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A-469-78
Raymond Smalenskas (Requérant) c.
Le ministre de l'Emploi et de l'Immigration (Intimé)
Cour d'appel, les juges Urie et Ryan et le juge suppléant Kelly—Toronto, le 6 novembre; Ottawa, le 22 décembre 1978.
Examen judiciaire Immigration Programme sur la rectification du statut d'immigrant, aux termes duquel des personnes qui n'ont pas été légalement admises sont considé- rées comme immigrants si elles ont présenté une demande au cours de la période d'amnistie Les formalités relatives à la demande du requérant demeurent incomplètes Le requérant est retourné aux États-Unis pour de courts séjours L'arbi- tre a conclu lors de l'enquête que le requérant avait conservé l'intention de demeurer au Canada, mais qu'il ne pouvait le faire qu'en qualité de non-immigrant L'arbitre a-t-il commis une erreur de droit? Loi sur l'immigration, S.R.C. 1970, c. I-2, art. 7(3), 18(1), (2) Loi modifiant la Loi sur la Commission d'appel de l'immigration, S.C. 1973-74, c. 27, art. 8 Loi sur la Cour fédérale, S.R.C. 1970 (2' Supp.), c. 10, art. 28.
Le requérant, citoyen américain, sollicite un examen judi- ciaire de l'avis d'interdiction de séjour prononcé par un arbitre. Il s'était inscrit en 1973 auprès d'un fonctionnaire à l'immigra- tion, dans le cadre du programme sur la rectification du statut d'immigrant, mais les formalités n'ont pas eu de suite. Le requérant, à la suite de son inscription, a fait deux brefs séjours aux États-Unis; en revenant de l'une de ces visites, un malen- tendu avec un fonctionnaire à l'immigration a provoqué la suite d'événements qui a abouti à l'enquête de l'arbitre. L'arbitre a établi que pendant toute la période allant de la date de son inscription à la date de la décision de l'arbitre, le requérant avait conservé l'intention de demeurer au Canada. Il a cepen- dant rendu l'avis d'interdiction en concluant lors de l'enquête que le requérant pouvait invoquer comme motif pour demeurer au Canada, la qualité de non-immigrant ou de visiteur.
Arrêt: la demande est accueillie. L'arbitre a commis une erreur en concluant que, du simple fait qu'il a quitté le Canada, le requérant a abandonné sa demande de statut de résident permanent, qu'il était réputé avoir faite lors de son inscription dans le cadre du programme sur la rectification du statut d'immigrant. Étant donné qu'il n'existe pas de procédure spé- ciale applicable à un «immigrant réputé», il faut présumer qu'il est assujetti à la même procédure que l'immigrant. La question que l'arbitre devait trancher en premier lieu était de savoir si le requérant avait, à l'une ou l'autre des occasions il s'est absenté du Canada, abandonné la demande d'admission qu'il était réputé avoir faite. Si on avait décidé que le requérant n'avait pas abandonné sa demande, l'arbitre aurait rendre la décision qui aurait été prononcée si l'examen avait eu lieu en temps opportun. Si l'arbitre avait estimé que la demande avait été abandonnée, le requérant aurait être considéré comme une personne n'ayant pas la citoyenneté canadienne ou n'ayant pas de domicile canadien, qui était venue au Canada à titre de
non-immigrant, y était demeurée et avait exercé un emploi sans avoir été admise légalement. Il existe une preuve qui, si elle est acceptée, pourrait convaincre les fonctionnaires compétents à l'immigration que le requérant n'a pas abandonné sa demande d'admission à titre d'immigrant.
DEMANDE d'examen judiciaire. AVOCATS:
G. L. Segal pour le requérant. G. R. Garton pour l'intimé.
PROCUREURS:
Segal, Rotenberg, Toronto, pour le requérant. Le sous-procureur général du Canada pour l'intimé.
