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A-410-78
Le syndicat canadien des employés professionnels et techniques—Groupe de navigation aérienne (Requérant)
c.
La Reine (Intimée)
Cour d'appel, le juge en chef Jackett, les juges Urie et Ryan—Ottawa, les 15 et 17 novembre 1978.
Examen judiciaire Demande d'annulation d'une décision du Tribunal d'appel en matière d'inflation, qui a rejeté un appel formé contre l'ordonnance rendue par le Directeur Ordonnance fixant à $2,400 le maximum admissible d'aug- mentation annuelle de la rémunération moyenne, par applica tion de l'art. 44(1) des Indicateurs Avant l'audition par le Tribunal d'appel, adoption d'une loi rétroactive touchant la définition de l'expression «régime de rémunération» Appel rejeté par le Tribunal d'appel Le Tribunal d'appel a-t-il commis une erreur de droit, même si les modifications appuient à tous autres égards sa décision? La définition révisée de l'expression «régime de rémunération» s'applique- t-elle aux circonstances de l'espèce? Indicateurs anti-infla tion, DORS/76-1, art. 43, 44 Loi modifiant la Loi anti- inflation et les indicateurs y afférents, S.C. 1977-78, c. 26, art. 7 Loi sur la Cour fédérale, S.R.C. 1970 (2e Supp.), c. 10, art. 28.
A l'occasion d'une demande fondée sur l'article 28 visant à obtenir l'annulation d'une décision du Tribunal d'appel en matière d'inflation, qui a rejeté un appel formé contre une ordonnance rendue par le Directeur en 1976, la Cour a décidé qu'une décision unilatérale du Conseil du Trésor augmentant le taux de rémunération des membres de l'unité de négociation a entraîné un nouveau régime de rémunération au sens de l'arti- cle 44(1)a)(ii) de la Loi anti-inflation. Le Tribunal d'appeI a renvoyé l'affaire devant le Directeur avec les instructions idoi- nes. Le 13 février 1978, le Directeur a rendu l'ordonnance attaquée en concluant qu'il ne serait pas conforme aux objectifs de la Loi de modifier son ordonnance de 1976 qui limitait à $2,400 le maximum admissible d'augmentation annuelle moyenne du requérant. Avant que l'appel formé contre la dernière ordonnance ait été entendu par le Tribunal d'appel, une loi rétroactive est venue définir l'expression «régime de rémunération» comme englobant les dispositions établies unila- téralement par l'employeur. Le Tribunal d'appel a rejeté l'appel formé contre l'ordonnance au motif que, par le jeu de la loi de 1978, les conditions prévues à l'article 44(1)a) sont censées ne pas avoir été remplies, nonobstant l'arrêt rendu antérieurement par cette cour. Le requérant soutient que le Tribunal d'appel a commis une erreur de droit, quand bien même la modification de la loi aurait justifié à tous autres égards la décision de ce Tribunal. Dans son deuxième chef d'objection, le requérant soutient que le Tribunal d'appel a commis une erreur de droit en concluant que la formulation de la nouvelle définition s'ap- pliquait aux faits de l'espace.
Arrêt: la demande est rejetée. Par son arrêt du 28 octobre 1977, la Cour a ordonné que l'affaire soit jugée compte tenu
des faits de l'espèce, dont il ressort que les conditions, telles qu'à l'époque elles étaient prévues par l'article 44(1)a) des Indicateurs, avaient été remplies. Ces conditions étaient celles de l'article 44(1)a) interprété en regard de la définition de «régime de rémunération» telle qu'elle était en vigueur à l'épo- que. Lorsque l'affaire fut entendue de nouveau par le Tribunal d'appel, les conditions de l'article 44(1)a), telles qu'elles étaient applicables à la période en question, avaient été modifiées par la loi en ce sens que les conditions de la même disposition devaient être interprétées en regard de la nouvelle définition de l'article 7 de la loi de 1978. Il s'ensuit que l'arrêt de 1977 de la Cour ne saurait être interprété comme ayant conclu que, eu égard aux faits de l'espèce, ces conditions avaient été remplies. Le deuxième chef d'objection n'est pas fondé. Il s'agit d'un point à la fois de fait et de droit et la Cour ne croit pas que le Tribunal d'appel, qui a compétence sur les questions de fait comme de droit, ait commis une erreur de droit en concluant à l'existence, avant le 14 octobre 1975, d'un nouveau régime de rémunération au sens de la nouvelle définition.
