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A-432-77
Le Directeur en vertu de la Loi anti-inflation (Requérant)
c.
Jean Léveillée, Harold Demers, Gaston Cadieux, Yvon Lahaie et Bernard Bélanger (Intimés)
Cour d'appel, le juge en chef Jackett et les juges Pratte et Ryan—Ottawa, les 21 et 22 décembre 1977.
Examen judiciaire Relations du travail Loi anti- inflation Augmentation accordée en raison du lien histori- que entre les employés cadres et les professeurs d'une commis sion scolaire Le montant alloué est-il conforme aux objec- tifs de la Loi? Loi sur la Cour fédérale, S.R.C. 1970 (2e Supp.), c. 10, art. 28—Loi anti-inflation, S.C. 1974-75-76, c. 75, art. 20, 30 Indicateurs anti-inflation, DORS/76-1, art. 44(1) dans sa forme modifiée par DORS/76-298, art. 18.
Il s'agit d'une demande formulée en vertu de l'article 28 visant à faire annuler un jugement du Tribunal d'appel en matière d'inflation modifiant une ordonnance rendue par le Directeur suivant laquelle l'employeur pouvait, au cours de l'année d'application des Indicateurs, augmenter la rémunéra- tion totale des employés cadres en raison du lien historique existant entre eux et les professeurs de la Commission scolaire. La question est de savoir si le Tribunal a erré en droit en allouant cette somme supplémentaire. Il est allégué que le Tribunal n'a pas rempli la condition préalable de déterminer si l'allocation de cette somme était conforme aux objectifs de la Loi anti-inflation.
Arrêt: la demande est rejetée. La règle générale adoptée qui impose aux augmentations une limite plus ou moins arbitraire, ne s'applique pas s'il existe un lien historique qui permet l'allocation d'un montant additionnel si ce dernier est conforme aux objectifs de la Loi. Le lien historique doit être un lien qui rende ce montant additionnel nécessaire à l'efficacité du secteur d'emploi, mais ce montant ne doit pas dépasser le montant nécessaire pour enrayer le tort qui serait causé si l'on ne tenait pas compte dudit lien historique. Le Tribunal a conclu au maintien de la hiérarchie des traitements qui existe entre les intimés et les professeurs, tout en reconnaissant implicitement les objectifs de la Loi anti-inflation en n'allouant qu'un mon- tant minimal pour satisfaire aux exigences de la situation. Il était loisible au Tribunal d'en arriver à cette conclusion.
DEMANDE d'examen judiciaire. AVOCATS:
E. A. Bowie et Deen Olsen pour le requérant. Gordon F. Henderson, c.r., et R. Fitzsimmons pour les intimés.
PROCUREURS:
Le sous-procureur général du Canada pour le requérant.
Gowling & Henderson, Ottawa, pour les intimés.
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
LE JUGE EN CHEF JACKETT: Il s'agit ici d'une demande formulée en vertu de l'article 28 visant à faire annuler un jugement du Tribunal d'appel en matière d'inflation modifiant une ordonnance rendue par le Directeur en vertu de l'article 20 de la Loi anti-inflation, S.C. 1974-75-76, c. 75, et ordonnant que la Commission des écoles catholi- ques romaines séparées des comtés de Prescott et Russell «puisse, au cours de l'année d'application des indicateurs, soit du premier septembre 1975 au 31 août 1976, augmenter la rémunération totale du groupe de ses employés cadres [les intimés] d'une somme qui ne dépasse pas celle de $24,668 et de $2,400 pour chaque employé à l'intérieur du groupe, compte tenu des rajustements appropriés
La Loi anti-inflation vise à «limiter les marges bénéficiaires, les prix, les dividendes et les rémuné- rations» et expose que la «réduction et l'endigue- ment de l'inflation» sont devenus un problème national. En vertu de l'article 3, le gouverneur en conseil est autorisé à publier des «indicateurs» concernant, entre autres, la limitation des «rému- nérations». En vertu de l'article 20, un fonction- naire qu'on appelle «Directeur» peut rendre une ordonnance pour interdire à une personne «de con- trevenir aux indicateurs». En vertu de l'article 30, on peut interjeter appel de cette ordonnance devant le «Tribunal d'appel»; si je comprends bien la Loi, cet appel se fait par voie d'audition «de novo». En d'autres termes, le Tribunal a compé- tence sur tous les aspects de l'appel y compris les questions de fait, de droit et de pouvoir discrétionnaire.
