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T-388-79
In re la Loi sur la citoyenneté et in re Werner Willi Peter Heib (Appelant)
Division de première instance, le juge Collier— Victoria, le 18 mai; Vancouver, le 13 juin 1979.
Citoyenneté Le juge de la citoyenneté a rejeté la demande de citoyenneté de l'appelant pour refus de prêter le serment d'allégeance en la forme prescrite L'appelant remplissait toutes les autres conditions de citoyenneté Il échet d'exami- ner si, pour devenir citoyen, l'appelant est tenu de prêter le serment d'allégeance en la forme prescrite Loi sur la citoyenneté, S.C. 1974-75-76, c. 108, art. 3, 5(1),(3), 11, 23, annexe Règlement sur la citoyenneté, DORS/77- 127, art. 19(1),(2), 20.
Bien que l'appelant remplît toutes les conditions prévues à l'article 5(1) de la Loi sur la citoyenneté, sa demande a été rejetée par le juge de la citoyenneté car il refusait de prêter le serment d'allégeance en la forme prescrite. Le juge de la citoyenneté a statué qu'un candidat à la citoyenneté était tenu de prêter serment selon la forme prévue. Il échet d'examiner si l'appelant y était tenu.
Arrêt: l'appel est rejeté. A la différence du Règlement, nulle disposition de la Loi ne prévoit expressément qu'un candidat à la citoyenneté doit prêter serment, mais cette condition tacite se dégage effectivement de la Loi. Bien que l'appelant ait rempli toutes les conditions prévues à l'article 5(1) de la Loi et que selon le même article, le Ministre doive accorder la citoyenneté en cas de demande, il ressort de l'article 3(1)c) que l'octroi de la citoyenneté ne fait pas de l'appelant un citoyen tant qu'il n'a pas prêté le serment prévu. Le Règlement sur la citoyenneté dit clairement que la personne à qui la citoyenneté a été accordée en application de l'article 5(1) de la Loi doit se soumettre à la formalité du serment de citoyenneté. Il résulte de la Loi et du Règlement pris dans leur ensemble que la prestation du ser- ment prévu est de rigueur.
APPEL. AVOCATS:
J. S. Carfra, amicus curiae.
PROCUREURS:
J. S. Carfra, a/s Jones, Emery & Carfra, Victoria, amicus curiae.
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
LE JUGE COLLIER: L'appelant est âgé de 39 ans. Originaire d'Allemagne de l'Ouest, il est arrivé au Canada en 1961. Il a depuis toujours vécu et travaillé ici. Il a épousé au Canada une citoyenne canadienne, et a l'intention de rester ici, car il considère ce pays comme sa patrie.
Le 25 août 1978, il fit une demande de citoyenneté.
Lors de la présentation de sa demande, il signala qu'il n'avait pas l'intention de prêter le serment d'allégeance en la forme prévue à l'annexe de la Loi sur la citoyenneté. Il affirma cependant être disposé à prêter serment sous une autre forme. Le 27 novembre 1978, sa demande fut examinée par un juge de la citoyenneté. A l'audience, il réitéra son refus de prêter le serment prescrit. Toutefois, pour le reste, il se conforma aux exigences de la Loi.
Le juge de la citoyenneté rejeta la demande de l'appelant. Il statua que celui-ci était tenu de prêter serment selon la forme prescrite.
C'est de cette décision qu'il est fait appel.
L'appelant, en compagnie de son épouse, a com- paru en personne. M. J. S. Carfra, dont la pré- sence a été très utile, agissait en qualité d'amicus curiae.
M. Heib est un homme simple; il est machiniste de profession. Il ferait à mon avis un excellent citoyen. Son plaidoyer a été touchant et habile. Il a déclaré qu'il aurait pu, lors de sa comparution devant le juge de la citoyenneté, prêter le serment prescrit avec des restrictions mentales. Sa cons cience ne lui permettait cependant pas d'agir ainsi. Il considère le serment comme une promesse d'al- légeance à un être humain, en l'occurrence la Reine Elizabeth, et à ses successeurs. Or il ne peut se résoudre à jurer allégeance à quelque être humain que ce soit. Il n'hésiterait cependant pas à jurer allégeance au Canada ou à son drapeau.
