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T-1611-79
Consumers' Association of Canada (Requérante) c.
La Commission canadienne des transports, Air Canada, CP Air, Pacific Western Airlines, Tran- sair Ltd., Nordair Ltd., Quebecair Ltd. et Eastern Provincial Airways (Intimées)
Division de première instance, le juge Mahoney— Ottawa, le 29 mars et le 2 avril 1979.
Brefs de prérogative Prohibition et certiorari La Commission canadienne des transports a refusé l'ajournement de deux semaines demandé par la requérante qui intervenait dans une audition consacrée à une hausse générale des tarifs de transport aérien La requérante a demandé l'ajournement pour avoir le temps d'analyser les documents produits par les compagnies aériennes La portée de l'audition a été élargie pour couvrir les propositions de tarif réduit soumises par deux compagnies aériennes alors que les participants n'ont reçu notification que de l'audition relative à l'augmentation géné- rale Il s'agit de savoir s'il y a lieu à prohibition pour interdire la poursuite de l'audition et s'il y a lieu à certiorari pour infirmer la décision refusant l'ajournement Loi sur la Cour fédérale, S.R.C. 1970 (2e Supp.), c. 10, art. 18.
La requérante se fonde sur l'article 18 de la Loi sur la Cour fédérale pour demander une ou plusieurs ordonnances portant bref de prohibition interdisant à la Commission canadienne des transports de procéder à l'audition d'une cause dont elle a été saisie et bref de certiorari annulant la décision par laquelle elle a rejeté la demande d'ajournement de deux semaines présentée par la requérante. Cette audition était prévue pour l'instruction d'une hausse de tarif envisagée par les compagnies aériennes, hausse qui serait entrée automatiquement en vigueur faute pour la Commission d'agir avant le 1" janvier 1979. La portée de l'audition a été élargie par la suite pour couvrir les propositions de tarif réduit soumises par deux compagnies aériennes. En l'espèce, la requérante invoquait comme premier motif de sa demande d'ajournement la nécessité d'un délai raisonnable qui lui eût permis d'analyser les documents fournis par les compa- gnies aériennes, de préparer le contre-interrogatoire de leurs témoins et de mettre au point ses propres preuves. Le second motif, que la Commission n'a pas pris en considération dans sa décision de refuser l'ajournement, se rapportait à l'absence d'avis d'élargissement de la portée de l'audition.
Arrêt: la requête est rejetée. La Commission a identifié correctement le premier motif comme étant celui sur lequel la requérante s'était fondée pour demander l'ajournement, et elle a exercé à bon droit son pouvoir discrétionnaire en tenant compte des intérêts des antagonistes. Elle a décidé d'entendre la preuve soumise par les compagnies aériennes ainsi que le contre-interrogatoire des intervenants, sans exclure la possibi- lité d'un ajournement au cas les débats ou les documents supplémentaires en feraient ressortir la nécessité. On ne peut dire de ce fait que le refus d'ajournement «était inéquitable ou dérogeait aux principes de justice naturelle». La loi n'oblige pas la Commission à tenir une audition publique à l'égard des modifications de tarif comme celles-ci, cependant elle l'y auto-
rise. En l'absence de dispositions législatives contraires, rien ne permet de conclure qu'une fois la décision prise par la Commis sion de tenir une telle audition, les mêmes critères qui requé- raient la tenue d'une audition ne s'appliqueraient pas. La requérante ne s'oppose pas aux rabais. La Commission était au courant de ce fait et, en conséquence, on ne peut dire, eu égard au second motif, que le refus d'ajournement était inéquitable ou dérogeait aux principes de justice naturelle à l'égard de la requérante.
REQUÊTE. AVOCATS:
Brian A. Crane, c.r. et H. G. Intven pour la
requérante.
G. W. Nadeau et Gregory Tardi pour la
Commission canadienne des transports.
Marshal Rothstein et Guy Delisle pour Air
Canada.
John B. Hamilton, c.r. pour CP Air.
J. C. Major, c.r. pour Pacific Western Air
lines et Transair Ltd.
Brian G. Armstrong pour Nordair Ltd.
