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A-549-76
Royal American Shows, Inc, (Requérante) c.
Monsieur le juge R. McClelland et le ministre du Revenu national (Intimés)
Cour d'appel, les juges Pratte, Urie et Le Dain— Vancouver, le 30 novembre 1976 et le 1" février 1977.
Examen judiciaire Demande pour obtenir l'annulation d'une ordonnance en vertu de l'art. 231(2) de la Loi de l'impôt sur le revenu prescrivant que des documents saisis demeurent en la possession du Ministre jusqu'à leur production en justice Les documents ont-ils été légalement saisis conformément à l'art. 231(1)d) Le juge a-t-il outrepassé sa compétence ou commis une erreur de droit en rendant l'ordonnance Loi de l'impôt sur le revenu, S.C. 1970-71-72, c. 63, art. 231(1)d) et 231(2) Loi sur la Cour fédérale, art. 28.
Des documents et autres biens se rapportant à l'entreprise de la requérante ont été saisis le 23 juillet 1975 par la police municipale d'Edmonton et la Gendarmerie royale du Canada en vertu de l'article 443 du Code criminel et ont été apportés au commissariat de police d'Edmonton un enquêteur spécial du ministère du Revenu national a procédé à leur examen. Le 28 juillet 1975, la requérante a demandé à la Cour suprême de l'Alberta d'émettre un bref de certiorari pour annuler les mandats de perquisition obtenus en vertu du Code criminel. Le 29 juillet 1975, l'enquêteur du ministère du Revenu national est censé, invoquant l'article 231(1)d) de la Loi de l'impôt sur le revenu, avoir saisi au commissariat de police les documents et autres biens. Le 13 août 1975, la Cour suprême de l'Alberta a annulé les mandats de perquisition obtenus en vertu du Code criminel et le 18 août 1975 la requérante a présenté à la Cour fédérale un avis introductif de requête pour obtenir une ordon- nance interdisant au deuxième intimé en l'espèce de conserver, d'utiliser ou de copier les documents saisis au commissariat de police d'Edmonton, et lui prescrivant de les remettre sans délai à la requérante. Cette demande a été rejetée le 18 novembre 1975 au motif que seule une action pouvait permettre d'obtenir le redressement demandé et que, de plus, la saisie pratiquée par l'enquêteur du ministère du Revenu national était autorisée par l'article 231(1)d) de la Loi de l'impôt sur le revenu. Le 19 novembre 1975, la requérante a logé devant cette cour un appel de cette décision. Le 20 novembre 1975, le ministre du Revenu national a présenté une demande visant à obtenir une ordon- nance de rétention conformément à l'article 231(2) de la Loi, et le premier intimé en l'espèce a rendu une ordonnance à cet effet. Le 26 mai 1976, le pourvoi logé par la requérante contre la décision de la Division de première instance de la Cour fédérale a été rejeté. La requérante prétend maintenant que la validité de l'ordonnance de rétention dépend de la légalité de la saisie et allègue que si un juge rend une ordonnance de rétention conformément à l'article 231(2) en l'absence de l'au- torisation de saisir prévue par l'article 231(1)d), il outrepasse sa compétence, commet donc une erreur de droit et que sa décision est sujette à examen en vertu des dispositions de l'article 28 de la Loi sur la Cour fédérale.
Arrêt (dissidence du juge Pratte): la demande est accueillie et l'ordonnance de rétention est annulée.
Par le juge Pratte (dissident): le juge qui a rendu l'ordon- nance de rétention n'avait pas compétence pour juger de la validité de la saisie et pour cette raison il ne lui incombait pas de faire enquête dans cette affaire. Même si la saisie était irrégulière, elle a été effectuée par une personne qui prétendait agir en vertu de l'article 231(1)d) et n'a pas été annulée par une cour ayant compétence pour se prononcer sur sa validité. Elle était donc conforme à l'article 231(1), et comme telle constituait un fondement suffisant pour rendre l'ordonnance de rétention. De plus la saisie pouvait légitimement être effectuée au commissariat de police d'Edmonton puisque l'article 231(1) se borne à indiquer les endroits l'on peut recourir au droit d'entrer, mais ne limitait pas le pouvoir de saisir à ces endroits.
