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T-762-77
Michel Ouimet (Demandeur)
c.
La Reine (Défenderesse)
Division de première instance, le juge Cattanach— Ottawa, les 5 et 25 octobre 1977.
Compétence Fonction publique Article 30(2) du Règlement sur l'emploi dans la Fonction publique,DORS/67- 129 Période de stage de l'employé prolongée, en vertu de l'art. 30(2) du Règlement, au-delà de la période prescrite par le Règlement Renvoi de l'employé en période de prolonga tion de stage L'art. 30(2) est-il ultra vires? Loi sur l'emploi dans la Fonction publique, S.R.C. 1970, c. P-32 art. 6, 28 Règlement sur l'emploi dans la Fonction publique, DORS/67-129, art. 30.
Le directeur régional du Service canadien des pénitenciers a prolongé, en vertu de l'article 30(2) du Règlement sur l'emploi dans la Fonction publique, la période de stage de l'employé au-delà de la période prescrite par le Règlement. Le demandeur a été informé de son renvoi pendant la période de prolongation de son stage. La Commission des relations de travail dans la Fonction publique, après avoir entendu le grief du demandeur, a conclu qu'elle n'avait pas compétence. Le demandeur cherche à obtenir un jugement qui déclarerait que l'article 30(2) du Règlement sur l'emploi dans la Fonction publique est ultra vires. C'est le seul point litigieux dont la Cour est saisie. Le second jugement déclaratoire demandé suivra automatique- ment.
Arrêt: l'action est accueillie. La Commission de la Fonction publique, en prescrivant une période de stage pour une classe d'employés, a épuisé les pouvoirs que lui accorde l'article 28(1) de la Loi sur l'emploi dans la Fonction publique et, par conséquent, il ne lui reste aucun pouvoir à déléguer à un sous-chef en vertu de l'article 6(1) de la Loi. De plus, la Commission ne peut elle-même modifier la période de stage entre des limites minimales et maximales. Le mot .période» de l'article 28(1), sans modification appropriée, doit signifier un temps déterminé et non susceptible d'être prolongé. En établis- sant la période de stage à six mois, une durée définie, la Commission a épuisé ses pouvoirs ne laissant rien à déléguer à un sous-chef.
Arrêt mentionné: In re Royalite Oil Co. Ltd. and Tannas [1943] 2 W.W.R. 348; arrêt mentionné: R. c. Unemploy ment Insurance Commission, Ex parte Heggen (1964) 41 D.L.R. (2e) 436. Arrêt appliqué: Mersey Docks and Har bour Board c. Henderson Brothers (1888) 13 App. Cas. 595.
ACTION. AVOCATS:
M. Wright, c.r., pour le demandeur. L. S. Holland pour la défenderesse.
PROCUREURS:
Soloway, Wright, Houston, Greenberg, O'Grady & Morin, Ottawa, pour le deman- deur.
Le sous-procureur général du Canada pour la défenderesse.
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
LE JUGE CATTANACH: Avant l'audition de cette affaire, les avocats des parties se sont entendus sur les faits devant servir de base à cette action.
Voici le libellé de cet exposé conjoint signé à Ottawa, le 21 juin 1977:
[Tannucrsorv[ Les parties aux présentes conviennent que la présente action doit être jugée sur la base des faits suivants:
1. Le demandeur habite la ville de Montréal dans la province de Québec. A toutes les époques pertinentes à cette action, il était un employé du Service canadien des pénitenciers lequel relève du ministère du Solliciteur général.
2. La Commission de la Fonction publique a tenu un concours public pour combler un poste d'agent de sécurité dans le Service canadien des pénitenciers. Suite à ce concours on a considéré que le demandeur était qualifié pour la nomination.
3. Par lettre en date du 29 mai 1975 envoyée au demandeur par un employé de la défenderesse, on a offert au demandeur le poste d'agent de sécurité susmentionné, cet emploi devant commencer le 9 juin 1975. Une copie de ladite lettre en date du 29 mai 1975 est jointe aux présentes comme document KA».
4. On a considéré que le demandeur était en stage du 9 juin 1975 jusqu'au 8 décembre 1975.
5. Le 8 décembre 1975, un employé de la défenderesse a écrit une lettre au demandeur. La lettre déclarait que la période de stage du demandeur était prolongée d'une période additionnelle de six mois devant se terminer le 9 juin 1976 et ladite lettre portait que la décision de prolongation avait été prise en vertu de l'article 30(2) du Règlement sur l'emploi dans la Fonction publique. Une copie de cette lettre en date du 8 décembre 1975 est jointe aux présentes et notée comme document «B».
