Jugements

Informations sur la décision

Contenu de la décision

A-552-76
Mike Sheehan (Requérant) c.
La Fraternité canadienne des cheminots, employés des transports et autres ouvriers, Syndicat des marins du Canada, section locale 401, et le Con- seil canadien des relations du travail (Intimés)
Cour d'appel, les juges Heald et Urie et le juge suppléant MacKay—Toronto, les 27 et 28 septem- bre; Ottawa, le 21 octobre 1977.
Examen judiciaire Relations du travail Membre du syndicat exclu du syndicat antérieur Refus d'embaucher le requérant sur un navire L'audition devant le Conseil cana- dien des relations du travail ne concerne que le refus d'embau- cher le requérant contrairement à'l'art. 184 du Code canadien du travail Éléments de preuve quant à l'exclusion et le refus d'adhésion au présent syndicat exclus Violation de l'art. 185f) du Code Plaintes rejetées par le Conseil Audition complète et régulière refusée par le Conseil Déni de justice naturelle Erreur de droit Demande accueillie Loi sur la Cour fédérale, art. 28 Code canadien du travail, S.R.C. 1970, c. L-1, modifié par S.C. 1972, c. 18, art. 1, art. 184(3)a)(ii), 185f),g).
La demande en l'espèce, présentée en vertu de l'article 28, vise l'examen et l'annulation d'une décision du Conseil cana- dien des relations du travail qui a rejeté les allégations du requérant portant que le Syndicat des marins du Canada l'avait illégalement exclu en 1964, contrairement à l'alinéa 185f) du Code canadien du travail. Il y avait eu tenue d'une audition relativement à une plainte portée en vertu de l'article 184, mais la majeure partie de la preuve ayant trait à l'alinéa 185f) avait été exclue. Le requérant prétend qu'il lui a été impossible d'invoquer des preuves et de présenter des arguments se rappor- tant à la décision à rendre sur la plainte formulée en vertu de l'alinéa 185f).
Arrêt: la demande est accueillie. Il ressort clairement du dossier concernant cette audition qu'il n'y a pas eu d'audition de la plainte formulée en vertu de l'alinéa 185f). Certains éléments de preuve relatifs à la plainte présentée en vertu de l'article 185 ont été accueillis au cours de l'audition portant sur l'article 184 mais cela ne peut remplacer une audition complète et régulière sur le fond de la plainte présentée en vertu de l'article 185. La décision du Conseil sur l'alinéa 185f) a été rendue d'une façon qui viole les principes de justice naturelle.
Arrêt mentionné: Toronto Newspaper Guild c. Globe Printing Company [1953] 2 R.C.S. 18. Arrêt mentionné: Board of Education c. Rice [1911] A.C. 179.
DEMANDE d'examen judiciaire. AVOCATS:
D. Moore pour le requérant.
M. W. Wright, c.r., pour les intimés, la Fra-
ternité canadienne des cheminots, employés
des transports et autres ouvriers, Syndicat des marins du Canada, section locale 401.
L. M. Huart pour le Conseil canadien des relations du travail.
PROCUREURS:
Lockwood, Bellmore & Strachan, Toronto, pour le requérant.
Soloway, Wright, Houston, Greenberg, O'Grady & Morin, Ottawa, pour les intimés, la Fraternité canadienne des cheminots, employés des transports et autres ouvriers, Syndicat des marins du Canada, section locale 401.
Le conseiller juridique du Conseil canadien des relations du travail, Ottawa, pour l'in- timé, le Conseil canadien des relations du travail.
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
LE JUGE HEALD: Il s'agit d'une demande pré- sentée en vertu de l'article 28 visant l'examen et l'annulation d'une décision du Conseil canadien des relations du travail [(1977) 17 di 14] rendue le 27 juillet 1976 qui a rejeté la plainte du requérant contre le syndicat intimé portant que ce syndicat avait violé l'article 185f) du Code canadien du travail, S.R.C. 1970, c. L-1, modifié par S.C. 1972, c. 18, art. 1. L'article 185f) se lit comme suit:
185. Nul syndicat et nulle personne agissant pour le compte d'un syndicat ne doit
J) exclure définitivement ou temporairement un employé du syndicat ou lui refuser l'adhésion au syndicat en lui appli- quant d'une manière discriminatoire les règles du syndicat relatives à l'adhésion;
Le requérant, dans une lettre au Conseil cana- dien des relations du travail en date du 23 mai 1974 a fait valoir, entre autres, que le syndicat intimé avait violé les dispositions de l'article 185f) du Code canadien du travail. Le requérant allègue que le Syndicat des marins du Canada, qui a été fusionné au syndicat intimé en 1970, l'a illégale- ment exclu en 1964 et que cette exclusion était nulle. Le requérant allègue en outre que le 17 avril 1974, ou vers cette date, le syndicat intimé a refusé d'inscrire son nom sur une liste d'emplois ou de lui permettre de présenter une demande d'adhésion à
ce même syndicat, le tout en contravention dudit article 185f). Dans une lettre datée du 12 juin 1974, le syndicat intimé a nié ces allégations.
