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A-371-78
Roger Boulianne (Requérant) c.
L'Honorable juge Allison A. M. Walsh, la Com mission de l'emploi et de l'immigration du Canada et le sous-procureur général du Canada (Intimés)
Cour d'appel, le juge en chef Jackett, le juge Pratte et le juge suppléant Hyde—Montréal, le 13 décembre 1978.
Examen judiciaire Assurance-chômage Somme reçue par le requérant en règlement hors cour d'un grief de son congédiement Doit-on annuler la décision du juge-arbitre infirmant une décision d'un conseil arbitral selon laquelle cette somme constituait une indemnité pour atteinte à la réputation du requérant, et statuant que la somme en question constitue un revenu au sens de l'art. 172 des Règlements sur l'assu- rance-chômage? Règlements sur l'assurance-chômage, DORS/55-392, modifiés par DORS/71-324, art. 172(2)a) Loi sur la Cour fédérale, S.R.C. 1970 (2' Supp.), c. 10, art. 28.
DEMANDE d'examen judiciaire. AVOCATS:
P. Grenier pour le requérant. G. LeBlanc pour les intimés.
PROCUREURS:
Melançon, Hélie, Marceau, Grenier & Scior- tino, Montréal, pour le requérant.
Le sous-procureur général du Canada pour les intimés.
Voici les motifs du jugement prononcés en fran- çais à l'audience par
LE JUGE PRATTE: Le requérant demande la cassation d'une décision d'un juge-arbitre en vertu de la Loi de 1971 sur l'assurance-chômage, S.C. 1970-71-72, c. 48, qui, infirmant un conseil arbi- tral, a jugé qu'une somme de $5,000 que le requé- rant avait reçue de son ancien employeur était un revenu provenant d'un emploi au sens de l'article 172(2)a) des Règlements sur l'assurance-chô- mage, DORS/55-392 modifiés par DORS/71- 324.
Le requérant était â l'emploi d'un centre hospi- talier. Le 13 février 1975, il fut congédié. Cinq jours plus tard, l'employeur lui signifiait par écrit les motifs de son congédiement. Se prévalant de la
convention collective qui régissait ses conditions de travail, le requérant formula un grief contre son congédiement qu'il jugeait illégal et injustifié. Le grief fut soumis à l'arbitrage et, le 14 août 1975, le tribunal d'arbitrage décida que le grief devait être accueilli pour le seul motif que l'employeur n'avait pas, comme le prescrivait la convention collective, signifié au requérant les motifs de son congédie- ment dans un délai de quatre jours après le congé- diement. En conséquence, le tribunal ordonna à l'employeur de réintégrer le requérant dans ses fonctions et de lui payer l'équivalent du salaire dont l'avait privé son congédiement depuis le 13 février 1975, tout en déduisant, s'il y avait lieu, les salaires payés ailleurs depuis ce temps.
L'employeur se proposait d'attaquer cette sen tence arbitrale devant la Cour supérieure lorsque intervint, le 17 octobre 1975, une transaction entre les parties. Ce contrat est constaté par un écrit qui se lit comme suit:
LES PARTIES AUX PRÉSENTES, CONVIENNENT:
1. Que l'employeur, suite à la décision du tribunal d'arbitrage présidé par W Jean-Paul Lemieux, en date du 14 août 1975, grief numéro 9620, ne déposera pas de requête en évocation devant la Cour Supérieure;
2. Que monsieur Roger Boulianne et le syndicat précité reti- rent le grief numéro 9620 du 21 février 1975 de même que le grief numéro 28526 en date du 18 septembre 1975;
3. Que monsieur Roger Boulianne remet ce jour sa démission qui vaut à compter du 13 février 1975;
4. Que, considérant ce qui précède et considérant qu'il y a lieu d'éviter des frais judiciaires et des frais d'arbitrage, l'employeur verse à monsieur Roger Boulianne la somme de cinq mille ($5,000.) dollars à titre d'indemnité et/ou dommages-intérêts, sans aucune admission cependant, et à seule fin de régler, hors Cour, une situation litigieuse;
5. Que monsieur Roger Boulianne donne en conséquence à l'Hôtel-Dieu de St-Jérôme, quittance complète et finale de toute réclamation de quelque nature que ce soit;
6. Que la présente entente est consentie sans admission de quelques parties que ce soit, à seule fin de régler un cas d'espèce, et ne pourra être utilisée comme constituant u n précédent.
