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T-796-77
Louis Gabriel, Crawford Gabriel, Norman Simon, Richard Gabriel, Lawrence Jacobs, Mavis Etienne, Ronald Bonspille, tous dûment enregis- trés sous le nom de «Kanesatakeronon Indian League for Democracy» (Demandeurs)
c.
Peter Canatonquin, Hugh Nicholas, Peter Etienne, Kenneth Simon, John Montour, Wesley Nicholas, Edward Simon, Joe Nelson, Haslem Nelson, agissant illégalement sous le nom de «Six Nations Iroquois Confederacy» (chefs héréditaires traditionnels des six nations) (Défendeurs)
et
La Reine (Mise-en-cause)
Division de première instance, le juge en chef adjoint Thurlow—Montréal, le 4 mai; Ottawa, le 12 mai 1977.
Compétence Demande visant à obtenir la permission de déposer un acte de comparution conditionnelle afin de soulever une objection quant à la compétence de la Cour Contesta- tion portant sur la légalité du conseil de bande Chefs traditionnels ou conseil élu Un conseil de bande est-il un »office, une commission ou ... un autre tribunal fédéral.? Loi sur la Cour fédérale, S.R.C. 1970 (2 » Supp.), c. 10, art. 18.
A la suite d'une demande les demandeurs cherchent à obtenir un jugement déclaratoire et une injonction en vertu de l'article 18 de la Loi sur la Cour fédérale, les défendeurs sollicitent la permission de déposer un acte de comparution conditionnelle afin de soulever une objection quant à la compé- tence de la Cour. A l'audition de cette dernière demande et à la reprise de l'audience, les avocats des parties ont indiqué que la question serait jugée sur le fond des objections. L'objection des défendeurs quant à la compétence de la Cour repose sur la question de savoir si le conseil de bande est un »office, une commission ou ... un autre tribunal fédéral» au sens de l'article 2(1) de la Loi sur la Cour fédérale.
Arrêt: la demande visant à obtenir la permission de déposer un acte de comparution conditionnelle est rejetée, le délai de dépôt de la défense est prorogé et les paragraphes 13 et 14 et les paragraphes (iii) et (iv) de la demande de redressement de la déclaration sont radiés. Jusqu'au règlement de la question par un tribunal d'instance supérieure, il faut adopter le point de vue voulant que l'affaire en l'espèce soit de la compétence exclusive de la présente cour et la règle selon laquelle le conseil d'une bande est un »office, une commission ou ... un autre tribunal fédéral» aux termes de sa définition.
Arrêts analysés: Le Procureur général du Canada c. Lavell [1974] R.C.S. 1349; Rice c. Le conseil de la bande des Iroquois de Caughnawaga, 13 février 1975, non publié, Cour supérieure de Québec, 500 05-015 993-742 et
Diabo c. Le conseil Mohawk de Kanawake, 3 octobre 1975, non publié, Cour supérieure de Québec, 05-013331-754.
DEMANDE. AVOCATS:
Cyril E. Schwisberg, c.r., pour les deman-
deurs.
James A. O'Reilly pour les défendeurs.
PROCUREURS:
Schwisberg, Golt, Benson & Mackay, Mont- réal, pour les demandeurs.
O'Reilly, Hutchins & Caron, Montréal, pour les défendeurs.
Ce qui suit est la version française des motifs de l'ordonnance rendus par
LE JUGE EN CHEF ADJOINT THURLOW: La présente demande cherche à obtenir:
[TRADUCTION] ... une ordonnance accordant la permission aux défendeurs Peter Canatonquin, Hugh Nicholas, Peter Etienne, Kenneth Simon, John Montour, Wesley Nicholas, Edward Simon, Joe Nelson et Haslem Nelson, de déposer un acte de comparution conditionnelle afin de soulever une objec tion quant à la compétence de la Cour relativement aux procé- dures dont il est fait mention dans la déclaration datée du 25 février 1977 et déposée le 25 février 1977 au greffe de la Cour fédérale du Canada et quant à des irrégularités commises au début des procédures et, si la permission est accordée, une ordonnance de radiation de la déclaration et d'arrêt du procès aux motifs que la Cour n'a pas compétence pour recevoir ladite déclaration ou, subsidiairement, qu'il n'y a aucune cause rai- sonnable d'action ou, au choix, une ordonnance étendant le délai accordé aux défendeurs pour déposer un acte de comparu- tion et une défense à ladite déclaration, ou toute autre ordon- nance, comme il peut être juste.
