cours de l'instance, l'avocat des demandeurs a signalé que le 9 décembre 1976, Trois-Rivières (Québec), l'équipage a signé un accord visant un voyage outre-mer devant se prolonger jusqu'au 4 mars 1977, époque à laquelle l'accord conclu avec l'ITF prendrait fin. En fait ils ont été licenciés le 23 janvier en Afrique et remplacés par un équi- page de T'ai-wan qui n'était pas membre de l'ITF; ils vont présenter des réclamations additionnelles par suite de leur licenciement. Il a aussi été signalé
qu'ils avaient été payés en entier, conformément aux taux de l'ITF, pour le mois de janvier mais qu'ils n'avaient reçu que 30% des sommes qui leurs étaient dues pour la période allant du 9 décembre à la fin du mois et, pour celle allant du lei au 9 décembre, ils avaient été payés conformément aux taux philippins. Étant donné que les actions dont j'ai présentement à connaître ne visent que les salaires dus jusqu'à la fin de novembre, l'avocat des demandeurs a suggéré que soit autorisée une autre modification de la demande de façon à inclure ces réclamations additionnelles. L'avocat du défendeur s'y est opposé disant que cela met- trait en cause des faits nouveaux et des chiffres différents fondés sur le nouvel accord signé à Trois-Rivières. Il a évidemment raison de préten- dre que cette réclamation devrait faire l'objet d'une nouvelle action si désiré et ne devrait pas être présentée à titre de demande incidente ajoutée à la demande initiale par voie de modifications en cours d'instance, vu tout particulièrement que cela impliquerait que soit produit le nouvel accord conclu à Trois-Rivières et l'examen de son effet possible sur les réclamations des demandeurs à compter de cette date, ce qui constitue réellement une nouvelle cause d'action bien que certains des points en litige demeureraient les mêmes. En con- séquence la modification a été refusée.
L'avocat du défendeur a été entravé dans sa défense car, comme il l'a signalé, il n'a pu obtenir d'autres communications ou instructions de ses clients en ce qui concerne les témoins, et en consé- quence, il n'a pu en présenter aucun. C'est pour- quoi aucun témoignage n'a pu être entendu en ce qui a trait au droit philippin et le représentant de Okada Kaiun, qui avait été impliquée dans les négociations de l'accord spécial avec l'ITF à Ghent antérieurement au 5 mars 1976 n'est pas venu, lui non plus, témoigner. Le seul témoin cité par le défendeur fut Felipe Gensaya, troisième lieutenant de l'Oriental Victory, l'un des demandeurs, les- quels ont tous fourni une déposition à un interro- gatoire préalable tenu le 6 octobre 1976 Mont- réal par suite d'une ordonnance du juge Dubé en date du 4 août 1976. Le capitaine du navire, Eudiquio R. Nalcoraz, a lui aussi fait l'objet d'un interrogatoire préalable à Montréal par les deman- deurs et sa déposition a été considérée comme lue et versée intégralement au dossier à l'audience.
A l'audience, le contre-interrogatoire du témoin Brian Laughton, le secrétaire administratif de l'ITF, a révélé que la Fédération réunit 330 syndi- cats de travailleurs des transports dans 87 pays faisant partie du Monde libre, principalement en Europe du Nord, mais aussi dans certains pays en voie de développement d'Afrique et d'Extrême- Orient. En Belgique, le syndicat des travailleurs des transports, le syndicat des travailleurs des transports routiers et le syndicat de la Fonction publique ont adhéré à la Fédération et, à Ghent, quelques-uns des acconiers locaux sont membres des syndicats des travailleurs des transports ayant ainsi adhéré à la Fédération de même que certains des ouvriers du port. A Ghent, les navires dont les équipages n'étaient pas membres de l'ITF ont été boycottés. Toutefois, le témoin ne croyait pas que cela a eu lieu dans le cas de l'Oriental Victory. Le navire a été saisi à Ghent pour paiement de salai- res conformément à l'échelle de l'ITF ainsi que pour paiement des bénéfices marginaux stipulés par les contrats individuels philippins, au bénéfice de l'ancien équipage. Ce litige a été réglé par transaction entre les propriétaires du navire et l'ITF. Le témoin a déclaré qu'il n'existe pas de stratégie fixe à Ghent consistant à boycotter tout navire dont l'équipage n'a pas adhéré à l'ITF, mais qu'en ce qui concerne les navires battant des pavil- lons de complaisance, tel l'Oriental Victory, des pressions sont exercées pour que les salaires de l'équipage soient élevés à un niveau acceptable d'après les normes de l'ITF.