Par les juges Le Dain et Urie: il est manifeste qu'on n'a pas voulu permettre de rendre une ordonnance de rétention sans tenir compte de ce qui a permis au Ministre d'entrer en possession des biens. Lorsque la légalité de la saisie est mise en cause, les documents à l'appui de la demande d'ordonnance de rétention doivent établir qu'il s'agit d'une saisie faite en vertu de l'article 231(1)d). On ne peut valablement recourir au pouvoir de saisir qu'après avoir pénétré et effectué une vérifica- tion ou un examen conformément à l'article 231(1), et le commissariat de police d'Edmonton n'est pas le lieu d'affaires de la requérante ni un endroit ses livres devraient être gardés au sens des articles 230 ou 231. L'article 231(1) précise les endroits l'on peut pénétrer dans un but de vérification seulement. Les pièces à l'appui de la demande d'ordonnance de rétention n'établissent pas que la saisie a été pratiquée en vertu de l'article 231(1), et donc le juge a outrepassé ses pouvoirs en rendant ladite ordonnance.
EXAMEN judiciaire. AVOCATS:
I. Pitfield pour la requérante. S. Hardinge pour les intimés.
PROCUREURS:
Thorsteinsson, Mitchell, Little, O'Keefe & Davidson, Vancouver, pour la requérante. Le sous - procureur général du Canada pour les intimés.
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
LE JUGE PRATTE (dissident): Cette demande présentée en vertu de l'article 28 s'attaque à une décision rendue par un juge en vertu de l'article 231(2) de la Loi de l'impôt sur le revenu'.
' L'article 231(1) et (2) de la Loi de l'impôt sur le revenu (S.C. 1970-71-72, c. 63) se lit comme suit:
231. (1) Toute personne qui y est autorisée par le Minis- tre, pour toute fin relative à l'application ou à l'exécution de la présente loi, peut, en tout temps raisonnable, pénétrer dans tous lieux ou endroits dans lesquels l'entreprise est exploitée
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On soupçonnait la requérante d'avoir enfreint la Loi de l'impôt sur le revenu. Une personne autori- sée par le Ministre et qui soi-disant agissait en vertu de l'article 231(1) a saisi des documents et registres qui appartenaient à la requérante. On croyait qu'un examen de ces pièces détenues par la police municipale d'Edmonton suite à une saisie pratiquée sous l'autorité du Code criminel, démon-
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ou des biens sont gardés, ou dans lesquels il se fait quelque chose se rapportant à des affaires quelconques, ou dans lesquels sont ou devraient être tenus des livres ou registres, et
a) vérifier ou examiner les livres et registres, et tout compte, pièce justificative, lettre, télégramme ou autre document qui se rapporte ou qui peut se rapporter aux renseignements qui se trouvent ou devraient se trouver dans les livres ou registres, ou le montant de l'impôt exigible en vertu de la présente loi,
b) examiner les biens décrits dans un inventaire ou tous biens, procédés ou matière dont l'examen peut, à son avis, lui aider à déterminer l'exactitude d'un inventaire ou à contrôler les renseignements qui se trouvent ou devraient se trouver dans les livres ou registres, ou le montant de tout impôt exigible en vertu de la présente loi,
c) obliger le propriétaire ou le gérant des biens ou de l'entreprise et toute autre personne présente sur les lieux de lui prêter toute aide raisonnable dans sa vérification ou son examen, et de répondre à toutes questions appropriées se rapportant à la vérification ou à l'examen, soit orale- ment, soit, si cette personne l'exige, par écrit, sous serment ou par déclaration exigée par la loi et, à cette fin, obliger le propriétaire ou le gérant de l'accompagner sur les lieux, et
d) si, au cours d'une vérification ou d'un examen, il lui semble qu'une infraction à la présente loi ou à' un règle- ment a été commise, cette personne autorisée peut saisir et emporter tous documents, registres, livres, pièces ou choses qui peuvent être requis comme preuves de l'infraction à toute disposition de la présente loi ou d'un règlement.