A l'audition de la demande, après un échange de vues relatifs à la nécessité d'une comparution con- ditionnelle, on a entamé une discussion sur le mérite des objections des défendeurs portant sur la compétence et la déclaration et, à la reprise de l'audience, les avocats des parties ont indiqué que la question serait jugée sur le fond des objections soulevées et en s'appuyant sur la déclaration amen- dée déposée pendant l'ajournement.
Les demandeurs allèguent qu'ils sont membres d'une bande indienne résidant dans la réserve d'Oka. En résumé, ils soutiennent que le mode d'élection du conseil de bande a été illégalement
modifié vers 1969, et que c'est illégalement que les défendeurs ont été élus chefs héréditaires et qu'ils agissent à titre de conseil de bande. Le redresse- ment qu'on cherche à obtenir comprend une décla- ration que l'élection du conseil de la bande et de ses membres comme chefs héréditaires à vie est illégale, nulle et de nul effet. Les demandeurs réclament également l'émission d'une injonction interdisant aux défendeurs de se désigner eux- mêmes comme «chefs héréditaires», d'agir à ce titre et d'utiliser le nom Six Nations of the Iro- quois Confederacy et d'une ordonnance de procé- der à une nouvelle élection dans les six mois.
En vertu de l'article 18 de la Loi sur la Cour fédérale':
18. La Division de première instance a compétence exclusive en première instance
a) pour émettre une injonction, un bref de certiorari, un bref de mandamus, un bref de prohibition ou un bref de quo warranto, ou pour rendre un jugement déclaratoire, contre tout office, toute commission ou tout autre tribunal fédéral; et
b) pour entendre et juger toute demande de redressement de la nature de celui qu'envisage l'alinéa a), et notamment toute procédure engagée contre le procureur général du Canada aux fins d'obtenir le redressement contre un office, une commission ou à un autre tribunal fédéral.
L'expression «office, commission ou autre tribu nal fédéral» désigne, selon la définition de l'article 2,
2....
... un organisme ou une ou plusieurs personnes ayant, exerçant ou prétendant exercer une compétence ou des pouvoirs conférés par une loi du Parlement du Canada ou sous le régime d'une telle loi, à l'exclusion des organismes de ce genre constitués ou établis par une loi d'une province ou sous le régime d'une telle loi ainsi que des personnes nommées en vertu ou en conformité du droit d'une province ou en vertu de l'article 96 de l'Acte de l'Amérique du Nord britannique, 1867;
La question principale soulevée au sujet de la compétence de la Cour est celle de savoir si un conseil de bande est un «office, une commission ou ... un autre tribunal fédéral» au sens donné à cette expression., S'il en est ainsi, il m'apparaît que la procédure de redressement est d'une nature visée par l'article 18, une procédure en vue d'obtenir un redressement déclaratoire relativement à la vali- dité de la constitution du conseil au sens de l'alinéa 18a) et également une procédure de redressement qui peut être obtenue au moyen d'un bref de quo.
S.R.C. 1970 (2e Supp.), c. 10.
warranto, aux termes de l'alinéa 18b).
Le paragraphe 2(1) de la Loi sur les Indiens 2 contient une définition de l'expression «conseil de la bande» et un peu partout dans la Loi, on trouve des dispositions qui ont trait au conseil et lui accordent droits et pouvoirs. C'est le cas de l'arti- cle 9, qui donne au conseil certains droits de s'opposer à des inscriptions au registre de la bande, de l'article 13 qui assujettit l'admission au sein de la bande au consentement du conseil et des articles 18, 20, 58, 59 et 64 qui accordent des droits relatifs à l'emploi et à l'attribution de terres dans la réserve ainsi qu'à d'autres biens de la bande. De plus, l'article 81 prévoit que:
81. Le conseil d'une bande peut établir des statuts adminis- tratifs, non incompatibles avec la présente loi ou un règlement édicté par le gouverneur en conseil ou le Ministre, pour l'une ou la totalité des fins suivantes, savoir:
a) l'adoption de mesures relatives à la santé des habitants de la réserve et les précautions à prendre contre la propagation des maladies contagieuses et infectieuses;
b) la réglementation de la circulation;
c) l'observation de la loi et le maintien de l'ordre;
d) la répression de l'inconduite et des incommodités;
e) la protection et les précautions à prendre contre les empié- tements des bestiaux et autres animaux domestiques, l'éta- blissement de fourrières, la nomination de gardes-fourrières, la réglementation de leurs fonctions et la constitution de droits et redevances pour leurs services;
j) l'établissement et l'entretien de cours d'eau, routes, ponts, fossés, clôtures et autres ouvrages locaux;
g) la division de la réserve ou d'une de ses parties en zones, et l'interdiction de construire ou d'entretenir une catégorie de bâtiments ou d'exercer une catégorie d'entreprises, de métiers ou de professions dans une telle zone;
h) la réglementation de la construction, de la réparation et de l'usage des bâtiments, qu'ils appartiennent à la bande ou à des membres de la bande pris individuellement;
i) l'arpentage des terres de la réserve et leur répartition entre les membres de la bande, et l'établissement d'un registre de certificats de possession et de certificats d'occupation concer- nant les attributions, et la mise à part de terres de la réserve pour usage commun, si l'autorisation à cet égard a été accordée aux termes de l'article 60;
j) la destruction et l'enrayement des herbes nuisibles;
k) la réglementation de l'apiculture et de l'aviculture; 1) l'établissement de puits, citernes et réservoirs publics et autres services d'eau du même genre, ainsi que la réglemen- tation de leur usage;
m) la réglementation ou l'interdiction de jeux, sports, cour ses et concours athlétiques d'ordre public et autres amuse ments du même genre;
