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A-14-79
Le Syndicat canadien des employés professionnels et techniques (Requérant)
c.
La Reine représentée par le Conseil du Trésor (Intimée)
Cour d'appel, les juges Urie, Ryan et Le Dain— Ottawa, les 10 et 12 avril 1979.
Examen judiciaire Fonction publique Décision de la Commission des relations de travail dans la Fonction publique concluant à l'illégalité d'une grève L'agent négociateur avait été remplacé Les deux agents négociateurs successifs avaient adopté le renvoi devant bureau de conciliation comme méthode de règlement des différends L'unité de négociation avait épuisé la procédure de conciliation et avait le droit de faire la grève avant de changer d'agent négociateur Il s'agit de savoir si, l'unité de négociation étant demeurée la même, la Commission était fondée à conclure que le requérant et l'em- ployeur devaient épuiser la procédure de négociation/concilia- tion avant que les employés n'aient le droit de faire la grève Loi sur la Cour fédérale, S.R.C. 1970 (2 e Supp.), c. 10, art. 28 Loi sur les relations de travail dans la Fonction publique, S.R.C. 1970, c. P-35, art. 101(2)b)(i).
Il s'agit d'une demande, fondée sur l'article 28, d'examen et d'annulation d'une décision de la Commission des relations de travail dans la Fonction publique, qui a conclu à l'illégalité d'une grève déclenchée par le groupe de la navigation aérienne avec l'autorisation du SCEPT. Le SCEPT a remplacé l'IPFP comme agent négociateur du groupe et a adopté la même méthode de règlement des différends, à savoir le renvoi devant un bureau de conciliation. A l'époque le groupe était encore représenté par l'IPFP, un bureau de conciliation a été établi et a déposé son rapport; les employés du groupe avaient le droit de faire la grève sept jours après la réception du rapport. Le SCEPT estimait que les employés de l'unité de négociation conservaient ce droit de grève malgré le changement d'agent négociateur. Il s'agit de savoir si, l'unité de négociation étant toujours celle représentée par le précédent agent, lequel était en position d'autoriser la grève, la Commission des relations de travail dans la Fonction publique était fondée à conclure que le requérant et l'employeur devaient épuiser la procédure de négociation/conciliation avant que les employés de l'unité de négociation aient le droit de faire la grève.
Arrêt: la requête est rejetée. La condition préalable d'une grève légale, telle qu'elle est prévue au sous-alinéa 101(2)b)(i) et telle qu'elle a été remplie sept jours après le dépôt du rapport de conciliation, est rétablie par le changement d'agent négocia- teur. Le bureau de conciliation a adressé son rapport aux parties, l'employeur et l'IPFP qui était l'agent négociateur de l'unité. Par rapport à une convention collective, un arbitrage ou un différend, le terme parties désigne précisément l'employeur et un agent négociateur. Le terme différend qui figure au sous-alinéa 101(2)b)(i) de la Loi ne peut être raisonnablement interprété que comme un différend entre l'employeur et l'agent négociateur, en l'occurrence le SCEPT, relativement au groupe de la navigation aérienne dont il détient les droits de négocia-
tion. Le SCEPT et l'employeur doivent respecter la procédure de négociation/conciliation avant que les employés de l'unité de négociation aient le droit de déclencher la grève.
DEMANDE d'examen judiciaire. AVOCATS:
Lynn C. Kaye pour le requérant. Walter L. Nisbet, c.r. pour l'intimée.
PROCUREURS:
Lynn C. Kaye, Syndicat canadien des employés professionnels et techniques, Ottawa, pour le requérant.
Le sous-procureur général du Canada pour l'intimée.
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement de la Cour rendus par
LE JUGE URIE: Il s'agit d'une demande, fondée sur l'article 28, d'examen et d'annulation d'une décision de la Commission des relations de travail dans la Fonction publique rendue le 6 janvier 1979 et motivée le 12 janvier suivant. En vertu de cette décision, la Commission a déclaré illégale la grève déclenchée par les membres de l'unité de négocia- tion du groupe de la navigation aérienne, grève qui avait été autorisée par le mandataire du groupe, savoir le requérant en l'espèce. On nous demande uniquement de décider si la Commission a eu tort d'ainsi statuer.