La Commission considéra que la somme de $5,000 reçue par le requérant aux termes de cette transaction constituait un revenu du requérant au sens de l'article 172(2)a) des Règlements. Le requérant fit appel de cette décision devant un conseil arbitral. Le conseil en arriva à la conclu sion que les $5,000 avaient été payés au requérant pour l'indemniser, non d'une perte de salaire, mais d'une atteinte à sa réputation. Le conseil, en consé-
quence, «recommanda» que le montant en question ne soit pas considéré comme revenu du requérant. La Commission en appela à un juge-arbitre qui, constatant que le conseil arbitral n'avait formulé qu'une recommandation, refusa d'entendre l'appel et renvoya l'affaire au conseil pour qu'il prononce une décision; le juge-arbitre, cependant, exprima l'avis qu'un «employé ne peut recouvrer en droit les dommages pour atteinte à sa réputation dans le cas d'un congédiement non motivé.» Le conseil, après avoir entendu le requérant, jugea que «ce $5,000.00 lui fut donné pour libelle diffamatoire». En conséquence, il décida que cette somme ne constituait pas un revenu du requérant dont on devait tenir compte pour déterminer son droit aux bénéfices d'assurance-chômage. La Commission en appela de cette seconde décision. Devant le juge- arbitre, aucune preuve nouvelle ne fut faite. Le juge trancha l'appel sur un dossier qui ne contenait que la décision du conseil et la preuve documen- taire qui était devant le conseil; il fit droit à l'appel et décida que les $5,000 en question avaient été payés au requérant pour l'indemniser d'une perte de salaire et devaient, en conséquence, être consi- dérés comme un revenu. C'est cette décision que le requérant attaque aujourd'hui.
L'arrêt récent de cette cour dans l'affaire Le procureur général du Canada c. Walford [1979] 1 C.F. 768 a établi que les sommes payées par un employeur à un ancien employé congédié sans avis constituent des revenus de l'employé au sens de l'article 172(2)a) des Règlements sur l'assurance- chômage à la condition que ces sommes aient été payées à l'employé pour l'indemniser de la perte de salaire résultant ou pouvant résulter d'un congé- diement illégal. Il ne saurait être question de remettre en cause ici la valeur de cette décision. En l'espèce, cependant, le conseil arbitral, après avoir entendu le témoignage du requérant, avait conclu qu'il avait reçu les $5,000 en réparation d'une atteinte à sa réputation. Il s'agissait d'une constatation de fait que le juge-arbitre a mise de côté sans avoir pris connaissance du témoignage du requérant devant le conseil et sans avoir lui-même entendu le requérant ou autrement reçu des preu- ves nouvelles sur ce sujet. Si le premier juge a décidé de cette façon c'est, semble-t-il, parce que, comme le juge-arbitre qui l'avait précédé, il était d'opinion qu'un «employé ne peut recouvrer en droit des dommages pour atteinte à sa réputation
dans un congédiement non motivé.» Or, à mon sens, cette opinion est erronée. Un employé congé- dié illégalement peut, en conséquence des circons- tances il a été congédié, subir des dommages autres que la perte de salaire (y compris une atteinte à sa réputation). Et, en ce cas, les sommes qui lui sont payées pour l'indemniser de ces autres dommages ne sont pas des revenus au sens de l'article 172 des Règlements.
La constatation de fait du conseil arbitral que les $5,000 avaient été payés pour indemniser le requérant d'une atteinte à sa réputation n'était donc fondée sur aucune erreur de droit. Cela étant, elle ne pouvait être mise de côté par le juge-arbitre que si, après avoir entendu toute preuve pertinente que pouvaient vouloir lui présenter les parties, il en venait à la conclusion que cette constatation était, en fait, erronée.
Pour ces motifs, je ferais droit à la demande et je renverrais l'affaire au juge-arbitre pour qu'il la décide en prenant pour acquis qu'il est possible, en droit, qu'un ancien employé puisse recouvrer des dommages-intérêts pour atteinte à sa réputation de l'employeur qui l'a congédié illégalement.
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LE JUGE EN CHEF JACKETT y a souscrit.
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LE JUGE SUPPLÉANT HYDE y a souscrit.
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