(2) Le Ministre doit retourner les documents, livres, regis- tres, pièces ou choses à la personne sur qui ils ont été saisis
a) dans les 120 jours de la date de la saisie de tous documents, registres, livres, pièces ou choses conformé- ment à l'alinéa (1)d), ou
b) si pendant ce délai une demande est faite en vertu de ce paragraphe et est rejetée après l'expiration du délai, immé- diatement après le rejet de la demande,
à moins qu'un juge d'une cour supérieure ou d'une cour de comté, sur demande faite par ou pour le Ministre avec preuve fournie sous serment établissant que le Ministre a des motifs raisonnables pour croire qu'il y a eu infraction à la présente loi ou à un règlement et que les documents, registres, livres, pièces ou choses saisis sont ou peuvent être requis comme preuves à cet égard, n'ordonne qu'ils soient retenus par le Ministre jusqu'à leur production en cour, ordonnance que le juge peut rendre sur demande ex parte.
trerait de manière concluante la culpabilité de la requérante. Aux termes de l'article 231(2), cette nouvelle saisie n'était valide que pour 120 jours; à l'expiration de cette période, le Ministre devait retourner les objets saisis, à moins qu'il n'ait obtenu d'un juge une ordonnance de rétention jusqu'au moment de leur production en cour. Dans les délais prescrits, le Ministre a présenté une demande visant à obtenir une telle ordonnance et elle a été accordée. Le litige porte maintenant sur la validité de cette ordonnance.
La requérante prétend que l'ordonnance de «rétention» est invalide parce que les documents et choses sur lesquels elle porte n'ont pas été valable- ment saisis en vertu de l'article 231(1). Elle allè- gue qu'une saisie pratiquée en vertu de l'article 231(1) peut uniquement être pratiquée dans l'en- treprise du contribuable, et non pas lorsque les objets en cause ont déjà été saisis sous l'autorité du Code criminel; de ce point de vue, la saisie était entachée de deux irrégularités et devrait être jugée invalide. La requérante prétend que si le juge avait fait enquête sur la validité de la saisie, il l'aurait jugée invalide. Selon elle, le juge aurait commis une erreur de droit en n'enquêtant pas sur la validité de la saisie, et en tout cas il aurait outre- passé ses pouvoirs en rendant l'ordonnance de rétention, puisque l'article 231(2) ne lui donnait pas le pouvoir de rendre une telle ordonnance à l'égard de biens qui n'avaient pas été validement saisis en vertu de l'article 231(1).
A mon avis, le juge qui a rendu l'ordonnance n'avait pas compétence pour juger de la validité de la saisie pratiquée en vertu de l'article 231(1), et pour cette raison il ne lui incombait pas de faire enquête dans cette affaire.
Je suis également d'opinion que le juge n'a pas outrepassé ses pouvoirs lorsqu'il a rendu l'ordon- nance contestée. Au moment a été présentée une demande visant à obtenir cette ordonnance, on pouvait dire que les biens du requérant avaient été saisis en vertu de l'article 231(1), même s'il est allégué que la saisie était irrégulière. Manifeste- ment, la saisie avait été effectuée par une personne qui prétendait agir en vertu de l'article 231(1), et suite à cette saisie le Ministre a obtenu possession des biens saisis. En l'espèce, la saisie, qui n'avait pas été annulée par une cour ayant compétence pour se prononcer sur sa validité était, à mon avis,
conforme à l'article 231(1), et comme telle consti- tuait un fondement suffisant pour permettre au juge de rendre l'ordonnance de rétention.
De plus j'estime que la saisie pouvait légitime- ment être effectuée au commissariat de police d'Edmonton. Je crois que l'article 231(1) indique les endroits l'on peut recourir au droit d'entrer, mais qu'il ne limite pas le pouvoir de saisie à ces endroits.
Pour ces motifs, je rejetterais la demande.
* * *
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
LE JUGE LE DAIN: Il s'agit d'une demande présentée en vertu de l'article 28 de la Loi sur la Cour fédérale pour obtenir l'examen et l'annula- tion d'une ordonnance rendue en vertu de l'article 231(2) de la Loi de l'impôt sur le revenu, S.C. 1970-71-72, c. 63, prescrivant que certains docu ments, registres, livres, pièces ou choses saisis à dessein aux termes de l'article 231(1)d) demeurent en la possession du ministre du Revenu national jusqu'à leur production en justice.