Les extraits suivants des motifs de la décision de la Commission mettent les faits suffisamment en perspective pour que puisse être tranché le litige.
45. Nous sommes largement d'accord avec les arguments avan- cés par l'avocat de l'employeur. Selon nous, la Loi vise essen- tiellement à ce que l'agent négociateur qui, entre autres, précise que la méthode de règlement d'un différend est le renvoi du différend à un bureau de conciliation, passe par la procédure de négociation/conciliation prévue dans la Loi avant que les employés de l'unité de négociation, pour qui il a été accrédité, soient en mesure de déclencher une grève légale.
46. Dans la présente affaire, le SCEPT a, en vertu de l'article 27 de la Loi, fait une demande d'accréditation pour devenir l'agent négociateur de tous les employés du groupe de la navigation aérienne. La Commission a accédé à la demande du SCEPT et le 25 juillet 1978 lui a remis un certificat stipulant qu'il était l'agent négociateur de l'unité de négociation pour laquelle il avait fait une demande. Cette accréditation lui a permis de remplacer l'IPFP comme agent négociateur dudit
groupe. L'IPFP avait été, à l'origine, accrédité par la Commis sion le 6 février 1968 pour la même unité d'employés. Comme on l'a déjà dit dans le paragraphe 6 de la présente décision, à la suite de son accréditation, l'IPFP et l'employeur ont conclu plusieurs conventions collectives, dont la dernière a expiré le 27 juillet 1975. Et comme on l'a noté aussi dans le même paragra- phe avant de donner un avis de négocier et d'entamer les négociations qui ont mené à la dernière convention collective entre l'employeur et l'IPFP, ce dernier avait modifié sa méthode de règlement du différend en choisissant le renvoi du différend à un bureau de conciliation plutôt qu'à l'arbitrage comme cela avait été précédemment le cas.
47. Comme le paragraphe 7 de la présente décision le révèle, l'IPFP a, le 10 juin 1975, donné à l'employeur un avis de négocier pour entamer les négociations en vue de renouveler la convention collective expirant le 28 juillet 1975. A la suite des négociations entre les deux parties, l'IPFP a demandé l'établis- sement d'un bureau de conciliation pour l'enquête et la conci liation d'un différend qui existait entre ce syndicat et l'em- ployeur. Le l er octobre 1975, le président de la Commission établissait donc un bureau de conciliation à cette fin. Le 15 janvier 1976, celui-ci déposait son rapport devant le président. Conformément aux dispositions de l'alinéa 101(2)a)(1), le 23 janvier 1976, soit sept jours après la réception par le président du rapport du bureau de conciliation, les employés du groupe de la navigation aérienne avaient le droit de déclencher la grève.
48. Après son accréditation, M. Coupland, le directeur général du SCEPT, a, dans la forme prescrite, précisé que la méthode de règlement du différend relativement à l'unité de négociation du groupe de la navigation aérienne serait le renvoi du diffé- rend devant un bureau de conciliation. M. Coupland a affirmé que, alors qu'il croyait que les employés de l'unité conservaient toujours le droit de grève qu'ils avaient acquis quand l'IPFP était leur agent négociateur, il avait apporté ladite précision à cause de l'exigence prévue dans le paragraphe 36(1). Il nous semble, toutefois, que le fait même qu'un agent négociateur nouvellement accrédité soit obligé de préciser l'une des deux méthodes envisagées par la Loi pour le règlement d'un diffé- rend est, pour le moins, une indication que la Loi vise à obliger le nouvel agent négociateur à passer par la procédure de la négociation/conciliation (si telle était la méthode précisée) avant que les employés de l'unité concernée puissent avoir le droit de déclencher la grève. De plus, s'il était vrai, comme M. Coupland a affirmé qu'il le croyait, que les employés de l'unité de négociation du groupe de la navigation aérienne étaient irrévocablement sur la voie du bureau de conciliation pour le règlement du différend, alors l'option prévue par le paragraphe 36(1) semblerait vide de sens.
