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A-581-78
Comparaît: La Reine (Appelante) (Requérante)
Cour d'appel, le juge en chef Jackett, les juges Pratte et Ryan—Ottawa, le 19 décembre 1978.
Compétence Expropriation Le locataire, ancien pro- priétaire de l'immeuble, continuait à l'occuper après la résilia- tion du bail L'avis d'intention d'exproprier a été enregistré Le juge de première instance a rejeté la requête tendant à fixer la date d'une audition la Cour devait se prononcer sur l'existence, au moment de l'expropriation, de quelque droit immobilier du locataire et, le cas échéant, sur la nature et l'étendue de ce droit Appel accueilli Loi sur l'expropria- tion, S.R.C. 1970 (1e' Supp.), c. 16, art. 4, 12, 13, 16, 17, 21.
Ce pourvoi est dirigé contre une décision de la Division de première instance qui a rejeté une requête présentée ex parte en vertu des paragraphes (1) et (2) de l'article 16 de la Loi sur l'expropriation. La Commission de la Capitale nationale avait acheté un immeuble situé à Hull et l'avait redonné à bail au vendeur pour un terme devant expirer le 31 octobre 1978. Le bail a pris fin en octobre 1977 par suite du refus du locataire de reconstruire une partie de l'immeuble détruite par le feu. Le locataire continuant à occuper l'immeuble au motif que son bail durait jusqu'au 30 avril 1981, le ministre des Travaux publics a enregistré un avis d'intention d'exproprier. Le juge de première instance a rejeté, pour cause d'incompétence, la requête tendant à fixer la date d'une audition la Cour devait se prononcer sur l'existence, au moment de l'expropriation, de quelque droit immobilier du locataire et, le cas échéant, sur la nature et l'étendue de ce droit.
Arrêt (le juge en chef Jackett dissident): l'appel est accueilli.
Le juge Pratte: La décision affirmant que la requête doit être rejetée au seul motif que la question de savoir si le bail a pris fin doit être tranchée à la lumière du Code civil du Québec, est mal fondée. Il est vrai que la question à trancher par la Cour fédérale, à savoir si le locataire a des droits sur l'immeuble exproprié, est une question qui relève du droit provincial. Mais il en va de même dans tous les cas la Cour est saisie d'une requête fondée sur l'article 16. Dans l'exercice des pouvoirs qu'elle tient de l'article 16 de la Loi sur l'expropriation, la Cour peut appliquer le droit provincial sans contredire pour autant les principes établis par les arrêts McNamara et Québec North Shore. Le premier juge a peut-être voulu dire qu'en l'espèce, il lui semblait que la Couronne n'avait pas exproprié l'immeuble en question parce qu'elle en avait besoin, mais uniquement pour faire trancher par la Cour fédérale, plutôt que par la Cour supérieure du Québec, la question de savoir si le bail avait pris fin. Même interprétée de cette façon, la décision est mal fondée. Le premier juge aurait dû, en l'espèce, présu- mer que les biens expropriés étaient «requis par la Couronne pour un ouvrage public ou à une autre fin d'intérêt public».
Le juge en chef Jackett dissident: Le juge de première instance a conclu qu'un litige étant survenu entre la Couronne et un tiers sur la question de savoir si un bail était encore en vigueur, les fonctionnaires de la Couronne ont opté pour l'ex- propriation des droits du tiers dans l'immeuble pour faire trancher la question par la Cour fédérale. Le jugement dont appel est bien fondé et l'appel doit être rejeté, mais le jugement attaqué doit être modifié par l'adjonction de cette mention:
«sous réserve du droit de la requérante de présenter une autre demande à partir de nouveaux documents qui font état d'autres faits plus complets».
APPEL. AVOCAT:
J. C. Ruelland, c.r. pour l'appelante (requé- rante).
PROCUREUR:
Le sous-procureur général du Canada pour l'appelante (requérante).
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement prononcés à l'audience par
LE JUGE EN CHEF JACKETT (dissident): Je fais mien l'exposé des faits et des procédures de mon collègue le juge Pratte mais regrette, toutefois, ne pouvoir souscrire à ses conclusions.