6. Par lettre en date du 11 mars 1976, le directeur régional du Service canadien des pénitenciers a informé le demandeur qu'il était renvoyé pendant le stage et que ce renvoi devait entrer en vigueur le 20 mars 1976. Une copie de ladite lettre en date du Il mars 1976 est jointe comme document aC».
7. Le 18 mars 1976, le demandeur a déposé un grief lequel a été renvoyé à l'arbitrage, en vertu de l'article 91(1)b) de la Loi sur les relations de travail dans la Fonction publique.
8. Le 8 septembre 1976, le grief du demandeur a été entendu par Edward B. Jolliffe, c.r., président suppléant de la Commis sion des relations de travail dans la Fonction publique. Il a rendu une décision écrite le 15 septembre 1976. La version
française de la décision est jointe aux présentes comme docu ment «D» et la version anglaise est jointe aux présentes comme document «E».
Lorsque le demandeur s'est présenté au con- cours public dont il est question au paragraphe 2 de l'exposé conjoint des faits, les avocats des par ties ont admis qu'il n'était pas un employé de la Fonction publique. En fait il soumettait une demande d'emploi de l'extérieur de la Fonction publique.
La lettre en date du 29 mai 1975 qui est rédigée en français et dont il est question au paragraphe 3 de l'exposé conjoint des faits et jointe à l'exposé comme document «A» est adressée au demandeur par un fonctionnaire du ministère du Solliciteur général occupant un poste de direction dans le Service des pénitenciers.
Dans le premier paragraphe, l'auteur de la lettre informe le demandeur que la Commission de la Fonction publique lui offre un emploi dans le Service des pénitenciers.
Le quatrième titre du deuxième paragraphe énonce: «la période de stage: six (6) mois, selon le Règlement sur l'emploi dans la F. P.»
L'avant dernier paragraphe de la lettre, docu ment «A», porte que le demandeur entrera en fonction le lundi 9 juin 1975 et qu'il doit se présenter à 8 h 30 à l'endroit et à l'adresse indiqués.
Au sujet du paragraphe 4 de l'exposé conjoint des faits il est déclaré au premier paragraphe d'une lettre en date du 8 décembre 1975, adressée au demandeur par le directeur régional, que la période de stage de six mois établie lors de la nomination du demandeur à titre d'agent de sécu- rité, se terminerait le 9 décembre 1975.
Au paragraphe 5 de l'exposé conjoint des faits on fait mention de cette lettre en date du 8 décem- bre 1975, qui est jointe comme document «B», le directeur régional poursuit en disant que même si la période de stage initiale de six mois courant depuis le 9 juin 1975 doit se terminer le 9 décem- bre 1975: «A la lumière de ces informations, j'en suis venu à la décision de prolonger de six mois votre période de stage, c'est-à-dire jusqu'au 9 juin
1976. Cette décision est prise en vertu de l'article 30(2) du Règlement sur l'emploi dans la Fonction publique.»
Il semble que deux détenus d'un établissement pénitentiaire se sont évadés alors qu'ils étaient sous la surveillance du demandeur.
Au paragraphe 6 de l'exposé conjoint des faits on se réfère à une lettre en date du 11 mars 1976, jointe comme document «C», par laquelle le direc- teur régional donne au quatrième paragraphe l'avis suivant au demandeur:
«A la lumière de ces renseignements j'en suis venu à la décision de vous renvoyer du Service en période de stage pour cause. La date d'entrée en vigueur de votre cessation d'emploi a été fixée au 20 mars 1976».
Les renseignements dont il est question consis tent en un rapport préparé par le surveillant du demandeur qui montre l'insatisfaction relative au travail accompli par le demandeur laquelle consti- tue également le motif de son renvoi. Au paragra- phe suivant de cette lettre en date du 11 mars 1976, le document «C», le directeur régional ajoute:
Cette décision de renvoi en période de stage est prise en vertu de l'article 28(3) de la Loi sur l'emploi dans la Fonction publique.
