Jugements

Informations sur la décision

Contenu de la décision

T-855-75
Wilma McGregor et Ralph McGregor (Deman- deurs)
c.
La Reine, The Calgary Flying Club, la ville de High River, Robert Hurman et John Hiebert (Défendeurs)
Division de première instance, le juge Addy— Calgary, le 8 novembre 1976; Ottawa, le 23 mars 1977.
Compétence Demande de rejet de l'action présentée par le deuxième et le troisième défendeurs nommés La déclaration révèle-t-elle une cause raisonnable d'action à leur égard? La Cour a-t-elle compétence? La Couronne réclame un dédommagement des défendeurs Critères pour rejeter une action avant que le procès n'ait lieu Loi sur l'aéronautique, S.R.C. 1970, c. A-3, art. 3 et 6 Règlement de l'air, art. 102, 104, 300, 305, 515, 516 et 529 Loi sur la Cour fédérale, S.R.C. 1970 (2e Supp.), c. 10, art. 23.
Calgary Flying Club et la ville de High River se sont adressés à la Cour pour obtenir le rejet de la présente action aux motifs que la déclaration ne révèle aucune cause raisonna- ble d'action à leur égard et que la Cour fédérale n'a pas compétence pour entendre l'action les opposant aux deman- deurs. Les demandeurs prétendent que la Loi sur l'aéronauti- que et le Règlement de l'air créent des devoirs statutaires qui donnent naissance à une cause d'action. La Couronne réclame à l'aéro-club et à la ville un dédommagement basé sur la négligence.
Arrêt: l'action intentée contre l'aéro-club et la ville est rejetée. Même si la déclaration révèle une cause d'action fondée sur la négligence, le seul article de la Loi sur la Cour fédérale sur lequel on peut fonder la compétence de la présente cour en l'espèce est l'article 23 et on ne peut voir dans aucune disposi tion pertinente de la Loi sur l'aéronautique ou du Règlement de l'air une intention de créer des droits que toute cour de justice peut rendre exécutoires entre sujets. Avant de rejeter une action avant que le procès n'ait lieu, la Cour doit évaluer, d'une part, l'avantage qu'il y a d'éviter d'autres pertes inutiles de temps et d'argent et de l'autre, la possibilité que l'ordon- nance soit portée en appel avec succès. La Couronne réclame un dédommagement de l'aéro-club et de la ville et n'aurait pas le droit d'intenter des poursuites devant la Cour fédérale par action distincte puisque aucune loi fédérale ne peut servir de base à l'action; en conséquence, puisque le critère pour trancher la question de compétence consiste à examiner si la Cour serait compétente si l'action était intentée contre un défendeur en particulier et puisque la Couronne n'a pas le droit de poursuivre l'aéro-club ou la ville devant la Cour fédérale, l'allégation voulant qu'il soit plus pratique et moins coûteux de poursuivre l'aéro-club et la ville devant la Cour fédérale n'a pas de fondement.
Arrêts appliqués: Anglophoto Limited c. L'«1karos» [1973] C.F. 483; Canadian Fur Co. (NA) Ltd. c. KLM Lignes aériennes royales néerlandaises [1974] 2 C.F. 944;
Orpen c. Roberts [1925] R.C.S. 364; Canadien Pacifique Liée c. Quebec North Shore Paper Company (1976) 9 N.R. 471 (C.S.C.) et McNamara Construction (Western) Limited c. La Reine (1977) 13 N.R. 181 (C.S.C.).
DEMANDE de rejet de l'action. AVOCATS:
L. M. Sali pour les demandeurs.
R. N. Dunne pour la défenderesse La Reine. N. C. Wittmann pour la défenderesse la ville de High River.
W. B. Woods pour la défenderesse Calgary Flying Club.
PROCUREURS:
McLaws & Compagnie, Calgary, pour les demandeurs.
Le sous-procureur général du Canada pour la défenderesse La Reine.
Code Hunter, Calgary, pour la défenderesse la ville de High River.
Woods, Homme, Baker, Petch & Shea, Cal- gary, pour la défenderesse Calgary Flying Club.
Ce qui suit est la version française des motifs de l'ordonnance rendus par
LE JUGE ADDY: Les demandeurs ont intenté une action en responsabilité délictuelle contre les défendeurs à la suite des dommages qu'aurait subis la demanderesse alors qu'elle montait à cheval près de l'extrémité de la piste d'envol de l'aéroport de High River. La demanderesse prétend qu'elle assistait à une exposition et à un concours hippique sur les terrains de l'aéroport au moment son cheval a eu peur et s'est emballé, la jetant au sol, lui causant ainsi des blessures et que cela est survenu à la suite de négligence dans le pilotage d'un avion, propriété en tout ou en partie de la défenderesse The Calgary Flying Club (ci-après appelée «l'aéro-club») et piloté par le défendeur Hiebert qui agissait à titre d'employé de ladite défenderesse ou, subsidiairement, qui agissait au su et avec le consentement de celle-ci.