J. E. Martin pour Quebecair Ltd.
R. G. Belfoi, c.r. et J. H. Smellie pour East
ern Provincial Airways.
PROCUREURS:
Gowling & Henderson, Ottawa, pour la requérante.
La Commission canadienne des transports, Hull, pour son propre compte.
Air Canada, Montréal, pour son propre compte.
Hamilton, Torrance, Stinson, Campbell, Nobbs & Woods, Toronto, pour CP Air. Jones, Black & Company, Calgary, pour Pacific Western Airlines et Transair Ltd. Perry, Farley & Onyschuk, Toronto, pour Nordair Ltd.
Quebecair Ltd., Montréal, pour son propre compte.
Herridge, Tolmie, Ottawa, pour Eastern Pro vincial Airways.
Ce qui suit est la version française des motifs de l'ordonnance rendus par
LE JUGE MAHONEY: La requérante sollicite, en vertu de l'article 18 de la Loi sur la Cour fédérale, S.R.C. 1970 (2e Supp.), c. 10, l'émission d'une ou de plusieurs ordonnances en vue d'obtenir un bref de prohibition enjoignant à l'intimée, la Commis-
Sion canadienne des transports (ci-après appelée «la Commission»), de ne pas procéder à l'audition d'une cause actuellement pendante devant la Cour; un bref de certiorari annulant la décision du 27 mars 1979 rejetant la demande d'ajournement de deux semaines présentée par la requérante. Cel- le-ci demandait aussi, avec l'accord des intimées, une ordonnance abrégeant le délai de dépôt de la requête. Je vais employer le terme «Commission» tout au long de ces motifs, mais c'est le Comité des transports aériens qui agissait pour la Commission.
Les intimées autres que la Commission (ci-après appelées «les compagnies aériennes») ont déposé auprès de cette dernière des tarifs qui seraient entrés en vigueur automatiquement si ladite Com mission n'avait pas agi avant le ler janvier 1979. Ces demandes visaient une augmentation générale (ci-après appelée «l'augmentation générale») de 5 p. 100 environ du tarif des vols intérieurs. La Commission a suspendu ces demandes jusqu'au 1" avril 1979, et ordonné aux compagnies aériennes de déposer au plus tard le 15 mars des rapports financiers justificatifs tenus à jour. La Commis sion a décidé par la suite de tenir des auditions publiques relatives à l'augmentation générale et, le 22 février, elle a publié un avis selon lequel une audition publique (ci-après appelée «audition rela tive à l'augmentation générale») commencerait le 26 mars.
Le 12 mars, la requérante a déposé relativement à la susdite audition une intervention devant la Commission et lui a signifié, ainsi qu'aux compa- gnies aériennes, une demande de production et de vérification de documents, demande accompagnée d'interrogatoires qui allaient bien au-delà des documents déjà déposés par les compagnies aérien- nes, ou qu'elles se proposaient de déposer devant la Commission à l'appui de l'augmentation générale. La requérante, le 12 mars, a aussi déposé une demande en vue d'ajourner l'audition relative à l'augmentation générale, et ce notamment, pour être en mesure de recevoir les documents deman dés, de se préparer au contre-interrogatoire des témoins des compagnies aériennes ainsi qu'à l'au- dition de sa propre cause. La requérante a pu se procurer, en temps utile, les documents que les compagnies aériennes avaient déposés à l'appui de l'augmentation générale.
La Commission a décidé vers le 13 mars d'élar- gir la portée de l'audition publique pour couvrir certaines demandes supplémentaires d'approbation de tarifs récemment déposées par les compagnies aériennes, à l'exception de Nordair, Quebecair et Eastern Provincial Airways. Ces demandes concer- naient notamment «la vente de places» au rabais ou les tarifs «très réduits» qu'Air Canada proposait pour ce printemps-là, les tarifs correspondants de CP Air ainsi que divers autres tarifs réduits propo- sés (ci-après appelés collectivement «les tarifs réduits»). Un nouvel avis d'audition publique les rabais étaient ajoutés à l'augmentation générale a été publié le 14 mars, et ceux-ci figuraient à l'ordre du jour de l'audition relative à l'augmenta- tion générale. Il semble que ce nouvel avis n'a pas été publié et qu'il n'est parvenu qu'aux parties déjà intéressées à ladite audition (il existe, outre la requérante, d'autres intervenants qui ne sont pas partie à la présente action). La requérante a appris, pour la première fois, qu'on voulait élargir la portée de l'audition, quand elle a reçu le télex à elle envoyé par la Commission le 20 mars pour l'informer de son refus de donner suite à la demande d'ajournement présentée le 12 mars. La Commission a, le 14 mars, envoyé par courrier le nouvel avis qui est parvenu à la requérante le 21 mars.