Les avocats des parties ont admis que le direc- teur régional était la personne pouvant recomman- der la prolongation du stage du demandeur et pouvant ultérieurement mettre fin à son emploi pour un motif déterminé pendant la période de stage soit à titre de sous-chef soit à titre de per- sonne autorisée à agir comme sous-chef à cet égard, de sorte que la validité des mesures prises par ce fonctionnaire n'est pas attaquée pour cette raison.
Comme le relatent les paragraphes 7 et 8 de l'exposé conjoint des faits, le demandeur a déposé un grief en vertu de la Loi sur les relations de travail dans la Fonction publique et ce grief a été entendu par Edward B. Jolliffe, c.r., président suppléant de la Commission des relations de tra vail dans la Fonction publique.
Dans une décision savante et très claire, en date du 15 septembre 1976, M. Jolliffe a conclu que la décision de mettre fin à l'emploi du demandeur n'a
pas été prise pour des motifs disciplinaires, mais qu'il s'agissait plutôt d'une décision prise en vertu de l'article 28(3) de la Loi sur l'emploi dans la Fonction publique, S.R.C. 1970, c. P-32, qu'elle constituait un renvoi du demandeur pour un motif déterminé pendant la période de stage et que, par conséquent, il n'avait pas compétence pour enten- dre ce grief.
On a allégué devant M. Jolliffe, que l'article 30(2) du Règlement sur l'emploi dans la Fonction publique, DORS/67-129, est ultra vires et donc que le sous-chef n'avait pas le pouvoir de prolonger le stage.
M. Jolliffe a correctement refusé d'étudier la question de la validité de l'article 30(2) du Règle- ment qui avait été soulevée devant lui et il a procédé en prenant pour acquis que l'article 30(2) était intra vires et avait force de loi.
Une jurisprudence écrasante permettait à M. Jolliffe d'agir ainsi.
Il appartient aux cours et non à un tribunal administratif de décider du caractère ultra vires d'un règlement. Cette proposition est tellement évidente et généralement acceptée, qu'on l'énonce rarement. M. Jolliffe en connaissait bien l'exis- tence et en a parlé dans sa décision tout comme G. M. Blackstock, c.r., président de la Board of Public Utility Commissioners l'a fait, lorsqu'il a dit dans In re Royalite Oil Company Limited and Tannas [1943] 2 W.W.R. 348, la page 352:
[TRADUCTION] ... la Régie [Board] n'a pas le pouvoir de se prononcer sur l'à-propos ou la légalité du règlement. On a tout simplement délégué à la Régie certains devoirs qu'elle doit exécuter en vertu d'un décret du conseil. Il importe peu pour la Régie que le décret du conseil soit bon ou mauvais, elle ne peut le modifier. Seule la Cour a le droit de se prononcer sur de telles questions et si la requérante conteste soit la validité ou la légalité du décret du conseil, elle doit le faire devant le bon tribunal.
Dans Regina c. Unemployment Insurance Com mission, Ex parte Heggen (1964) 41 D.L.R. (2e) 436 le juge Aikins a dit à la page 442 que si on posait la question suivante à la Commission d'assu- rance-chômage: [TRADUCTION] «L'article 195(3) des Règlements est-il ultra vires?», «La Commis sion n'a manifestement pas compétence pour étu- dier cette question si on la lui pose directement.»
M. Jolliffe a déclaré:
... il ne m'appartient pas de décider de la validité de l'article 30 du Règlement de la Loi sur l'emploi dans la Fonction Publique, ... .
Je souscris entièrement à cette déclaration laquelle est, sans aucun doute, à l'origine de la
présente action.
Dans sa déclaration, le demandeur cherche à obtenir le jugement déclaratoire suivant:
[TRADUCTION] 8. Le demandeur réclame donc:
a) Une déclaration portant que l'article 30(2) du Règlement sur l'emploi dans la Fonction publique est ultra vires;
b) Une déclaration portant que la défenderesse n'avait pas le pouvoir de mettre fin à l'emploi du demandeur en se fondant sur l'article 28(3) de la Loi sur l'emploi dans la Fonction publique;
c) Une déclaration portant que le congédiement du deman- deur, que son employeur a voulu effectuer, est nul et de nul effet et que le demandeur conserve son statut d'employé comme si on n'avait pas mis fin à son emploi; ... .
La seule question devant moi est celle de savoir si l'article 30(2) du Règlement sur l'emploi dans la Fonction publique est ultra vires.