2 S.R.C. 1970, c. I-6.
n) la réglementation de la conduite et des opérations des marchands ambulants, colporteurs ou autres personnes qui pénètrent dans la réserve pour acheter ou vendre des produits ou marchandises, ou en faire un autre commerce;
o) la conservation, la protection et la régie des animaux à fourrure, du poisson et du gibier de toute sorte dans la réserve;
p) l'expulsion et la punition des personnes qui pénètrent sans droit ni autorisation dans la réserve ou la fréquentent pour des fins interdites;
q) la suite à donner à toute question découlant de l'exercice des pouvoirs prévus par le présent article, ou y accessoire; et
r) l'imposition, sur déclaration sommaire de culpabilité, d'une amende n'excédant pas cent dollars ou d'un emprison- nement d'au plus trente jours, ou de l'amende et de l'empri- sonnement à la fois, pour violation d'un statut administratif établi aux termes du présent article.
D'autres pouvoirs, y compris celui de réunir des fonds par imposition, sont également prévus à l'article 83 mais ces dispositions s'appliquent uni- quement lorsque le gouverneur en conseil déclare qu'une bande a atteint un haut degré d'avance- ment.
Les articles 78 et 79 envisagent également les cas d'inhabilité au poste de chef ou de conseiller et de destitution de ces postes pour des motifs déterminés.
Le cadre tracé par la loi ressemble, me semble- t-il, à une forme limitée de gouvernement munici pal exercé par le conseil de la réserve sur cette dernière et, puisque aucune opinion judiciaire n'a été formulée sur cette question, je conclurais qu'un seul conseil constitue un «office, une commission ou ... un autre tribunal fédéral» au sens de la Loi sur la Cour fédérale.
Cependant, dans Le Procureur général du Canada c. Lavell 3 le juge Laskin (alors juge puîné), dont l'opinion était partagée par trois autres juges de la Cour, mettait en doute le fait qu'un conseil de bande réponde à cette définition. Il dit à la page 1379:
Je partage le doute exprimé par le Juge Osler sur la question de savoir si un conseil de bande, même s'il a été élu en vertu de l'art. 74 de la Loi sur les Indiens (la Loi prévoit aussi qu'un conseil de bande peut 'être établi par coutume de la bande), est la forme de tribunal envisagée dans la définition contenue à l'al. g) de l'art. 2 de la Loi sur la Cour fédérale qui comprend «un organisme ou une ou plusieurs personnes ayant, exerçant ou prétendant exercer une compétence ou des pouvoirs conférés par une loi du Parlement du Canada.» Un conseil de bande ressemble quelque peu à un conseil d'administration d'une
3 [1974] R.C.S. 1349.
compagnie, et si on donne un sens littéral aux termes de l'al. g) de l'art. 2, ils sont assez larges pour comprendre les conseils d'administration en ce qui concerne les pouvoirs qui leur sont donnés en vertu de lois fédérales comme la Loi sur les banques, S.R.C. 1970, c. B-1, modifiée, la Loi sur les Corporations canadiennes, S.R.C. 1970, c. C-32, modifiée, et la Loi sur les compagnies d'assurance canadiennes et britanniques, S.R.C. 1970, c. I-15, modifiée. En ce qui me concerne, on peut se demander si les organismes privés (s'il m'est permis de classer ainsi les conseils d'administrations des banques et des autres compagnies) sont visés par la Loi sur la Cour fédérale en son art. 18. Cependant, je ne crois pas qu'il soit nécessaire de tirer une conclusion définitive ici sur la question de savoir s'il aurait fallu céder à la Cour fédérale le pouvoir de connaître d'une action déclaratoire intentée par M"° Bédard contre les mem- bres du conseil de bande. Dans la présente affaire, il y a un autre motif pour lequel je n'interviendrais pas dans l'exercice de compétence du Juge Osler.