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
LE JUGE SUPPLÉANT KELLY: Le requérant solli- cite, conformément à l'article 28 de la Loi sur la Cour fédérale, S.R.C. 1970 (2e Supp.), c. 10, l'examen de l'avis d'interdiction de séjour pro- noncé par un arbitre le 12 septembre 1978 exi- geant son départ du Canada au plus tard le 31 octobre 1978. L'arbitre a émis cet avis d'interdic- tion de séjour en se fondant sur les conclusions suivantes:
a) le requérant est entré au Canada en qualité de visiteur non-immigrant; et
b) par suite de la prolongation de son séjour au Canada, il est devenu une personne visée à la fois au paragraphe 27(3) de la Loi sur l'immi- gration, S.R.C. 1970, c. I-2, et à l'alinéa 27(2)e), de la Loi sur l'immigration de 1976, S.C. 1976-77, c. 52. Cette situation résulte du fait qu'il est entré au Canada en qualité de visiteur et y est demeuré après avoir perdu cette qualité, c'est-à-dire que son séjour a dépassé la durée autorisée.
Les faits que j'expose maintenant sont les seuls faits pertinents mis en preuve devant l'arbitre.
Le requérant est et a toujours été, pendant toute la période qui nous intéresse, non pas un citoyen canadien, mais un citoyen américain; il n'a jamais été admis au Canada comme résident permanent au sens de la Loi sur l'immigration; en fait il est entré au pays le 15 avril 1972 et il y est demeuré
de façon continue jusqu'au 9 octobre 1973 sans qu'aucune mesure ne soit prise contre lui par les autorités de l'immigration; le 9 octobre 1973, aux fins de l'article 8(1) de la Loi modifiant la Loi sur la Commission d'appel de l'immigration, S.C. 1973-74, c. 27 (programme sur la rectification du statut d'immigrant) il s'est inscrit auprès d'un fonctionnaire à l'immigration. Cette inscription a eu lieu dans une roulotte que le bureau du ministre de la Main-d'oeuvre et de l'Immigration de Toronto mettait à la disposition du public, alors que celle-ci était temporairement stationnée près de Delhi (Ontario), endroit situé à proximité du lieu le requérant travaillait à la récolte du tabac.
A cette époque, le requérant demeurait chez un certain A. Augustine, R.R.1, Lasalette. Il travail- lait pour ce dernier ainsi que pour d'autres fer- miers. Lors de son inscription, le requérant a donné l'adresse susmentionnée comme étant sa résidence, mais étant donné la nature itinérante de son travail, il est évident qu'il n'était pas toujours à la ferme Augustine; cependant, il a conservé cette adresse comme sienne à peu près jusqu'au prin- temps de 1974, date à laquelle Augustine a cessé d'être propriétaire de la ferme en question. Le requérant ne s'est jamais soucié de fournir sa nouvelle adresse aux autorités de l'immigration bien qu'il ait quitté la région de Delhi pour se trouver du travail successivement au Québec et dans la région boisée du nord.
Le requérant, lors de l'inscription, a signé une formule dont copie lui a été remise. Il s'agit de la pièce Pl. Le titre imprimé de cette formule s'énon- çait comme suit: [TRADUCTION] «Copie du rap port établi conformément à l'article 7 ou à l'article 19 de la Loi sur l'immigration.» Au-dessus de ce titre le mot «inscription» avait été écrit à la main, les mots soulignés étant biffés. Cette formule com- portait un espace réservé pour l'inscription de la «date de l'entrevue». Cet espace a été laissé en blanc, selon toute vraisemblance parce que la rou- lotte était seulement de passage à cet endroit; on n'a donné aucune instruction verbale au requérant en ce qui concerne le lieu et la date d'une entrevue. Une copie de la formule, reconnue par le requérant comme étant celle qu'il avait reçue, a été produite comme pièce Pl.
Lors de l'inscription du requérant, on lui a remis une lettre (pièce C9) (portant un numéro corres- pondant à celui qui figure sur la pièce P1). Cette lettre attestait l'inscription du requérant et indi- quait aussi qu'il n'était pas assujetti aux règle- ments sur les visas d'emploi et qu'il pouvait occu- per un emploi jusqu'au moment où:
[TRADUCTION] a) un fonctionnaire à l'immigration donne à cette personne un avis par écrit l'informant qu'il n'est pas convaincu qu'elle est entrée au Canada le ou avant le 30 novembre 1972, et qu'elle y est demeurée depuis cette date; ou
b) cette personne quitte le Canada.
L'autorisation a été accordée conformément à l'article 3C(3) des règlements sur les visas d'em- ploi, [Règlement sur l'immigration, DORS/73- 443] établis en vertu de la Loi sur l'immigration, S.R.C. 1970, c. I-2.