Bien qu'il y ait des motifs de soupçonner que le navire aurait fort bien pu être empêché de quitter Ghent si ses gérants n'avaient pas autorisé le capi- taine à signer un accord avec l'ITF, et donc que cet accord fut arraché par contrainte, aucune preuve directe fournie par le défendeur ne justifie cette conclusion et, de toute façon, je crois qu'il faut dire que les principes reconnus d'annulation de contrats obtenus par la contrainte ne peuvent être appliqués strictement dans le cas d'accords conclus entre un employeur et un syndicat. Tous ces contrats sont passés alors que des pressions considérables sont exercées, souvent accompagnées de grèves, de menaces de grève ou de boycottage, ou encore suite à un lock-out de la part de l'em- ployeur; lorsqu'un contrat est signé après des con- flits ouvriers de ce genre, par suite de négociations laborieuses, il ne doit pas être annulé parce que
l'une ou l'autre des parties l'aurait contracté sous l'empire de la contrainte. Cette défense doit donc être rejetée.
Au début des présentes procédures, le défendeur a obtenu l'autorisation de produire une comparu- tion conditionnelle pour contester la compétence de la Cour sur les contrats individuels de travail conclus par les demandeurs, tous citoyens des Phi- lippines. L'affidavit avait en annexe des extraits du Code du travail des Philippines qui, entre autres choses, déclare illicite toute substitution ou modifi cation d'un contrat de travail approuvé par le ministère du Travail sans l'autorisation de ce der- nier, et qui aussi attribue au National Seamen's Board de ce pays compétence de principe exclusive en matière de litiges résultant de l'engagement de marins philippins à bord de navires de commerce transocéanique, la décision de cet office étant défi- nitive et sans appel. L'autorisation de comparution conditionnelle fut accordée par le jugement du juge Marceau du 9 novembre 1976, lequel accor- dait au défendeur 15 jours pour soulever ces excep tions devant la Cour. Toutefois, la Cour fut noti- fiée régulièrement par lettre du 25 novembre 1976 que le défendeur ne pourrait présenter ces excep tions dans le délai fixé et, dans la défense produite, ces observations étaient réitérées.
En l'absence de toute preuve en matière de droit philippin, ce point ne peut être soulevé et il n'a pas été plaidé sérieusement. Les seuls faits dont la Cour a connaissance à ce sujet sont que les con- trats individuels de travail des marins ont été signés aux Philippines et qu'ils portent le sceau du National Seamen's Board de ce pays. Même si son approbation était requise, ce qui n'a pas été établi, il est raisonnable de présumer que l'approbation aurait facilement pu être obtenue pour des con- trats qui stipulent des salaires substantiellement supérieurs pour les marins en cause. Qu'une telle approbation ait ou non un effet rétroactif, c'est une question qui ne doit pas être examinée ici vu que de toute façon elle est théorique.
