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T-3890-77
Delivrance Immacula Laneau (Requérante)
c.
L. G. Rivard (Intimé)
et
Le ministre de l'Immigration (Mis-en-cause)
Division de première instance, le juge Decary— Montréal, le 14 novembre; Ottawa, le 21 décembre 1977.
Brefs de prérogative Immigration Demande de bref de prohibition afin d'empêcher l'enquêteur spécial de continuer une enquête relativement à un cas d'expulsion Demande visant l'obtention d'un permis ministériel en vertu de la discré- tion conférée par l'art. 8 présentée avant le début de l'enquête L'enquêteur spécial a-t-il compétence pour mener l'en- quête? Loi sur la Cour fédérale, S.R.C. 1970 (2e Supp.), c. 10, art. 2, 28 Loi sur l'immigration, S.R.C. 1970, c. I-2, art. 8, 11, 18, 27.
La requérante, une non-immigrante passible d'expulsion, pré- sente une requête en prohibition afin d'empêcher l'enquêteur spécial de continuer une enquête parce qu'elle avait, avant le début de l'enquête, demandé au Ministre de délivrer un permis en vertu de la discrétion qui lui est accordée à l'article 8 de la Loi sur l'immigration. Il s'agit de décider si cette demande doit être accueillie ou rejetée.
Arrêt: la demande est accueillie. Les pouvoirs dévolus au Ministre en vertu de l'article 8 ont préséance sur ceux que détient l'enquêteur spécial en vertu des articles 11 et 27, dans les cas tous les deux seraient saisis de la même cause. Le pouvoir du Ministre d'émettre ou de refuser un permis est de sa juridiction exclusive. En l'absence de telle autorisation législa- tive, la doctrine et la maxime «delegatus non potest delegare» interdisent à l'intimé de poser quelque geste que ce soit qui empêche ultérieurement le Ministre de rendre une décision favorable à la requérante en vertu de l'article 8. C'est ce qui arriverait si l'enquêteur spécial tenait l'enquête et décidait d'émettre une ordonnance d'expulsion puisque dans ce cas la requérante tomberait dans la catégorie des personnes aux- quelles le Ministre ne peut délivrer un permis.
Arrêts appliqués: Le procureur général du Canada c. Cylien [1973] C.F. 1166; British Columbia Packers Ltd. c. Le Conseil canadien des relations du travail [1973] C.F. 1194; Ramawad c. Le ministre de la Main-d'oeuvre et de l'Immigration [1978] 2 R.C.S. 375.
DEMANDE d'examen judiciaire. AVOCATS:
Michel Coulanges pour la requérante. Suzanne Marcoux-Paquette pour l'intimé et le mis-en-cause.
PROCUREURS:
Michel Coulanges, Montréal, pour la requé- rante.
Le sous-procureur général du Canada pour l'intimé et le mis-en-cause.
Voici les motifs de l'ordonnance rendus en fran- çais par
LE JUGE DECARY: Il s'agit de décider si l'on doit accueillir ou rejeter une requête en prohibition afin d'empêcher l'enquêteur spécial de l'immigra- tion de continuer une enquête parce que la requé- rante avait, avant le début de cette enquête, demandé au Ministre qu'il statue sur son cas en vertu de la discrétion qui lui est accordée à l'article 8 de la Loi.
Les faits méritent d'être cités assez longuement: la requérante est arrivée au Canada le 21 août 1974 en qualité de non-immigrante; elle a exercé un emploi comme aide-domestique; elle a en tout point respecté les exigences de la Loi jusqu'au jour elle a été incapable de travailler à cause de nombreuses difficultés que lui causait sa grossesse; son fiancé, la dénommé Joseph Lucien Paul, un citoyen canadien dont elle était devenue enceinte, l'emmena vivre auprès de ses parents; dans l'inter- valle, son fiancé, sachant que la requérante pour- rait être expulsée du pays parce qu'elle avait abandonner son emploi, ne s'est pas présenté pour la célébration de leur mariage; l'enfant de la requérante, Jean Jacky Laneau, est à Montréal le 30 avril 1976; la requérante a intenté une action en reconnaissance de paternité contre Joseph Lucien Paul; craignant qu'une déportation ne rende illusoires les chances de faire valoir les droits de son fils à une pension alimentaire elle a choisi de demander au Ministre de l'immigration, le 14 avril 1977, un permis ministériel en vertu de la discrétion que l'article 8 de la Loi sur l'immigra- tion confère au Ministre; cette demande, il est important de le souligner; fut faite avant même que les autorités de l'immigration n'aient convo- qué, ou communiqué avec la requérante; suite à cette demande, le cabinet du Ministre de l'immi- gration accusa réception de ladite demande dans une lettre datée du 28 avril et promit une réponse dans les semaines à venir; avant de recevoir du Ministre une décision sur sa demande pour un permis ministériel, la requérante fut convoquée au Centre d'immigration du Canada à Montréal, pour
une enquête spéciale; comme moyen préliminaire, le procureur de la requérante, au tout début de l'enquête, contesta la juridiction de l'enquêteur de tenir l'enquête avant la décision du Ministre sur la demande pour l'obtention d'un permis ministériel, en faisant valoir qu'aucune disposition de la Loi ou du Règlement sur l'immigration ne lui conférait, en l'espèce, juridiction pour tenir une enquête; l'enquêteur spécial, l'intimé, refusa alors d'ajour- ner la cause, prétendant qu'il avait juridiction pour mener l'enquête et qu'il avait le pouvoir de statuer sur sa propre juridiction, même quand elle n'était pas explicitée dans la Loi.