Si je conclus au caractère ultra vires alors, le demandeur a droit au jugement déclaratoire demandé au paragraphe 8a) de sa déclaration et les jugements déclaratoires demandés aux paragra- phes 8b) et c) suivront automatiquement.
Si je conclus au caractère intra vires de l'article 30(2) alors, le demandeur n'aura droit à aucun des redressements qu'il demande.
Si je comprends bien, l'avocat du demandeur prétend simplement que l'article 30(2) du Règle- ment est ultra vires parce qu'il est incompatible avec l'article 28 de la Loi sur l'emploi dans la Fonction publique.
Voici le libellé de l'article 28:
28. (1) Un employé est considéré comme stagiaire depuis la date de sa nomination jusqu'au terme de la période que la Commission peut fixer pour tout employé ou classe d'employés.
(2) Si la personne nommée fait déjà partie de la Fonction publique, le sous-chef peut, s'il le juge opportun, dans un cas quelconque, réduire le stage ou en dispenser l'employé.
(3) A tout moment au cours du stage, le sous-chef peut prévenir l'employé qu'il se propose de le renvoyer, et donner à la Commission un avis de ce renvoi projeté, pour un motif déterminé, au terme du délai de préavis que la Commission peut fixer pour tout employé ou classe d'employés. À moins que
la Commission ne nomme l'employé à un autre poste dans la Fonction publique avant le terme du délai de préavis qui s'applique dans le cas de cet employé, celui-ci cesse d'être un employé au terme de cette période.
J'omets les paragraphes (4) et (5) parce qu'ils n'ont aucune portée sur la question en litige.
Dans l'annexe A du Règlement établi par la Commission de la Fonction publique en vertu de la Loi sur l'emploi dans la Fonction publique, que l'on désigne sous le nom de Règlement sur l'em- ploi dans la Fonction publique et qui comprend également l'article 30(2) maintenant sous attaque, la Commission a établi le stage du demandeur à six mois. Les avocats des parties ont admis que le demandeur était un employé faisant partie de la catégorie opérationnelle et administrative qui est le 2' titre de la colonne I de l'annexe A et que la période de stage pour cette catégorie, qui com- prend le demandeur, est de six mois tel qu'indiqué dans la colonne II.
L'avocat du demandeur revient ensuite à l'arti- cle 28(1) pour dire que la Commission a établi une période de stage de six mois applicable à la catégo- rie à laquelle le demandeur a été nommé, d'où il conclut que, puisque la Commission a fixé une période de stage, comme elle est autorisée à le faire en vertu de l'article 28(1), le sous-chef ne peut rien faire à cet égard et l'article 28 ne lui permet pas de modifier une période de stage fixée par la Commission.
L'avocat du demandeur prétend que le seul pou- voir accordé au sous-chef, par l'article 28(2), lors- que la personne nommée fait déjà partie de la Fonction publique, est de réduire le stage ou d'en dispenser l'employé.
Puisque le demandeur a été choisi hors des cadres de la Fonction publique, alors, même ce pouvoir restrictif accordé au sous-chef n'est pas applicable au demandeur.
Le seul sens que l'on puisse prêter à cette pré- tention est qu'elle illustre l'intention législative globale voulant qu'un sous-chef ne puisse que réduire le stage fixé par la Commission ou en dispenser l'employé dans ce seul cas et qu'il n'est pas prévu qu'un sous-chef puisse prolonger une période de stage lorsqu'elle est établie.
L'avocat du demandeur prétend également qu'aux termes de l'article 28(1) le pouvoir d'éta- blir la période de stage relève de la compétence exclusive de la Commission et donc que le principe delegatus non potest delegare s'applique. Cepen- dant, cet argument a été effectivement réfuté par l'avocat de la défenderesse qui m'a référé à l'arti- cle 6(1) de la Loi sur l'emploi dans la Fonction publique, dont voici le libellé:
6. (1) La Commission peut autoriser un sous-chef à exercer, de la manière et aux conditions qu'elle fixe, tout pouvoir, fonction et devoir que la présente loi attribue à la Commission, sauf les pouvoirs, fonctions et devoirs que la Commission détient en ce qui concerne les appels prévus aux articles 21 et 31 et les enquêtes prévues à l'article 32.
L'article 28 n'est pas compris à l'article 6 comme un article en vertu duquel les pouvoirs conférés à la Commission ne peuvent être délégués.