L'affaire soulève une question sur la partie des «indicateurs» qui traite de la rémunération. En vertu de l'article 43 de ces indicateurs, si on le lit seul, l'augmentation admissible en l'espèce aurait été de $2,400 «augmentation de la rémunération moyenne du groupe pour l'année d'application des indicateurs». La question est de savoir si le Tribu nal a commis une erreur de droit en allouant un montant supplémentaire en vertu de l'article 44(1), DORS/76-1 modifié par DORS/76-298, qui se lit en partie comme suit:
44. (1) Si un groupe
b) a un lien historique avec un autre groupe,
l'employeur peut, au cours d'une année d'application des indi- cateurs, augmenter le montant total de la rémunération de tous les employés faisant partie du groupe, d'un montant qui n'est pas supérieur à la somme
c) du montant qu'autorise le paragraphe 43(1), et
d) du montant supplémentaire conforme aux objectifs de la Loi.
La question est de savoir si la somme supplémen- taire allouée par le Tribunal censément en vertu de l'article 44(1)d) l'a été par erreur de droit. La position du requérant, si je comprends bien, c'est que le Tribunal n'a pas rempli la condition préala- ble de déterminer d'abord si l'allocation de cette somme était «conforme aux objectifs de la Loi».
Bref, à mon avis, les faits pertinents sont les suivants:
a) immédiatement avant la période de contrôle, les professeurs y compris les principaux d'écoles employés par la Commission ont obtenu des augmentations;
b) les intimés constituaient le personnel de direction de l'employeur et recevaient tradition- nellement des salaires plus élevés que les princi- paux d'écoles;
c) les augmentations accordées aux professeurs étaient telles que, même si l'on avait ajouté $2,400 au salaire de chaque intimé, certains principaux aurait reçu une rémunération plus élevée que certains intimés;
d) aux fins de l'article 44 des Indicateurs, il existe un lien historique entre les professeurs et les intimés.
En l'espèce, le Tribunal a conclu que les intimés «pouvaient . .. s'attendre à bon droit à ce que le Conseil scolaire continue de tenir compte du trai- tement des principaux les mieux rémunérés pour fixer le traitement du groupe du personnel cadre, à ce que tous touchent au moins un peu plus que les principaux les mieux rémunérés....»
Le Tribunal a traité assez longuement de l'argu- ment du requérant, voulant qu'en raison de la grave faiblesse du lien historique, les intimés ne pouvaient prétendre à son existence, et a affirmé, entre autres:
Dans cette affaire, si le Directeur a refusé d'autoriser le paiement de montants supplémentaires en vue de maintenir le faible lien historique dont il a constaté l'existence, c'est que, à son avis, le fait d'autoriser le paiement de toute rémunération conformément à l'alinéa 44(1)d) des indicateurs, à un groupe d'employés assujettis au maximum de $2,400 en vertu de l'article 43 «ne serait pas conforme aux objectifs de la Loi anti-inflation» en l'absence de «très sérieuses raisons» d'alléger le fardeau de cette mesure.
Il va de soi, certes, selon la doctrine de la Loi anti-inflation, que l'inflation sera contrôlée plus efficacement selon que des restrictions plus rigoureuses seront imposées en matière d'aug- mentation de salaires. Toutefois, de l'avis du Tribunal d'Appel, l'expression «les objectifs de la Loi» à l'alinéa 44(1)d) des indicateurs ne saurait être interprétée d'une façon aussi sim- pliste. L'article 44 a lui-même pour objet de rendre les restric tions plus équitables et plus flexibles.