Je crois nécessaire de citer au long la demande de permis de la requérante (pièce R-2):
Montréal, le 14 avril 1977.
M. Bud Cullen
Ministère de l'Immigration
Ottawa, Canada
Monsieur le Ministre,
Comme ultime recours possible, je m'adresse à vous aujour- d'hui pour obtenir l'autorisation de rester au Canada le temps nécessaire pour éviter que mes droits ainsi que ceux de mon fils Jean Jacky Laneau ne soient à jamais compromis. En effet, j'ai enduré plus que ma juste part d'épreuves et d'humiliation pendant mon séjour ici, pour qu'au dernier moment je ne puisse même pas obtenir une réparation minimale pour les dommages que j'ai subis et ceux que mon fils aurait à subir.
Je suis arrivée au Canada le 21 août 1974 avec un permis valable pour travailler comme aide-ménagère.
Dans l'intervalle, j'ai rencontré un certain Joseph Lucien Paul qui m'a convaincu, après maintes promesses de bonheur de rester au Canada et de l'épouser, pour vivre la relation amou- reuse que n'importe quelle femme est heureuse de connaître. Comme preuve de sa bonne foi, Joseph Lucien Paul m'a introduit auprès de sa famille et depuis, mes relations avec lui empreintes d'admiration et d'affection réciproques se sont multipliées.
Devenue enceinte pour mon fiancé, j'ai connu des troubles dûs à ma grossesse qui m'ont empêché de continuer à donner le rendement exigé de mes employeurs et j'ai abandonner mon travail. Mon fiancé m'a emmené vivre avec ceux qui devaient devenir mes beaux-parents, en attendant les préparatifs de notre mariage. Tout était arrangé et le jour fixé pour la cérémonie du mariage, mon fiancé ne s'est pas présenté.
Dans les circonstances, j'étais forcée de prendre mon parti et d'abandonner la maison des parents de mon fiancé.
J'ai accouché le 30 novembre 1976 d'un enfant qui porte le nom de Jean Jacky Laneau.
Parce que je crois, monsieur le Ministre, que mon fils a droit aux aliments, et à une éducation le moindrement décente, j'ai prendre devant les tribunaux de la Province de Québec une
action en reconnaissance de paternité, pour la sauvegarde et pour empêcher que mon fils ne devienne jamais une charge pour le gouvernement canadien, ou n'importe quel gouverne- ment. Les procédures dans cette action en reconnaissance de paternité ne sont pas encore complétées et de l'avis de mon procureur, les droits de Jean Jacky seraient sérieusement com- promis, si je ne pouvais témoigner personnellement à l'audition de la cause.
Monsieur le Ministre, pour éviter qu'une déportation avant le jugement dans cette cause facilite la perpétuation d'une injus tice odieuse envers Jean Jacky et moi, nous vous serions gré à jamais de nous laisser rester au Canada jusqu'au jugement dans cette cause sans être déportés, et de donner instruction au centre d'Immigration du Canada à Montréal, pour qu'il m'ac- corde un permis de travailler d'une année, renouvelable jusqu'à la fin des procédures sus-dites.
Vous trouverez ci-inclus une copie de l'acte de naissance de Jean Jacky et une lettre de l'Eglise prouvant cette odieuse supercherie dont nous avons été les victimes.
Dans l'espoir de recevoir des informations qui nous permet- traient de vivre avec dignité, respect et autonomie, recevez, monsieur le Ministre mes remerciements anticipés.
Delivrance Immacula Laneau
Délivrance Immacula Laneau A/S 4115 St denis
Montréal, Qué.
H2W 2M7
Cette lettre demande clairement l'autorisation de rester au Canada «le temps nécessaire pour éviter que mes droits ainsi que ceux de mon fils Jean Jacky Laneau ne soient à jamais compromis» et qu'on lui accorde «un permis de travailler d'une année.»
Deux semaines plus tard, la requérante recevait cette lettre du ministère de l'Immigration que je cite:
Le 28 avril 1977.
Madame Délivrance Immacula Laneau,
a/s 4115 St Denis,
MONTRÉAL (Québec)
H2W 2M7
Madame,
La Cabinet du Ministre nous a demandé de donner suite à votre récente demande de renseignements au sujet de votre situation.
Comme nous croyons que le sujet pourrait être traité de façon plus efficace et expéditive par nos agents sur place, nous avons référé votre demande à notre bureau de Montréal (Atwa- ter) (Québec).
J'ai bon espoir que vous recevrez une réponse dans les semaines à venir.
Veuillez agréer, Madame, l'expression de mes sentiments
distingués.
Directeur général intérimaire,
Facilité, Contrôle et Exécution de la loi,
et signé G. DESORMEAUX pour
J. St-Onge.
Même si l'on considère que cette lettre du Ministère n'est qu'un accusé de réception, l'on peut s'étonner avec raison que l'on réfère à la lettre de la requérante comme étant une demande de renseignements. Une telle façon d'agir ne dénote pas grand soin de la part du Ministère.
En date du 21 septembre 1977, la requérante était convoquée pour une enquête spéciale, tel qu'en fait foi la lettre-formulaire reproduite ci-dessous:
c.c.: Me M. Coulanges, 4115 rue St. Denis, Montréal, Québec, Suite 6
Notre référence
2496-1-710
Mlle Immacula Délivrance LANEAU 6545 rue Boyer
Montréal, Québec Le 21 septembre 1977
Mademoiselle,
En vertu du paragraphe 18(1) de la Loi sur l'immigration, un rapport à votre sujet a été soumis au Directeur de l'Immigra- tion qui, selon l'article 25 de la même loi, a émis une ordon- nance d'enquête. Veuillez trouver ci-joint:
L'ordonnance d'enquête, le rapport et les pièces à l'appui.
