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T-656-77
Robert Anthony McKend (Demandeur)
c.
La Reine (Défenderesse)
Division de première instance, le juge Mahoney— Toronto, le 17 mai; Ottawa, le 26 mai 1977.
Libération conditionnelle Accordée par la Commission nationale des libérations conditionnelles Peine d'emprison- nement de deux années déterminées moins un jour et d'un an indéterminé Actes criminels commis peu avant la suspen sion de la libération conditionnelle Libération condition- nelle frappée de déchéance Période d'emprisonnement à purger Est-ce la loi fédérale ou la loi ontarienne qui s'applique? Loi sur la libération conditionnelle de détenus, S.R.C. 1970, c. P-2, art. 13, 17(1), 21(1), S.R.C. 1970 ( 1e 1 Supp.), c. 31, art. 21 The Ministry of Correctional Services Act, S.R.O. 1970, c. 110, art. 26, 30(1).
Le demandeur, condamné le 4 juillet 1973 à une peine d'emprisonnement de deux années déterminées moins un jour et d'un an indéterminé a commencé à purger sa peine dans une institution pénitentiaire de l'Ontario;il devait finir de purger sa peine le 2 juillet 1976. La Commission nationale des libérations conditionnelles lui a accordé sa libération conditionnelle le 17 septembre 1974. Le 25 juin 1976, le demandeur a été accusé d'actes criminels et a, par la suite, été déclaré coupable et condamné. La Commission nationale des libérations condition- nelles a frappé de déchéance la libération conditionnelle du demandeur. Les méthodes fédérale et ontarienne de calcul de la peine d'emprisonnement à purger à cause de la déchéance de la libération conditionnelle ont fait apparaître l'écart très impor tant entre les deux résultats obtenus.
Arrêt: l'action est rejetée. Aux termes de la Loi sur la libération conditionnelle de détenus, la Commission nationale des libérations conditionnelles avait la compétence exclusive à cette époque pour accorder au demandeur la liberté condition- nelle. La loi fédérale n'interprète nullement la libération condi- tionnelle octroyée par la Commission nationale des libérations conditionnelles comme une libération conditionnelle octroyée par le Bureau de libération conditionnelle de l'Ontario et la loi provinciale est muette sur ce point. Le Bureau de libération conditionnelle de l'Ontario n'a pas octroyé de liberté condition- nelle au demandeur. La liberté conditionnelle octroyée par la Commission nationale des libérations conditionnelles en vertu de la Loi sur la libération conditionnelle de détenus continue d'être régie par la loi fédérale pour ce qui est de la déchéance de la libération conditionnelle et de ses conséquences bien que la partie déterminée de la sentence du détenu à liberté condi- tionnelle ait été expirée et que s'il ne se fût agi à ce moment de l'octroi plutôt que de la déchéance de la libération condition- nelle, la question aurait été soumise au Bureau de libération conditionnelle de l'Ontario.
ACTION. AVOCATS:
David P. Cole pour le demandeur. Thomas L. James pour la défenderesse.
PROCUREURS:
David P. Cole, Toronto, pour le demandeur. Le sous-procureur général du Canada pour la défenderesse.
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
LE JUGE MAHONEY: Le demandeur serait cer- tainement avantagé si les conséquences de ses actes criminels commis quand il était en liberté conditionnelle, tombaient sous le coup de la loi provinciale et non de la loi fédérale. Avec les réductions de peine habituelles, il devrait être bien- tôt mis en liberté au lieu de purger une peine plus longue au pénitencier. Les faits matériels ne sont pas contestés.
Le 4 juillet 1973, le demandeur a été condamné pour vol à une peine d'emprisonnement de deux années déterminées moins un jour et d'un an indé- terminé. Il a commencé à purger sa peine dans des institutions pénitentiaires tenues par la province de l'Ontario. Il a demandé de bénéficier de la libéra- tion conditionnelle. Le Bureau de libération condi- tionnelle de l'Ontario a informé la Commission nationale des libérations conditionnelles qu'il rie s'opposait pas à l'octroi de la liberté conditionnelle et le ministère des Services de réhabilitation de l'Ontario a exprimé le désir d'assurer la surveil lance du détenu lors de sa mise en liberté. La Commission nationale des libérations conditionnel- les a accordé la liberté conditionnelle au deman- deur qui a été mis en liberté le 17 septembre 1974. Normalement, le demandeur aurait fini de purger sa peine le 2 juillet 1976.