La requérante allègue que le juge qui a pro- noncé l'ordonnance de rétention a outrepassé ses pouvoirs ou a commis une erreur de droit parce que la saisie en vertu de laquelle le Ministre a été mis en possession des documents, registres, livres, pièces ou choses, n'était pas autorisée par l'article 231(1)d) de la Loi.
Les paragraphes (1) et (2) de l'article 231 de la Loi sont libellés comme suit:
231. (1) Toute personne qui y est autorisée par le Ministre, pour toute fin relative à l'application ou à l'exécution de la présente loi, peut, en tout temps raisonnable, pénétrer dans tous lieux ou endroits dans lesquels l'entreprise est exploitée ou des biens sont gardés, ou dans lesquels il se fait quelque chose se rapportant à des affaires quelconques, ou dans lesquels sont ou devraient être tenus des livres ou registres, et
a) vérifier ou examiner les livres et registres, et tout compte, pièce justificative, lettre, télégramme ou autre document qui se rapporte ou qui peut se rapporter aux renseignements qui se trouvent ou devraient se trouver dans les livres ou regis- tres, ou le montant de l'impôt exigible en vertu de la présente loi,
b) examiner les biens décrits dans un inventaire ou tous biens, procédés ou matière dont l'examen peut, à son avis, lui
aider à déterminer l'exactitude d'un inventaire ou à contrôler les renseignements qui se trouvent ou devraient se trouver dans les livres ou registres, ou le montant de tout impôt exigible en vertu de la présente loi,
c) obliger le propriétaire ou le gérant des biens ou de l'entre- prise et toute autre personne présente sur les lieux de lui prêter toute aide raisonnable dans sa vérification ou son examen, et de répondre à toutes questions appropriées se rapportant à la vérification ou à l'examen, soit oralement, soit, si cette personne l'exige, par écrit, sous serment ou par déclaration exigée par la loi et, à cette fin, obliger le proprié- taire ou le gérant de l'accompagner sur les lieux, et
d) si, au cours d'une vérification ou d'un examen, il lui semble qu'une infraction à la présente loi ou à un règlement a été commise, cette personne autorisée peut saisir et empor- ter tous documents, registres, livres, pièces ou choses qui peuvent être requis comme preuves de l'infraction à toute disposition de la présente loi ou d'un règlement.
(2) Le Ministre doit retourner les documents, livres, regis- tres, pièces ou choses à la personne sur qui ils ont été saisis
a) dans les 120 jours de la date de la saisie de tous docu ments, registres, livres, pièces ou choses conformément à l'alinéa (1)d), ou
b) si pendant ce délai une demande est faite en vertu de ce paragraphe et est rejetée après l'expiration du délai, immé- diatement après le rejet de la demande,
à moins qu'un juge d'une cour supérieure ou d'une cour de comté, sur demande faite par ou pour le Ministre avec preuve fournie sous serment établissant que le Ministre a des motifs raisonnables pour croire qu'il y a eu infraction à la présente loi ou à un règlement et que les documents, registres, livres, pièces ou choses saisis sont ou peuvent être requis comme preuves à cet égard, n'ordonne qu'ils soient retenus par le Ministre jus- qu'à leur production en cour, ordonnance que le juge peut rendre sur demande ex parte.
La requérante a été constituée en corporation dans l'État de Floride et exploitait des barraques d'attractions aux États-Unis et dans les provinces du Manitoba, de la Saskatchewan et de l'Alberta. Au cours de l'été 1975, la Gendarmerie royale et la police municipale d'Edmonton ont fait enquête sur les affaires de la requérante qui faisait alors commerce au Canada et de ses concessionnaires relativement à des infractions possibles au Code criminel du Canada, et le ministère du Revenu national a fait de même relativement à des infrac tions éventuelles à la Loi de l'impôt sur le revenu. L'enquête du Ministère a été menée par Edmund M. Swartzack, vérificateur et enquêteur spécial autorisé par le sous-ministre du Revenu national (Impôt) à exercer les pouvoirs conférés par l'arti- cle 231(1) de la Loi. Au cours de son enquête, Swartzack a rencontré des agents de la Gendarme- rie royale et de la police municipale d'Edmonton.