Ainsi, à mon avis, la meilleure prétention sou- mise au nom du demandeur est celle à laquelle je me suis référé plus tôt soit, qu'en fixant à six mois la période de stage, la Commission a alors épuisé les pouvoirs de ce faire, ne laissant rien à déléguer au sous-chef.
C'est à l'article 30 du Règlement sur l'emploi dans la Fonction publique dont voici le libellé, que la Commission cherche à déléguer au sous-chef les pouvoirs, fonctions et obligations que lui accorde l'article 28:
30. (1) La période de stage mentionnée au paragraphe (1) de l'article 28 de la Loi pour un employé qui fait partie d'une classe ou d'un groupe mentionnés à la colonne I de l'Annexe A est la période indiquée en regard de cette classe ou de ce groupe dans la colonne II de ladite Annexe.
(2) Le sous-chef peut prolonger la période de stage d'un employé mais la période de prolongation ne doit pas dépasser la période déterminée pour cet employé en conformité du paragra- phe (1).
Le paragraphe (1) de l'article 30 reconnaît que la période de stage pour un employé tel le deman- deur est de six mois et que cette période a été établie par la Commission à l'annexe A du Règle- ment. L'annexe d'un règlement fait autant partie du Règlement et constitue autant un texte législa- tif que toute autre partie du Règlement.
Le paragraphe (2) de l'article 30, qui est le paragraphe attaqué, permet au sous-chef de pro- longer le stage d'un employé, mais cela ne peut signifier un employé qui, avant sa nomination, faisait déjà partie de la Fonction publique parce qu'en vertu de l'article 28(2) de la Loi, un sous- chef ne peut que réduire un stage ou en dispenser l'employé, à la condition que la période de prolon gation n'excède pas la période de stage déterminée en vertu du paragraphe (1), soit la période qu'a fixée la Commission par l'annexe A du Règlement qui, par référence, a été incorporée à l'article 30.
Ce que la Commission a cherché à faire par règlement, est de fixer une période de stage mini- male de six mois et de permettre au sous-chef de prolonger cette période de stage pour une période maximale de même durée que la période de stage minimale fixée par la Commission.
La raison pour laquelle la Commission a agi ainsi est manifeste. La Commission reconnaît que la personne la plus qualifiée pour évaluer les possi- bilités d'un employé en stage est le sous-chef et, pour ce faire, ce dernier peut avoir besoin d'un délai supplémentaire. Je ne peux m'empêcher de signaler que ce pouvoir peut très bien s'avérer à l'avantage de l'employé en ce sens que, s'il ne se montre pas à la hauteur de sa tâche pendant la période de stage prescrite, on lui donne une prolon gation de stage ou une deuxième chance de le faire. La Commission cherche à laisser cette période de temps supplémentaire à la discrétion du sous-chef tout en fixant une limite à cette période. La Commission pouvait atteindre ce but de diver- ses façons.
Elle aurait pu fixer la période de stage à douze mois plutôt qu'à six comme elle l'a fait, ce qui correspondrait à la période de douze mois obtenue quand le sous-chef exerce son pouvoir de prolonger le stage. Une telle décision ne pourrait être contestée.
La Commission aurait pu permettre au sous- chef de fixer la période de stage d'un employé choisi hors des cadres de la Fonction publique. Une telle attitude serait à l'abri de toute attaque.
La Commission a évité ces deux extrêmes, en optant plutôt pour un compromis. Elle a fixé une
période minimale et a permis au sous-chef de doubler cette période en vertu de l'article 30(2) du Règlement.
Si la Commission peut elle-même fixer une période de stage variable en établissant une période minimale et en se réservant le droit de prolonger la période ainsi fixée, alors je crois que les termes de l'article 6(1) de la Loi sur l'emploi dans la Fonction publique sont suffisamment larges pour permettre à la Commission de déléguer ce pouvoir à un sous-chef, en prenant pour acquis que la Commission a ce pouvoir.
Puisque la Commission a fixé une période de stage «pour tout employé ou classe d'employés», la première question est de savoir si, après avoir fixé une période de stage pour une classe d'employés comme elle l'a fait dans l'annexe A du Règlement, la Commission peut alors fixer une période de stage pour un employé qui entre dans la catégorie d'employés pour laquelle une période de stage a été fixée.