Les autorités de l'immigration de Toronto ont envoyé en date du 18 octobre 1973, une lettre (pièce C4) à l'adresse du requérant, soit «a/s A. Augustine, R.R.1, Lasalette (Ontario)», l'infor- mant que son entrevue était fixée à 13h, le mardi 23 octobre 1973, au 102 rue Bloor ouest, Toronto. Une autre lettre en date du 29 octobre 1973 (pièce C5) ayant trait à une nouvelle entrevue fixée au même endroit le 6 novembre 1973 10h30, a été expédiée à la même adresse. Les deux lettres n'ont pas atteint leur destinataire sans aucun doute parce qu'il ne demeurait plus à cette adresse.
A la fin de la récolte de tabac de 1973, le requérant s'est rendu à Québec il a travaillé jusqu'au printemps de 1974, après quoi il est retourné en Ontario, à la ferme Augustine en vue d'y prendre le courrier qu'il aurait pu recevoir. Il a constaté que la ferme avait été vendue et que le nouveau propriétaire n'avait pas de courrier pour lui. Les autorités de l'immigration, à l'exception des deux lettres susmentionnées, n'ont pris aucune mesure pour rejoindre le requérant, s'occuper de son inscription ou régler cette question en son absence.
En deux occasions, qu'il situe [TRADUCTION] «environ un an ou six mois», ou [TRADUCTION] «cinq ou six mois, ou peut-être huit» après le 9 octobre 1973, le requérant s'est rendu au bureau principal du service de l'immigration de Toronto, situé au 480 avenue University, Toronto. Lors de ses deux visites il est demeuré en ligne, probable-
ment en face du bureau des renseignements l'on indique aux personnes l'endroit elles doivent se rendre. A une occasion qu'il situe vers 16h15, on lui aurait dit qu'il était déjà trop tard cet après- midi-là; la deuxième fois, il ne se souvient pas de ce qui s'est passé, sauf qu'il n'a pu franchir le rez-de-chaussée, c'est-à-dire l'endroit se tien- nent les enquêtes.
Il importe de noter que le bureau qu'on a établi pour s'occuper du programme sur la rectification du statut d'immigrant était sis au 102, rue Bloor ouest, à Toronto. C'était le lieu qui avait été fixé pour les entrevues dont les dates figuraient sur les lettres expédiées au requérant au mois d'octobre 1973. Le formulaire (pièce P1) n'indique pas l'adresse du bureau de l'immigration bien que le mot «Toronto» apparaisse à l'endroit réservé pour la signature. Le permis de travail (pièce C9) accordé au requérant porte l'estampille indiquant les mots suivants: [TRADUCTION] «Loi sur l'immi- gration, Canada, octobre 1973, Toronto». Il ne fait pas de doute que le formulaire d'inscription (pièce P1) et le permis (pièce C9) ont été préparés dans la roulotte alors que celle-ci était stationnée près de Delhi.
Les seuls faits pertinents survenus par la suite sont les suivants. Quelque temps vers la fin de juin ou juillet 1975, le requérant s'est rendu à Chicago pour deux semaines. A son retour, il n'a éprouvé aucune difficulté à rentrer au Canada; il a déclaré au fonctionnaire à l'immigration qu'il retournait chez lui et on l'a laissé passer. L'arbitre a conclu de son témoignage, que le requérant était, selon toute apparence, considéré comme un résident canadien qui retournait chez lui, et que le fonc- tionnaire qui l'a autorisé à entrer au Canada ne savait pas quel était son statut légal ou encore s'il en avait un. Le requérant a quitté le Canada pour quelques heures au mois de septembre 1975 en vue de se procurer des pièces pour sa scie à chaîne. Sarnia fut son point de sortie et de retour. Au retour, un fonctionnaire à l'immigration lui a posé des questions. Selon le témoignage du requérant, lui et le fonctionnaire qui l'a questionné ont eu un [TRADUCTION] «grave malentendu»; il éprouvait même des difficultés à comprendre les paroles du fonctionnaire quoique les siennes étaient impré- gnées d'un léger accent. C'est la possession de la scie à chaîne avec laquelle il travaillait pour l'Abi-