En plus de cette prétendue violation de l'article 185f) qui fait l'objet de la présente demande intro- duite en vertu de l'article 28, la lettre susmention- née du requérant en date du 23 mai 1974 fait également valoir que le syndicat intimé aurait violé les dispositions de l'article 185g) du Code canadien du travail' et que Upper Lakes Shipping Ltd. aurait enfreint les dispositions de l'article 184(3)a)(ii) du Code canadien du travail'.
Le 24 septembre 1974, l'audition de ces trois plaintes a débuté devant le Conseil. Dès le début, le syndicat intimé a soulevé une objection prélimi- naire en trois points relativement à la compétence du Conseil. Ces objections étaient les suivantes:
a) la plainte n'ayant pas été logée dans les délais impartis par la loi est irrecevable et le Conseil n'a pas juridiction pour l'entendre;
b) seul un employé peut se plaindre d'une infraction à l'article 185f) et g). Étant donné que le requérant n'est pas un employé de Upper Lakes Shipping Ltd., il n'a pas qualité pour présenter une telle plainte; et
c) la plainte du requérant fait état du fait qu'il a, à un certain moment, été expulsé du Syndicat des marins du Canada. Ce syndicat n'existe plus, ayant été remplacé, à titre d'agent négocia- teur des employés de Upper Lakes Shipping Ltd., par la section locale 401 de la Fraternité canadienne des cheminots, employés des trans ports et autres ouvriers laquelle a été accréditée par décision du Conseil. La section locale 401 n'a d'aucune façon succédé au Syndicat des marins du Canada puisque aucune fusion n'a eu
I L'article 185g) se lit comme suit:
185. Nul syndicat et nulle personne agissant pour le
compte d'un syndicat ne doit
g) prendre des mesures disciplinaires contre un employé ou lui imposer une forme quelconque de sanction en lui appliquant d'une manière discriminatoire les normes de discipline du syndicat;
2 La décision du Conseil rejetant la plainte contre Upper Lakes Shipping Ltd. a fait l'objet d'une autre demande intro- duite en vertu de l'article 28 la page 836 précitée). Les juges de cette cour qui ont entendu cette dernière demande ont également présidé à l'audition de la présente demande qui a eu lieu aussitôt après.
lieu qui en ferait un syndicat successeur au sens l'entend le Code canadien du travail. En conséquence, le Conseil n'a pas compétence pour entendre la plainte en cause.
Le 26 février 1975, le Conseil, après avoir entendu les arguments des avocats et des autres représentants des parties, mais sans avoir entendu de témoignages, a rendu une décision préliminaire [(1975) 9 di 31] aux termes de laquelle:
(1) il a ordonné que les auditions se poursuivent sur le fond de la plainte présentée en vertu de l'article 184(3)a)(ii) contre Upper Lakes Ship ping Ltd.;
(2) il a déclaré valides les objections préliminai- res à la plainte alléguant infraction à l'article 185g) et ordonné le rejet de ladite plainte;
(3) quant à la plainte présentée en vertu de l'article 185f), le Conseil a réservé sa décision concernant les objections préliminaires soulevées par le syndicat intimé. Le Conseil a en outre
déclaré [(1975) 9 di 31, la page 41]: «[Le Conseil] ordonne que l'audition de cette plainte soit différée jusqu'à ce que l'audition de la plainte présentée en vertu de l'article 184(3)(a)(ii) du Code soit complétée.»
Conformément à cette décision préliminaire, le Conseil a repris les auditions. Ces auditions, y compris la présentation d'une preuve orale et docu- mentaire volumineuse et la présentation d'argu- ments oraux et écrits, se sont poursuivies pendant 12 jours environ, étalés sur une période dépassant un an. La reprise des auditions a commencé le 24 mars 1975 et le jugement final a été rendu le 27 juillet 1976.
L'avocat du requérant fait valoir qu'au début de la reprise des auditions, il y a eu une discussion entre le Conseil et les avocats et autres représen- tants des parties quant à la procédure à suivre et, plus particulièrement, quant à la qualité pour agir du syndicat intimé au cours des auditions contre Upper Lakes Shipping Ltd. Selon sa prétention, il découlait clairement de ces discussions et de la décision préliminaire du Conseil que les auditions qui devaient suivre se limiteraient à l'étude des points pertinents aux plaintes portées contre Upper Lakes Shipping Ltd. en vertu de l'article 184(3)a)(ii) du Code. L'avocat du requérant fait
valoir de plus que ces instructions et cette entente quant à la procédure à suivre ont été citées à plusieurs reprises par le Conseil au cours des audi tions et qu'il s'est reporté à ces instructions durant l'exposé de sa thèse.