La Loi sur l'expropriation, S.R.C. 1970 (ler Supp.), c. 16, prévoit l'expropriation d'un droit réel immobilier lorsque «de l'avis du Ministre, la Couronne a besoin [d'un tel droit] ... pour un ouvrage public ou à une autre fin d'intérêt public». A cette fin, la Loi exige, comme condition mini- male, l'enregistrement d'un avis d'intention d'ex- proprier (article 4) et d'un avis de confirmation (article 12). L'enregistrement de ce dernier avis confère le droit d'expropriation à la Couronne (article 13), mais le droit pour elle de prendre possession, lorsque la possession est contestée, est, en règle générale, assujetti (article 17(1)c)) à l'en- voi d'un avis aux personnes qui ont un droit sur l'immeuble et dont l'identité, si elle est incertaine, doit être déterminée de la manière prévue à l'article 16.
On doit déterminer conformément à la loi de la province se trouve le bien-fonds si le bail por- tant sur un bien-fonds fédéral a pris fin (en suppo- sant qu'aucune loi fédérale n'ait été spécialement édictée pour régler ce point); mais s'il s'agit de déterminer qui, le cas échéant, est en droit de recevoir un avis d'expropriation (ou une indemnité par suite d'une expropriation) en vertu d'une loi fédérale, c'est une question qui peut être ins- truite par un tribunal institué conformément à l'article 101, bien qu'elle mette en jeu l'application d'une loi provinciale. Cela me paraît incontestable,
selon mon interprétation de la décision de la Cour suprême du Canada évoquée par le savant juge de première instance, lequel, selon moi, n'a pas entendu soutenir une opinion contraire.
Ce que je crois être la thèse sur laquelle ce dernier a fondé sa décision s'énonce comme suit: un litige étant survenu entre la Couronne fédérale et un tiers quant à savoir si le bail afférent à un immeuble était ou non expiré, les fonctionnaires de la Couronne ont dressé le dossier d'expropriation du droit réel immobilier de ce tiers en vue de faire trancher la question par la Cour fédérale. A mon avis, si cette appréciation des éléments de preuve soumis à la Division de première instance est exacte, alors le jugement dont appel est bien fondé et l'appel doit, sous réserve d'une restriction à préciser ultérieurement, être rejeté. Je suis de cet avis nonobstant l'article 21b)(1) de la Loi sur l'expropriation, lequel déclare notamment que «Sauf si la Couronne le conteste, ... il est péremp- toirement considéré que ... tous les droits visés par un avis d'intention sont ... selon l'opinion du Ministre, requis par la Couronne pour un ouvrage public ou à une autre fin d'intérêt public». Il semble exister deux cas au moins un document réputé être un «avis d'intention» n'est pas visé par l'article 21, savoir:
a) lorsque la Couronne le conteste, et
b) lorsqu'il est démontré qu'il ne s'agit pas d'un «avis d'intention» aux termes de l'article 21 parce qu'en fait le document n'a pas été déposé conformément à l'article 4.
Si la demande déposée pour la Couronne a le sens que, selon moi, lui a reconnu le savant juge de première instance, alors l'«avis d'intention» en l'es- pèce tombe dans les deux catégories susmention- nées. A mon avis, la demande rejetée par le juge- ment dont appel peut donner lieu à l'interprétation qu'en a faite, comme je l'ai dit, le premier juge. L'énumération, par ailleurs inutile, dans la demande
a) d'un achat,
b) d'une rétro-location par l'acquéreur pour une durée déterminée,
c) d'un litige entre le locateur et le locataire quant à savoir si le bail est toujours en vigueur, et
d) d'une expropriation du droit éventuel du locataire,
sans aucune allégation de fait justifiant une prise de possession à une fin d'intérêt public prête le flanc, lorsqu'on lit la demande dans son ensemble, à l'interprétation voulant que le processus de l'ex- propriation ait eu pour seul but de faire trancher rapidement le litige et non de poursuivre une fin d'intérêt public. Bien que l'affaire, à mon avis, soulève un doute, je ne suis pas disposé à dire que la décision du savant juge de première instance était erronée. De fait, je suis porté à croire que l'on ne doit pas donner suite au dossier invoquant la compétence de la Cour pour connaître d'une demande ex parte lorsque cette demande est libel- lée de façon à mettre en cause cette compétence même.