tibi Pulp and Paper Company qui a attiré l'atten- tion du fonctionnaire. Le requérant a présenté son permis de conduire américain, déclaré qu'il venait au Canada pour y travailler et a exhibé son permis de travail (pièce C9) que le fonctionnaire a con- servé. Un formulaire d'entrée au Canada portant le 1097 (pièce C6) a été émis; il stipulait que le requérant était autorisé à demeurer au Canada en qualité de visiteur du 5 au 12 septembre 1975. La résidence fixe du requérant qui figurait sur ce formulaire était celle qui apparaissait sur son permis de conduire, c'est-à-dire 2622, 69e rue ouest, Chicago (Illinois). L'arbitre a conclu que par ses paroles et en produisant la pièce C9, le requérant laissait croire au fonctionnaire qui l'in- terrogeait qu'il entrait au Canada dans l'intention d'exercer un emploi et probablement en vue d'y demeurer en permanence. Le requérant, alors qu'il était à Ottawa au mois de mai 1977, a fait l'objet d'une enquête de la part de la police municipale qui, par erreur, l'avait identifié comme une per- sonne qu'elle recherchait. Il a été lavé de tout soupçon car son arrestation résultait de toute évi- dence d'une erreur d'identité, toutefois on a établi qu'il était l'individu qui était entré au Canada via Sarnia, le 5 septembre 1975. Après qu'on lui eut montré une copie de la pièce C6, on a demandé au requérant de quitter le Canada en lui donnant une enveloppe brune qu'il devait remettre à un fonc- tionnaire du poste frontière d'où il quitterait le Canada. L'enveloppe brune contenait une lettre dont copie a été produite comme pièce C8. Celle-ci est couramment appelée lettre de renvoi. Le 24 mai 1977, conformément aux instructions qu'il avait reçues, il a quitté le Canada via Niagara Falls (Ontario), en route pour Lewiston, en remet- tant l'enveloppe brune à un fonctionnaire à l'immi- gration canadienne. Il s'est immédiatement dirigé au consulat canadien à Buffalo pour s'enquérir de son statut d'immigrant. Selon l'arbitre, l'entretien qu'il a eu au consulat a été superficiel. Immédiate- ment après son départ du consulat, il est revenu au Canada. Il s'est identifié en produisant son permis de conduire de l'Ontario, et il a déclaré qu'il retournait chez lui à Toronto.
Le requérant n'a pas eu par la suite d'autres rapports avec les fonctionnaires à l'immigration, et ce, jusqu'au 7 février 1978, date à laquelle il a rencontré le fonctionnaire à l'immigration Carelli qui, à la suite de cette rencontre, a soumis un
rapport en vertu de l'article 18(1)e)(vi) de la Loi qui a donné lieu à l'émission d'une directive en vertu de l'article 25. Aucune enquête n'a été tenue à la suite de cette directive, cependant, un nouveau rapport en date du 30 mai 1978 (pièce C2) ainsi qu'une nouvelle directive ont donné lieu à l'enquête qui fait l'objet du présent examen.
Après avoir pris connaissance de toute la preuve, l'arbitre est arrivé à la conclusion que pendant toute la période qui nous intéresse, soit du 9 octobre 1973 au 7 février 1978, et même jusqu'au moment il a pris sa décision (le 13 septembre 1978) le requérant avait conservé l'intention de demeurer au Canada et d'y acquérir la résidence permanente. A mon avis, cette intention jointe à son inscription du 9 octobre 1973 démontrent que le requérant était un immigrant—c'est-à-dire une personne qui cherche légalement à être admise au Canada en vue d'une résidence permanente. Cependant, l'arbitre a conclu qu'au moment de l'enquête en cause, le requérant pouvait invoquer comme motif pour demeurer au Canada, la qualité d'immigrant ou de visiteur. Il a fondé sa conclu sion sur l'interprétation suivante de la loi:
[TRADUCTION] Qu'une personne est réputée chercher à être admise au Canada en autant qu'elle y demeure, et que dès le moment elle quitte volontairement le Canada, il n'existe plus de disposition permettant à un fonctionnaire à l'immigration de traiter la demande en se fondant sur cette demande initiale.