Mais les choses n'ont pas bien tourné. Le 25 juin 1976, le demandeur a été accusé de possession et de mise en circulation de faux billets, actes crimi- nels punissables d'un emprisonnement de deux ans au moins. Il a été arrêté le 26 juin et détenu jusqu'à sa condamnation. Il reçut une sentence de neuf mois le 14 octobre et fut transféré au péniten- cier de Kingston il se trouve actuellement. Le 29 juin, la Commission nationale des libérations conditionnelles a émis un mandat de suspension qui a été exécuté le 2 juillet et annulé le 15 juillet. Un mandat frappant de déchéance la libération conditionnelle du demandeur a été exécuté le 22 novembre.
On ne conteste pas le calcul de la période d'em- prisonnement, qui fait suite à ces événements, aux termes de la loi fédérale'.
Première période d'emprisonnement restant à
purger (du 17 septembre 1974 au 2 juillet 1976) 654 jours
Sentence de neuf mois imposée le 14 octobre 1976 273 jours
Moins la peine purgée en liberté conditionnelle
(du 2 au 15 juillet 1976) (14 jours)
Période totale d'emprisonnement à compter du
14 octobre 1976 913 jours
Le calcul en vertu de la loi provinciale 2 aurait été ainsi:
' Loi sur la libération conditionnelle de détenus, S.R.C. 1970, c. P-2.
17. (1) Lorsqu'un individu qui est ou qui a été à un moment un détenu à liberté conditionnelle est déclaré coupa- ble d'un acte criminel punissable d'un emprisonnement d'au moins deux ans, commis après que la libération lui a été accordée et avant qu'il ait été relevé des obligations de cette libération conditionnelle ou avant l'expiration de sa sentence, sa libération conditionnelle est, de ce fait, frappée de déchéance et cette déchéance est censée dater du jour l'infraction a été commise.
21. (1) Lorsqu'une libération conditionnelle est frappée de déchéance par une déclaration de culpabilité d'un acte criminel, le détenu à liberté conditionnelle doit purger un emprisonnement, commençant lorsque la sentence pour l'acte criminel lui est imposée, d'une durée égale au total
a) de la partie de l'emprisonnement auquel il a été con- damné qui n'était pas encore expirée au montent de l'octroi de cette libération, y compris toute période de réduction de peine inscrite à son crédit, notamment la réduction de peine méritée,
b) de l'emprisonnement, le cas échéant, auquel il est con- damné sur déclaration de culpabilité de l'acte criminel, et
c) du temps qu'il a passé en liberté après que la sentence pour l'acte criminel lui a été imposée, à l'exclusion du temps qu'il a passé en liberté en conformité d'une libéra- tion conditionnelle à lui accordée après qu'une telle sen tence lui a été imposée,
moins le total
d) du temps antérieur à la déclaration de culpabilité de l'acte criminel lorsque la libération conditionnelle était suspendue ou révoquée et durant lequel il était sous garde en raison d'une telle suspension ou révocation, et
e) du temps qu'il a passé sous garde après déclaration de culpabilité de l'acte criminel avant l'imposition de la sen tence pour l'acte criminel.
2 The Ministry of Correctional Services Act, S.R.O. 1970, c. 110.
[TRADUCTION] 30. (1) Tout détenu à liberté condition- nelle qui est déclaré coupable d'un acte criminel doit purger une peine d'emprisonnement d'une durée égale à la partie de l'emprisonnement auquel il a été condamné en premier lieu qui n'était pas encore expirée au moment l'infraction a été commise, y compris toute partie d'emprisonnement auquel il a pu être condamné.