DEMANDE d'examen judiciaire. AVOCATS:
J. P. Nelligan, c.r. et Catherine MacLean pour le requérant.
J. P. Malette pour l'intimée.
PROCUREURS:
Nelligan/Power, Ottawa, pour le requérant.
Le sous-procureur général du Canada pour l'intimée.
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement prononcés à l'audience par
LE JUGE EN CHEF JACKETT: Il s'agit en l'espèce d'une demande fondée sur l'article 28 et concluant à l'annulation d'une décision du Tribunal d'appel en matière d'inflation, qui a rejeté un appel formé
contre l'ordonnance rendue le 13 février 1978 par le Directeur nommé en vertu de la Loi anti-infla tion, S.C. 1974-75-76, c. 75. Cet appel portait sur le fait que le Directeur n'avait pas modifié une ordonnance en date du 27 juillet 1976, laquelle lui avait été renvoyée pour nouvel examen par suite d'une décision de la Cour d'appel.'
Dans son ordonnance du 27 juillet 1976, le Directeur s'était fondé sur l'article 43(1)b) des «Indicateurs», DORS/76-1, d'application de la
' [1978] 2 C.F. 284.
Loi 2 pour fixer à $2,400 le maximum admissible d'augmentation annuelle de la rémunération moyenne du groupe de navigation aérienne à l'égard de certaines «années d'application des indicateurs».
Le litige, qui faisait l'objet de la demande fondée sur l'article 28 et concluant à l'annulation du rejet par le Tribunal d'appel de l'appel initiale- ment formé contre l'ordonnance de 1976 du Direc- teur, ressort des motifs prononcés par la Cour d'appel en ces termes [[1978] 2 C.F. 284, aux pages 285 287]:
Il est évident que le Directeur avait raison à moins qu'il ne se soit trompé en alléguant que l'article 44(1) n'était pas applica ble en l'espèce. La présente demande faite en vertu de l'article 28 pose la question de savoir si le Tribunal d'appel a commis une erreur de droit en statuant que ledit paragraphe, dont voici le libellé, n'était pas applicable:
44. (1) Si un groupe
a) à l'égard duquel
(i) un régime de rémunération, conclu ou établi au plus tard le 1 » ' janvier 1974, est venu à expiration avant le 14 octobre 1975, et
(ii) un nouveau régime de rémunération n'a pas été conclu ou établi avant le 14 octobre 1975, ...
l'employeur peut, au cours d'une année d'application des indicateurs, augmenter le montant total de la rémunération de tous les employés faisant partie du groupe, d'un montant qui n'est pas supérieur à la somme
c) du montant qu'autorise le paragraphe 43(1), et
d) du montant supplémentaire conforme aux objectifs de la Loi.
Les parties en présence sont d'accord sur les faits suivants:
1. Vers le 1»r janvier 1974, le requérant, à titre d'agent de négociation accrédité pour l'unité de négociation, a conclu une convention collective avec le Conseil du Trésor pour une période venant à expiration le 27 juillet 1975, et
2. Aucune convention collective, en tant que telle, n'a été conclue entre les parties antérieurement au 14 octobre 1975, en remplacement de la convention collective précitée.
Il s'ensuit que les conditions suspensives énoncées dans l'arti- cle 44(1)a) pour l'application de l'article 44(1) ont été satisfai- tes, à moins que l'on ait «conclu ou établi» un »nouveau régime
2 Voici le passage pertinent de l'article 43(1):
43. (1) Sous réserve du paragraphe (2) et de l'article 44, il est interdit à un employeur d'augmenter, au cours d'une année donnée d'application des indicateurs, la rémunération totale de tous les employés faisant partie d'un groupe, par rapport à la rémunération totale de tous les employés de ce groupe au cours de l'année de base, d'un montant qui donne
b) une augmentation de la rémunération moyenne du groupe pour l'année d'application des indicateurs qui est supérieure à deux mille quatre cents dollars,
de rémunération» au sens de l'article 44(1)a)(ii), en vertu des faits énoncés dans les paragraphes 6 et 7 de la Partie I du mémoire du requérant (lesquels faits ont été admis par l'intimé dans le paragraphe 3 de son mémoire). Lesdits faits ont été ainsi énoncés:
[TRADUCTION] 6. Le 1" mai 1974, le président du Conseil du Trésor, au nom du gouvernement du Canada, a annoncé que «le gouvernement avait autorisé une augmentation des traitements de $500, ce qui aura comme conséquence une augmentation de même montant du taux annuel de rémuné- ration à compter du lei avril 1974, pour tous ses employés, y compris les membres de la Gendarmerie royale et des Forces armées, sauf pour les membres des groupes ayant reçu avis de négociation mais n'ayant pas atteint un règlement, et ceux des groupes pour lesquels une sentence arbitrale a été rendue ou un règlement a été conclu après le 1" avril 1974, qui est la date effective de l'augmentation générale.»