Les deux avocats ont convenu lors de l'audience, que le fait de quitter le Canada pour Lewiston et d'y revenir au mois de mai 1977 via Niagara Falls n'est pas important pour établir le statut ou les droits du requérant. Cette prétention est conforme à l'arrêt Leiba c. Le Ministre de la Main-d'oeuvre et de l'Immigration [1972] R.C.S. 660.
Étant donné, par suite de l'inscription du requé- rant en date du 9 octobre 1973, que les dispositions de l'article 8 de la Loi modifiant la Loi sur la Commission d'appel de l'immigration s'appli- quaient au cas du requérant, il serait utile de citer ici le paragraphe (1) dudit article, le paragraphe 7(3), le sous-alinéa 18(1)e)(vi) et le paragraphe 18(2) de la Loi sur l'immigration:
8. (1) Toute personne se trouvant au Canada et qui se fait inscrire par un fonctionnaire à l'immigration aux fins du pré- sent article au plus tard le soixantième jour suivant l'entrée en vigueur de la présente loi et qui convainc ce fonctionnaire à l'immigration qu'elle est entrée au Canada au plus tard le 30 novembre 1972 et qu'elle y est demeurée depuis cette date
a) est réputée être une personne qui a fait une déclaration en conformité du paragraphe 7(3) de la Loi sur l'immigration et a demandé d'être admise au Canada à titre d'immigrant, et
b) est réputée ne pas être une personne visée par l'un quel- conque des sous-alinéas 18(1)e)(vi) à (x) de la Loi sur l'immigration,
et il ne peut être intenté de procédure contre cette personne en vertu des articles 46 ou 48 de la Loi sur l'immigration relative- ment à quelque question touchant la manière dont elle est entrée au Canada ou demeurée au Canada avant de se faire inscrire par un fonctionnaire à l'immigration aux fins du pré- sent article.
7....
(3) Lorsqu'une personne qui est entrée au Canada en qualité de non-immigrant cesse d'être un non-immigrant ou d'apparte- nir à la catégorie particulière dans laquelle elle a été admise à ce titre et, dans l'un ou l'autre cas, demeure au Canada, elle doit immédiatement signaler ces faits au fonctionnaire à l'im- migration le plus rapproché et se présenter pour examen au lieu et au temps qui lui sont indiqués, et elle est réputée, pour les objets de l'examen et à toutes autres fins de la présente loi, une personne qui cherche à être admise au Canada.
18. (1) ...
e) toute personne, autre qu'un citoyen canadien ou une personne ayant un domicile canadien, qui
(vi) est entrée au Canada comme non-immigrant et y demeure après avoir cessé d'être un non-immigrant ou d'appartenir à la catégorie particulière dans laquelle elle a été admise en qualité de non-immigrant,
(2) Quiconque, sur enquête dûment tenue par un enquêteur spécial, est déclaré une personne décrite au paragraphe (1) devient sujet à expulsion.
En dépit de son titre, la modification à la Loi sur la Commission d'appel de l'immigration a apporté des changements importants à la Loi sur l'immigration à l'égard d'une catégorie de person- nes, et elles sont nombreuses, pour laquelle le Parlement voulait assurer un moyen de régulariser la situation touchant à la fois leur présence ainsi que la durée de leur séjour au Canada. Ces person- nes étaient entrées au Canada en qualité de non- immigrants et elles avaient dépassé la durée per- mise de leur séjour sans se rapporter à un fonction- naire à l'immigration comme elles devaient le faire. Un bon nombre d'entre elles s'étaient éta- blies au Canada. En l'absence de certaines disposi tions spéciales, les personnes de cette catégorie auraient pu faire l'objet d'une expulsion. La plu- part de ces personnes, sinon toutes, rencontraient deux difficultés à être reconnues légalement ou acceptées à titre de résidents permanents: elles n'avaient pas de visa d'emploi qui ne pouvait s'ob-
tenir qu'à l'endroit elles résidaient de manière permanente avant d'entrer au Canada; étant entrées illégalement au Canada ou se trouvant illégalement au Canada, elles auraient été empê- chées d'y revenir si elles étaient retournées dans leur pays d'origine aux fins d'obtenir le visa néces- saire pour être admises à titre de résidents permanents.
Par l'application de l'article 8 (supra), en se présentant et en s'inscrivant pendant la période d'amnistie, ces personnes devenaient admissibles à l'examen en qualité d'immigrants sans avoir à quitter le Canada, et elles se voyaient à l'abri de toute exclusion qui autrement serait née en raison de leur entrée ou de leur présence illégales au Canada.