Il importe à notre avis, de noter ce qui suit:
(1) l'avocate du requérant a reconnu que si celui-ci, après avoir été accrédité à titre d'agent négociateur, avait, conformément à l'article 36(1), choisi l'arbitrage comme méthode de règlement des différends, plutôt que le bureau de conciliation, comme il l'a fait, alors le droit de grève aurait été en tout état de cause perdu;
(2) c'est à la Commission qu'il appartient, lors- qu'une accréditation est demandée, de décider de la composition de l'unité de négociation appropriée, décision qu'elle a prendre lorsque le requérant a demandé son accréditation bien que cette unité se soit par la suite révélée être identique à celle que décrivait l'accréditation antérieure; et
(3) l'avocate du requérant a aussi reconnu que si la composition de l'unité considérée appro- priée pour la négociation avait été tant soit peu modifiée vis-à-vis le nouvel agent négociateur, tout droit de grève découlant de la négociation engagée par le précédent agent aurait été perdu.
Cela nous permet manifestement de circonscrire le litige et de n'avoir ainsi qu'à décider si, compte tenu du fait que l'unité de négociation soit demeu- rée la même que celle que représentait le précédent agent, lequel était en position de déclarer la grève et de l'autoriser, la Commission pouvait à bon droit statuer que le requérant et l'employeur devaient compléter le processus de négociation/ conciliation avant que les employés compris dans l'unité ne puissent licitement faire grève.
Nous estimons tous que la Commission n'a pas erré en statuant en ce sens et nous souscrivons, en substance, aux motifs de ses conclusions. Aux pages 25 et suivantes de ses motifs, la Commission déclare:
50. Lorsque le SCEPT a été accrédité comme agent négocia- teur de l'unité du groupe de la navigation aérienne, l'alinéa 40(1)a) de la Loi lui a accordé le droit exclusif de négocier collectivement avec l'employeur au nom des employés de l'unité et de conclure avec celui-ci une convention collective dont les conditions obligeraient ces derniers. Le SCEPT a également obtenu le droit de représenter les employés de l'unité pour le dépôt ou le renvoi des griefs à l'arbitrage relativement à l'interprétation ou à l'application d'une convention collective ou d'une décision arbitrale. Toutefois, l'alinéa 40(1)a) n'a pas accordé au SCEPT le droit de suivre les traces de son prédéces- seur, l'IPFP, et par conséquent d'acquérir le droit que ce dernier avait obtenu grâce à la procédure de négociation/conci- liation au nom des employés de l'unité, c'est-à-dire, le droit de déclencher la grève.
51. Dans la présente affaire, l'alinéa 40(1)b) a eu pour effet, dès l'accréditation du SCEPT comme agent négociateur du groupe de la navigation aérienne, de révoquer automatiquement l'accréditation de l'IPFP qui avait été l'agent négociateur de la même unité de négociation. En l'occurrence, il est difficile d'accepter qu'une telle disposition ait pu avoir pour but de permettre aux employés de l'unité de négociation de conserver le droit de grève qu'ils avaient obtenu grâce à l'IPFP, seulement après que celui-ci, de concert avec l'employeur, eut suivi la
procédure de négociation/conciliation, laquelle est la condition préalable à toute mesure de grève.
52. L'alinéa 40(1)c) énonce la seule obligation que le SCEPT devait assumer une fois accrédité pour le groupe de la naviga tion aérienne. Sous réserve dudit alinéa, le SCEPT devenait automatiquement partie à toute convention collective ou déci- sion arbitrale à laquelle les employés de l'unité étaient liées. Toutefois, dans la présente affaire, lesdites conditions n'existent pas.
Une fois le requérant accrédité et une fois qu'il eut choisi comme méthode de règlement des diffé- rends le renvoi à un bureau de conciliation, comme le requiert l'article 36(1)', il appartenait à l'une ou l'autre partie, en vertu de l'article 49(1) 2 , de requérir par avis l'autre partie d'entamer des négo- ciations. Le requérant ne l'a pas fait. Certaines négociations eurent lieu et, environ 4 mois plus tard, soit le 1e" décembre 1978, l'intimée demanda au requérant, par avis écrit, d'entamer des négo- ciations collectives. Nous reconnaissons avec la Commission que la conduite antérieure de l'inti- mée ne l'empêchait pas, de par l'estopel, d'agir ainsi.