M. Carfra, avant l'audience, et moi, pendant celle-ci, avons discuté avec M. Heib des fonde- ments philosophiques du serment d'allégeance. Nous lui avons fait valoir que le serment consti- tuait une promesse non pas à une personne en tant que telle, mais plutôt à l'être qui se situe en théorie à la tête de notre régime de monarchie constitu- tionnelle. Il n'est pas nécessaire de s'étendre sur les détails de la discussion. M. Heib, selon toute évi- dence, comprend et respecte cette façon de voir les choses, mais il ne peut en toute conscience la faire sienne. Je respecte ses convictions.
La question qui m'est soumise est de savoir si l'appelant doit prêter le serment selon la forme prescrite. J'estime que oui. Et je suis en outre bien forcé de constater qu'il n'a malheureusement droit à aucune dérogation.
Sur ce chapitre du serment de citoyenneté, la nouvelle Loi sur la citoyenneté' n'est toutefois pas, selon moi, aussi claire qu'elle devrait l'être.
Je suggère que nous examinions certaines par ties de la loi et de ses règlements d'application.
L'appelant a fait une demande de citoyenneté en vertu du paragraphe 5(1) de la Loi, qui est ainsi rédigé:
5. (1) Le Ministre doit accorder la citoyenneté à toute personne qui, n'étant pas citoyen, en fait la demande et qui
a) a dix-huit ans ou plus;
b) a été légalement admise au Canada à titre de résident permanent et a, dans les quatre ans qui ont précédé la date de sa demande, totalisé au moins trois ans de résidence au Canada calculés de la manière suivante:
(i) elle est censée avoir acquis un demi-jour de résidence pour chaque jour durant lequel elle résidait au Canada avant son admission légale au Canada à titre de résident permanent, et
(ii) elle est censée avoir acquis un jour de résidence pour chaque jour durant lequel elle résidait au Canada après son admission légale au Canada à titre de résident permanent;
c) a une connaissance suffisante de l'une des langues officiel- les du Canada;
d) a une connaissance suffisante du Canada et des responsa- bilités et privilèges de la citoyenneté; et
e) n'est pas sous le coup d'une ordonnance d'expulsion et n'est pas visée par une déclaration du gouverneur en conseil faite en application de l'article 18.
L'appelant satisfaisait à toutes ces exigences.
Quant au paragraphe 5(3), il est ainsi conçu: 5....
(3) Pour des raisons humanitaires, le Ministre peut, à sa discrétion, dispenser,
a) toute personne, des conditions prévues aux alinéas (1)c) ou dl: et
b) toute personne atteinte d'une incapacité, de la condition relative à l'âge indiquée à l'alinéa (1)a), de la condition relative à la durée de la résidence au Canada indiquée à l'alinéa (1)b) ou de la condition relative à la prestation du serment de citoyenneté.
Les pouvoirs de dispense conférés au Ministre à l'égard d'une personne atteinte d'une incapacité ne
' S.C. 1974-75-76, c. 108.
visent que certaines des conditions dont les disposi tions du paragraphe 5(1) font dépendre l'octroi de la citoyenneté. Le paragraphe 5(1) ne fait toute- fois aucunement obligation aux requérants de prêter le serment de citoyenneté. Il faut chercher ailleurs.
L'alinéa 3(1)c) de la Loi semble traiter de deux choses: l'octroi de la citoyenneté conformément aux articles 5 ou 10 2 , ainsi que la prestation de serment. Dans les cas visés, un requérant «est» citoyen canadien. L'article semble établir une dis tinction entre la personne à qui l'on a accordé la citoyenneté et celle qui est citoyen.
Voici maintenant ce que dit l'article 11:
11. (1) Sous réserve des règlements établis en vertu de l'alinéa 26i), le Ministre doit délivrer un certificat de citoyen- neté à tout citoyen qui en fait la demande.
(2) Lorsqu'une demande présentée en vertu des articles 5 ou 7 ou du paragraphe 10(1) est approuvée, le Ministre doit délivrer un certificat de citoyenneté au requérant.
(3) Un certificat délivré en application du présent article ne prend effet que lorsque la personne à laquelle il est délivré s'est conformée aux conditions relatives au serment de citoyenneté prévues par la présente loi et ses règlements.
Lorsqu'une demande comme celle qu'a présen- tée l'appelant est approuvée, il est délivré à l'appe- lant un certificat de citoyenneté. Ce dernier ne prend toutefois effet que le jour l'intéressé se conforme «aux conditions relatives au serment de citoyenneté prévues par la présente loi et ses règlements».