La ville de High River (ci-après appelée «la ville») est poursuivie à titre de propriétaire et d'occupant des terres formant l'aéroport et aussi pour avoir permis que les terres servent en même temps d'aéroport et de lieu d'exposition et de
concours hippique et pour avoir manqué à son engagement que les terres seraient sans danger. Les demandeurs allèguent contre tous les défen- deurs plusieurs autres actes de négligence et plu- sieurs omissions équivalant à de la négligence, ainsi que des contraventions au Règlement de l'air, 1960' et à la Loi sur l'aéronautique 2 .
L'aéro-club et la ville se sont adressés à la présente cour pour obtenir une ordonnance reje- tant l'action intentée contre eux aux motifs que la déclaration ne révèle aucune cause raisonnable d'action à leur égard et que la présente cour n'a pas compétence pour entendre l'action les opposant aux demandeurs.
Quant au premier motif, je n'ai pas de difficulté à conclure que la déclaration révèle une cause d'action. Il y a plusieurs allégations qui, si on en fait la preuve, peuvent servir de base à une action. Avant de rejeter l'action à ce stade des procédures, on doit accepter comme principe que toutes les allégations de faits pourraient éventuellement être établies au procès.
Le deuxième motif m'apparaît avoir plus de poids et mérite un examen détaillé.
Mon collègue le juge Collier s'est récemment prononcé sur le critère applicable lorsqu'il s'agit de décider si la Cour est compétente à juger d'une demande opposant deux personnes dans Anglo - photo Limited c. L'«Ikaros» 3 . Il dit à la page 498:
Il me semble qu'un critère valable pour trancher une ques tion de compétence consiste à examiner si la Cour serait compétente si l'action était intentée contre un seul des défen- deurs au lieu d'être greffée à une action contre d'autres défen- deurs qui sont à bon droit soumis à la compétence de la Cour.
L'allégation de la déclaration voulant que le défendeur Hiebert soit un préposé de l'aéro-club, suivie du plaidoyer subsidiaire qu'il est un préposé de la Couronne, à mon avis, ne peut faire, par quelque effort d'imagination que ce soit, de l'aéro- club un préposé de la Couronne.
Le seul article de la Loi sur la Cour fédérale' sur lequel on peut fonder la compétence de la
' DORS/61-10.
2 S.R.C. 1970, c. A-3.
3 [1973] C.F. 483.
4 S.R.C. 1970 (2' Supp.), c. 10.
présente cour est l'article 23 qui lui donne compé- tence concurrente en première instance entre sujets dans les cas «une demande de redressement est faite en vertu d'une loi du Parlement du Canada ou autrement, en matière ... d'aéronautique ....»
J'ai examiné la signification du mot «aéronauti- que» dans Canadian Fur Co. (NA) Ltd. c. KLM Lignes aériennes royales néerlandaises 5 , à la page 951:
Le mot aéronautique, tel qu'il est employé dans cet article, englobe certainement l'idée de contrôle et de réglementation de la navigation aérienne au Canada, la réglementation et le contrôle des aérodromes et des stations ou postes d'aéronauti- que ainsi que les enquêtes relatives aux accidents aériens, telles que ces expressions figurent dans la Loi sur l'aéronautique (S.R.C. 1970, c. A-3).
Je ne connais aucune décision ultérieure suscep tible de me persuader de modifier mon point de vue relativement à la signification de ce mot utilisé à l'article 23.
La seule loi du Parlement qui peut donner com- pétence en ce domaine est la Loi sur l'aéronauti- que. Aucune disposition particulière de la Loi sur l'aéronautique ou du Règlement de l'air établi sous son régime ne crée de demande de redresse- ment ou un recours sur lequel on puisse se fonder pour recouvrer des dommages-intérêts entre sujets. La Loi porte seulement sur la délivrance de permis, le contrôle, la sécurité et les pouvoirs d'enquête et prévoit également des peines pour les infractions aux règlements.
L'avocat des demandeurs prétend que la Loi et le Règlement de l'air créent le devoir de s'abstenir de piloter un avion de façon négligente ou de mettre indûment en danger les personnes ou les biens à la surface. Il prétend également que la création d'un devoir statutaire donne naissance à une cause d'action et qu'il n'est pas nécessaire que la loi prévoie expressément un recours ou un droit de recouvrer des dommages. Il s'appuie sur le paragraphe suivant tiré de la page 345 de Henzel c. Brussels Motors Ltd. 6 :
5 [1974] 2 C.F. 944.
6 [1973] 1 O.R. 339.
