Jugements

Informations sur la décision

Contenu de la décision

T-888-75
La Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada (Demanderesse)
c.
Dennis Douglas George Milne et Duncan William Carmichael (Défendeurs)
Division de première instance, le juge Addy— Vancouver, 21 et 22 janvier 1980.
Pratique Production de documents Secret profession- nel Expropriation Requête visant à obliger les défen- deurs à produire le rapport d'évaluation d'un terrain exproprié Rapport d'évaluation demandé peu de temps après la réception de l'avis d'expropriation L'avis d'expropriation ne fait pas état du montant de l'indemnité Comme dans la plupart des affaires d'expropriation réglées à l'amiable, les défendeurs ne peuvent s'appuyer sur la simple déclaration que le rapport a été demandé parce qu'un litige était probable Aucune preuve établissant qu'on pouvait «raisonnablement prévoir fun] litige» ou que le rapport a été demandé principa- lement à cet effet La détermination de la valeur du terrain exproprié était le principal motif du rapport d'évaluation Requête accueillie Règle 455 le la Cour fédérale.
Arrêts suivis: La Compagnie de chemins de fer nationaux du Canada c. McPhail's Equipment Co. Ltd. [1978] 1 C.F. 595; R. c. Hawker Siddeley Canada Ltd. [1977] 2 C.F. 162.
REQUÊTE. AVOCATS:
V. Orchard pour la demanderesse. D. B. Kirkham pour les défendeurs.
PROCUREURS:
Ladner Downs, Vancouver, pour la demande- resse.
Owen, Bird, Vancouver, pour les défendeurs.
Voici les motifs de l'ordonnance rendus en fran- çais par
LE JUGE ADDY: La demanderesse demande que soit rendue une ordonnance en vertu de la Règle
455 des Règles de la Cour fédérale, enjoignant aux défendeurs de produire un rapport d'évalua- tion fait à leur demande relativement à un terrain dont ils étaient propriétaires et qui a été exproprié par la demanderesse.
En bref, les faits sont les suivants:
(1) Les défendeurs sont tous deux avocats;
(2) Leurs terrains ont été expropriés le 5 novembre 1974;
(3) Le jour même, ils ont reçu une lettre les avisant de l'expropriation;
(4) Aucune mention n'a été faite du montant de l'indemnité;
(5) Ni les parties ni leurs représentants n'ont communiqué entre eux avant que le rapport en cause ne soit demandé;
(6) Le rapport de l'évaluation a été demandé peu de temps après le 5 novembre 1974;
(7) Le rapport a été reçu le 4 décembre 1974;
(8) Les défendeurs ont consulté un avocat pour la première fois en mars 1975;
(9) Dans un affidavit daté du 16 janvier 1980, un des défendeurs a déclaré: [TRADUCTION] «Au reçu de la pièce «A» (avis d'expropriation) il m'a immédiatement paru évident que des procé- dures judiciaires pour déterminer le montant de l'indemnité à laquelle nous avions droit étaient probables et, après avoir consulté mon associé, j'ai décidé qu'une évaluation était requise».
Dans l'affaire La Compagnie de chemins de fer nationaux du Canada c. McPhail's Equipment Company Ltd. [1978] 1 C.F. 595, c'était l'expro- priant qui demandait l'exemption de production pour un rapport d'évaluation, mais je ne vois aucune raison pour laquelle les critères énoncés par le juge d'appel Heald aux pages 598 et 599 ne seraient pas applicables à l'exproprié.
C'est évidemment à la personne qui demande l'exemption de production qu'il incombe d'établir le caractère privilégié du document en cause. Cette obligation signifie qu'il doit établir non seulement que le rapport a été obtenu pour être transmis à un avocat dans le but d'obtenir un avis juridique mais également aux fins d'un procès actuel ou envisagé au moment le rapport a été demandé.
Comme le dit le juge d'appel Le Dain dans les motifs du jugement prononcé au nom de la Cour d'appel fédérale dans l'affaire La Reine du chef du Canada c. Hawker Siddeley Canada Ltd. [1977] 2 C.F. 162, la page 166: «Une partie doit rencon- trer nettement les exigences propres à une demande d'exemption de production. Il est de l'in-
térêt de la justice de produire le plus grand nombre de documents ayant directement trait au litige et pouvant jeter de la lumière sur les questions qu'il soulève.*