Le télex du 20 mars ordonnait aussi à la requé- rante et aux compagnies aériennes de se consulter et de régler entre elles la question des documents supplémentaires et des interrogatoires, en les infor mant que la Commission ne rendrait d'ordonnance qu'après avoir pris connaissance des mémoires pré- sentés à l'ouverture de l'audience relative à l'aug- mentation générale. Finalement, Air Canada a été la seule compagnie aérienne qui a fourni les docu ments avant l'audience. Elle les a remis le 25 mars. CP Air a voulu faire de même, mais elle n'a pu rejoindre la requérante. Air Canada, en fournis- sant ses documents, n'a pas reconnu pour autant qu'ils avaient un rapport quelconque avec l'audi- tion relative à l'augmentation générale.
L'audition a débuté le 26 mars et la majeure partie de la première journée a été consacrée à la demande de production de documents faite par la requérante, et à une nouvelle requête en ajourne- ment. A la fin de la journée, la Commission a ordonné aux compagnies aériennes de se remettre
mutuellement, et de remettre aux autres interve- nants non parties à l'instance, ainsi qu'à la Com mission, tous les documents qu'elles étaient dispo sées à fournir à la requérante. Avant la reprise de l'audition à 13h00 le 27 mars, des documents supplémentaires avaient été remis et les compa- gnies aériennes, à l'exception d'Air Canada, en ont déposé d'autres depuis. On n'a pas reconnu encore que ces documents avaient un rapport avec l'audition.
La requête en ajournement, ainsi que les motifs à l'appui, figurent dans les notes sténographiques de l'audition du 26 mars, de la page 6, ligne 29, à la page 37, ligne 9. Des divers motifs invoqués à l'occasion des débats, deux ont été retenus et por tent: (1) sur la nécessité d'accorder un délai rai- sonnable pour permettre d'analyser les documents fournis par Air Canada le 25 mars et par les autres compagnies un peu plus tard, et aussi, pour per- mettre à la requérante de préparer le contre-inter- rogatoire de ses témoins et son propre mémoire; (2) sur l'irrégularité de l'avis indiquant que la portée de l'audition était élargie. Le rejet de la requête en ajournement et les motifs invoqués sont rapportés dans l'exposé sténographique du 27 mars, de la page 151, ligne 8, à la page 156, ligne 8. Il n'est pas nécessaire en l'espèce de rappeler la décision et ses motifs. Il suffit de dire que la Commission n'a pas mentionné le deuxième motif dans la décision qu'elle a rendue.
La Commission a exercé pleinement et de façon adéquate son pouvoir discrétionnaire en identifiant correctement le premier des motifs susmentionnés comme étant celui sur lequel la requérante s'était fondée pour demander un ajournement, et aussi, en examinant bien les intérêts des antagonistes. Elle a décidé d'entendre la preuve soumise par les compagnies aériennes ainsi que le contre-interro- gatoire des intervenants, tout en maintenant la possibilité d'obtenir un ajournement plus tard, si la procédure ou des documents supplémentaires en démontraient la nécessité. On ne peut pas dire, selon les termes de mon collègue le juge Collier, que le refus d'ajourner fondé sur ce motif «était inéquitable ou dérogeait aux principes de justice naturelle».' A défaut de cela, la Cour ne contre-
' Union of British Columbia Indian Chiefs c. West Coast Transmission Co. Ltd. du greffe: T-4347-77. Décision non publiée rendue le 7 décembre 1977.
dira pas la décision rendue par un tribunal qui rejette une requête en ajournement de procédures dont il est régulièrement saisi.