On ne connaît pas exactement le degré de consul tation et de collaboration existant entre eux, mais il semble y avoir eu une entente selon laquelle la police informerait Swartzack, le cas échéant, de tout indice d'évasion fiscale. A un moment donné, la police a permis à Swartzack d'écouter l'enregis- trement d'une conversation téléphonique privée et d'assister à un échange de vues il a été décidé d'obtenir des mandats de perquisition.
Le 23 juillet 1975, suite à des informations données sous serment par l'inspecteur E. Hahn de la police municipale d'Edmonton, ont été obtenus en vertu de l'article 443 du Code criminel, des mandats de perquisition autorisant à rechercher sur le terrain de l'Exposition d'Edmonton et à d'autres endroits désignés des indices éventuels d'une [TRADUCTION] «conspiration pour frauder le gouvernement du Canada en détruisant, mutilant, altérant ou falsifiant quelque livre, papier, écrit, valeur ou document ou en y portant une fausse inscription contrairement au Code criminel du Canada». Le 24 juillet 1975, vers minuit, des agents de la police municipale d'Edmonton et de la Gendarmerie royale se sont rendus au bureau de la requérante sur le terrain de l'Exposition et ont saisi des documents et autres biens qui s'y trou- vaient. Swartzack accompagnait la police au moment de la perquisition et de la saisie.
Du 25 au 28 juillet 1975, la police municipale d'Edmonton a permis à Swartzack et à des person- nes travaillant sous les ordres de celui-ci de procé- der au commissariat de police d'Edmonton à la vérification et à l'examen, prétendument confor- mes à l'article 231(1)a) de la Loi de l'impôt sur le revenu, des documents et autres biens saisis.
Le 28 juillet 1975 la requérante a demandé à la Cour suprême de l'Alberta d'émettre un bref de certiorari pour annuler les mandats de perquisition obtenus en vertu du Code criminel. Le juge Cava- nagh a fait droit à cette requête par jugement du 13 août 1975 concluant que les informations ne révélaient pas de motifs suffisants pour justifier l'émission de mandats, et de plus que le mandat ordonnant de perquisitionner sur le terrain de l'Ex- position d'Edmonton était de portée trop générale.
Appel a été interjeté contre le jugement du juge Cavanagh, mais nous ignorons ce qu'il en est de cet appel.
Le 29 juillet 1975, Swartzack, invoquant l'arti- cle 231(1)d) de la Loi de l'impôt sur le revenu, a saisi au commissariat de police d'Edmonton les documents et autres biens, qui ont été mis en lieu sûr dans une pièce dont seul Swartzack possédait la clé. Ensuite, ils ont été transférés à la Division du quartier général de la Gendarmerie royale du Canada à Edmonton et, finalement, ils ont été transportés au bureau de district du ministère du Revenu national à Regina.
Suite à l'examen des livres, registres, comptes, pièces justificatives et autres documents saisis, les cotisations d'impôt sur le revenu de la requérante ont été établies à un total de $730,219.52 pour l'ensemble des années 1974, 1975, 1976, et un bref de fieri facias a été exécuté contre les biens de la requérante à Regina et à Winnipeg. Des accusa tions ont également été portées en vertu du Code criminel et de la Loi de l'impôt sur le revenu contre des dirigeants de la requérante, et d'autres personnes liées à cette dernière à titre d'employés ou de concessionnaires.
Le 18 août 1975 la requérante a présenté à la Division de première instance un avis introductif de requête contre l'intimé, le ministre du Revenu national, pour obtenir le redressement suivant rela- tivement à la saisie de ses biens:
[TRADUCTION] ... une ordonnance interdisant à l'intimé et à tout employé du ministère du Revenu national agissant sous ses ordres de chercher à connaître, d'examiner ou de copier l'un ou l'ensemble des biens saisis dans les locaux de la requérante à Edmonton en Alberta, et subséquemment saisis au commissa riat de police d'Edmonton; et une ordonnance de certiorari à l'égard de telle(s) saisie ou saisies; une ordonnance déclarant ladite saisie ou lesdites saisies préjudiciables et illégales, et une ordonnance prescrivant à l'intimé de remettre sans délai à la requérante tous lesdits biens ainsi saisis dans les locaux de cette dernière.