Je n'aurais toutefois pas simplement rejeté la demande puisqu'à mon avis, la Cour aurait permettre à la requérante d'en présenter une autre à partir de nouveaux documents qui , font état d'autres faits plus complets, de manière à ne pas faire échouer une expropriation valide au cas la demande aurait été mal comprise.
Je ne veux pas que ces propos fassent douter de la validité d'une expropriation lorsque celle-ci est exigée à une fin d'intérêt public, mais la question de savoir si la Couronne a un titre incontestable n'est pas claire. Il s'agit, à mon avis, d'une cause justifiée en matière d'expropriation avant que ne soient engagés des fonds publics relativement à l'immeuble.
A mon avis, le jugement dont appel doit être modifié en y ajoutant les mots suivants: «sous réserve du droit de la requérante de présenter une autre demande à partir de nouveaux documents qui font état d'autres faits plus complets». Je suis d'avis de rejeter l'appel sous réserve de cette modification.
* * *
Voici les motifs du jugement prononcés en fran- çais à l'audience par
LE JUGE PRATTE: Ce pourvoi est dirigé contre une décision de la Division de première instance * qui a rejeté une requête présentée ex parte en
* [Non publié—Éd.J
vertu des paragraphes (1) et (2) de l'article 16 de la Loi sur l'expropriation.'
La requête, qui était appuyée de deux affidavits, alléguait des faits que l'on peut facilement résu- mer. Le 29 août 1975, la Commission de la Capi- tale nationale, un mandataire de Sa Majesté, a acheté un immeuble situé à Hull de «Le Motel Fontaine Bleue Inc.» Quelques jours plus tard, la Commission a loué ce même immeuble à la com- pagnie qui le lui avait vendu pour un terme devant expirer le 31 octobre 1978. Ce bail a pris fin le 5 octobre 1977 en conséquence du refus du locataire de reconstruire une partie de l'immeuble loué qui avait été détruite par le feu. Malgré la fin de son bail, «Le Motel Fontaine Bleue Inc.» a continué et continue encore à occuper l'immeuble, prétendant que son bail doit durer jusqu'au 30 avril 1981. Le 9 novembre 1978, le ministre des Travaux publics s'est prévalu des dispositions de la Loi sur l'expro- priation et a fait enregistrer un avis d'intention d'exproprier tous les droits immobiliers rattachés à l'immeuble occupé par «Le Motel Fontaine Bleue Inc.», à l'exception des droits déjà acquis par la Commission de la Capitale nationale. Le 13 novembre 1978, on a enregistré un avis de confir mation de l'intention d'exproprier.
Le dernier paragraphe de la requête affirme que:
Le procureur général du Canada, bien qu'il nie l'existence d'un quelconque droit immobilier en faveur de l'occupant, «Le Motel Fontaine Bleue Inc.», considère opportun que la Cour se
' Le texte de ces dispositions est le suivant:
16. (1) Lorsque le procureur général du Canada, après l'enregistrement d'un avis de confirmation, ne sait pas exac- tement quelles sont les personnes qui avaient un droit réel immobilier afférent à l'immeuble visé par l'avis, ou quelle est la nature ou l'étendue de leur droit, il peut demander au tribunal de rendre une décision sur l'état du titre afférent à l'immeuble ou à une partie de celui-ci immédiatement avant l'enregistrement de l'avis, et de décider qui y avait alors un droit réel immobilier et quelle en était la nature et l'étendue.
(2) Une demande prévue au présent article doit en pre mier lieu être faite ex parte et le tribunal doit fixer les temps et lieu de l'audition des personnes en cause et donner des instructions au sujet.
a) des personnes à qui l'avis de l'audition doit être signifié, du contenu de l'avis et du mode de signification;
b) des documents et renseignements que le procureur général du Canada ou toutes autres personnes doivent soumettre; et
c) des autres questions que le tribunal estime nécessaires.
prononce sur l'existence ou la non-existence, au moment de l'expropriation, d'un quelconque droit immobilier en faveur de «Le Motel Fontaine Bleue Inc.» et, le cas échéant, sur la nature ou l'étendue d'un tel droit.