Une personne de cette catégorie, contrairement à l'immigrant ordinaire, n'avait pas à faire de demande à un point d'entrée et, à moins d'être membre d'une catégorie interdite, elle pouvait obtenir la réception au Canada, si (1) elle avait 18 ans ou plus et (2) était en mesure de démontrer à un fonctionnaire à l'immigration qu'elle s'était éta- blie avec succès au Canada conformément aux critères prévus dans le Règlement'.
Par conséquent, une personne qui était admissi ble à s'inscrire et qui le faisait, devenait membre d'une catégorie ayant droit à un traitement de faveur qui, généralement, n'était pas accordé aux autres immigrants.
En l'absence d'exclusion ou de preuve en sens contraire, l'inscription faite le 9 octobre 1973, conformément au programme sur la rectification du statut d'immigrant, établissait que le requérant était entré au Canada avant le 30 novembre 1972 et y était demeuré depuis cette date. Il était consi- déré comme une personne qui s'était présentée conformément au paragraphe 7(3) de la Loi sur l'immigration et qui avait fait une demande d'ad- mission à titre d'immigrant. Il était également à l'abri des conséquences qui autrement auraient découlées à la fois de son entrée et des activités qu'il aurait eues au Canada et qui n'avaient rien de criminel.
Il importe de noter qu'en vertu du programme sur la rectification du statut d'immigrant, le requé-
DORS/73-443.
rant était réputé avoir fait une demande d'admis- sion au Canada à titre d'immigrant.
Il est difficile de définir quel était le statut du requérant après son inscription et avant que la décision ne soit rendue sur sa demande. En effet, on ne l'avait pas «laissé entrer» ou «admis»;. on ne l'avait pas détenu et il demeurait en liberté au su et au gré des autorités de l'immigration; on ne lui avait ni demandé ni imposé un engagement person nel ou un cautionnement pour se présenter à un examen; enfin, il était physiquement présent au Canada et sa présence n'était pas illégale. Nonob- stant cette situation quelque peu anormale, il avait, en vertu de la Loi, certains droits qu'il fallait respecter.
Étant donné qu'il n'existe pas de procédure spé- ciale applicable à un «immigrant réputé», il faut présumer qu'elle est la même que celle applicable à l'immigrant.
A toutes les époques en cause, la Loi sur l'im- migration exigeait de toute personne cherchant à entrer au Canada, y compris les citoyens canadiens ainsi que ceux ayant un domicile canadien, de se présenter devant un fonctionnaire à l'immigration pour un examen. Le fonctionnaire à l'immigration doit, après cet examen, accorder l'admission à cette personne ou lui permettre d'entrer au Canada sauf s'il estime que ce serait contraire à la Loi ou au Règlement; s'il n'accorde pas l'admis- sion ou ne permet pas à cette personne d'entrer au Canada, il doit la faire détenir et la signaler à un arbitre 2 ; sur réception de ce rapport, l'arbitre doit, après examen admettre cette personne, la laisser entrer ou rendre une ordonnance d'expulsion ou d'exclusion.
La Loi sur l'immigration, S.R.C. 1970, c. I-2, art. 23, prévoyait qu'un fonctionnaire à l'immigra- tion pouvait rendre une ordonnance d'expulsion contre les personnes qui cherchaient à venir au Canada des États-Unis ou de Saint-Pierre-et- Miquelon. Aucune disposition semblable ne figure dans la Loi sur l'immigration de 1976.
Le cas d'une personne qui cherche à obtenir d'un fonctionnaire à l'immigration l'admission ou
2 Avant la récente modification de la Loi sur l'immigration la personne qui exerçait la fonction de «l'arbitre» actuel s'appe- lait «un enquêteur spécial».
l'entrée au Canada et qui, par ailleurs, sera pré- sente sur le territoire canadien, ne pourra être tranché légalement que de l'une des manières suivantes:
(1) elle peut être admise ou autorisée à entrer par un fonctionnaire à l'immigration;
(2) elle peut être détenue par le fonctionnaire à l'immigration et signalée à un arbitre en vue d'un examen;
(3) sur réception du rapport d'un fonctionnaire à l'immigration et après examen par l'arbitre, celui-ci peut a) l'admettre ou la laisser entrer au Canada, ou b) rendre une ordonnance d'expul- sion ou d'exclusion contre elle.