7. Le président du Conseil du Trésor a déclaré que «le gouvernement est parvenu à la conclusion qu'il n'est pas approprié de traiter ces développements seulement par la méthode de négociation collective au fur et à mesure que les conventions doivent être renouvelées. Une action spéciale est préférable pour s'assurer que le niveau de rémunération des employés de la Fonction publique préserve leurs positions relativement à celles des personnes faisant un travail sembla- ble en dehors de la Fonction publique.»
La question à résoudre dans le présent appel consiste donc à déterminer si l'action unilatérale du Conseil du Trésor, aug- mentant le taux de rémunération des membres du groupe de négociation, a abouti à un «nouveau régime de rémunération» conclu ou établi au sens de l'article 44(1)a)(ii).
A l'égard de cette première demande fondée sur l'article 28, la Cour a rendu son jugement en ces termes:
[TRADUCTION] La décision du Tribunal d'appel en matière d'inflation, qui fait l'objet de la demande fondée sur l'article 28, est annulée et l'affaire renvoyée devant le Tribunal qui jugera en s'éclairant des faits de l'espèce dont il ressort que les conditions prévues à l'alinéa a) du paragraphe (1) de l'article 44 des «Indicateurs» ont été remplies.
A la suite de ce jugement, le Tribunal d'appel a renvoyé l'affaire devant le Directeur avec les ins tructions idoines.
Le 13 février 1978, le Directeur a rendu l'ordon- nance attaquée en concluant notamment qu'il ne serait pas conforme aux objectifs de la Loi de modifier son ordonnance de 1976 et d'ajouter un montant supplémentaire à la somme qui y était prévue. Un avis d'appel contre la nouvelle ordon- nance a été déposé le 15 février 1976.
Le 20 avril 1978, avant même que cet appel ne fût entendu, le Parlement a voté une loi, S.C. 1977-78, c. 26, dont l'article 7 porte:
7. La définition de l'expression «régime de rémunération» prévue à l'article 38 des indicateurs anti-inflation établis par le décret du conseil C.P. 1975-2926 du 16 décembre 1975 est réputée avoir été la suivante depuis le 14 octobre 1975 et avant l'entrée en vigueur de la présente loi:
««régime de rémunération» désigne les dispositions, quelle que soit la façon dont elles sont établies, concernant la détermi- nation et l'administration de la rémunération d'un ou de plusieurs employés et comprend une convention collective, les dispositions établies par accord bilatéral entre l'employeur et son ou ses employés, les dispositions établies unilatéralement par l'employeur ou les dispositions établies en conformité de toute loi ou règle de droit; (compensation plan)»
Le 8 août 1978, le Tribunal d'appel a rejeté l'appel formé contre l'ordonnance du 13 février 1978 du Directeur au motif que, par le jeu de la loi de 1978, les conditions prévues à l'article 44(1)a) sont censées ne pas avoir été remplies, nonobstant l'arrêt rendu le 28 octobre 1977 par la Cour.
Le principal motif de conclusions, formulé en l'espèce par le requérant contre la décision du Tribunal d'appel, est que, nonobstant la modifica tion rétroactive opérée par la loi de 1978 et eu égard à l'arrêt du 28 octobre 1977 de la Cour, le Tribunal d'appel a commis une erreur de droit en concluant que les conditions prévues à l'article 44(1)a) n'avaient pas été remplies, quand bien même cette modification aurait justifié à tous autres égards la décision de ce Tribunal.