[TRADUCTION] Si la loi impose un devoir pour protéger des citoyens ou un groupe de citoyens, à première vue, un droit corrélatif est dévolu au même moment à ces citoyens et à première vue, donc, ils bénéficieront d'un recours pour sanc- tionner ce droit, à savoir, une action en dommages-intérêts pour toute perte survenue à la suite d'une violation de la loi. Le droit anglais est rempli de cas une contravention à un devoir imposé par la loi donne lieu à une action qui peut être intentée par ceux qui, à l'intérieur d'un groupe particulier de personnes, devaient être touchés; par exemple, les travailleurs soumis à la Factories Act et les mineurs soumis à la Mines and Quarries Act. Dans ces cas, la Cour a conclu, dans l'ensemble, à une responsabilité absolue en faveur de ces travailleurs en tant que groupe particulier à l'intérieur de catégories de gens que la Loi concernée était destinée à protéger. On a conclu à cette respon- sabilité malgré la présence d'une disposition prévoyant une peine dans les différentes lois en vertu desquelles l'employeur peut être poursuivi pour ne pas avoir pris certaines mesures de sécurité.
Il s'appuie sur les articles 3 et 6 de la Loi sur l'aéronautique. L'article 3 traite des devoirs du Ministre et ne peut créer, à mon avis, un droit d'action et n'impose aucun devoir à qui que ce soit, si ce n'est au Ministre.
L'avocat des demandeurs n'a signalé ni dans ses plaidoiries, ni dans son argumentation écrite les dispositions particulières de l'article 6 sur lesquel- les il s'appuie ou comment une partie de cet article peut s'appliquer aux faits invoqués. Les seules dispositions qui m'apparaissent vaguement perti- nentes sont les alinéas d) et i) du paragraphe (1). En voici le libellé:
6. (1) Sous réserve de l'approbation du gouverneur en con- seil, le Ministre peut établir des règlements ... concernant:
d) les conditions dans lesquelles les aéronefs peuvent être utilisés ou mis en service;
i) l'établissement et l'application des principes de droit, règles et règlements qui peuvent être jugés nécessaires pour la navigation sûre et convenable des aéronefs au Canada, y compris la mer territoriale du Canada et toutes les eaux du côté de la ligne de base qui fait face à la terre, ainsi que des aéronefs enregistrés au Canada, en quelque endroit qu'ils se trouvent;
On doit mentionner que la Loi ne prévoit pas expressément la promulgation d'un règlement créant, entre sujets, un recours à la suite d'une contravention à une disposition de la Loi ou du Règlement. Je doute sérieusement qu'on puisse voir dans l'ensemble de la Loi sur l'aéronautique
ou le Règlement de l'air une intention de créer, en faveur des sujets, des droits que la présente cour ou toute cour de justice peut rendre exécutoires entre eux. Les principes sur lesquels s'appuie l'arrêt Orpen c. Roberts' et réitérés dans Direct Lumber Company Limited c. Western Plywood Company Limited 8 sembleraient s'appliquer. Quoi qu'il en soit, puisqu'on peut soutenir que les mots «ou autrement» contenus dans l'expression «en vertu d'une loi du Parlement ou autrement» tirée de l'extrait précité de l'article 23 de la Loi sur la Cour fédérale englobe tout règlement validement édicté et qu'un règlement peut créer un devoir, il vaut la peine d'examiner l'applicabilité du Règle- ment de l'air.
L'avocat des demandeurs s'appuie sur les arti cles 102, 104, 300, 305, 515, 516 et 529 du Règlement.
Il a invoqué de façon générale dans sa déclara- tion les articles 102, 104, 305 et 516, sans men- tionner dans ses plaidoiries ou son argumentation écrite dans quelle mesure ils pouvaient s'appliquer. Je les ai lus et je ne vois pas comment ils peuvent créer, entre sujets, un droit d'action et comment ils peuvent avoir un rapport avec le point en litige compte tenu des allégations de négligence soule- vées par les faits relatés en l'espèce.
On allègue que l'article 300 s'applique à la ville. Il interdit l'utilisation de terres comme aéroport à moins qu'un permis ait été délivré à cet effet. Il ne crée aucun droit d'action entre sujets pour défaut d'obtenir un permis et, même si c'était le cas, je ne vois pas comment ce défaut peut servir de base à une réclamation en dommages-intérêts pour lésions corporelles.
Il reste donc les articles 515 et 529. Voici d'abord le texte de l'article 515:
515. (1) Aucun aéronef ne sera piloté avec négligence ou imprudence, de façon à constituer un danger pour la vie ou les biens de qui que ce soit.
(2) Sous réserve du paragraphe (3), nul ne pilotera un aéronef de façon à créer une onde de choc ou une détonation transsonique susceptibles de mettre en danger un autre aéronef, de nuire à la santé des personnes ou des animaux ou d'endom- mager la propriété.