Si l'article 28(1) comprenait les mots «ou les deux», ce qui n'est pas le cas, après les mots «tout employé ou classe d'employés» pour qu'on y lise «tout employé ou classe d'employés ou les deux», il n'y aurait alors aucun doute que la Commission peut fixer une période de stage pour une classe d'employés et une période différente, soit plus grande soit plus courte, pour un employé, pris individuellement, qui appartient à la classe pour laquelle une période de stage a été fixée de façon générale—en bref, une exception à la période généralement applicable.
La question de savoir si l'expression «pour tout employé ou classe d'employés» utilisée dans cet article donne le même résultat, dépend de la signi fication que l'on prête au mot «ou».
Normalement le mot «ou» est disjonctif et le mot «et» est conjonctif sauf lorsque le contexte dans lequel l'un ou l'autre de ces mots est employé indique le contraire.
Dans des affaires portant sur l'interprétation des lois, les cours ont souvent prêté au mot «ou» la signification de «et» lorsque le contexte l'exigeait.
La déclaration qui fait le plus autorité est celle de lord Halsbury dans Mersey Docks and Harbour Board c. Henderson Brothers (1888) 13 App. Cas. 595 il dit à la page 603:
[TRADUCTION] ... je ne connais aucun précédent qui permette une telle façon de procéder [de prêter à «ou» le sens de «et»], à moins que le contexte n'exige que «ou» ait le sens de «et», comme il le fait dans certains cas; mais je crois qu'il n'existe aucun exemple on peut lui prêter ce sens lorsque par interprétation cela modifiera entièrement la signification de la phrase, à moins qu'une autre partie de la loi ou l'intention claire de celle-ci ne l'exige, comme dans l'affaire Fowler c. Padget.... On peut en fait se demander si certains arrêts qui ont accordé au mot «ou» le sens de «et» et vice versa ne se sont pas rendus aux limites extrêmes de l'interprétation... .
Pendant plusieurs années dans la Fonction publique et dans le Service civil, son prédécesseur, la pratique était de fixer une période de stage lors d'une nomination dans un service ou au sein de celui-ci et je présume que cela était fait en vertu de l'article 28 (1) de la Loi sur l'emploi dans la Fonction publique et de son Règlement d'applica- tion, et des lois et règlements antérieurs.
Je n'oublie pas la règle fondamentale d'interpré- tation des lois voulant que lorsque deux interpréta- tions sont possibles, l'une reconnaissant le carac- tère intra vires de la Loi et l'autre son caractère ultra vires, l'interprétation qui dicte la validité de la Loi doit être adoptée. Mais cela présuppose l'existence de deux interprétations différentes éga- lement possibles.
En gardant à l'esprit ces observations, j'ai étudié attentivement la Loi sur l'emploi dans la Fonction publique pour vérifier si cette affaire est couverte par les mots utilisés par lord Halsbury dans l'arrêt Mersey Docks (supra) lorsqu'il dit que l'on peut prêter au mot «ou» le sens de «et» si le contexte l'exige.
Je n'ai découvert aucun objet et aucune inten tion dans l'ensemble de la Loi sur l'emploi dans la Fonction publique ou dans une partie d'icelle, qui permettrait d'aller au-delà du langage de l'article 28(1) et, par conséquent, le langage de cet article dit bien ce qu'il dit à cet égard.
Il faut donner à ce langage, tel qu'il se trouve, sa signification la plus claire c'est-à-dire qu'on y uti lise le mot «ou» dans son sens disjonctif et non dans son sens conjonctif.
Agir autrement équivaudrait à conclure qu'en utilisant le mot «ou» pour le mot «et» à l'article 28(1), on a commis une erreur, et, en fait, je corrigerais, cette erreur. Pour ce faire, il doit ressortir clairement du contexte qu'une telle erreur a été commise et je ne peux rien trouver pour justifier cette conclusion, et le Parlement a vouloir dire exactement ce qu'il a dit.
Ceci étant, il s'ensuit que lorsque la Commission a décidé de prescrire une période de stage pour une classe d'employés comme elle l'a fait dans l'annexe A du Règlement sur l'emploi dans la Fonction publique, la Commission a exercé l'option qu'elle avait. Ce faisant, elle a renoncé au pouvoir qu'elle avait d'établir une période de stage pour tout employé.