A la suite de cette ordonnance, une enquête d'immigration sera tenue; nous vous enjoignons donc de vous présenter au Centre d'Immigration du Canada, Plaza Alexis Nihon, 11ème étage, 1500, avenue Atwater, Montréal, Québec, le 21 septem- bre 1977 8:30 a.m.
Le but de cette enquête est de déterminer si vous pouvez demeurer au Canada. S'il est établi que vous ne pouvez satis- faire aux dispositions de la Loi et du Règlement sur l'immigra- tion pour demeurer au Canada, une ordonnance d'expulsion sera émise contre vous.
Selon le paragraphe 26(2) de la Loi sur l'immigration, vous avez le droit, à vos propres frais, d'être représenté par avocat ou conseiller à cette enquête. Vous trouverez d'ailleurs un avis relatif à ce droit attaché à la présente.
Lorsque vous vous présenterez devant l'enquêteur spécial, ayez soin d'apporter cette lettre ainsi que l'avis qui y est attaché et votre passeport.
Bien à vous,
Le surveillant Sous-section des enquêtes Centre d'Immigration du Canada
(et signé) G. Savard
Quant à la compétence de l'enquêteur spécial, il importe de souligner au départ qu'il est «une ... personne ayant, exerçant ou prétendant exercer une compétence ou des pouvoirs conférés par une loi du Parlement du Canada» et tombe en consé- quence dans la catégorie: «office, commission ou autre tribunal fédéral» telle que définie à l'article 2 de la Loi sur la Cour fédérale.
Il faut déterminer la nature de la décision de l'enquêteur spécial de refuser la demande de remise au début de l'enquête. Cette décision de l'enquêteur spécial n'était pas prise dans l'exercice de ses pouvoirs de rendre des décisions puisque ses pouvoirs en ce qui concerne la conduite d'une enquête sont définis aux articles 11, 18 et 27 de la Loi sur l'immigration.
Les pouvoirs de l'enquêteur spécial sont définis à l'article 11 de la Loi:
11. (1) Les fonctionnaires supérieurs de l'immigration sont des enquêteurs spéciaux, et le Ministre peut nommer les autres fonctionnaires à l'immigration qu'il juge nécessaires pour agir en qualité d'enquêteurs spéciaux.
(2) Un enquêteur spécial a le pouvoir d'examiner la question de savoir si une personne doit être admise à entrer au Canada ou à y demeurer ou si elle doit être expulsée, et celui de statuer en l'espèce.
(3) Un enquêteur spécial possède tous les pouvoirs et toute l'autorité d'un commissaire nommé en vertu de la Partie I de la Loi sur les enquêtes et, sans restreindre la généralité de ce qui précède, peut, aux fins d'une enquête,
a) émettre une sommation à toute personne, lui enjoignant de comparaître aux temps et lieu y mentionnés, de rendre témoignage sur toutes questions à sa connaissance concer- nant le sujet de l'enquête et d'apporter avec elle et de produire tout document, livre ou pièce, en sa possession ou sous son contrôle, en ce qui regarde le sujet de l'enquête;
b) faire prêter serment et interroger toute personne sous serment, affirmation ou autrement;
c) émettre des commissions ou requêtes en vue de recueillir des témoignages au Canada;
d) retenir les services des avocats, techniciens, commis, sté- nographes ou autres personnes qu'il estime indispensables à une enquête complète et régulière; et
e) accomplir toutes autres choses nécessaires pour assurer une enquête complète et régulière.
L'article 18 de la Loi concerne les cas où, inter alfa, l'enquêteur spécial doit faire enquête et rapport:
18. (1) Lorsqu'il en a connaissance, le greffier ou secrétaire d'une municipalité au Canada, dans laquelle une personne ci-après décrite réside ou peut se trouver, un fonctionnaire à l'immigration ou un constable ou autre agent de la paix doit envoyer au directeur un rapport écrit, avec des détails complets, concernant
a) toute personne, autre qu'un citoyen canadien, qui se livre au renversement, par la force ou autrement, du régime, des institutions ou des méthodes démocratiques, tels qu'ils s'en- tendent au Canada, ou qui préconise un tel renversement, ou qui est un membre ou associé d'une organisation, d'un groupe ou d'un corps quelconque qui se livre à un renversement de ce genre ou le préconise;
b) toute personne, autre qu'un citoyen canadien, qui, si elle se trouve au Canada, a été déclarée, par une cour compé- tente, coupable d'une infraction impliquant désaffection ou manque de fidélité envers Sa Majesté;
c) toute personne, autre qu'un citoyen canadien qui, si elle est hors du Canada, se livre à l'espionnage, au sabotage ou à toute activité préjudiciable à la sécurité du Canada;
d) toute personne, autre qu'un citoyen canadien, qui est déclarée coupable d'une infraction sous le régime de l'article 3, 4, 5 ou 6 de la Loi sur les stupéfiants;
e) toute personne, autre qu'un citoyen canadien ou une personne ayant un domicile canadien, qui
(i) pratique la prostitution ou l'homosexualité, ou y aide ou en partage les fruits,
(ii) a été déclarée coupable d'une infraction visée par le Code criminel,
(iii) est devenue un détenu dans un pénitencier, une geôle, une maison de correction ou une prison, ou pensionnaire d'un asile ou hôpital d'aliénés,
(iv) était un membre d'une catégorie interdite lors de son admission au Canada,
(v) est, depuis son admission au Canada, devenue une personne qui, si elle demandait son admission au Canada, se la verrait refuser du fait qu'elle est membre d'une catégorie interdite autre que celles dont les alinéas 5a),b),c) et s), donnent la description,
(vi) est entrée au Canada comme non-immigrant et y demeure après avoir cessé d'être un non-immigrant ou d'appartenir à la catégorie particulière dans laquelle elle a été admise en qualité de non-immigrant,
(vii) est entrée au Canada à un endroit -autre qu'un port d'entrée ou s'est soustraite à l'examen ou à l'enquête prévue par la présente loi ou s'est évadée d'une garde ou détention légitime visée par la présente loi,
(viii) est entrée au Canada, ou y demeure, avec un passe- port, un visa, un certificat médical ou autre document relatif à son admission qui est faux ou irrégulièrement délivré, ou par suite de quelque renseignement faux ou trompeur, par la force, clandestinement ou par des moyens frauduleux ou irréguliers, exercés ou fournis par elle ou par quelque autre personne,
(ix) revient au Canada ou y demeure contrairement à la présente loi après qu'une ordonnance d'expulsion a été rendue contre elle ou autrement, ou
(x) est entrée au Canada comme membre d'un équipage et, sans l'approbation d'un fonctionnaire à l'immigration ou pendant une période plus longue que celle qu'a approu- vée ce fonctionnaire, demeure au Canada après le départ du véhicule sur lequel elle est entrée au Canada.
