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A-70-77
Luc Doyon (Requérant) c.
La Commission des relations de travail dans la Fonction publique (Intimée)
et
La Reine (Mise-en-cause)
Cour d'appel, les juges Pratte et Le Dain et le juge suppléant Hyde—Montréal, le 3 mai; Ottawa, le 17 juin 1977.
Examen judiciaire Interprétation d'un article de la con vention collective Ambiguïté de l'article Présentation d'une preuve de faits extrinsèques La preuve de faits extrinsèques était-elle admissible? Convention conclue entre le Conseil du Trésor et le Conseil des syndicats postaux, groupe Manutention du courrier (non-surveillants), article 22.10 Loi sur les relations de travail dans la Fonction publique, S.R.C. 1970, c. P-35, art. 23 Loi sur la Cour fédérale, art. 28.
Un arbitre et, en appel, la Commission des relations de travail dans la Fonction publique ont conclu que la preuve extrinsèque de l'invention des parties devrait être admise, vu l'ambiguïté de l'article de la convention collective qu'il s'agit d'interpréter. Le requérant demande un examen judiciaire en alléguant que l'arbitre et la Commission ont commis une erreur de droit.
Arrêt: la requête est accueillie. Ce qui semble expliquer l'erreur commise par l'arbitre et la Commission, c'est que la preuve paraît démontrer que les termes de l'article 22.10 ne reflétaient pas l'intention commune des parties. Bien que la Cour hésite à faire prévaloir la lettre de l'écrit qui constate un contrat sur la commune intention des parties, c'est pourtant ce qu'il faut faire ici. Si un contrat est clair, on ne peut lui attribuer un sens différent de son sens apparent au motif que les parties ont voulu dire autre chose que ce qu'elles ont dit. On a dit que cette règle très ancienne ne devait pas s'appliquer à l'interprétation des conventions collectives de travail, mais on n'a fourni aucun argument pouvant justifier pareille conclusion.
DEMANDE. AVOCATS:
Paul Lesage pour le requérant.
Personne n'a comparu pour l'intimée.
Jean-Claude Demers pour la mise-en-cause.
PROCUREURS:
Trudel, Nadeau, Létourneau, Lesage & Cleary, Montréal, pour le requérant.
John E. McCormick, Ottawa, pour l'intimée. Le sous-procureur général du Canada pour la mise-en-cause.
Voici les motifs du jugement rendus en français par
LE JUGE PRATTE: Le requérant demande l'an- nulation en vertu de l'article 28 de la Loi sur la Cour fédérale d'une décision de la Commission des relations de travail dans la Fonction publique. Par cette décision, la Commission, tranchant une ques tion de droit qui lui avait été déférée suivant l'article 23 de la Loi sur les relations de travail dans la Fonction publique, a affirmé la légalité d'une sentence arbitrale qui avait rejeté un grief présenté par le requérant.
Le requérant est un employé du ministère des Postes. Le soir du 15 juillet 1974, il devait se présenter au travail à 23 heures et demie et tra- vailler jusqu'à huit heures le lendemain matin. Se sentant malade, il demeura chez lui; peu de temps après, se sentant mieux, il se rendit au travail. Il arriva une heure et quarante-cinq minutes en retard et l'employeur lui coupa son salaire en conséquence. Le requérant présenta alors un grief, prétendant que, malgré son retard ce jour-là, il avait droit de recevoir tout son salaire en vertu de l'article 22.10a) de la convention collective régis- sant ses conditions de travail.
Cet article 22.10 de la convention se lit comme suit:
22.10 Les absences pour congé de maladie sont déduites du crédit des congés de maladie accumulés pour chaque jour de travail normal l'exclusion des jours fériés définis à la clause 20.01). Lorsqu'un employé est absent durant une partie de son poste pour cause de maladie, les déductions sur les crédits de congé de maladie se font de la façon suivante:
a) six (6) heures ou plus en devoir—aucune déduction,
b) deux (2) heures ou plus en devoir mais moins de six (6),—une demi ('h ) journée de congé de maladie,
c) moins de deux (2) heures en devoir—un (1) jour de congé de maladie.
L'employeur rejeta le grief du requérant préten- dant qu'un employé ne pouvait bénéficier de l'arti- cle 22.10a) que si son absence avait été précédée d'au moins six heures de travail.