A l'appui de cette prétention, l'avocat du 'requé- rant s'est reporté, à plusieurs reprises, à la trans cription des procédures devant le Conseil. Je n'ai pas l'intention de reprendre ces références en détail mais j'en indiquerai ci-après quelques-unes qui, à mon sens, démontrent bien la prépondérance écrasante de preuve qui vient étayer les prétentions du requérant à cet égard. Les commentaires du président à la page 305, au début de la reprise des auditions, indiquent clairement que les procédures se rattachent aux allégations formulées contre Upper Lakes Shipping Ltd. Puis, après que le Conseil eut commencé à entendre des témoignages, le président a déclaré à la page 911 du volume V:
[TRADUCTION] Avant d'entendre le témoignage de M. Merri- gan, je voudrais mettre l'accent sur le fait que nous souhaitons vivement que ce qui se rapporte au moins à l'article 184(3)a) soit traité cette semaine ... .
Après quoi, à la page 930, l'un des représentants de l'une des parties a demandé au Conseil si ce dernier avait l'intention de procéder à l'audition des accusations portées en vertu de l'article 185 une fois terminée l'audition portant sur l'article 184(3)a)(ii) et ce, sans ajournement. Le président a répondu à cette question en ces termes à la page 931:
[TRADUCTION] ... de la façon dont se sont déroulées les auditions, il serait très improbable que nous puissions entendre la plainte portée en vertu de l'article 185 cette semaine.
La transcription se poursuit et occupe quelque 17 autres volumes; le volume 22 renferme la trans cription de la dernière journée des auditions soit, le 20 novembre 1975. Dans tous ces volumes, il y a de nombreuses références à la fois par les avocats et les autres représentants des parties et par le président du Conseil au fait que les auditions se limitent à la plainte portée en vertu de l'article 184(3)a)(ii). A la page 3421 du volume 22, il est indiqué que l'un des représentants de l'une des parties cherche à mettre en preuve certains docu ments; à ce sujet, le président du Conseil fait, à la page 3422, le commentaire suivant:
[TRADUCTION] M. Nicholson, pourquoi ces documents sont-ils pertinents à la plainte portée en vertu de l'article 184(3)a)?
Après quoi, aux pages 3583 et 3584, soit les deux dernières pages de la transcription, l'avocat du requérant cherche à faire préciser ce que doivent être les données de sa plaidoirie écrite à être présentée au Conseil. Il ressort clairement des réponses données par le président du Conseil qu'en ce qui concernait le Conseil, seule la plainte portée en vertu de l'article 184 faisait partie du litige et non celle portée en vertu de l'article 185. Aucune autre preuve n'a été entendue. Des plaidoiries écri- tes exhaustives ont été reçues de toutes les parties et, par après, le jugement attaqué en l'espèce a été rendu le 27 juillet 1976.
Dans ce jugement,•le Conseil, après avoir étudié «in extenso» la plainte portée contre Upper Lakes Shipping Ltd., a rendu, en une page, [(1977) 17 di 14, aux pages 22 et 23] la décision suivante relati- vement à ladite plainte:
3. La plainte portée contre le syndicat
Dans sa décision intérimaire, le Conseil a reconnu le sérieux des objections préliminaires soulevées par le syndicat-intimé, qui prétendait que, puisque M. Sheehan n'était pas un «employé», il ne pouvait se prévaloir de l'alinéa 185f) du Code. En conséquence, le Syndicat demandait que soit rejetée la plainte qui l'accusait d'avoir fait défaut de se conformer aux dispositions du Code en excluant définitivement ou temporaire- ment M. Sheehan du syndicat ou en lui refusant l'adhésion au syndicat en lui appliquant d'une manière discriminatoire les règles du syndicat relatives à l'adhésion. Encore une fois, le Conseil a réservé sa décision sur cette objection.
Cependant, à ce stade-ci, le Conseil juge qu'il n'y a pas lieu de poursuivre l'audition de cette plainte. Bien que jusqu'à maintenant la preuve ait principalement porté sur la plainte déposée contre l'employeur, elle a aussi fait ressortir certains faits pertinents en ce qui a trait à la plainte déposée contre le syndicat. Il est maintenant clair que le plaignant n'est pas et n'a jamais été membre du syndicat-intimé. Il n'en a jamais été expulsé. Il n'a d'ailleurs jamais demandé à y adhérer. Au lieu de cela, il a tenté de s'inscrire au bureau d'embauche syndical de façon à ce que son nom soit proposé pour un emploi à bord des navires de l'employeur. On ne lui a pas permis de s'inscrire. Dans de telles circonstances, le refus de permettre à quelqu'un de s'inscrire au bureau d'embauche ne constitue pas un «refus d'adhésion» au sens de l'alinéa 185f) du Code canadien du travail.