Il semble découler de tout cela que, même s'il n'était pas admissible à entrer au Canada, la pré- sence d'un immigrant sur le territoire canadien ne peut être troublée si ce n'est par un fonctionnaire à l'immigration qui peut le faire détenir ou lorsque par un arbitre qui peut ordonner son expulsion ou son exclusion.
Aussi étrange que cela puisse paraître, le présent dossier révèle qu'après l'inscription du requérant le 9 octobre 1973, on n'a jamais procédé à son examen. Quand il ne s'est pas présenté pour son examen aux dates fixées dans les lettres des 18 et 29 octobre 1973, aucune mesure n'a été prise pour l'arrêter ou pour procéder à une enquête hors sa présence, et aucune directive n'a été donnée ou aucune ordonnance rendue qui aurait réglé la question de son admissibilité au Canada. En ce qui concerne le programme sur la rectification du statut d'immigrant, le cas du requérant demeure une «affaire non réglée».
L'avocat du Ministre a prétendu que l'arbitre n'a pas commis d'erreur en concluant que les absences du Canada, que le requérant a reconnues, ont, en soi, mis fin aux quelques droits qu'il pou- vait avoir en vertu du programme sur la rectifica tion du statut d'immigrant et lui ont aussi fait perdre son titre d'immigrant. Je sais qu'il existe une jurisprudence selon laquelle on peut conclure qu'un non-immigrant qui quitte volontairement le Canada perd tous les droits qu'il pouvait avoir en qualité de non-immigrant 3 , toutefois, je ne crois
3 Regina c. Special Inquiry Officer; Ex parte Washington (1963) 3 D.L.R. (3°) 518.
pas que le fait qu'un immigrant quitte le Canada soit suffisant en lui-même pour le rendre inhabile.
En ce qui concerne l'effet que peut avoir le départ du Canada de la personne qui n'a pas été admise à titre d'immigrant reçu, il faut faire la distinction entre le cas d'un non-immigrant et celui d'un immigrant qui désire être admis légalement au Canada à titre d'immigrant reçu.
Un non-immigrant authentique qui demande son admission au Canada pour une période limitée et dans l'un des buts visés à l'article 7(1) et (2), doit naturellement indiquer dans sa demande d'ad- mission son intention de quitter le Canada dès que le but pour lequel il a fait sa demande aura été réalisé, et ce à l'intérieur du délai de séjour qu'on lui a accordé, délai qui peut être, pour le non- immigrant, d'une durée précise ou légalement présumé.
Le non-immigrant est considéré comme un visi- teur, peu importe le but pour lequel il cherche à entrer au Canada. Sa visite comporte une durée de séjour continue qui débute au port d'entrée lors- qu'il fait sa demande, et qui se termine lorsqu'il quitte le Canada. Deux séjours distincts ou plus au Canada interrompus par des absences ne consti tuent pas une seule et même visite. Si un visiteur quitte le Canada et ensuite cherche à y revenir, il s'agit alors d'une autre visite qui est tout à fait distincte de la première. Le départ précédent du requérant ne revêt aucune importance en ce qui concerne la possibilité qu'il a de se voir accorder plus tard l'autorisation d'entrer de nouveau à titre de non-immigrant. Il s'agit tout simplement pour lui de convaincre le fonctionnaire à l'immigration qu'il a droit d'entrer au Canada. Cependant, comme dans l'arrêt Washington, si un visiteur a perdu le droit d'entrer au moment il se présente de nouveau, sa présence antérieure au Canada ne change rien quant à sa possibilité d'être reçu de nouveau.
D'autre part, une personne qui demande l'ad- mission à titre d'immigrant n'envisage pas de partir avant d'avoir passé un certain temps; elle manifeste surtout le désir d'être autorisée à avoir une résidence permanente; sa conduite devrait être examinée à la lumière de son intention déclarée.