L'affaire fut renvoyée à l'arbitrage. L'em- ployeur présenta alors une preuve dans le but d'établir que l'article 22.10 ainsi que des clauses identiques dans des conventions collectives anté- rieures avaient toujours été interprétés par toutes les parties concernées dans le sens proposé par l'employeur. L'arbitre, considérant que l'article
22.10 était obscur, jugea cette preuve admissible, et, interprétant ensuite la convention à la lumière des faits ainsi établis, il rejeta le grief.
Le requérant déféra le problème de la légalité de cette décision à la Commission des relations de travail dans la Fonction publique. Le requérant prétendait en effet que l'arbitre avait commis une erreur de droit en admettant la preuve de faits extrinsèques à la convention dont il avait, en con- séquence, dénaturé le sens.
La Commission a jugé que, l'article 22.10a) étant obscur, l'arbitre avait eu raison d'admettre la preuve; elle a aussi jugé que, à la lumière de cette preuve, l'arbitre avait eu raison d'interpréter la convention comme il l'avait fait.
La seule question que soulève cette affaire est celle de l'admissibilité de la preuve sur laquelle l'arbitre a fondé son interprétation de la conven tion. En effet, il me paraît que si cette preuve a été légalement admise, il est difficile de contester la légalité de la décision de l'arbitre et, partant, celle de la Commission. Car les faits ainsi mis en preuve montrent qu'il est au moins probable que les par ties à la convention ont voulu, en stipulant l'article 22.10, indiquer de quelle façon devraient être effectuées «les déductions sur les crédits de congé de maladie» dans le cas un employé serait absent pour cause de maladie après avoir travaillé, «une partie de son poste» et non pas, comme le dit la convention, «durant une partie de son poste».
La Commission a affirmé fort justement, comme l'avait d'ailleurs fait l'arbitre, qu'on ne peut avoir recours à une preuve de faits externes («extrinsic evidence») pour interpréter un contrat à moins qu'il ne soit obscur. Et c'est parce qu'elle a jugé que l'arbitre avait eu raison de dire que l'article 22.10 était obscur qu'elle a décidé comme elle l'a fait. Je ne peux partager l'opinion de la Commission sur ce point. L'article litigieux de la convention me paraît clair et je n'y peux déceler aucune ambiguïté, obscurité ou équivoque. C'est dire que, à mon avis, la décision de l'arbitre était entachée d'une erreur de droit car, le texte de la convention étant clair, il ne devait pas être interprété.
Ce qui me semble expliquer l'erreur commise par l'arbitre et par la Commission, c'est que la preuve semblait démontrer que l'article 22.10, tel
que rédigé, ne reflétait pas l'intention commune des parties. Or, on hésite toujours à faire prévaloir la lettre de l'écrit qui constate un contrat sur la commune intention des parties. C'est pourtant ce qu'il faut parfois faire. On peut citer à ce sujet ce que disait lord Simon of Glaisdale dans L. Schuler A. G. c. Wickman Machine Tool Sales Ltd. [1974] A.C. 235 (C.L.) à la page 263:
[TRADUCTION] Il existe un principe de droit qui s'applique ici .... Il a souvent été formulé, mais c'est dans Norton on Deeds (1906) p. 43 qu'il est énoncé avec le plus de netteté:
. il faut toujours se demander: «Que signifie ce que les parties ont dit?» et non pas: «Qu'ont-elles voulu dire?»... car, selon une présomption irréfragable ... les parties ont dit ce qu'elles voulaient dire.
L'une des parties peut toujours faire rectifier un document qui n'exprime pas l'intention commune des parties; mais, tant qu'on ne modifie pas ledit document, la règle d'interprétation énoncée dans Norton s'applique.
Si un contrat est clair, on ne peut, dans le but de lui attribuer un sens différent de son sens appa rent, établir que les parties ont voulu autre chose que ce qu'elles ont dit. On a dit que cette règle fort ancienne ne devait pas s'appliquer à l'interpréta- tion des conventions collectives de travail. Mais on n'a fourni aucun argument pouvant justifier pareille conclusion.
Pour ces motifs, je casserais la décision de la Commission et lui renverrais l'affaire pour qu'elle la décide en prenant pour acquis que, en l'espèce, l'article 22.10 est clair et que, en conséquence, il ne saurait être interprété à la lumière d'une preuve tendant à en modifier le sens.
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LE JUGE LE MAIN y a souscrit.
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LE JUGE SUPPLÉANT HYDE y a souscrit.
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