Enfin, voici l'article 23 et le serment en question:
23. Lorsqu'une personne est tenue en vertu de la présente loi de prêter le serment de citoyenneté, elle doit prêter ce serment ou faire une déclaration solennelle selon la formule indiquée à l'annexe et conformément aux règlements.
ANNEXE
SERMENT OU DÉCLARATION SOLENNELLE DE CITOYENNETÉ
Je jure (ou déclare solennellement) que je serai fidèle et que je porterai sincère allégeance à Sa Majesté la Reine Elizabeth Deux, Reine du Canada, à ses héritiers et à ses successeurs en conformité de la loi et que j'observerai fidèlement les lois du Canada et remplirai mes devoirs de citoyen canadien.
2 Mes commentaires sur l'article 3 se limitent aux non- citoyens ou anciens citoyens qui présentent une demande pour l'octroi de la citoyenneté.
Nulle part la Loi elle-même, à la différence du Règlement, n'exige-t-elle expressément de la per- sonne demandant l'octroi de la citoyenneté ou la réintégration dans la citoyenneté, qu'elle prête ser- ment. Il n'en ressort pas moins clairement des articles que j'ai cités qu'une telle exigence existe.
Il est intéressant de se reporter aux dispositions de l'ancienne Loi. 3
En effet, en vertu de ce texte, un non-citoyen pouvait demander au Ministre l'octroi d'un certifi- cat de citoyenneté. Le requérant devait satisfaire à certaines conditions, et notamment à celles du paragraphe 10(1). Celui-ci, en son alinéa f), exi- geait de la personne concernée:
10. (1) . ..
J) qu'elle possède une connaissance suffisante des responsa- bilités et privilèges de la citoyenneté canadienne et [ait] l'intention d'observer le serment d'allégeance énoncé à l'an- nexe II; ...
L'article 12 stipulait en outre que le certificat de citoyenneté accordé par le Ministre n'avait d'effet qu'à compter du jour de prestation du serment, et que le requérant ne devenait citoyen canadien qu'à compter de ce jour. En voici d'ailleurs le texte:
12. Aucun certificat de citoyenneté accordé en vertu de la présente Partie à une personne autre qu'un mineur de moins de quatorze ans n'a d'effet sauf si cette personne a prêté le serment d'allégeance reproduit à l'annexe II, et cette personne devient citoyen canadien lorsque le certificat de citoyenneté lui est remis ou lorsqu'elle prête le serment d'allégeance, en pre- nant des deux événements celui qui intervient le dernier.
L'article 32, dont voici le. texte, était très explicite:
32. Lorsqu'un tribunal décide que l'auteur d'une demande de certificat de citoyenneté est apte à obtenir un semblable certifi- cat ou que la Cour d'appel de la citoyenneté infirme la décision du tribunal concernant une demande, un certificat de citoyen- neté peut, à la discrétion du Ministre, être accordé au requérant et ce certificat doit être délivré à ce dernier, qui doit prêter le serment d'allégeance ainsi qu'il est prescrit par règlement.
J'estime que l'ancien texte de Loi était beaucoup plus clair en ce qui concerne la prestation du serment 'd'allégeance.
J'en arrive maintenant au Règlement pris pour l'application de la Loi actuelle [DORS/77-127].
3 Loi sur la citoyenneté canadienne, S.R.C. 1970, c. C-19.
L'alinéa 26h) de celle-ci autorise en effet le gou- verneur en conseil à établir des règlements «con- cernant la prestation du serment de citoyenneté». Je citerai les paragraphes 19(1) et (2), et l'article 20 du Règlement.
Serment de citoyenneté
19. (1) Sous réserve du paragraphe 5(3) de la Loi et de l'article 22 du présent règlement, une personne qui s'est vu accorder la citoyenneté en vertu du paragraphe 5(1) de la Loi doit prêter le serment de citoyenneté en jurant ou en faisant une déclaration solennelle devant un juge de la citoyenneté.
(2) A moins de directives contraires du Ministre, le serment de citoyenneté visé au paragraphe (1) doit être prêté lors d'une cérémonie de la citoyenneté.