(2) Quiconque, sur enquête dûment tenue par un enquêteur spécial, est déclaré une personne décrite au paragraphe (1) devient sujet à expulsion.
Le paragraphe (2) de l'article 18 établit que toute personne tombant sous un de ces chefs, est sujette à expulsion. La requérante tomberait sous 18(1)e)(vi).
Le choix et les modalités de la décision de l'enquêteur spécial sont prévus à l'article 27 de la Loi:
27. ( I ) A la conclusion de l'audition d'une enquête, l'enquê- teur spécial doit rendre sa décision le plus tôt possible et, si les circonstances le permettent, en présence de la personne intéressée.
(2) Lorsque l'enquêteur spécial décide que la personne intéressée
a) peut de droit entrer ou demeurer au Canada;
b) dans le cas d'une personne cherchant l'admission au Canada, n'est pas membre d'une catégorie interdite; ou
c) dans le cas d'une personne au Canada, n'est pas reconnue, par preuve, une personne décrite à l'alinéa 18(1)a),b),c),d) ou e),
il doit, en rendant sa décision, admettre ou laisser entrer cette personne au Canada, ou y demeurer, selon le cas.
(3) Dans le cas d'une personne autre que celle dont le paragraphe (2) fait mention, l'enquêteur spécial doit, en ren- dant sa décision, émettre contre elle une ordonnance d'expulsion.
(4) Nulle décision rendue en vertu du présent article ne doit empêcher la tenue d'une enquête ultérieure si elle est requise en raison d'un rapport subséquent sous le régime de l'article 18 ou conformément à l'article 24.
Dans le cadre de ses pouvoirs, en vertu de ces articles l'enquêteur spécial peut rendre des déci- sions au sens de l'article 28(1) de la Loi sur la Cour fédérale, mais en dehors de ce cadre, comme le cas présent, ses décisions sont de simples conclu sions, comme le confirme d'ailleurs une jurispru dence constante.
En effet, dans l'affaire Le procureur général du Canada c. Cylien', le juge en chef de la Cour a distingué deux grandes catégories parmi les déci- sions que peut rendre une commission: les déci- sions que la Commission peut rendre dans l'exer- cice de sa compétence ou de ses pouvoirs de rendre des décisions et qui ont un effet juridique et les décisions que la Commission prend sur la nature des pouvoirs qu'elle a l'intention d'utiliser et qui n'ont aucun effet juridique. On lit, aux pages 1175 et 1176 ibid. ces remarques du juge en chef Jackett:
'[1973] C.F. 1166.
Il s'agit donc à mon avis de décider, en l'espèce, si ledit refus de s'acquitter d'une obligation ou ladite déclaration de compé- tence peuvent, vu les circonstances de l'affaire, être considérés comme une «décision» au sens de ce mot à l'article 28.
Afin de déterminer si ce qu'on présente ici comme une décision est une «décision» au sens de ce mot à l'article 28(1), il faut se rappeler que la Commission d'appel de l'immigration est un office, une commission ou un autre tribunal fédéral car il s'agit d'un organisme ayant, exerçant ou prétendant exercer «une compétence ou des pouvoirs» conférés par une loi du Parlement du Canada (voir article 2g) de la Loi sur la Cour fédérale). Une décision susceptible d'annulation en vertu de l'article 28(1) doit donc être une décision résultant de l'exercice ou du prétendu exercice d'«une compétence ou des pouvoirs» conférés par une loi du Parlement. Il va de soi qu'une décision du tribunal, prise en vertu d'«une compétence ou des pouvoirs» expressément conférés par la loi, est une «décision» relevant de cette catégorie. Une décision prise dans le prétendu exercice d'«une compétence ou des pouvoirs» précis conférés par la loi relève aussi manifestement de l'article 28(1). Une décision de ce genre a pour effet juridique de régler l'affaire, ou elle prétend avoir cet effet. Une fois que, dans une affaire donnée, le tribunal a exercé sa «compétence ou ses pouvoirs» en rendant une «décision», la question est tranchée et même le tribunal ne peut y revenir.