Partie de l'emprisonnement originaire non expi
rée (du 26 juin au 2 juillet 1976) 7 jours
Sentence de neuf mois imposée le 14 octobre 1976 273 jours
Peine totale d'emprisonnement commençant le 14
octobre 1976 280 jours
Il va sans dire qu'à défaut de certitude à propos de la loi applicable au demandeur, celui-ci a droit au bénéfice du doute et il peut se voir appliquer la loi provinciale.
Tout d'abord, la libération conditionnelle du demandeur et la déchéance de celle-ci sont interve- nues conformément à une loi dûment adoptée par le Parlement du Canada dans l'exercice de sa compétence législative en matière de droit crimi- ne1 3 . Il s'ensuit que toute compétence provinciale dans ce domaine doit être déléguée par le Parle- ment du Canada.
Les dispositions fondamentales adoptées par le Parlement sont l'article 6 de la Loi sur la libéra- tion conditionnelle de détenus:
6. Sous réserve de la présente loi et de la Loi sur les prisons et maisons de correction, la Commission est exclusivement compétente pour accorder, refuser d'octroyer ou révoquer la libération conditionnelle, et elle jouit d'une discrétion absolue à cet égard.
Aucune disposition de cette loi ne porte atteinte à la compétence exclusive de la Commission natio- nale des libérations conditionnelles. Cependant, la Loi sur les prisons et les maisons de correction 4 porte que:
41. Le lieutenant-gouverneur de la province d'Ontario peut nommer, pour ladite province, un Bureau de libération condi- tionnelle, qui doit, de temps à autre, s'enquérir des causes des prisonniers condamnés à la maison de correction de l'Ontario, à la maison de correction Andrew Mercer ou à une ferme indus- trielle. Lorsque, à la suite de ladite enquête, le bureau le juge utile, il peut permettre que des prisonniers qui purgent des condamnations indéterminées, soient libérés à des conditions approuvées par le solliciteur général du Canada, et, lorsqu'ont été observées les conditions auxquelles les prisonniers ont été libérés, le bureau peut recommander à la considération du solliciteur général l'élargissement définitif de ces prisonniers.
Forte de cette autorité, la législature de l'Ontario a formulé les principes suivants dans The Ministry of Correctional Services Act:
[TRADUCTION] 26. Sous réserve du règlement, la Commis sion peut ordonner la libération conditionnelle de toute per- sonne détenue dans une institution pénitentiaire,
3 Acte de l'Amérique du Nord britannique, 1867, art. 91(27). 4 S.R.C. 1970, c. P-21.
b) mentionnée à l'article 43 5 de la Loi sur les prisons et les maisons de correction (Canada) et purgeant une condamna- tion indéterminée,
d'être mise en liberté durant la partie indéterminée de sa sentence.
La proposition selon laquelle les conséquences de la déchéance de la libération conditionnelle du demandeur doivent être soumises à la loi provin- ciale plutôt qu'à la loi fédérale s'explique parce que cette déchéance est intervenue après l'expira- tion de la partie déterminée de l'emprisonnement au cours de la période indéterminée de sa sentence. Comme à la date de la déchéance, c'est la loi provinciale, et non la loi fédérale qui aurait régi l'octroi de la libération conditionnelle on prétend que la loi provinciale aurait également régi la déchéance; du moins, il n'est pas certain que cela soit du ressort de la loi fédérale et le demandeur a donc droit au bénéfice du doute. Comme l'a dit le juge Dickson au nom de la majorité des juges de la Cour suprême dans l'affaire Marcotte 6 :
Si quelqu'un doit être incarcéré, il devrait au moins savoir qu'une loi du Parlement le requiert en des termes explicites, et non pas, tout au plus, par voie de conséquence.
La sentence «d'une peine d'emprisonnement de deux années déterminées moins un jour et d'une année indéterminée» ne constitue pas deux senten ces différentes mais une seule. Si l'on n'interprète pas ainsi le sens courant de la phrase, l'article 14 de la Loi sur la libération conditionnelle de déte- nus donne cette interprétation pour les fins de la Loi'. (Il y avait aussi deux peines concurrentes de
5 L'article 43 de la Loi sur les prisons et les maisons de correction est devenu l'article 41 dans les Statuts révisés du Canada en 1970.
