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A-21-78
Canadian Wirevision Limited (Appelante)
(Demanderesse)
c.
La Reine (Intimée) (Défenderesse)
Cour d'appel, les juges Pratte et Ryan et le juge suppléant Kerr—Vancouver, les 14, 15 et 22 février 1979.
Impôt sur le revenu Calcul du revenu Déductions Déduction prévue à l'art. 125.1 quant à la fabrication et à la transformation d'articles Une compagnie de câblodistribu- tion qui, dans le cours normal de son entreprise, capte des signaux de radio et de télévision qu'elle transmet par câble coaxial à ses abonnés, a-t-elle droit à la déduction prévue à l'art. 125.1? Loi de l'impôt sur le revenu, S.C. 1970-71-72, c. 63, art. 125.1.
Il s'agit d'un appel d'une décision de la Division de première instance rejetant l'appel de l'appelante de sa cotisation d'impôt pour l'année d'imposition 1974 et statuant en fait que l'appe- lante n'était pas, durant cette année-là, engagée dans la fabri cation ou la transformation de marchandises de façon à avoir droit à la déduction d'impôt prévue à l'article 125.1 de la Loi de l'impôt sur le revenu. L'appelante est une compagnie de câblo- distribution. Le juge de première instance a rejeté la thèse de l'appelante voulant que les signaux de radio et de télévision qu'elle capte et transmet par câble coaxial aux postes récep- teurs de ses abonnés constituent des «articles» vendus à ses clients dans le cours normal de son entreprise.
Arrêt: l'appel est rejeté. Le terme «articles» dans l'article 125.1 «est employé ... dans son sens ordinaire et désigne des marchandises ou produits, ou, pour employer la terminologie juridique, des biens meubles tangibles». Dans ce sens, les signaux captés par l'appelante ne sont pas des articles. De plus même si cette conclusion était erronée, l'appelante ne pourrait avoir gain de cause, rien au dossier n'indiquant qu'elle n'ait jamais vendu des signaux à ses abonnés. Quelle que soit la technologie de la câblodistribution, la seule conception réaliste des activités de l'appelante est que ce sont celles d'un simple transporteur offrant à ses abonnés le moyen technique d'amé- liorer la réception des signaux destinés à leur appareil de radio et de télévision. L'appelante exerce son entreprise dans les communications; non dans la vente d'articles.
APPEL en matière d'impôt sur le revenu.
AVOCATS:
John G. Smith et Merrill W. Shepard pour
l'appelante (demanderesse).
W. J. A. Hobson, c.r. et Jacques Côté pour
l'intimée (défenderesse).
PROCUREURS:
Russell & DuMoulin, Vancouver, pour l'ap- pelante (demanderesse).
Le sous-procureur général du Canada pour l'intimée (défenderesse).
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement prononcés à l'audience par
LE JUGE PRATTE: Il s'agit d'un appel d'une décision de la Division de première instance [[1978] 2 C.F. 577] rejetant l'appel de l'appelante de sa cotisation d'impôt pour l'année d'imposition 1974 et statuant en fait que l'appelante n'était pas, durant cette année-là, engagée dans la fabrication ou la transformation de marchandises de façon à avoir droit à la déduction d'impôt prévue à l'article 125.1 de la Loi de l'impôt sur le revenu.
En vertu de cet article, adopté en 1973' les corporations ont droit à une déduction d'impôt quant à leurs «bénéfices de fabrication et de trans formation au Canada», un terme défini au para- graphe 125.1(3) comme:
125.1 (3) ...
a) ... le pourcentage de tous les montants dont chacun est le revenu que la corporation a tiré pour l'année d'une entre- prise exploitée activement au Canada, déterminé en vertu des règles prescrites à cette fin ... qui doit s'appliquer à la fabrication ou à la transformation au Canada d'articles destinés à la vente.... [C'est moi qui souligne.]
L'expression «la fabrication ou à la transformation au Canada d'articles destinés à la vente» n'est pas
définie dans la Loi qui indique, cependant, à l'ali- néa 125.1(3)b) que l'expression «fabrication ou transformation» exclut certaines activités qui y sont spécifiées, dont
125.1 (3)b) ...
(viii) la production ou la transformation d'énergie électrique
... en vue de la vente.
Il est reconnu que l'appelante aurait droit à la déduction d'impôt qu'elle réclame en vertu de l'article 125.1 si, ainsi qu'elle le prétend, elle a transformé des articles destinés à la vente durant l'année d'imposition en question.
L'appelante est une compagnie de câblodistribu-
tion qui fait affaires à Vancouver, Burnaby et Richmond (C.-B.). Au moyen de puissantes anten- nes, elle capte des signaux de radio et de télévision
qu'elle transmet par câble coaxial aux postes récepteurs de ses abonnés. Ces signaux de radio et de télévision sont les «articles» que l'appelante
' S.C. 1973-74, c. 29, art. 1.
prétend transformer et vendre à ses clients dans le cours normal de son entreprise. Le juge de pre- mière instance a rejeté cette prétention. Il a statué que les signaux n'étaient pas des articles au sens de l'article 125.1 de la Loi de l'impôt sur le revenu et que les contrats entre l'appelante et ses abonnés n'impliquaient pas la vente d'articles.