En l'espèce, le problème est différent. La Commission a «la compétence ou les pouvoirs» en vertu de l'article 11(3) de décider à un stade préliminaire si elle permettra à l'appel de l'intimé de suivre son cours. Cependant, elle n'a pas encore pris de décision à ce sujet. Le problème soulevé, et à l'égard duquel la Commission a pris position, porte sur le point de savoir si l'article 11, interprété correctement, exige que la Commission prenne une décision en vertu de l'article 11(3) après avoir examiné la déclaration mentionnée à l'article 11(2) et rien d'autre, ou si, selon la loi, la Commission peut ou doit examiner d'autres documents avant de prendre cette décision. C'est une question de droit que la Commission n'a pas «la compétence ni les pouvoirs» de trancher. Elle doit, bien sûr, se faire une opinion sur cette question, mais cette opinion n'a aucun effet juridique.
Il existe une différence manifeste entre une «décision» de la Commission dont l'objet relève de «sa compétence ou de ses pouvoirs» et une décision par laquelle elle détermine la nature des pouvoirs qu'elle va utiliser. Une fois que la Commission, dans une affaire donnée, a rendu une décision relevant de «sa compétence ou de ses pouvoirs», cette décision a un effet juridique et la Commission a épuisé - ses pouvoirs à l'égard de cette affaire. Cependant, lorsque la Commission prend position sur la nature des pouvoirs qu'elle a l'intention d'utiliser, cette «décision» n'a aucun effet juridique. Dans un tel cas, il n'y a pas eu de décision en droit. La Commission elle-même, quelle que soit sa composition peut, au cours de l'affaire elle a pris position, changer d'avis avant de traiter de cette affaire et même poursuivre en se fondant sur cette nouvelle opinion.
Ainsi la décision de l'intimé, alors que le Minis- tre déjà saisi de l'affaire n'avait pas encore rendu sa décision, est une attribution de compétence, puisque l'intimé s'est trouvé à se prononcer sur sa
propre compétence. Or, dans l'affaire British Columbia Packers Limited c. Le Conseil canadien des relations du travail 2 , la Division d'appel de la Cour s'était prononcée sans équivoque sur la ques tion. Mon collègue le juge Thurlow, tel qu'il était à l'époque, parlant en son nom et en celui de ses collègues, le juge en chef Jackett et le juge sup pléant Sheppard, avait clairement indiqué à la page 1196 que:
A notre avis, l'affirmation ou l'opinion du Conseil quant à sa compétence ne constitue pas une «décision» au sens de l'article 28 de la Loi sur la Cour fédérale et ne peut être examinée par cette Cour en vertu dudit article. Il n'appartient pas au Conseil de se prononcer sur l'étendue de sa propre compétence de manière à lier quiconque. Le Conseil peut seulement décider d'accréditer ou non un syndicat et, quand il le fait, cette décision seule peut faire l'objet d'un examen en vertu de l'article 28. Il est évident que certaines questions soulevées au cours des procédures devant le Conseil peuvent faire l'objet d'un examen en vertu de l'article 28, à savoir, par exemple, des ordonnances enjoignant les parties de faire quelque chose qu'il est dans la compétence du Conseil d'ordonner. Mais l'affirma- tion en cause n'a pas ce caractère et, à notre avis, elle est comparable à celle que la Cour, dans l'affaire Le procureur général du Canada c. Cylien, a jugée ne pas relever de l'article 28.
La présente requête est donc bien fondée en droit, comme d'ailleurs l'a laissé entendre le juge en chef Jackett dans la cause Le procureur général du Canada c. Cylien ci-haut mentionnée, lorsque aux pages 1174 et 1175 il dit quant à la compétence:
Si l'on admet que le point de vue du Ministre quant aux obligations imposées à la Commission par l'article 11(3) est juste, à mon sens, ce que la Commission a fait en prononçant ses motifs le 16 octobre, si on les interprète bien, constituait soit
a) un refus de s'acquitter de ses obligations découlant de l'article 11(3), à savoir, examiner «la déclaration» de l'intimé immédiatement après l'avoir reçue et décider, en se fondant seulement sur cet examen, de permettre ou non que l'appel suive son cours, soit
b) la déclaration d'une compétence qu'elle n'a pas, à savoir, celle de tenir compte de la preuve et des exposés soumis à l'enquêteur spécial, ainsi que toutes autres preuves ou expo- sés qui lui seront présentés, avant de s'acquitter des obliga tions lui incombant en vertu de l'article 11(3),
ou était à la fois un refus de s'acquitter de ses obligations et une déclaration erronée de compétence; il est clair qu'il s'agit d'un cas il y aurait lieu de demander un bref de mandamus ou un bref de prohibition, ou les deux, afin de déterminer la nature exacte des obligations de la Commission en l'espèce, à moins que l'article 28(3) n'empêche ce recours.
2 [1973] C.F. 1194.
Le pouvoir discrétionnaire dévolu au Ministre est celui identifié à l'article 8 de la Loi qui se lit comme suit:
8. (1) Le Ministre peut délivrer un permis écrit autorisant toute personne à entrer au Canada, ou, étant dans ce pays, à y demeurer, à l'exclusion
a) d'une personne visée par une ordonnance d'expulsion à qui un tel permis n'a pas été délivré avant le 13 novembre 1967, ou
b) d'une personne au sujet de laquelle a été interjeté, en vertu de l'article 17 de la Loi sur la Commission d'appel de l'immigration, un appel qui a été rejeté.
(2) Un permis doit porter qu'il est en vigueur pour une période déterminée d'au plus douze mois.
(3) Le Ministre peut toujours, par écrit, proroger la validité d'un permis ou l'annuler.
(4) Le Ministre peut, lors de l'annulation ou l'expiration d'un permis, rendre une ordonnance d'expulsion concernant la personne en cause.
(5) Le Ministre doit soumettre au Parlement, dans les trente jours de l'ouverture de la première session parlementaire de chaque année, un rapport indiquant tous les permis délivrés au cours de l'année civile précédente, ainsi que les détails pertinents.