L'avocate du requérant a fait valoir que la con dition préalable à l'obtention du droit de grève énoncée à l'article 101(2)b)(i) avait été remplie une fois écoulés les 7 jours qui ont suivi la produc tion le 15 janvier 1976, du rapport du, bureau de conciliation, et que ce droit demeurait en dépit du changement d'agent négociateur. Voici l'article 101(2)b)(i):
101... .
(2) Aucun employé qui n'est pas un employé décrit au paragraphe (1) ne peut participer à une grève
' 36. (1) Sous réserve du paragraphe 37(2), tout agent négo- ciateur pour une unité de négociation doit, de la manière qui peut être prescrite, spécifier laquelle des deux méthodes de règlement décrites à la définition de «méthode de règlement de différend» dans l'article 2 il faut suivre pour régler tout diffé- rend auquel il peut être partie relativement à cette unité de négociation.
2 49. (1) Lorsque la Commission a accrédité une association d'employés comme agent négociateur d'une unité de négocia- tion et que la méthode de règlement d'un différend applicable à cette unité de négociation a été spécifiée comme le prévoit le paragraphe 36(1),
a) l'agent négociateur peut, pour le compte des employés de l'unité de négociation, par avis écrit, requérir l'employeur d'entamer des négociations collectives; ou
b) l'employeur peut, par avis écrit, requérir l'agent négocia- teur d'entamer des négociations collectives,
en vue de la conclusion, du renouvellement ou de la révision d'une convention collective.
b) lorsque aucune convention collective s'appliquant à l'unité de négociation dont il fait partie n'est en vigueur, à moins que
(i) un bureau de conciliation chargé de l'enquête et de la conciliation du différend relativement à cette unité de négociation ait été établi et que sept jours se soient écoulés depuis la réception par le Président du rapport du bureau de conciliation, ...
La Commission a répondu à cette prétention à la page 29 de ses motifs:
57. Finalement, nous traiterons de l'argument avancé par l'avocate du SCEPT relativement à son interprétation du para- graphe 101(2). Nous sommes d'avis que ledit paragraphe ne peut être lu isolément, mais plutôt dans tout le contexte de la Loi. Nous nous reporterons premièrement à l'article 87 de la Loi qui stipule inter alfa que dès la réception du rapport du bureau de conciliation, le président doit immédiatement en faire parvenir une copie aux parties. Les parties en conflit mettant en cause l'unité de négociation du groupe de la naviga tion aérienne, pour qui le président de la présente Commission a établi un bureau de conciliation le 1«" octobre 1975 et au nom desquelles ce bureau a déposé un rapport en date du 15 janvier 1976, étaient clairement l'employeur et l'IPFP, l'agent négocia- teur de l'unité à ce moment-là.
58. De plus grande importance encore, toutefois, est la défini- tion du mot «parties» donnée par l'article 2 de la Loi. Par rapport à une convention collective, un arbitrage ou un diffé- rend, le terme «parties» désigne précisément l'employeur et un agent négociateur. En se basant sur cette définition, l'allusion à «différend» dans l'alinéa 101(2)b)(i) de la Loi, dans le contexte de la présente demande, ne peut être raisonnablement interpré- tée que comme un différend existant entre l'employeur et l'agent négociateur, en l'occurrence le SCEPT, relativement au groupe de la navigation aérienne dont il détient les droits de négociation.
59. En conséquence, nous rejetons l'argument de l'avocate du SCEPT en ce qu'il se rapporte à la disposition susmentionnée de la Loi. Il en résulte donc que le SCEPT et l'employeur doivent respecter la procédure de négociation/conciliation avant que les employés de l'unité de négociation du groupe de la navigation aérienne aient le droit de déclencher la grève. Le délai prolongé en cause dans ce processus n'est pas un fait dont la Commission peut dûment tenir compte en faisant une décla- ration en vertu du paragraphe 103(1) de la Loi.
Nous souscrivons tous à cette interprétation dudit article. La demande fondée sur l'article 28 donc est rejetée.
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