La prétention de l'appelante qu'elle transforme et vend des articles est fondée sur la description de la technologie de câblodistribution qu'ont donné les témoins experts au procès. Les deux parties reconnaissent que cette preuve est correctement résumée par le juge de première instance dans le passage suivant de son jugement [aux pages 580 à 583]:
Les signaux proviennent d'un émetteur-transmetteur. Les renseignements visuels et auditifs qui forment une émission de télévision sont convertis en signaux électriques. En vocabulaire technique, on appelle ceux-ci des signaux d'entrée. La plupart de ceux-ci ne peuvent pas être envoyés directement dans le canal de communication. En l'espèce, ce canal est constitué par l'atmosphère ordinaire et, enfin, par un câble. Pour effectuer une transmission satisfaisante à partir de l'antenne d'émission, les signaux de message sont imprimés sur des ondes électroma- gnétiques portantes. Cette transformation ou modification en ondes de haute fréquence est appelée, en langage technique, modulation.
A ce stade, les signaux portant des renseignements sont dans l'air. L'appareil récepteur du spectateur de télévision est la destination ultime de l'émission. En l'espèce, le récepteur peut être l'antenne du possesseur de l'appareil de télévision, ou les appareils beaucoup plus perfectionnés d'exploitants comme la demanderesse.
Chaque poste de réception capte une partie de l'énergie électrique des signaux de renseignements transmis. La personne réceptrice ne s'intéresse pas à la quantité infinitésimale d'éner- gie électrique ainsi captée. Elle s'intéresse plutôt au contenu des signaux—ce qu'en jargon technique on appelle renseignements mutuels. Ainsi que l'a dit le Dr Jull pour le compte de la défenderesse:
[TRADucTlox] Quoique de l'énergie soit nécessairement transmise, elle l'est en petite quantité; ce qui compte, ce sont les nombreux renseignements transmis par ces signaux.
L'énergie captée par chaque récepteur n'est plus alors à la disposition des autres. S'il y avait un nombre suffisant de récepteurs placés en des endroits convenables, ils pourraient, théoriquement, capter la totalité de l'énergie transmise, et d'autres récepteurs ne pourraient rien en capter. Mais cette hypothèse ne correspond pas à la réalité.
Le récepteur convertit les signaux reçus dans la version reconstituée des signaux initialement transmis par l'émetteur. Puis l'appareil de télévision reconvertit les signaux de message en message de renseignements. En principe, on voit et entend alors l'émission de télévision initialement enregistrée par l'émetteur.
A ce stade, je déclare accepter la distinction conceptuelle avancée pour le compte de la demanderesse: ce qui est transmis et reçu n'est pas un programme de télévision au sens ordinaire de cette expression. Ce qui intéresse la compagnie de télévision par câble et le téléspectateur ce sont les signaux de télévision concernant .les renseignements mutuels» que j'ai essayé de décrire.
Lorsqu'un signal donné de renseignements est dans le canal de communication à lui affecté, qu'il s'agisse d'air ou de câble ou des deux à la fois (et même antérieurement et postérieure- ment à ce stade), il peut être contaminé ou troublé. On distingue trois catégories d'agents perturbateurs.
Il y a interférence lorsque le signal quitte son canal pour entrer dans un ou plusieurs autres, ou encore lorsqu'il est transmis suivant plusieurs chemins. L'écart minime entre les temps d'arrivée des signaux produit ce qu'on appelle habituelle- ment des effets d'.écho».
Les appareils d'émission et de réception imparfaits peuvent aussi causer des distorsions dans les signaux. Lorsqu'une partie du système de communication est constituée par des câbles, comme dans le cas de la demanderesse, l'appareil et les appa- reils auxiliaires créent par leur nature même des distorsions dans les signaux.
Les bruits forment la troisième source de perturbation. Ils proviennent de causes naturelles se trouvant à l'intérieur même du système de communication ou à l'extérieur. Plus le rapport signal/bruit (RSB) est élevé, meilleur sera le résultat pour le téléspectateur, qu'il ait son propre récepteur ou qu'il soit relié au système de la demanderesse.
En termes généraux, les compagnies de télévision par câble utilisent plusieurs moyens de lutte contre les troubles de pertur bations. Elles érigent des antennes de réception perfectionnées en des endroits convenables. Certaines de ces antennes ont été conçues pour capter un seul canal de communication et rejeter les autres, ce qui réduit ou élimine les débordements de signaux d'un canal à l'autre. On réduit les interférences par trajets multiples en choisissant des lieux convenables d'érection des antennes, et aussi par réception en diversité, ce qui oblige à placer des antennes de réception en deux endroits ou davantage. Ce procédé est basé sur l'hypothèse qu'à tout moment, l'un au moins de ces endroits est exempt des interférences par trajets multiples qui causent des distorsions aux signaux. On peut combiner les signaux captés ou utiliser seulement les meilleurs d'entre eux. Les compagnies de télévision par câble reçoivent des signaux d'émission variés en différents endroits et emploient les câbles pour transmettre les signaux de message reconstitués aux abonnés individuels.