A mon avis, ces pouvoirs ont préséance sur ceux que détient l'enquêteur spécial en vertu des articles 11 et 27 de la même loi dans les cas tous les deux seraient saisis de la même cause; les disposi tions de l'article 8(1) explicitent sans équivoque le fait que le Ministre peut délivrer un permis écrit autorisant toute personne entrée au Canada à y demeurer à l'exclusion de deux catégories, aux- quelles, indiscutablement, la requérante n'appar- tient pas.
Les pouvoirs de l'enquêteur spécial sont ceux décrits à l'article 11 de la Loi, déjà cité, et ses devoirs sont spécifiés à l'article 27 l'on exige qu'il rende sa décision d'admettre ou de laisser une personne au Canada, ou d'émettre une ordonnance d'expulsion.
L'article 8 énumère l'objet de la discrétion du Ministre, son droit d'exercer sa discrétion quant à l'émission d'un permis, sa prorogation, son annula- tion ou quant à l'émission d'une ordonnance d'ex- pulsion et la seule obligation imposée au Ministre lorsqu'il émet un permis est celle mentionnée au paragraphe (5) de l'article 8, soit de soumettre au Parlement un rapport indiquant tous les permis délivrés au cours de l'année civile précédente ainsi que les détails pertinents.
Il faut reconnaître que le Ministre et l'enquêteur spécial peuvent être saisis d'une même affaire, impliquant la même personne, et ayant le même objet, celui de demeurer au Canada. Telle est d'ailleurs la situation de la requérante, qui, après qu'elle eût, comme elle en avait le droit, sollicité auprès du Ministre un permis ministériel, fut plus tard convoquée à une enquête spéciale, dans le but de déterminer si elle pouvait demeurer au Canada. Il est important de souligner que nulle part dans la convocation à l'enquête, est faite une référence quelconque à la demande du permis ministériel de la requête.
Le pouvoir du Ministre d'émettre ou de refuser un permis est de sa juridiction exclusive. En effet, les pouvoirs que le Ministre peut déléguer à ses représentants sont strictement limités à ce que le Parlement a autorisé. Or, il n'existe nulle part dans la Loi et le Règlement une disposition autori- sant le Ministre, directement ou indirectement, à déléguer à un enquêteur spécial ces pouvoirs confé- rés à l'article 8. En l'absence de telle autorisation législative, la doctrine et la maxime «delegatus non potest delegare» interdisent à l'intimé de poser quelque geste que ce soit qui, à toute fin pratique, empêche ultérieurement le Ministre de rendre une décision favorable à la requérante en réponse à sa demande en vertu de l'article 8. Or, c'est précisé- ment ce qui arriverait, si l'enquêteur spécial tenait l'enquête et décidait d'émettre contre la requé- rante une ordonnance d'expulsion, puisque dans ce cas la requérante tomberait dans la catégorie des personnes visées par l'article 8(1)b) auxquelles le Ministre ne peut délivrer un permis. La requérante subirait alors un dommage irréparable au fait que l'enquêteur spécial aurait, à toutes fins prati- ques, empêché le Ministre d'exercer sa discrétion exclusive, prévue à l'article 8 de la Loi.
Il est utile de distinguer entre la nature des pouvoirs conférés au Ministre en vertu de l'article 8 et ceux délégués à l'enquêteur spécial en vertu des articles 11 et 27. Dans le premier cas, c'est une fonction de nature purement administrative, dans le second cas c'est une fonction quasi judiciaire, soumise au pouvoir de surveillance et de contrôle des tribunaux.
Le refus de l'intimé d'ajourner l'enquête peut rendre illusoires les possibilités pour la requérante
d'obtenir une décision favorable vu sa demande en vertu de l'article 8 car au droit ou privilège de pouvoir faire une demande correspond implicite- ment celui d'obtenir une décision sur la demande de privilège. Cette interprétation est d'ailleurs con- firmée à l'avant-dernier paragraphe de la lettre datée du 28 avril 1977, adressée à la requérante et on lui promet une réponse dans les semaines à venir.
Il me semble évident que le législateur, par l'article 8, a prévu que dans certains cas des technicalités trop rigides empêcheraient la Loi d'atteindre ses objectifs et a confié au Ministre une discrétion entière pour éviter des situations inéqui- tables, discrétion limitée seulement par deux faits: ordonnance d'expulsion et appel rejeté par la Com mission d'appel. Une telle discrétion est sûrement «unfettered» car elle est quasi sans limite.
L'on reconnaît que si l'enquêteur spécial con- cluait que la requérante devrait être admise, il n'y aurait aucunement lieu pour le Ministre d'exercer sa discrétion. Mais dans l'état actuel des faits, le Ministre fut saisi d'une demande sous le régime de l'article 8 et comme réponse, à part le vague accusé de réception laissant supposer que la lettre de la requérante était une demande de renseigne- ments, il y eut convocation devant l'enquêteur spécial. Il y a maintenant possibilité que le Minis- tre ne puisse exercer sa discrétion. Ce n'est sûre- ment pas du ressort d'un enquêteur spécial de faire en sorte que le Ministre soit privé d'un droit exclusif que la Loi lui confère.
Il est facile de faire une analogie entre l'affaire présente et une autre, toute récente, jugée par la Cour suprême en un jugement unanime daté du 23 novembre 1977, écrit par le juge Pratte. Il s'agit de l'affaire Ramawad c. Le ministre de la Main- d'oeuvre et de l'Immigration [1978] 2 R.C.S. 375.