A notre avis, l'article 44 doit, en l'espèce, faire l'objet d'une application semblable pour maintenir la hiérarchie des traite- ments au sein de l'organisation administrative du Conseil des écoles catholiques de Prescott -Russell et ce, du moins dans la mesure les employés «subalternes» ne touchent pas un traite- ment plus élevé que celui de leur supérieur. Nous citons de nouveau notre décision précitée, afférente à l'affaire du Conseil des écoles catholiques de Sudbury:
La Loi n'a fait qu'énoncer des objectifs généraux, dont les détails devaient être élaborés au moyen d'indicateurs pres- crits, en vertu de l'article 3(2) de la Loi ... Le gouverneur en conseil a jugé à propos d'autoriser, aux termes de l'article 44 des indicateurs, des augmentations calculées, non pas en fonction du niveau général de l'inflation mais en fonction de liens historiques particuliers entre des groupes d'em- ployés.... Le fait est que l'article 44 des indicateurs consti- tue en soi un élément important dont il faut tenir compte lorsqu'il s'agit de discerner les objectifs spécifiques de la Loi anti-inflation tels qu'ils s'incarnent dans les indicateurs.
L'article 44 vise, de toute évidence, à restreindre la rému-
nération sans porter indûment préjudice aux liens historiques
qui ont contribué à déterminer la rémunération des employés. De l'avis du Tribunal d'appel, il est donc conforme aux objectifs de la Loi anti-inflation de conclure qu'une augmentation moyenne de la rémunération dépassant $2,400 doit être autori- sée relativement au groupe des employés appelants pour main- tenir, même de façon minimale, la hiérarchie historique des salaires versés en l'espèce par l'employeur, en l'occurrence le Conseil scolaire.
Le Tribunal d'appel en matière d'inflation a conclu, en se fondant sur le lien historique dont le Directeur a constaté l'existence, que le Conseil scolaire devrait être autorisé à aug- menter la moyenne de rémunération des employés du groupe du personnel cadre en ajoutant, à leur traitement, un montant supplémentaire, de manière à ce que le traitement pour chaque poste du groupe soit, du moins légèrement plus élevé que le traitement des principaux les mieux rémunérés. En outre ceux qui, depuis au moins deux années avant le 14 octobre 1975, touchaient un traitement sensiblement plus élevé que celui des
principaux les mieux rémunérés, pouvaient continuer à le faire. Par contre, nous avons conclu que les montants dont a convenus le Conseil scolaire ne sont pas conformes aux objectifs de la Loi anti-inflation, étant donné qu'ils vont au delà des prévisions minimales légitimes suscitées par le faible lien historique établi en l'espèce.
En d'autres termes, notre conclusion porte que le Conseil scolaire peut, pour l'année d'application des indicateurs, soit depuis le premier septembre 1975 jusqu'au 31 août 1976, augmenter le montant total de la rémunération des employés du groupe du personnel cadre d'un montant ne dépassant pas $24,668 et $2,400 pour chaque employé, lequel montant est autorisé en vertu de l'article 43 des indicateurs, en affectuant des rajustements appropriés dans la mesure l'un ou l'autre des trois postes de «Directeur de programmes» est aboli ou cesse d'être occupé avant la fin de ladite année d'application des indicateurs. Le Tribunal n'est pas insensible à l'aspect arbi- traire que revêt cette formule, étant donné qu'il a choisi d'appli- quer, à chacun des postes du groupe du personnel cadre, l'écart de salaire minimal depuis 1970 et ce, en vue d'«établir la valeur quantitative» du lien historique. Nous regrettons aussi de n'avoir pu trouver une formule plus concise. Cependant, nous sommes convaincus que notre conclusion permet de faire valoir pour l'essentiel des droits des intéressés tout en respectant les objectifs de la Loi anti-inflation et des indicateurs.
En lisant le reste de la décision du Tribunal avec ces passages, que je considère comme les plus importants, je ne trouve pas que le Conseil scolaire ait commis une erreur en se prévalant du pouvoir accordé par l'article 44 des «indicateurs» d'allouer les montants en question.
Mon interprétation de l'affaire peut se résumer ainsi:
1. La Loi anti-inflation a pour objet, entre autres, «de limiter ... les rémunérations».
2. Pour parvenir à cette fin, on a retenu, entre autres:
(i) l'adoption d'«indicateurs pour guider les citoyens dans leurs efforts en vue de limiter . les rémunérations» (article 3),
(ii) et l'établissement d'un système de déci- sions administratives ou ordonnances pour que les Indicateurs trouvent une application légale.