A mon avis, il serait possible de répondre briève- ment à ce chef que par son arrêt du 28 octobre 1977, la Cour a ordonné que l'affaire soit jugée compte tenu des faits de l'espèce, dont il ressort que les conditions, telles qu'à l'époque elles étaient prévues par l'article 44(1)a) des Indicateurs, avaient été remplies. 3 Ces conditions étaient celles de l'article 44(1)a) interprété en regard de la définition de «régime de rémunération» telle qu'elle était en vigueur à l'époque. (Voir l'article 38 des «Indicateurs» en vigueur à l'époque.) Lorsque l'af- faire fut entendue de nouveau par le Tribunal d'appel, les conditions de l'article 44(1)a), telles qu'elles étaient applicables à la période en ques-
3 Les mots en italique ne figurent pas dans l'arrêt; il faut les sous-entendre. La Cour envisage les lois telles qu'elles sont publiquement connues. Ses décisions ne sauraient être interpré- tées comme ord6nnant au tribunal de faire fi d'une loi rétroac- tive qu'elle ne peut prévoir et qui serait adoptée éventuellement par un parlement souverain.
tion, avaient été modifiées par la loi en ce sens que les conditions de la même disposition devaient être interprétées en regard de la nouvelle définition de l'article 7 de la loi de 1978. Il s'ensuit que l'arrêt de 1977 de la Cour ne saurait être interprété comme ayant conclu que, eu égard aux faits de l'espèce, ces conditions avaient été remplies.
Il y a lieu de mentionner, à propos du principal chef de conclusions du requérant, certaines ques tions qui ressortent de l'argumentation des avocats et de la jurisprudence invoquée.
Si les conditions de l'article 44(1)a), telles qu'el- les étaient en vigueur en 1977, étaient demeurées l'une des questions litigieuses à trancher lorsque l'affaire fut entendue de nouveau par le Tribunal d'appel, la Cour aurait eu lieu en l'espèce, de conclure si ce point n'emportait pas force de chose jugée dans le système spécial de tribunaux qu'a établi la Loi anti-inflation. Il se trouve que cette question ne s'est pas posée. De même, si l'affaire avait été définitivement réglée par ce système de tribunaux avant l'adoption du texte de loi rétroac- tif, il y aurait lieu, dans une action fondée, d'envi- sager la question de savoir si cette loi rétroactive avait quelque répercussion sur cette affaire mais, attendu que la présente espèce est en instance de jugement, cette question ne s'est pas posée non plus.
Devant la Cour, aucun précédent n'a été invoqué l'une ou l'autre de ces deux questions se fût posée dans un système spécial de tribunaux autres que les tribunaux judiciaires.
Par contre, la loi de 1978 eût-elle été adoptée après la décision du Tribunal d'appel, le résultat aurait été probablement différent. Le Tribunal n'aurait pas été en mesure de tenir compte de cette loi et la Cour n'aurait probablement pas été en mesure de conclure qu'il avait commis une erreur de droit en ignorant la loi. Cf. Boulevard Heights, Limited c. Veilleux 4 , arrêt rendu par le juge Duff (tel était son titre à l'époque) aux pages 191 et
4 (1915) 52 R.C.S. 185.
192, et Minchau c. Busses, arrêt rendu par le juge en chef Duff, à la page 305. 6
Dans son deuxième chef d'objection, le requé- rant soutient que le Tribunal d'appel a commis une erreur de droit en concluant que la formulation de la nouvelle définition s'appliquait aux faits de l'es- pèce. A mon avis, cette objection n'est pas fondée. Il s'agit d'un point à la fois de fait et de droit et, à la lumière des faits portés à la connaissance de la Cour, je ne crois pas que le Tribunal d'appel, qui a compétence sur les questions de fait comme de droit, ait commis une erreur de droit en concluant à l'existence, avant le 14 octobre 1975, d'un nou- veau régime de rémunération au sens de la nou- velle définition. 7
Par les motifs susmentionnés, je conclus au rejet de la demande fondée sur l'article 28.
* * *
LE JUGE URIE y a souscrit.
* * *
LE JUGE RYAN y a souscrit.
5 [1940] 2 D.L.R. 282.
6 A cet égard, il y a lieu de souligner que lors de cette audition, il y a eu nouvel examen des points de fait et de droit par le Tribunal d'appel qui est un tribunal fédéral soumis à l'autorité législative du Parlement.
' Cet argument était fondé sur le fait qu'il existait une convention collective ayant force de loi et dont les clauses seraient violées si l'employeur devait payer à ses employés des sommes qui n'y étaient pas prévues; cependant, cette conven tion n'a pas été portée à la connaissance de la Cour ni, selon le dossier, à la connaissance du Tribunal d'appel.
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