20. (1) Sous réserve du paragraphe 5(3) de la Loi et de l'article 22 du présent règlement, une personne qui a quatorze ans révolus à la date à laquelle elle se voit accorder la citoyen- neté en vertu du paragraphe 5(2), 5(4) ou 10(1) de la Loi doit prêter le serment de citoyenneté en jurant ou en faisant une déclaration solennelle
a) au Canada, devant un juge de la citoyenneté; ou
b) à l'étranger, devant un agent des services extérieurs.
(2) Lorsqu'une personne doit prêter le serment de citoyen- neté en vertu du paragraphe (1), le greffier doit,
a) si le serment doit être prêté au Canada, transmettre un certificat de citoyenneté à un agent de la citoyenneté d'un bureau de la citoyenneté qu'il juge compétent en l'espèce, ou
b) si le serment doit être prêté à l'étranger, transmettre un certificat de citoyenneté à un agent des services extérieurs en poste dans ce pays
et il revient à l'agent de la citoyenneté ou à l'agent des services extérieurs d'aviser la personne des date, heure et endroit aux- quels elle doit comparaître et prêter le serment de citoyenneté.
Ces Règlements me semblent dire clairement que la personne à qui la citoyenneté a été accordée en vertu du paragraphe 5(1) de la Loi doit se soumettre à la formalité du serment de citoyen- neté.
J'estime qu'il résulte de la Loi et du Règlement pris dans leur ensemble que la prestation du ser- ment prévu est de rigueur.
L'appelant se trouve sans doute, selon moi, dans une situation quelque peu étonnante. En effet, puisqu'il rencontre toutes les exigences du para- graphe 5(1) de la Loi, le Ministre doit, s'il le demande, lui accorder la citoyenneté. Mais aux termes de l'alinéa 3(1)c), l'octroi de la citoyenneté à M. Heib ne fait effectivement de lui un citoyen canadien que s'il prête le serment prescrit:
PARTIE I
LE DROIT À LA CITOYENNETÉ
3. (1) Sous réserve des autres dispositions de la présente loi, est citoyen toute personne
a) qui est née au Canada après l'entrée en vigueur de la présente loi;
b) qui est née hors du Canada après l'entrée en vigueur de la présente loi et dont, au moment de sa naissance, le père ou la mère, mais non un parent adoptif, était citoyen canadien;
c) à qui la citoyenneté a été accordée ou qui l'a acquise en application des articles 5 ou 10 et qui, si elle avait quatorze ans ou plus le jour la citoyenneté lui a été accordée, a prêté le serment de citoyenneté;
d) qui était citoyen au moment de l'entrée en vigueur de la présente loi; ou
e) qui avait le droit, au moment de l'entrée en vigueur de la présente loi, de devenir citoyen en vertu de l'alinéa 5(1)b) de l'ancienne loi.
En un mot, je confirme la décision du juge de la citoyenneté en ce qui a trait à la question princi- pale. Aux termes du paragraphe 3(1) de la Loi, l'appelant doit, pour devenir citoyen canadien, prêter le serment selon la formule prévue.
Le juge de la citoyenneté a d'autre part eu également raison de décider que l'appelant ne pou- vait obtenir de dispense du Ministre en vertu des dispositions citées plus haut. M. Heib, il le recon- naît d'ailleurs lui-même, n'est en effet atteint d'au- cune incapacité.
Le juge de la citoyenneté n'a pas cru devoir recommander l'application du paragraphe 5(4) de la Loi, lequel prévoit que:
5....
(4) Pour remédier à des situations particulières et exception- nelles de détresse ou pour récompenser les services d'une valeur exceptionnelle rendus au Canada, nonobstant toute autre dispo sition de la présente loi, le gouverneur en conseil peut, à sa discrétion, ordonner au Ministre d'accorder la citoyenneté à toute personne et, lorsqu'un tel ordre est donné, le Ministre doit immédiatement accorder la citoyenneté à la personne qui y est désignée.
Je suivrai son exemple. L'appelant pourra tou- jours demander lui-même au gouverneur en conseil d'ordonner au Ministre de lui accorder la citoyenneté.
DÉCISION
L'appelant ayant, le 3 janvier 1979, interjeté appel de la décision par laquelle l'honorable Fran-
ces H. Elford, juge de la citoyenneté, a, le 28 novembre 1978, rejeté sa demande de citoyenneté; et ledit appel ayant été entendu à Victoria (Colom- bie-Britannique) le 18 mai 1979:
LE PRÉSENT TRIBUNAL STATUE que l'appel est rejeté.
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