D'autre part, dans Rice c. Le conseil de la bande des Iroquois de Caughnawaga 4 , la Cour supé- rieure de Québec a décliné sa compétence à émet- tre une injonction contre le conseil de la bande au motif que celui-ci constituait un «office, une com mission ou ... un autre tribunal fédéral* aux termes de la Loi sur la Cour fédérale. Le juge Bisaillon, après avoir évoqué les articles 18 et 2 de la Loi sur la Cour fédérale, a dit à la page 3 de ses motifs:
Il s'agit donc de déterminer si le «Conseil de la Bande des Iroquois de Caughnawaga» constitue tel organisme soumis, au droit de revision de la Cour fédérale.
La Loi sur les Indiens, S.R., c. 149, entre autres aux articles 2, 13, 20, 28, 39, 58, 59, 64, 66, 73, 81 et 83 définit conseil de bande et énumère ses attributions.
A la lecture de ces articles, il ne fait aucun doute que le conseil de bande est un groupe de personnes exerçant des pouvoirs administratifs qui lui viennent de la Loi sur les Indiens et constitue un organisme contre qui la présente Cour n'a pas juridiction pour émettre une injonction et pour lequel la Cour fédérale est désormais le seul tribunal compétent à entendre les pourvois en revision, dont l'injonction.
Dans Diabo c. Le conseil Mohawk de Kanawa- ke 5 , le juge Aronovitch, de la même Cour, formu- lait un point de vue semblable en disant, à la page 4:
[TRADUCTION] Les parties ne semblent pas contester que le défendeur soit un «office, une commission ou ... un autre tribunal fédéral» au sens de cet article. En tout état de cause, les définitions contenues à l'article 2 de la Loi prouvent claire- ment que le défendeur constitue un tel corps.
4 13 février 1975, non publié, Cour supérieure de Québec, 500 05-015 993-742.
5 3 octobre 1975, non publié, Cour supérieure de Québec, 05-013331-754.
Il ne semble pas, à la lecture des motifs de ces causes, que le doute exprimé dans l'arrêt Lave!! ait été porté à l'attention de la Cour.
En tout respect pour le doute exprimé et les raisons qui le motivent, mais gardant à l'esprit que la question n'est pas tranchée et que la Cour supérieure de Québec s'est déclarée incompétente, estimant que I'affaire était de la compétence exclu sive de la présente cour, je pense que, jusqu'au règlement de la question par un tribunal d'instance supérieure, il faut adopter le point de vue et la règle voulant que le conseil de la bande constitue un «office, une commission ou ... un autre tribu nal fédéral» aux termes de cette définition. Il s'ensuit que la présente cour a compétence pour connaître de l'action dans la mesure celle-ci vise à obtenir une déclaration que c'est illégalement que les défendeurs ont été élus et agissent à titre de conseil de bande.
Je n'exposerai pas en détail les nombreuses allé- gations de la déclaration amendée mais, même si quelques-unes sont d'une pertinence douteuse et que d'autres ne sont pas des modèles de conclu sions, je ne suis pas convaincu que ladite déclara- tion amendée ne révèle aucune cause raisonnable d'action contre les défendeurs y désignés.
D'autre part, je ne vois aucun fondement étayant l'opinion selon laquelle la Cour a compé- tence pour connaître d'une action visant à obtenir contre les défendeurs une injonction leur interdi- sant de se désigner eux-mêmes comme «chefs héré- ditaires» ou d'utiliser le nom Six Nations of the Iroquois Confederacy, ou pour ordonner la tenue d'une nouvelle élection. En résumé, il m'apparaît qu'en l'espèce la Cour est compétente seulement pour déterminer le droit des défendeurs à exercer les fonctions statutaires du conseil de la bande et, si les demandeurs ont gain de cause, à déclarer que les défendeurs ne sont pas chef et conseillers de la bande; les postes deviendraient alors vacants et l'autorité concernée devrait faire en sorte qu'un conseil soit légalement choisi. A mon avis, cepen- dant, les paragraphes 13 et 14 de la déclaration amendée et les paragraphes (iii) et (iv) de la demande de redressement devraient être radiés.
En l'espèce, il n'y aura aucune adjudication des dépens de la demande.
ORDONNANCE
Les paragraphes 13 et 14 et les paragraphes (iii) et (iv) de la demande de redressement de la décla- ration sont radiés.
Le délai de dépôt d'une défense est prorogé de trente jours à compter de la date de la présente ordonnance.
A tous autres égards, la demande des défendeurs est rejetée.
Aucune partie n'aura à payer à une autre les dépens de la demande.
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