Le second motif revêt un tout autre aspect. La loi n'oblige pas la Commission à tenir une audition publique à l'égard des demandes de tarifs telles que celles-ci; cependant, la loi l'y autorise. Je ne vois aucun fondement permettant de conclure, en l'absence de dispositions législatives contraires, qu'une fois la décision prise par la Commission de tenir une telle audience, les mêmes critères qui requéraient la tenue d'une audience ne s'applique- raient pas. Ces critères ont été exposés par le juge en chef lorsqu'il a rendu le jugement de la Cour d'appel fédérale dans In re le Conseil de la Radio- Télévision canadienne et in re la London Cable TV Limited 2 :
Selon moi, en requérant une «audition publique», la Loi exigeait pour le moins une audition au cours de laquelle, sous réserve des règles de procédure du Conseil et de la compétence qui lui appartient de contrôler ses propres procédures, chaque personne pourrait «soulever devant» le Conseil tout point pertinent à l'objet de l'audition de façon à garantir, en autant que possible, que toute question qui pourrait à bon droit être prise en considération soit présentée au Conseil ou à son comité de direction lorsque l'un ou l'autre statuerait sur la demande de modification. J'estime qu'une audition publique exige que cer- taines dispositions soient prises en temps utile, c'est-à-dire que l'on fournisse au public la possibilité de connaître l'objet de l'audition et ses conséquences à son égard tout en lui laissant le temps de décider s'il exercera ou non son droit légal de repré- sentation et la possibilité de s'y préparer, le cas échéant. En d'autres termes, ce que la Loi envisage, à mon avis, c'est une véritable audition qui aurait pour but d'aider le Conseil ou son comité de direction à arriver à une conclusion qui tienne compte de l'intérêt public de même que de l'intérêt privé de la titulaire de la licence; la Loi ne prévoit pas la tenue d'une assemblée publique quiconque aurait simplement l'occasion de [TRADUCTION] «dire sa façon de penser».
Les rabais n'ont pas de liens directs apparents avec l'augmentation générale, sauf peut-être un rapport d'ordre pratique: de toute manière la Com mission tenait une audition publique et quelques- uns du moins parmi ceux qui étaient interessés à la question de la hausse générale l'étaient également à celle des rabais. Quel qu'en soit le motif, il a pu paraître nécessaire, désirable ou opportun de tenir une audition publique relativement aux rabais. On peut contester, vu le mode de publication du nouvel avis, que le «public» ait été avisé dans la moindre mesure de cette audition publique.
2 [1976] 2 C.F. 621, aux pages 624 et suiv.
Ni la décision visant à élargir la portée de l'audition relative à l'augmentation générale, ni celle limitant le mode de publication du nouvel avis ne sont contestées en l'espèce. La décision en litige est le refus d'ajournement.
La disposition législative applicable est l'article 69 de la Loi nationale sur les transports, laquelle se lit comme suit: 3
69. A moins de dispositions contraires, il suffit de quinze jours d'avis d'une requête à la Commission ou d'une audition de la Commission; mais il est toujours loisible à la Commission d'ordonner que l'avis soit signifié plus de quinze jours d'avance, ou de permettre qu'il soit signifié moins de quinze jours d'avance.
La requérante a eu, au plus, six jours d'avis, et au moins cinq jours. La Commission avait le pouvoir d'abréger le délai à ce point.
La requérante ne s'oppose pas aux rabais. La Commission était au courant de ce fait et, en conséquence, on ne peut dire que le refus, fondé sur le second motif, d'ajourner l'audition était inéquitable ou dérogeait aux principes de justice naturelle à l'égard de la requérante. Celle-ci ne peut invoquer en sa faveur l'injustice ou la déroga- tion aux principes de justice naturelle de la procé- dure suivie, qui auraient permis à la Cour d'inter- venir à la demande de tiers parmi le «public».
La demande a déjà été rejetée en ce qui con- cerne l'objet du premier avis d'audition publié le 22 février 1979. J'ai agi de la sorte parce que je considérais cet objet comme différent de celui ayant motivé le nouvel avis du 14 mars. Il s'ensuit donc que je ne formule aucune conclusion sur ce point.
ORDONNANCE La demande est rejetée sans frais.
S.R.C. 1970, c. N-17.
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