3. Ces indicateurs donnent une formule d'appli- cation générale en ce qui concerne les rémunéra- tions et fixent l'augmentation maximale à $2,400 par année sous réserve, entre autres, d'un «montant supplémentaire conforme aux objectifs de la Loi» lorsqu'il est question d'un «lien historique».
4. Le Tribunal d'appel a une compétence éten- due en ce qui concerne le dernier point et la présente cour a compétence pour examiner ses décisions sur des questions de droit.
Quant au droit applicable, l'objet de la Loi anti-inflation, si je comprends bien ce qui con- cerne la «rémunération», est de freiner les augmen tations et non de les éliminer. La règle générale adoptée consiste en une limite plus ou moins arbi- traire (dont le maximum est de $2,400 par année) imposée aux augmentations qui auraient autre- ment découlé du jeu des forces du marché. Cepen- dant, cette limite ne s'applique pas s'il existe un lien historique. En pareil cas, un montant addition- nel peut être alloué s'il est conforme aux objectifs de la Loi. En rapport avec les faits de l'espèce, cela signifie, d'après moi:
a) que le lien historique doit être tel que ce montant additionnel soit nécessaire à l'efficacité du secteur d'emploi en question, et
b) que ce montant additionnel ne dépasse aucu- nement le montant nécessaire pour enrayer le tort qui serait causé si l'on ne tenait pas compte dudit lien historique.
Pour revenir à la contestation du raisonnement du Tribunal fondée sur la prétention selon laquelle ce dernier ne s'est pas attaché à la limitation par référence aux objectifs de la Loi, je suis d'avis qu'elle doit être rejetée.
Pour m'exprimer en mes propres termes sur le sujet, ce que je pense que le Tribunal a dit, c'est que, pour ce qui est de continuer de faire fonction- ner le système avec efficacité, la hiérarchie des traitements qui existe entre les intimés et les pro- fesseurs doit être maintenue au moins pour qu'il y ait des différences de salaires appréciables entre eux mais il reconnaît implicitement, si ce n'est pas explicitement, que les objectifs de la Loi anti- inflation exigent qu'on n'alloue rien de plus, en vertu de l'article 44(1)d) que ce qu'exige la situa tion. En se fondant là-dessus, si je comprends bien, il a fixé un montant qu'il considérait comme «mini- mal» pour satisfaire aux exigences de la situation. Selon moi, il était loisible au Tribunal, en droit, d'en arriver à cette conclusion et la Cour n'a aucun droit d'intervenir en la matière.
A mon avis, la demande fondée sur l'article 28 doit être rejetée.
Quant à la prétention selon laquelle la Commis sion a fait erreur en ne concluant pas que le règlement intervenu avec les professeurs avant la période de contrôle était «inflationniste» et en ne tenant pas compte de ce fait allégué pour détermi- ner si un montant aurait être alloué en vertu de l'article 44(1)d), et dans l'affirmative, lequel, pré- tention qui a été introduite indirectement par le requérant au cours de la plaidoirie, je ne suis pas convaincu qu'il était loisible à ce dernier de traiter de ce point sans obtenir une modification du mémoire déposé par lui devant la Cour. De toute façon, c'est un point fondé sur des allégations de fait sur lesquelles le Tribunal n'a pas à se pronon- cer et, selon moi, on ne peut dire que le Tribunal ait fondé sa décision sur une erreur de droit en omettant de traiter de ces questions. Si je com- prends bien la Loi, les procédures qui se déroulent devant le Tribunal sont plutôt de nature «contra- dictoire» qu'«inquisitoire», et la partie à une procé- dure ne peut se plaindre qu'on n'ait pas traité d'une question qui n'avait pas été soulevée. Il est vrai que, devant le Tribunal, le requérant était surtout préoccupé d'appuyer la décision du Direc- teur; mais, n'ayant pas prévu la possibilité de perdre sur ce point ni avancé les allégations de fait qui surgiraient advenant ce cas, il ne peut se plaindre que le Tribunal n'ait pas soulevé de sa propre initiative ces considérations de fait et n'en ait pas tenu compte. Si le Tribunal devait exami ner, de sa propre initiative, toutes les possibilités imaginables, son efficacité en serait sérieusement diminuée.
* * *
LE JUGE PRATTE y a souscrit.
* * *
LE JUGE RYAN y a souscrit.
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