Le 18 novembre 1975, la Division de première instance a rejeté la demande: la Cour a jugé que seule une action pouvait permettre d'obtenir le jugement déclaratoire et l'ordonnance de remise des biens à la requérante, et que, de plus, la saisie pratiquée par Swartzack au commissariat de police d'Edmonton le 29 juillet 1975 était de celles auto- risées par l'article 231(1)d) de la Loi de l'impôt sur le revenu. Les passages suivants sont tirés des motifs de la Cour:
[TRADUCTION] Je ne peux accepter l'argument de l'avocat de la requérante selon lequel l'examen et la saisie subséquente n'étaient pas permis aux termes de l'art. 231(1)d), puisque ladite vérification ou ledit examen n'ont pas été menés sur les lieux de l'entreprise ou se fait quelque chose se rapportant à l'entreprise de la requérante.
A mon avis, l'art. 231(1)d) permet une vérification, un examen ou une saisie des «documents, registres, livres, pièces ou choses» du contribuable en quelque endroit qu'ils se trouvent et permet à cette fin de «pénétrer dans tous lieux aux endroits» ... «où ... des biens sont gardés».
... Je crois que M. Swartzack pouvait saisir lesdits biens en vertu de l'art. 231(1)d), n'importe en ce pays et sans tenir compte de ce qui justifiait leur emplacement au moment de la saisie.
Le 19 novembre 1975, la requérante a logé devant cette cour un appel de l'ordonnance rendue par la Division de première instance.
Le 20 novembre 1975, on a présenté au nom du ministre du Revenu national une demande visant à obtenir une ordonnance de rétention conformé- ment à l'article 231(2) de la Loi de l'impôt sur le revenu. Voici le texte de cette demande:
[TRADUCTION] AU NOM du ministre du Revenu national je, Laurence Edwin Mann, directeur du bureau de district du ministère du Revenu national à Regina demande par la pré- sente que les documents, registres, livres, pièces ou choses saisis le 29 juillet 1975 en vertu des dispositions de l'alinéa 231d) de la Loi de l'impôt sur le revenuà la:
Police Municipale d'Edmonton
au 4, Sir Winston Churchill Square
Edmonton (Alberta)
demeurent en la possession du ministre du Revenu national jusqu'au moment de leur production en justice.
A L'APPUI de cette demande je produis l'affidavit de Orville T. Dahl, fait sous serment le 20 novembre 1975, et qui à mon avis établit que le ministre du Revenu national a des motifs raisonnables et plausibles de croire à une violation de la Loi de l'impôt sur le revenu ou d'un règlement édicté sous son empire, et que les documents, registres, livres, pièces ou choses peuvent être requis dans des procédures contre Royal American Shows, Inc., Tampa (Floride), Etats-Unis d'Amérique.
L'affidavit de Dahl comprenait le paragraphe suivant:
[TRADUCTION] 11. Suite à mes enquêtes, je sais que les documents, registres, livres, pièces ou choses visés par la pré- sente demande ont été saisis à la police municipale d'Edmonton au 4, Sir Winston Churchill Square, Edmonton (Alberta), le 29 juillet 1975, et ce en vertu de l'alinéa 231(1)d) de la Loi de l'impôt sur le revenu.
Suite à cette demande, le juge McClelland a rendu le 20 novembre 1975, une ordonnance libel- lée comme suit:
[TRADUCTION] J'ORDONNE PAR LES PRÉSENTES que les documents, registres, livres, pièces ou choses, visés par la demande précitée, présentée au nom du ministre du Revenu national, demeurent en la possession de ce dernier jusqu'au moment de leur production en justice.
Le 26 mai 1976, la Cour a rejeté le pourvoi logé le 18 novembre 1975 contre l'ordonnance rendue par la Division de première instance, au motif que la question était devenue théorique.