Il s'agissait de déterminer si l'enquêteur spécial avait eu droit de faire fi de la discrétion réservée au Ministre quant à savoir s'il y avait «existence de circonstances spéciales» laquelle discrétion appa- raît à l'article 3Gd) du Règlement sur l'immigra- tion et par voie de conséquence si l'ordonnance
d'expulsion était valide. Il fut décidé à l'unanimité que l'ordonnance d'expulsion était invalide.
Dans l'affaire Ramawad il y avait ordonnance d'expulsion; dans l'affaire Laneau, il peut y avoir ordonnance d'expulsion; dans l'affaire Ramawad la discrétion quant à l'existence de circonstances spéciales émanait du Règlement et dans l'affaire Laneau la discrétion est le pouvoir conféré par la Loi à l'article 8; dans l'affaire Ramawad, l'ordon- nance rendait impossible pour le Ministre d'exer- cer sa discrétion régie par l'article 8 et dans l'af- faire Laneau, l'enquêteur spécial, malgré la demande de permis en vertu de la discrétion du Ministre, sous le régime de l'article 8, peut empê- cher l'exercice de cette discrétion en émettant une ordonnance d'expulsion; dans l'affaire Ramawad l'on a invalidé une ordonnance d'expulsion et dans l'affaire Laneau l'on peut ajourner une enquête. Ces points expliqueront les longs extraits du juge- ment en l'affaire Ramawad.
A la page 377 du jugement on lit ces remarques relatives à l'enquête:
L'enquêteur spécial tint une enquête conformément au par. 23(2) de la Loi. Après l'audition, le 8 octobre 1975, l'enquêteur spécial jugea qu'on ne pouvait autoriser l'appelant à rester au Canada; dans sa décision, il déclarait que l'appelant ne pouvait obtenir un visa d'emploi parce qu'en changeant d'employeur sans l'autorisation d'un fonctionnaire à l'immigration, il avait enfreint, au cours des deux années précédentes, une des condi tions du visa qui lui avait été délivré le 27 juillet 1974.
Je cite cet extrait pour souligner le fait qu'il s'agissait d'une chose aussi insignifiante qu'un changement d'emploi sans permission.
Quant à l'autorité et la discrétion sous la Loi sur l'immigration, nous lisons ces remarques du juge Pratte aux pages 381 et 382:
Dans la Loi sur l'immigration, le Parlement reconnaît l'exis- tence de plusieurs niveaux d'autorité: le gouverneur en conseil, le Ministre, le directeur, le fonctionnaire supérieur à l'immigra- tion, l'enquêteur spécial et le fonctionnaire à l'immigration. La Loi définit clairement les pouvoirs conférés à chaque niveau par le Parlement. Dans certains cas, la Loi permet que l'autorité puisse être exercée par plusieurs niveaux. Par exemple, l'art. 12 prévoit que les agents de la paix doivent exécuter tout mandat rendu en vertu de la Loi en vue de l'arrestation, la détention ou l'expulsion «s'ils en sont requis par le Ministre, le sous-ministre, le directeur, un enquêteur spécial ou un fonctionnaire à l'immi- gration». De même le par. 36(2) autorise «le Ministre, le directeur, un enquêteur spécial, ou un fonctionnaire à l'immi- gration» à donner des directives à l'égard de l'expulsion d'une personne frappée d'une ordonnance d'expulsion.
De même, les règlements d'application de la Loi font une distinction nette entre les pouvoirs conférés au Ministre et les pouvoirs conférés aux fonctionnaires.
Bien entendu, dans la Loi et le Règlement, les fonctions les plus importantes ont été réservées au pouvoir discrétionnaire du Ministre alors que les pouvoirs dans les autres domaines ont été délégués directement à des fonctionnaires spécifiquement désignés.
L'économie générale de la Loi et du Règlement révèle claire- ment l'intention du Parlement et du gouverneur général en conseil, savoir que les pouvoirs conférés au Ministre doivent être exercés par lui plutôt que par des fonctionnaires agissant en vertu d'une délégation implicite, sous réserve bien sûr de dispositions législatives contraires. En d'autres termes, la légis- lation en question, en raison de sa structure particulière et peut-être aussi de son objet, ne permet absolument pas de dire, comme c'était le cas dans Harrison*, que le pouvoir de déléga- tion du Ministre est implicite. Bien au contraire.
A l'appui de cela, je citerai l'art. 67 de la Loi qui dispose:
«Le Ministre peut autoriser le sous-ministre ou le directeur à remplir et exercer les devoirs, pouvoirs et fonctions qu'il est ou qu'il peut être tenu de remplir ou d'exercer aux termes de la présente loi ou des règlements et tout devoir, pouvoir ou fonction rempli ou exercé par le sous-ministre ou par le directeur sous l'autorité du Ministre est réputé l'avoir été par le Ministre.»
Cet article a nécessairement pour effet d'interdire au Minis- tre de déléguer des pouvoirs qui lui ont été conférés à des personnes qui n'y sont pas mentionnées.
Je conclus donc que le pouvoir discrétionnaire confié au Ministre par l'al. 3Gd) du Règlement doit être exercé par lui ou, si elle est dûment autorisée, par une des personnes mention- nées à l'art. 67, ce qui exclut l'enquêteur spécial qui a rendu l'ordonnance d'expulsion en cause.
En conséquence, on ne peut considérer la décision de l'enquê- teur spécial en l'espèce, selon laquelle «il n'y a aucune circons- tance particulière qui justifierait l'application de l'al. 3Gd) du Règlement sur l'immigration comme le demande l'avocat» comme une décision du Ministre. Elle est donc invalide.