A la réception, les compagnies filtrent et amplifient les signaux reçus. Elles font de leur mieux pour ne pas changer les renseignements qu'ils contiennent. En d'autres termes, elles se donnent pour but de livrer au téléspectateur final un reflet aussi fidèle que possible de l'image et du son initiaux enregistrés par la caméra de télévision et les appareils auditifs. Après les opérations ainsi décrites, le signal reçu est livré par câble aux spectateurs. Ce système de distribution a des limitations intrin- sèques. Celles-ci sont à l'origine du bruit et d'une atténuation des images et du son. Le rapport signal/bruit tend à décroître. Les compagnies de télévision par câble s'efforcent d'éviter les perturbations des signaux dans la zone située entre leur récep-
tion et le téléspectateur, i.e. dans le système même du câble. Parmi les moyens employés à cet effet, il faut citer l'amplifica- tion et le filtrage, effectués à un degré assez avancé.
J'ai jusqu'ici décrit les opérations générales d'une compagnie type de télévision par câble. Cette description est applicable à l'entreprise de la demanderesse.
Selon l'appelante, une fois capté par ses anten- nes, signal de radio ou de télévision est en sa possession et devient sa propriété; il est ensuite «transformé» quand il est «nettoyé», «filtré» et «amplifié» lors de son passage à travers l'équipe- ment complexe de l'appelante et, finalement, il est vendu, quand il est livré à ses abonnés, pour un certain prix. L'appelante ajoute que lorsqu'elle transforme et vend des signaux, en fait, elle trans- forme et vend des articles, puisque ceux-ci sont [TRADUCTION] «des marchandises tirant leur valeur économique du message qu'elles peuvent transmettre».
Avant d'examiner le poids de cet argument, il est nécessaire de souligner que la question à résou- dre n'est pas de savoir si les impulsions électriques qui voyagent par le système de câble de l'appelante à
près de la vitesse de la lumière, pourraient, en théorie, être considérées comme des marchandises susceptibles d'être vendues. Ce n'est pas non plus si, vu la technologie qu'elle utilise dans ses opéra- tions, l'appelante ne pourrait, par hypothèse, être partie à des contrats de vente avec ses clients. Les questions soulevées par cet appel sont plutôt de savoir si les signaux sont des articles au sens de l'article 125.1 et si l'appelante, en fait, était partie à des contrats de vente avec ses clients.
A mon avis, ces questions doivent recevoir une réponse négative.
Je suis d'accord avec le juge de première ins tance que le terme «articles» de l'article 125.1 «est employé ... dans son sens ordinaire et désigne des marchandises ou produits, ou, pour employer la terminologie juridique, des biens meubles tangi bles». Dans ce sens, les signaux captés par l'appe- lante ne sont pas, selon moi des articles. Il est vrai
que l'on considère souvent l'électricité comme une marchandise et parfois même, comme un «arti- clen. 2 Cependant, l'électricité habituellement ache- tée et vendue qu'on qualifie d'article de commerce est celle qui est produite, vendue et utilisée pour ses propriétés énergétiques. Au contraire, on ne qualifie jamais d'articles les signaux de radio et de télévision, bien qu'il s'agisse de courants électri- ques. Le diffuseur de signaux destiné à la radio ou à la télévision n'est jamais considéré comme un producteur de marchandises ou d'articles. Et l'on ne dit jamais du propriétaire d'un poste récepteur de télévision qui reçoit un signal, avec ou sans l'aide d'un système C.A.T.V., qu'il acquiert ou consomme des articles.
Même si cette première conclusion est erronée, je suis d'avis que l'appelante ne pourrait avoir gain de cause, rien au dossier n'indique qu'elle ait jamais vendu des signaux à ses abonnés. Quelle que soit la technologie de la câblodistribution, la seule conception réaliste des activités de l'appe- lante est que ce sont celles d'un simple transpor- teur offrant à ses abonnés le moyen technique d'améliorer la réception de signaux destinés à leur appareil de radio et de télévision. L'appelante oeuvre dans les communications; non dans la vente d'articles. Le texte du contrat modèle utilisé par l'appelante dans ses relations avec ses abonnés est à cet effet et montre que c'est ainsi qu'elle conçoit son rôle. Ce modèle fait état d'une prestation de service, non d'une vente de marchandises.
Pour ces motifs, qui sont substantiellement ceux du juge de première instance, je rejetterais l'appel avec dépens.
* * *
LE JUGE RYAN y a souscrit.
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LE JUGE SUPPLÉANT KERR y a souscrit.
2 Voir: Commission hydroélectrique de Québec c. Le sous- ministre du Revenu national pour les douanes et l'accise [1970] R.C.S. 30. L'appelante a soutenu avec force que l'ex- ception mentionnée au sous-alinéa 125.1(3)b)(viii) démontre que le terme «article» à l'article 125.1 a été utilisé dans un sens qui comprend l'énergie électrique.
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