En tant que mesure de l'étendue et des condi tions du pouvoir statutaire, le concept de compé- tence peut être complexe et ambigu, mais c'est celui qu'il faut appliquer aux termes de l'article 28 de la Loi sur la Cour fédérale. En l'instance, la requérante prétend en somme que la validité de l'ordonnance de rétention dépend de la légalité de la saisie. Essayant de faire entrer cet argument dans le champ d'application de l'article 28, elle allègue que si un juge rend une ordonnance de rétention conformément à l'article 231(2) en l'ab- sence de l'autorisation de saisir prévue par l'article 231(1)d), il outrepasse sa compétence et commet donc une erreur de droit. Il nous faut maintenant étudier cette allégation.
Je suis d'avis qu'il s'agit ici uniquement d'une question de compétence. Si tel n'est pas le cas, une demande présentée en vertu de l'article 28 ne serait pas fondée. Je ne vois pas que l'on puisse parler d'une erreur de droit en matière de compé- tence. Si je comprends bien il s'agit de déterminer si une saisie faite conformément à l'article 231(1)d) est une condition préalable à l'exercice du pouvoir accordé par l'article 231(2). Pour répondre à cette question, il faut bien sûr étudier les termes des paragraphes 231(1) et (2) susmentionnés.
A la lecture de ces paragraphes, il est manifeste, je crois, qu'on n'a pas voulu permettre de rendre une ordonnance de rétention sans tenir compte de ce qui a permis au Ministre d'entrer en possession des biens; autrement, on pourrait ainsi légaliser la rétention des biens par le Ministre lorsque celui-ci est entré en possession desdits biens par des moyens illégaux. En effet, l'ordonnance de réten- tion est une prolongation des conséquences de la saisie. L'article 231(2) dans son ensemble délimite
la durée pendant laquelle les biens peuvent être retenus suite à une saisie pratiquée en vertu de l'article 231(1)d). Il fixe cette durée à 120 jours, à moins que le Ministre n'obtienne une ordonnance lui permettant de retenir les biens jusqu'à leur production en justice. Les mots «saisie» et «saisis» dans ce paragraphe confirment selon moi ce qu'il faut nécessairement entendre, pour les raisons sus- mentionnées, à savoir que les biens qu'un juge peut assujettir à une ordonnance de rétention sont ceux qui ont été saisis conformément à l'article 231(1)d).
En supposant que cette interprétation soit exacte, elle ne tranche pas nécessairement la ques tion qui nous est soumise. Peut-on dire qu'un juge n'a pas compétence pour rendre une ordonnance de rétention, si d'après la preuve qui lui a été soumise il semblait y avoir eu saisie en vertu de l'article 231(1)d) et qu'on n'a pas réussi à faire récuser la légalité de cette saisie avant que le juge ne rende l'ordonnance de rétention?
En l'espèce, il apparaissait manifestement d'après la demande d'ordonnance de rétention et l'affidavit qui l'appuyait que la saisie avait été faite entre les mains de la police municipale d'Ed- monton, au commissariat de police d'Edmonton, selon ce que laisse croire l'adresse indiquée. La question en litige est donc de savoir si le juge qui a rendu l'ordonnance de rétention était bien fondé à présumer qu'il y avait eu saisie légale conformé- ment à l'article 231(1)d). Les preuves produites étaient-elles suffisantes pour permettre au juge de conclure raisonnablement que le commissariat de police d'Edmonton était un endroit une per- sonne autorisée pouvait, en vertu de l'article 231(1), pénétrer, vérifier ou examiner et saisir? Si les documents fournis ne permettaient pas cette conclusion alors, à mon avis, le juge n'avait pas pouvoir de rendre une ordonnance de rétention. Il suffit lors d'une demande d'ordonnance de réten- tion que les documents à l'appui établissent qu'il s'agit d'une saisie faite en vertu de l'article 231(1)d), mais, si la légalité même de la saisie est mise en cause dans la demande, la suffisance de ces documents doit être sujette à révision.