L'introduction de l'adjectif «tout» avant le mot «employé» dans l'expression «pour tout employé ou classe d'employés» de l'article 28(1) n'est pas incompatible avec cette conclusion. A mon avis, «tout employé», dans le contexte signifie «tout employé» autre qu'un employé faisant partie d'une classe pour laquelle une période de stage a été établie. Puisqu'il est utilisé dans un sens qualitatif, l'adjectif «tout> est approprié en ce qu'il modifie tout employé qui peut être choisi hors des cadres de la Fonction publique ou au sein de la Fonction publique, signifiant ainsi un employé de l'une ou l'autre espèce, puisqu'il n'est autrement pas néces- saire de mentionner une classe d'employés.
Je conclus donc qu'en prescrivant une période de stage pour une classe d'employés, la Commission a épuisé les pouvoirs que lui accorde l'article 28(1) de la Loi sur l'emploi dans la Fonction publique et que, par conséquent, il ne lui reste aucun pouvoir à déléguer à un sous-chef en vertu de l'article 6(1) de la Loi.
Je parviens à la même conclusion pour une toute autre raison, soit la réponse à la question déjà soulevée, de savoir si la Commission peut elle- même modifier la période de stage entre des limi- tes minimales et maximales.
Les mots importants à l'article 28(1) de la Loi sur l'emploi dans la Fonction publique et essen- tiels pour répondre à la question ainsi posée sont «jusqu'au terme de la période que la Commission peut fixer».
La réponse à cette question dépend de la signifi cation du mot «période» utilisé dans ce contexte.
A mon avis, ce doit être un délai à courir ou la durée de ce délai. Cela présuppose un élément de certitude. Je ne crois pas que le mot «période» dans ce contexte puisse signifier une partie indéfinie de quelque chose qui se prolonge dans le temps. Le mot «période», sans modification appropriée, doit signifier un temps déterminé et non susceptible d'être prolongé. C'est un terme certain et non pas un terme discrétionnaire, et un employé embauché a droit de connaître les termes de son emploi.
En gardant cela à l'esprit, dans les circonstances qui ont entouré la présente affaire, il m'apparaît manifeste que, par lettre en date du 29 mai 1975, l'avisant de sa nomination, pièce A de l'exposé conjoint des faits, et lui donnant les détails de son emploi, le demandeur a été informé que la période de stage était de «six (6) mois, selon le Règlement sur l'emploi dans la F. P.» A mon avis, le destina- taire d'une telle déclaration doit voir en celle-ci une affirmation catégorique que sa période de stage est de six mois. Bien sûr, les mots «selon le Règlement sur l'emploi dans la F. P.» sont ajoutés mais ces mots additionnels doivent amener le desti- nataire à penser que la période de stage est de six mois parce que telle est la période prescrite par le Règlement. On ne parle pas de la possibilité d'une prolongation de la période de stage et si, en men- tionnant le Règlement, le signataire voulait rendre cette idée, alors, la lettre est ambiguë et doit être interprétée contre la partie qui l'a rédigée. De plus, cette lettre fixait catégoriquement la fin de la période de stage au 9 décembre 1975, ce qui est six mois de la date de la nomination du demandeur.
Je ne fais que signaler ce détail au passage, comme illustration de l'énoncé d'un fait par un fonctionnaire autorisé agissant en qualité de sous- chef sur lequel s'est fondé le demandeur pour agir, et non comme base de solution de cette affaire. Je déciderai de cette affaire sur la seule question qui a été soulevée devant moi, soit celle de savoir si la Commission était compétente pour établir l'article 30(2) du Règlement sur l'emploi dans la Fonction publique.
Je conclus donc, qu'en l'absence d'un pouvoir exprès à cet effet, la Commission elle-même ne peut fixer une période de stage indéterminée ou susceptible d'être prolongée au cours d'une période déterminée.
Puisque la Commission ne peut elle-même éta- blir une période de stage variable, elle ne peut donc déléguer ce pouvoir à un sous-chef.
En établissant, dans l'annexe A du Règlement sur l'emploi dans la Fonction publique, la période de stage à six mois, ce qui est un temps défini et l'annexe A ne comprend aucune disposition con- traire, la Commission a exercé son pouvoir ne laissant rien à déléguer à un sous-chef.
Pour ce double motif je conclus que l'article 30(2) du Règlement sur l'emploi dans la Fonction publique est ultra vires de la Commission et que le demandeur a droit au jugement déclaratoire demandé au paragraphe 8a) de sa déclaration. Il va de soi que les jugements déclaratoires demandés aux paragraphes 8b) et c) de la déclaration suivent.
Le demandeur a également droit à ses frais taxables.
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