Pour ces raisons, le Conseil conclut au rejet de la plainte présentée par le plaignant contre le syndicat.
L'avocat du requérant prétend que le fait que les auditions ne portaient que sur la plainte présentée en vertu de l'article 184 l'a empêché d'invoquer des preuves et de présenter des arguments sur des questions qui toutes se rapportent à la décision à
rendre sur la plainte formulée en vertu de l'article 185f). Voici ces questions:
a) la prétention du requérant selon laquelle l'in- timé lui aurait refusé la possibilité de présenter une demande d'adhésion au syndicat le 17 avril 1974;
b) la procédure normale du syndicat intimé lorsqu'il examine les demandes d'adhésion;
c) la question de savoir si le «refus d'inscrire son nom» au bureau d'embauchage peut être consi- déré comme un refus d'adhésion dans les cir- constances en l'espèce; et
d) la question de savoir si l'intimé avait une quelconque obligation à l'égard du requérant aux termes de l'article 143, obligation qui serait liée à la plainte présentée en vertu de l'article 185f).
L'avocat du requérant se plaint, en outre, que le fait qu'il n'y a pas réellement eu d'audition devant le Conseil de la plainte introduite en vertu de l'article 185f) l'a empêché de présenter, à titre subsidiaire, au Conseil, au moins deux arguments juridiques à l'appui de la plainte formulée en vertu dudit article. Les paragraphes 15 et 16 de l'exposé du requérant donnent des détails relativement à ces arguments.
A mon sens, les prétentions de l'avocat du requé- rant sont bien fondées. Il ressort clairement du dossier concernant cette audition qu'il n'y a pas eu d'«audition» devant le Conseil de la plainte formu- lée en vertu de l'article 185f). On a autorisé le représentant syndical à assister et à participer à l'audition de la plainte contre la compagnie en vertu de l'article 184 mais la transcription, à plu- sieurs reprises, fait état d'objections portant sur la pertinence d'éléments de preuve au motif qu'ils se rapportaient à la plainte présentée en vertu de l'article 185f) plutôt qu'à la plainte présentée en vertu de l'article 184. Ces objections ont été main- tenues par le président qui, à plusieurs reprises, a déclaré que les auditions et les éléments de preuve devaient uniquement porter sur la plainte présen- tée en vertu de l'article 184. Il est vrai que de temps à autre certains éléments de preuve relatifs à la plainte présentée en vertu de l'article 185 ont été accueillis au cours de l'audition portant sur l'article 184 et ce, malgré les efforts vigoureux du président pour y faire obstacle. Toutefois, une telle situation mettant en cause une preuve partielle et
fragmentaire ne pourra jamais, par un quelconque effort d'imagination, se substituer à une audition complète et régulière sur le fond de la plainte présentée en vertu de l'article 185. La règle audi alteram partem a pour but d'assurer l'équité et exige que la personne qui doit rendre une décision agisse de bonne foi et entende de façon impartiale les arguments des deux parties'. A la lecture de ce dossier, je suis convaincu que les conditions d'ap- plication de la règle audi alteram partem n'ont pas été remplies en ce qui concerne la plainte formulée en vertu de l'article 185f). Bien qu'il soit vrai que le Conseil a consacré quelque 12 jours à l'audition de la plainte introduite en vertu de l'article 184 et plusieurs centaines de pages de transcription, il est également vrai que les membres du Conseil ont rendu une décision sur la plainte formulée en vertu de l'article 185f) sans avoir tenu d'audition régu- lière sur cette plainte. Il semble qu'à cause de la transcription volumineuse que l'audition de la plainte formulée en vertu de l'article 184 a nécessi- tée, il a pu échapper au Conseil qu'en plusieurs occasions, des décisions du président ont claire- ment restreint l'audition à la plainte introduite en vertu de l'article 184. Par conséquent, j'estime que la décision du Conseil sur l'article 185f) a été rendue d'une façon qui viole les principes de jus tice naturelle et qu'elle doit, par conséquent, être annulée et renvoyée au Conseil pour que ce dernier tienne une audition complète et régulière sur les points qui sont implicitement exposés dans la plainte introduite en vertu de l'article 185f) du Code canadien du travail.
* * *
LE JUGE URIE y a souscrit.
* * *
LE JUGE SUPPLÉANT MACKAY y a souscrit.
' Voir: Toronto Newspaper Guild c. Globe Printing Com pany [1953] 2 R.C.S. 18. Voir également: Board of Education c. Rice [1911] A.C. 179.
 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.