Dans l'arrêt Hawker Siddeley, il existait déjà un différend entre les parties et celles-ci avaient échangé des lettres relativement à ce différend. Des affidavits ont également été produits en preuve pour démontrer qu'on pouvait déjà prévoir qu'il serait nécessaire d'instituer une action et que si des éléments de preuve ont été recueillis, c'était notamment dans le but de donner des instructions aux conseils juridiques. Malgré tout, la Cour a rejeté l'appel et confirmé la décision du tribunal de première instance ordonnant la production.
Pour ce qui concerne les faits en l'espèce, puis- que, comme dans l'arrêt McPhail's Equipment, la Cour peut prendre connaissance d'office du fait que la plupart des expropriations sont réglées à l'amiable, il ne suffit pas, pour s'acquitter de l'obli- gation de prouver le caractère privilégié, de s'ap- puyer sur une simple déclaration de l'exproprié disant qu'il était d'avis, à cette époque, qu'un litige était «probable». Absolument rien n'indique qu'on pouvait «raisonnablement prévoir [un] litige», ce qui, selon la cause McPhail, doit être établi avant de pouvoir obtenir l'exemption de production. Un simple test subjectif n'est pas suffisant. Il doit y avoir des éléments de preuve probants pour justi- fier la conclusion.
D'après les faits, il semble que vers le 5 novem- bre ou peu après, il ne pouvait y avoir qu'une simple possibilité de litige, une éventualité peu probable et que c'était loin d'être une probabilité.
Le litige était peut-être une éventualité réelle, quoique peu probable, ce qui a donc pu dans une certaine mesure constituer un des motifs pour lesquels le rapport a été demandé, mais, d'après moi, la raison primordiale était simplement d'obte- nir une évaluation à des fins de négociation. Cette dernière raison était certainement le motif princi pal pour lequel un rapport a été demandé immé- diatement après l'expropriation, en supposant qu'il y ait effectivement eu un autre motif. A mon avis, les défendeurs n'ont pas réussi à prouver qu'on pouvait raisonnablement prévoir un litige et que c'est en partie à cause de cela que le rapport a été demandé.
Il est intéressant de noter la modification radi- cale du droit anglais qu'a opérée la décision de la Chambre des Lords dans la cause Waugh c. Brit- ish Railways Board (C.L.) [1979] 3 W.L.R. 150. Dans cet arrêt, il a été décidé à l'unanimité que même si un des motifs pertinents pour lesquels un rapport a été rédigé est de le soumettre à des avocats dans le but d'obtenir un avis juridique parce qu'on peut raisonnablement prévoir un litige, l'exemption de production ne peut être demandée à moins que cela ait été le motif «principal» pour lequel le rapport a été rédigé. Dans ses motifs, auxquels souscrit lord Keith of Kinkel, lord Wil- berforce cite même, en l'approuvant, une décision australienne de 1976, Grant c. Downs 135 C.L.R. 674, il est décidé que le privilège doit être limité aux cas la preuve a été constituée «uniquement» pour être soumise à un avocat dans le but d'obtenir un avis juridique ou de l'utiliser dans des procédu- res judiciaires.
Dans l'arrêt Waugh, la Chambre des Lords a examiné la jurisprudence anglaise antérieure, d'ailleurs suivie par les tribunaux canadiens dans des affaires récentes: Northern Construction Co. c. B.C. Hydro and Power Authority (1970) 75 W.W.R. 21; Vernon c. Board of Education for the Borough of North York [1976] 9 O.R. (2 e ) 613; La Reine du chef du Canada c. Hawker Siddeley Canada Ltd. (supra). Ces décisions reconnais- saient que jusqu'alors le droit anglais tel qu'établi par une jurisprudence des plus constantes, voulait qu'on accueillît les demandes d'exemption de pro duction lorsque, «un des motifs» était d'obtenir un avis juridique ou de donner des instructions à un conseil juridique pour faire face à des procédures judiciaires en cours ou qu'on pouvait raisonnable- ment prévoir. Et toutefois, la Chambre des Lords a décidé que tel n'était plus le droit anglais et a établi fermement le principe du motif «principal».
A mon avis, si l'on considère la tendance des tribunaux au cours des dernières années d'élargir les domaines la divulgation peut être ordonnée, il est fort probable que les cours canadiennes adopteront une règle semblable à l'avenir.
La requête est accueillie avec dépens.
 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.