6 Marcotte c. Le sous-procureur général du Canada [1976]
1 R.C.S. 108, la page 115.
' 14. Lorsque, le 26 août 1969 ou avant ou après cette date,
a) un individu est condamné à deux périodes d'emprison- nement ou plus ou que
b) un détenu qui est en détention est condamné à une ou des périodes supplémentaires d'emprisonnement,
il est, à toutes les fins de la présente loi, de la Loi sur les pénitenciers et de la Loi sur les prisons et les maisons de correction, censé avoir été condamné le jour il a été ainsi condamné. dans les circonstances visées à l'alinéa a) ou le jour il a été condamné à la période d'emprisonnement qu'il est alors en train de purger dans les circonstances visées à l'alinéa b), à une seule période d'emprisonnement commençant ce jour et se terminant le dernier jour il aurait été assujetti à la détention en vertu de la plus longue de ces condamnations ou en vertu de toutes ces condamnations qui doivent être purgées l'une après l'autre, en prenant de ces deux dates celle qui intervient la dernière.
six mois pour possession qui avaient expiré avant l'octroi de la libération conditionnelle et qui ne sont pas pertinentes en l'espèce.)
Le demandeur a demandé et obtenu la libération conditionnelle pendant qu'il purgeait la partie déterminée de sa sentence. Aux termes de la Loi sur la libération conditionnelle de détenus, la Commission nationale des libérations conditionnel- les avait la compétence exclusive à cette époque pour lui accorder la liberté conditionnelle. La loi fédérale n'interprète nullement la libération condi- tionnelle octroyée par la Commission nationale des libérations conditionnelles comme une libération conditionnelle octroyée par le Bureau de libération conditionnelle de l'Ontario et la loi provinciale est muette sur ce point. Le Bureau de libération con- ditionnelle de l'Ontario n'a jamais octroyé de liberté conditionnelle au demandeur et cela aurait été d'ailleurs interdit par la loi provinciale. Le pouvoir discrétionnaire du Bureau de libération conditionnelle de l'Ontario se borne à la mise en liberté conditionnelle de «toute personne détenue dans une institution pénitentiaire». Une personne mise en liberté conditionnelle par la Commission nationale des libérations conditionnelles ne répond simplement pas à ce critère.
Selon la Loi sur la libération conditionnelle de détenus, il est clair qu'à l'exception de la libération conditionnelle de jour, un détenu à liberté condi- tionnelle ne purge pas sa peine». Cela dit, la délégation de pouvoirs prévue à l'article 41 de la Loi sur les prisons et les maisons de correction au sujet des «prisonniers qui purgent des condamna- tions indéterminées» ne s'étend pas à un détenu à liberté conditionnelle qui n'est pas en liberté condi- tionnelle de jour.
La liberté conditionnelle octroyée par la Com mission nationale des libérations conditionnelles en vertu de la Loi sur la libération conditionnelle de détenus continue incontestablement d'être régie par cette loi pour ce qui est de la déchéance de la libération conditionnelle et de ses conséquences
8 13. (1) La période d'emprisonnement d'un détenu à liberté conditionnelle, tant que cette dernière continue d'être ni révo- quée ni frappée de déchéance, est réputée rester en vigueur jusqu'à son expiration conformément à la loi, et, dans le cas d'une liberté conditionnelle de jour, le détenu à liberté condi- tionnelle est réputé continuer à purger sa période d'emprisonne- ment au lieu de détention d'où il a été relâché sur libération conditionnelle.
bien que la partie déterminée de la sentence du détenu à liberté conditionnelle ait été expirée et que s'il ne se fût agi à ce moment de l'octroi plutôt que de la déchéance de la libération conditionnelle, la question aurait été soumise au Bureau de libéra- tion conditionnelle de l'Ontario conformément aux dispositions de la loi provinciale.
L'appel est rejeté avec dépens. La défenderesse a demandé les dépens et y a droit. Cependant, il me semble qu'en l'espèce, les frais devraient être taxés en classe I et non en classe II comme le prévoit l'alinéa 1(3)b) du Tarif A.
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