Le premier juge a rejeté cette requête pour des motifs que sa décision exprime comme suit:
La requérante demande, ex parte, qu'une date d'audition soit fixée afin que cette cour statue, en vertu de l'article 16 de la Loi sur l'expropriation, sur les droits qui pourraient exister entre elle et «Le Motel Fontaine Bleue Inc.», en vertu d'un bail sous seing privé, intervenu entre eux le 4 septembre 1975, affectant un immeuble situé dans la ville de Hull dans la province de Québec.
Il s'agirait lors de l'audition demandée, de déterminer si la location serait maintenant terminée ou si «Le Motel Fontaine Bleue Inc.» jouirait encore d'un droit de location jusqu'au 30 avril 1981. Cette question relève uniquement de principes de droit provincial, c'est-à-dire ceux du Code civil de la province de Québec et ne dépend aucunement d'une loi fédérale. De plus, la Loi sur l'expropriation n'existe pas pour permettre à la Couronne fédérale de se servir de la Cour fédérale pour tran- cher une question relevant d'un contrat intervenu entre elle et une autre partie. Les principes énoncés par la Cour suprême du Canada dans les arrêts McNamara et Quebec North Shore l'interdisent car la question relève uniquement du contrat et non de l'expropriation.
Puisque je suis convaincu que la Cour fédérale ne jouirait d'aucune juridiction dans l'affaire et que la requérante n'aurait aucune chance de réussir dans une requête en vertu de l'article 16 de la Loi sur l'expropriation, la présente requête est refusée.
Si j'interprète cette décision comme affirmant que la requête doit être rejetée pour le seul motif que la question de savoir si le bail de «Le Motel Fontaine Bleue Inc.» a pris fin doit être décidée à la lumière du Code civil québécois, elle me paraît clairement mal fondée. Il est vrai que le problème que la Cour devra résoudre pour déterminer si «Le Motel Fontaine Bleue Inc.» a des droits dans l'im- meuble exproprié en est un qui relève du droit provincial. Mais il en va de même dans tous les cas la Cour est saisie d'une requête en vertu de l'article 16. Il me paraît clair que la Cour peut, dans l'exercice des pouvoirs que lui confère l'arti- cle 16 de la Loi sur l'expropriation, appliquer le droit provincial sans contredire les principes établis par les arrêts McNamara et Quebec North Shore.
Mais, il est fort possible que la décision attaquée ne doive pas recevoir pareille interprétation. Le premier juge a peut-être voulu dire que, en l'es- pèce, il lui semblait que la Couronne n'avait pas exproprié l'immeuble en question parce qu'elle en avait besoin (ce qui est, suivant l'article 4, le seul motif pouvant justifier une expropriation) mais
uniquement pour faire trancher par la Cour fédé- rale (plutôt que par la Cour supérieure du Québec) la question de savoir si le bail de «Le Motel Fontaine Bleue Inc.» avait pris fin.
Même interprétée de cette façon, la décision attaquée me semble mal fondée car, à mon avis, le premier juge devait, en l'espèce, prendre pour acquis que les biens expropriés étaient «requis par la Couronne pour un ouvrage public ou à une autre fin d'intérêt public». La requête, au paragraphe 10, citait le texte de l'avis d'intention d'exproprier dont les premiers mots indiquaient clairement le motif de l'expropriation:
Avis est par les présentes donné que la Commission de la Capitale Nationale a besoin, aux fins d'aménagement et d'em- bellissement, de tous les droits immobiliers .
Rien dans la requête, à mon sens, ne permettait de mettre en doute cette affirmation dont, la véracité ne pouvait être contestée sans ignorer la présomp- tion créée par l'article 21, aux termes duquel,
21. Sauf si la Couronne le conteste,
b) il est péremptoirement considéré que
(i) tous les droits visés par un avis d'intention sont
selon l'opinion du Ministre, requis par la Couronne pour un ouvrage public ou à une autre fin d'intérêt public; .. .
Il est possible que cette présomption ne soit pas, malgré le texte de l'article 21, irréfragable. Mais il m'apparaît certain qu'elle ne peut être ignorée en l'absence de preuve que les biens expropriés n'étaient pas requis par la Couronne pour des fins d'intérêt public.
Pour ces motifs, je ferais droit à l'appel, je casserais le jugement de la Division de première instance et je lui renverrais l'affaire pour qu'elle statue sur la requête de l'appelante conformément à l'article 16(2) de la Loi sur l'expropriation.
* * *
LE JUGE RYAN y a souscrit.
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