Une personne de cette dernière catégorie qui, avant d'être admise légalement, quitte le Canada
pour reprendre résidence dans son pays d'origine, ou encore, pour établir une résidence quelque part à l'extérieur du Canada, indiquerait donc, de ce fait, qu'elle abandonne sa demande d'admission, étant donné que sa décision d'établir une résidence ailleurs qu'au Canada démontrerait qu'il y a eu changement dans son intention de devenir un rési- dent permanent; cependant, pour conclure à son intention d'abandonner sa demande, il faut se fonder non pas sur le fait de son départ mais sur la raison pour laquelle elle est partie.
La durée de l'absence est un facteur important dont il faut tenir compte lorsqu'il s'agit de déter- miner si la personne a l'intention d'abandonner sa demande. Certaines absences physiques sont tout à fait compatibles avec l'intention de maintenir une demande d'admission. Prenons par exemple le cas d'un immigrant qui se procure un billet de chemin de fer pour aller de Saint-Jean (Nouveau-Bruns- wick) à Montréal; durant le trajet, le train traverse la frontière canadienne et atteint l'état du Maine. Il parcourt dans cet état une distance assez consi- dérable avant de revenir au Canada; il est évident que cette personne a physiquement quitté le Canada, cependant, si son point de destination était Montréal, il est aussi évident que son inten tion était de demeurer au Canada à titre de rési- dent permanent. L'absence physique ne constitue qu'une preuve prima facie de l'abandon d'une demande d'admission, laquelle peut être réfutée. Celle-ci n'a d'autre effet que de transférer au requérant le fardeau d'établir par des preuves soli- des qu'il maintient toujours sa demande d'admis- sion.
Le requérant, ayant pris les mesures nécessaires pour se prévaloir des privilèges spéciaux offerts aux personnes décrites à l'article 8(1) (supra) était, de ce fait, dans une meilleure situation que s'il avait attendu l'expiration des 60 jours d'amnis- tie. Cependant, pour tirer les conséquences juridi- ques de son absence physique du Canada, il y a lieu de prendre en considération la possibilité qu'il ait renoncé aux avantages exceptionnels que lui conférait le statut qu'il avait acquis.
Dans les documents soumis, il existe une preuve qui, si elle est acceptée, pourrait convaincre les fonctionnaires compétents à l'immigration que le requérant n'a pas abandonné sa demande d'admis- sion à titre d'immigrant. Cette question précise n'a
pas été tranchée par un fonctionnaire à l'immigra- tion, un enquêteur spécial ou un arbitre et le requérant a droit à ce qu'elle soit examinée et tranchée.
Le dossier indique que la seule décision prise par l'arbitre portait que le requérant avait quitté le Canada et qu'en conséquence il avait perdu auto- matiquement tout statut ou avantage qu'il avait acquis en vertu du programme sur la rectification du statut d'immigrant.
Comme je l'ai déjà dit, j'estime que l'arbitre a commis une erreur de droit en concluant que, du simple fait qu'il a quitté le Canada, le requérant a abandonné la demande d'admission à titre de rési- dent permanent, qu'il était réputé avoir faite par suite de son inscription en vertu de l'article 8.
La question que l'arbitre devait trancher en premier lieu était celle de savoir si le requérant, étant un immigrant contre qui on ne pouvait faire valoir aucune des incapacités visées à l'article 8(1)b) (supra), avait, à l'une ou l'autre des occa sions il s'est absenté du Canada (c.-à-d. son voyage à Chicago et traversée de Sarnia à Port Huron) abandonné la demande d'admission qu'il était réputé avoir faite; si on avait décidé que le requérant n'avait pas abandonné sa demande répu- tée, l'arbitre, après avoir procédé à l'examen qui était prévu à la suite de l'inscription du 9 octobre 1973, aurait rendre la décision qui aurait été prononcée si l'examen avait eu lieu en temps opportun; cependant si l'arbitre avait décidé que la demande réputée faite le 9 octobre 1973, avait été abandonnée, dès lors et à compter de ce moment seulement, le requérant aurait être considéré comme une personne n'ayant pas la citoyenneté canadienne ou n'ayant pas de domicile canadien, qui était venue au Canada à titre de non-immi grant, y était demeurée et avait exercé un emploi sans avoir été admise légalement.
En conséquence, cette demande est accueillie; l'ordonnance d'exclusion et l'avis d'interdiction de séjour sont annulés.
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LE JUGE URIE: Je suis d'accord.
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LE JUGE RYAN: J'y souscris.
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