7 [1925] R.C.S. 364 la page 370.
8 [1962] R.C.S. 646.
(3) Le Ministre peut publier des ordonnances ou des directi ves relatives à l'exploitation d'un aéronef en vol sonique ou supersonique.
Cet article n'impose au pilote aucun devoir qui ne lui est déjà imposé par le droit commun de la responsabilité délictuelle.
L'article 529 prévoit que les avions doivent voler à une altitude minimum au-dessus des aggloméra- tions habitées et autres, sauf lors du décollage et de l'atterrissage et sauf autorisation expresse du Ministre. Cette disposition peut bien imposer au pilote un devoir dont la contravention entraîne la responsabilité de l'aéro-club si, comme le prétend l'avocat des demandeurs, ce devoir donne aux demandeurs un droit d'action contre le pilote. Cependant, je ne puis accepter que cette proposi tion soit de portée générale. Il existe d'innombra- bles cas un devoir imposé par la loi n'appelle pas un droit correspondant d'action civile entre sujets.
Avant de rejeter une action, sur requête de cette nature, avant que le procès n'ait lieu, la Cour doit évaluer, d'une part, l'avantage qu'il y a d'éviter les frais supplémentaires et les pertes inutiles de temps et d'efforts qu'un procès entraîne et, de l'autre, la possibilité que l'ordonnance accueillant la requête et rejetant l'action soit portée en appel avec succès, avec pour résultat non seulement un double mémoire de frais mais un nouveau procès, dans l'éventualité un procès avait déjà eu lieu entre-temps. Pour ce faire, le juge qui entend la requête ne doit l'accueillir que s'il est convaincu que son ordonnance ne peut être portée en appel avec succès.
La jurisprudence récente sur le sujet compte, d'une part, l'arrêt Canadien Pacifique Ltée c. Quebec North Shore Paper Company 9 . Cette action était basée sur un contrat qui prévoyait expressément que le droit applicable serait celui du Québec et elle n'avait pas trait à une faute délic- tuelle. Cependant, le langage utilisé et le raisonne- ment sur lequel la décision paraît être basée sem- blent amener des conclusions par trop générales et lourdes de conséquence sur la compétence de la présente cour, ce qui peut avoir une incidence importante sur les principes appliqués dans des
9 (1976) 9 N.R. 471 (C.S.C.).
causes précédentes, par exemple dans Okanagan Helicopters Ltd. c. Canadien Pacifique Limitée 10 , décision rendue par mon collègue le juge Maho- ney. Même si le langage utilisé par la Cour suprême du Canada dans l'arrêt Quebec North Shore (précité) a pu être plus large qu'il n'était effectivement nécessaire pour juger de l'appel comme elle l'a fait, la plus récente décision una- nime de la Cour suprême dans McNamara Con struction (Western) Limited c. La Reine", ne laisse, à mon avis, aucun doute quant à la manière dont la Cour suprême a l'intention d'appliquer le langage de l'arrêt Quebec North Shore, (précité).
La Couronne, défenderesse en l'espèce, a signifié à la ville et à l'aéro-club un avis leur réclamant un dédommagement basé sur la négligence. Avant l'arrêt McNamara, (précité) lorsqu'une action était rejetée contre les requérants à ce stade-ci, on pouvait présumer que la Couronne, dans une action distincte, réclamerait un dédommagement aux mêmes défendeurs en invoquant les mêmes motifs, et que, sur la foi de la jurisprudence anté- rieure, la présente cour aurait entièrement compé- tence pour entendre cette action. On pourrait ainsi prétendre que les auteurs de la présente requête auraient, de toute façon, à supporter les soucis et les dépenses d'un procès et qu'il n'y aurait rien à gagner du strict point de vue des frais. Cependant, l'arrêt McNamara, renversant toute la jurispru dence antérieure, établit de façon tout à fait claire que, même si la Couronne elle-même est demande- resse, elle ne peut intenter de poursuites sur la base d'un contrat devant la Cour fédérale simplement parce qu'elle est demanderesse. Les termes de ce jugement ne tendent pas à limiter ce principe au droit des contrats. Au contraire, ils étendent ce principe à tous les cas à moins que le droit de la Couronne ne s'appuie sur une loi fédérale exis- tante. Puisque aucune loi fédérale existante ne peut servir de base à l'action, la Couronne elle- même n'aurait pas le droit d'intenter des poursui- tes devant la présente cour par action distincte et les arguments basés sur la commodité et les frais n'ont pas de fondement.
Pour ces motifs, j'accueille la demande avec dépens et jugement sera rendu rejetant l'action contre les requérants avec dépens.
10 [1974] 1 C.F. 465.
" (1977) 13 N.R. 181 (C.S.C.).
 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.