Le principal moyen de défense est qu'aucun membre de l'équipage, individuellement, n'a été consulté au sujet de son adhésion à l'ITF et qu'en l'absence de consentement, il ne peut avoir existé de contrat entre eux et l'ITF, le seul contrat en existante ayant été conclu entre l'ITF et les gérants du navire défendeur. Il s'agirait donc d'une
stipulation pour autrui et on a tenté d'invoquer l'article 1029 du Code civil de la province de Québec qui prévoit qu'une fois qu'un contractant a stipulé au profit d'un tiers il ne peut révoquer sa stipulation si le tiers a fait connaître son acquiesce- ment. On a fait valoir que la preuve de la réception par les membres de l'équipage en Australie de leur carte individuelle de membre du syndicat n'équiva- lait pas à l'acceptation du contrat par eux pas plus que le fait d'avoir empoché une paye versée selon l'échelle de l'ITF pendant qu'ils se trouvaient en Australie. Indépendemment du fait qu'il soit diffi- cile de concevoir qu'ils aient pu ne pas consentir à un contrat qui était de beaucoup à leur avantage, il est certain que l'acceptation d'une paye à un taux supérieur sans protestation équivaut à une accepta- tion /tacite des modalités du contrat et ce, éventuel- lement, avec effet rétroactif à la date du contrat. Ce point n'est toutefois pas important vu que je n'estime pas que l'article 1029 du Code civil de la province de Québec puisse s'appliquer simplement parce que les procédures ont été engagées au Québec. Ce n'est pas une question de procédure mais une question de droit positif. Comme le juge Cartwright, qui fut plus tard juge en chef, l'a dit dans les motifs de sa dissidence dans l'affaire National Gypsum Company Inc. c. Northern Sales Limited 3 à la page 153:
[TRADUCTION] Le droit positif appliqué par la Cour de l'Échiquier en sa compétence d'Amirauté, est, bien entendu, le même à travers tout le Canada et ne varie pas selon le district d'Amirauté naît la cause d'action ....
Il appert que le défendeur a volontairement (quoique sans doute à la suite de pressions considé- rables), conclu un accord à Ghent pour que le navire soit armé d'un équipage de l'ITF, sachant fort bien qu'il en résulterait des taux de salaire plus élevés que ceux stipulés dans les contrats individuels de travail conclus par les membres de l'équipage amené par avion des Philippines à Ghent pour y armer le navire. Une fois que celui-ci fut en mer, le défendeur n'a pas rempli les obliga tions contractées qui, quoique contractées envers l'ITF, étaient pour le bénéfice de chacun des mem- bres de l'équipage. Bien que chaque membre d'équipage ait été lié par les modalités des contrats individuels signés conformément aux taux de salaire philippins et que sans aucun doute ils auraient respecté ces conditions, la chose leur fut
3 [1964] R.C.S. 144.
pour ainsi dire enlevée des mains par le contrat signé par les propriétaires du navire défendeur et l'ITF; j'en conclus donc qu'il faut considérer celui-ci comme remplaçant les contrats individuels et que les demandeurs ont droit aux taux de salaire plus élevés. Si l'accord conclu entre le navire et l'ITF avait stipulé des taux inférieurs de salaire, ou des conditions de travail moins favorables, je crois qu'alors les demandeurs auraient pu avoir le droit de le refuser, n'ayant pas été consultés au moment de sa conclusion. Les effets d'un contrat fait pour le bénéfice de tiers qui n'y sont pas parties sont fort différents de ceux d'un contrat fait à leur désavantage.
Les actions sont donc accueillies avec dépens et les sommes suivantes sont accordées aux deman- deurs suivants:
Romulo C. Manalaysay $ 6,947.53
Luisito M. Villaflor $ 12,751.12
Manuel M. Tumbokon $ 11,281.95
Felipe G. Gensaya Jr. $ 11,139.71
Leopoldo M. Gawaran $ 3,859.60
Alejandro S. Galanga $ 6,705.50
Danilo De La Cruz $ 6,705.50
Luis P. Pena $ 3,735.11
Jnanito L. Lucero $ 18,683.68
Crus C. Sablon $ 11,250.30
Gladio N. Ruiz $ 8,314.89
Rodolfo C. Gonzales $ 7,094.79
Arturo B. Adolfo $ 10,768.69
Sigfredo L. Torres $ 7,044.97
Joselito M. Pajarillo $ 3,735.11
Felizardo T. Rozul $ 5,723.42
Vincente L. Losbanes $ 4,823.74
Antonia F. Magbanua $ 11,435.36
Domingo G. Corcochea $ 7,300.28
Agapito A. Mallorca $ 12,750.93
Antonio P. Panaquiton $ 7,298.17
Rodolphe D. Celorico $ 5,683.39
TOTAL $185,033.74
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