Dans l'affaire présente, il n'y a pas d'ordon- nance d'expulsion, mais il y a le risque qu'il y en ait une et ce risque existe alors que le Ministre est saisi de la demande de permis. Le fonctionnaire ne devrait pas commencer une enquête spéciale si l'on a eu recours à la discrétion ministérielle avant que débute l'enquête spéciale parce que le résultat de cette enquête peut nullifier l'exercice de la discré- tion du Ministre.
* La Reine c. Harrison [1977] 1 R.C.S. 238.
Quant au droit d'avoir recours au Ministre, nous lisons aux pages 382 et 383:
Mais l'ordonnance d'expulsion est-elle viciée par l'invalidité de la décision de l'enquêteur spécial en vertu de l'al. 3Gd) du Règlement? A mon avis, oui.
Aux termes de l'al. 3Gd), l'appelant a droit à une décision du Ministre sur «l'existence de circonstances particulières». L'ap- pelant tire ce droit directement du Règlement et l'enquêteur spécial n'a aucun pouvoir de l'abroger directement ou indirectement.
En prétendant exercer le pouvoir conféré au Ministre par l'al. 3Gd) du Règlement et en rendant sur-le-champ une ordon- nance d'expulsion contre l'appelant, l'enquêteur spécial a en réalité privé l'appelant de son droit de faire trancher par le Ministre la question de l'existence de circonstances particuliè- res au sens de l'al. 3Gd). En fait, une fois l'ordonnance d'expulsion rendue, le Ministre ne pouvait plus exercer de pouvoir discrétionnaire dans cette affaire en raison de l'art. 8 de la Loi qui prévoit que:
«Le Ministre peut délivrer un permis écrit autorisant toute personne à entrer au Canada, ou, étant dans ce pays, à y demeurer, à l'exclusion
a) d'une personne visée par une ordonnance d'expulsion à qui un tel permis n'a pas été délivré avant le 13 novembre 1967, ...»
Autrement dit, une fois l'ordonnance d'expulsion rendue, le Ministre ne pouvait plus empêcher l'expulsion de l'appelant même s'il considérait alors qu'«en raison de circonstances parti- culières», il y avait lieu de lever l'interdiction prescrite à l'al. 3D(2)b). Il faut aussi noter que, si l'interdiction avait été levée avant le prononcé de l'ordonnance d'expulsion, l'appelant aurait pu demander un visa d'emploi puisque le seul obstacle à l'obtention d'un tel visa était l'application de l'al. 3D(2)b). Il est donc évident que nous traitons ici de questions de fond plutôt que de procédure.
Dans l'affaire présente, la requérante a droit que le Ministre exerce sa discrétion, tout comme dans l'affaire Ramawad; si l'enquêteur spécial émet une ordonnance d'expulsion, tout comme dans l'affaire Ramawad l'on aura nié à la requérante son droit à ce que le Ministre exerce sa discrétion et l'ordon- nance pourra être cassée.
Quant à l'effet de la nullité de la décision de l'enquêteur spécial, nous lisons aux pages 383 et 384:
Décider que l'invalidité de la décision de l'enquêteur spécial quant à l'absence de circonstances particulières au sens de l'al. 3Gd) n'a aucun effet sur la validité de l'ordonnance d'expulsion conduirait à une conclusion injustifiable, savoir, que l'enquêteur spécial pourrait, en exerçant abusivement le pouvoir conféré au Ministre par l'al. 3Gd), supprimer le droit du non-immigrant en vertu dudit alinéa en empêchant le Ministre d'exercer le pouvoir discrétionnaire qui lui a été confié.
A mon avis, les remarques suivantes s'appli- quent à l'affaire présente sans qu'on ait de distinc tion à faire, page 384:
A mon avis, dès que l'on demande au Ministre son avis conformément à l'al. 3Gd), tout pouvoir de l'enquêteur spécial de rendre une ordonnance d'expulsion est alors suspendu et la seule chose que ce dernier peut faire dans ces circonstances est d'ajourner sa décision jusqu'à ce que le Ministre ait tranché la question.
Dans le cas présent, une demande de permis a été faite, le Ministre n'a pas encore exercé sa discrétion en vertu de l'article 8 de la Loi, une enquête spéciale a été commencée et il s'ensuit que si, lorsqu'une demande à cause de l'existence de circonstances spéciales sous le Règlement, a pour effet de suspendre l'autorité de l'enquêteur spécial aussi longtemps que la discrétion du Ministre n'a pas été exercée, à plus forte raison en est-il ainsi d'une demande de permis faite sous la Loi, à être émis à la discrétion du Ministre.
Je ne crois pas que dans la situation présente l'on puisse interpréter la Loi autrement que dans l'affaire Ramawad car si l'on agit différemment, l'enquêteur spécial peut toujours faire en sorte que le Ministre ne puisse exercer sa discrétion.
Si discrétion a été donnée au Ministre, c'est pour qu'il puisse être en mesure de l'exercer, tout comme le non-immigrant a le droit de demander un permis que le Ministre peut accorder en vertu de cette discrétion qui lui est conférée à l'article 8 de la Loi. Il serait aberrant que l'enquêteur spécial puisse nier ce droit de discrétion au Ministre et au non-immigrant.
Il est par les présentes interdit à l'intimé de continuer l'enquête en cours, dont la requérante fait l'objet, aussi longtemps que le Ministre n'aura pas exercé sa discrétion, le tout avec dépens contre l'intimé et le mis-en-cause.
ORDONNANCE
Il est interdit à l'intimé de continuer l'enquête en cours, dont la requérante fait l'objet, aussi longtemps que le Ministre n'aura pas exercé sa discrétion, le tout avec dépens contre l'intimé et le mis-en-cause.
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