J'étudierai maintenant la question de savoir si la saisie pratiquée au commissariat de police d'Ed- monton était permise en vertu de l'article
231(1)d). A mon avis, on ne peut interpréter cet article comme signifiant qu'une personne autorisée peut saisir et emporter tous les documents, regis- tres, livres, pièces ou choses qu'ils se trouvent et indépendamment des circonstances. Il ne s'agit pas d'un pouvoir de saisir indépendant et sans réserve. Le but de l'article 231(1) est de permettre à une personne autorisée par le Ministre de pénétrer dans certains endroits pour les fins d'une vérifica- tion ou d'un examen. Si, en procédant à ladite vérification ou audit examen, elle croit qu'il y a eu violation de la Loi ou des règlements, elle peut saisir et emporter tous documents, registres, livres, pièces ou choses qui peuvent être requis comme preuves de l'infraction. Il s'agit d'un pouvoir de saisie qui existe dans certaines circonstances défi- nies. Il se rattache au pouvoir d'entrer pour véri- fier ou examiner et son champ d'application possi ble est nécessairement limité par ce pouvoir. On ne peut recourir valablement au pouvoir de saisir sauf après avoir pénétré et effectué une vérification ou un examen conformément à l'article 231(1)a).
Le commissariat de police d'Edmonton n'est manifestement pas un endroit on exploite une entreprise ni un lieu il se fait quelque chose se rapportant à des affaires quelconques au sens de l'article 231(1). Je ne crois pas non plus que l'on puisse dire, à l'égard des objets saisis en l'espèce, que le commissariat soit un endroit registres ou livres devraient être tenus au sens de cet article. Le sens dans lequel le mot «tenus» est utilisé doit être celui donné à ce mot à l'article 230 de la Loi qui impose l'obligation de «tenir» des registres et livres de comptes. Le mot doit se référer à l'endroit ces registres ou livres sont gardés ou doivent l'être par la personne qui doit les tenir conformément à l'article 230. II faut ainsi se demander si on peut dire que le commissariat de police d'Edmonton est un «endroit[s] ... ou des biens sont gardés» au sens de l'article 231(1). Dans la version anglaise de l'article, je pourrais considérer ces mots comme qualifiés par l'expression «se rapportant à des affaires quelconques», mais la version française écarte une telle interprétation. Néanmoins, dans le contexte de l'article 231(1) lu dans son ensemble, je ne crois pas que le mot «biens» doive être pris dans son sens large. Il ne semble pas qu'on ait voulu lui faire désigner les livres ou registres pour lesquels des dispositions distinctes ont été édictées. De plus, une comparaison des termes des alinéas
a) et b) de l'article 231(1) laisse croire que dans l'article on utilise le mot «biens» dans un sens autre que «livres et registres, et tout compte, pièce justi- ficative, lettre, télégramme ou autre document». Considérant les termes de l'alinéa b), je suis d'opi- nion que le mot «biens» a le sens d'actifs matériels au moyen desquels on peut vérifier l'exactitude d'un inventaire ou d'autres informations contenues dans les livres ou registres ou qui fournissent une autre façon de déterminer l'assujettissement à l'impôt; et non pas celui de documents qui consti tuent les dossiers d'une compagnie ou d'indivi- dus—en d'autres termes, il n'a pas le sens de documents d'information. L'article 231(1) précise les endroits l'on peut pénétrer dans un but de vérification et d'examen. A cet égard, il faut dis- tinguer l'article 231(1) de l'article 231(4), lequel permet d'entrer et de chercher.
Le fait, tel que décrit dans la demande visant à obtenir une ordonnance de rétention et l'affidavit à l'appui portant que les «documents, registres, livres, pièces ou choses» ont été saisis au commissa riat de police d'Edmonton n'indiquent pas suffi- samment qu'il s'agissait d'un endroit des biens sont gardés conformément à l'article 231(1). Con- sidérant l'endroit la saisie a été effectuée, je suis d'avis que le juge qui a rendu l'ordonnance de rétention ne disposait pas de renseignements suffi- sants pour se convaincre que la saisie avait été légale conformément à l'article 231(1)d). Je con ' clus donc que le juge a outrepassé ses pouvoirs en rendant l'ordonnance de rétention. Vu cette con clusion, je n'ai pas à décider si l'on peut légale- ment saisir conformément à l'article 231(1) de la Loi de l'impôt sur le revenu des biens détenus suite à une saisie pratiquée en vertu des dispositions du Code criminel. Pour ces motifs, je suis d'avis d'ac- corder la demande présentée en vertu de l'article 28 et d'annuler l'ordonnance de rétention.
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LE JUGE URIE y a souscrit.
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