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A-481-77
Saskatchewan Power Corporation et Many Islands Pipe Lines Ltd. (Appelantes)
c.
TransCanada PipeLines Limited et l'Office natio nal de l'énergie (Intimés)
et
Le procureur général du Canada et le procureur général de la Saskatchewan (Intervenants)
Cour d'appel, le juge en chef Thurlow, le juge Pratte et le juge suppléant Kerr—Ottawa, 1" et 2 avril et 29 mai 1980.
Couronne Appel de la décision par laquelle l'Office national de l'énergie a imposé aux appelantes, pour le gaz acheté à l'intimée, un prix plus élevé que celui prévu dans le contrat La question est de savoir si l'Office a, en vertu de la Loi sur l'Office national de l'énergie, compétence pour modi fier la teneur d'un contrat Il échet d'examiner si les art. 50, 53 et 61 de la Loi sur l'Office national de l'énergie sont ultra vires Loi sur l'Office national de l'énergie, S.R.C. 1970, c. N-6, art. 2, 18(1), 50, 51, 52, 53, 54, 60, 61, modifiée Loi sur l'administration du pétrole, S.C. 1974-75-76, c. 47, art. 63 Acte de l'Amérique du Nord britannique, 1867, 30 & 31 Vict., c. 3 (R.-U.) (S.R.C. 1970, Appendice II, 5J, art. 92(10)a) Règlement sur les prix du gaz naturel, DORS/77-13.
Le présent appel attaque une ordonnance qu'a rendue l'Of- fice national de l'énergie sur demande introduite, conformé- ment aux articles 50 et 53 de la Loi sur l'Office national de l'énergie, par l'intimée TransCanada PipeLines Limited pour l'obtention d'ordonnances établissant des droits justes et raison- nables et suspendant l'application de tous tarifs, taux ou droits existants. Les appelantes font valoir que l'Office a eu tort de fixer le prix du gaz albertain que TransCanada devait leur fournir en vertu d'un contrat prévoyant un prix beaucoup moins élevé. L'avocat des appelantes soutient en premier lieu que la Loi sur l'Office national de l'énergie ne confère pas à l'Office compétence pour modifier les conditions d'un contrat: en l'es- pèce le prix du gaz à livrer en retour par TransCanada, ce prix se distinguant d'un droit à payer pour le transport du gaz. Il fait valoir en second lieu que les articles 50, 53 et 61 de la Loi sont ultra vires du Parlement si on les interprète comme le fondement légal de la compétence de l'Office sur le prix. Le point litigieux porte sur la partie des nouveaux taux et tarifs approuvés par l'Office qui indique le «Prix imputé à la frontière de l'Alberta».
Arrêt: l'appel est rejeté. L'Office ne tient des articles 50 et 53 de la Loi sur l'Office national de l'énergie le pouvoir de fixer le prix de vente du gaz ou d'influer sur celui-ci que dans la mesure il peut forcer le transporteur à exiger les droits de transport prévus par l'Office. Par contre, le fait que les parties aient convenu, dans le contrat, de la vente de gaz à un prix donné sans mentionner que partie du prix représentait un droit de transport, ne peut priver l'Office du pouvoir, qu'il tient de l'article 53, de rejeter le tarif des droits de transport convenu au
contrat lorsqu'il estime qu'un tarif excessivement bas, à plus forte raison négatif, est contraire aux dispositions de la Loi qui exigent que les droits soient justes et raisonnables. Le pouvoir de l'Office relativement au contrat et à l'application de l'article 61 a pris fin avec le rejet du contrat en tant que tarif. L'étendue de la Partie IV de la Loi étant interprétée dans ce sens, il est inutile de statuer sur la prétention voulant que cette Loi soit ultra vires dans la mesure elle autorise l'Office à réglemen- ter le prix de vente du gaz visé au contrat. Quant au «Prix imputé à la frontière de l'Alberta», il ne sert que de renseigne- ment relativement à l'un des éléments d'un prix qui a été ou est sur le point d'être prescrit par le gouverneur en conseil en application de la Loi sur l'administration du pétrole.
Le juge Pratte: L'article 61 de la Loi sur l'Office national de l'énergie autorise clairement l'Office à fixer, dans les circons- tances dont fait état cet article, le prix auquel une compagnie de pipe-line doit vendre du gaz. Pour ce qui est de la validité constitutionnelle de l'article 61, il est clair que ce dernier porte véritablement sur l'exploitation d'une entreprise interprovin- ciale, puisqu'il a été adopté à partir de l'hypothèse que l'une des façons normales de conduire une entreprise telle qu'un pipe-line de gaz consiste pour l'exploitant à transmettre et à vendre son propre gaz.
APPEL. AVOCATS:
G. Henderson, c.r., M. Sychuk, c.r. et Y. Hynna pour les appelantes.
G. D. Finlayson, c.r. et J. H. Francis, c.r. pour TransCanada PipeLines Limited.
T. B. Smith, c.r. et P. G. Griffin pour le procureur général du Canada et l'Office national de l'énergie.
E. Binavince pour le procureur général de la Saskatchewan.
PROCUREURS:
Gowling & Henderson, Ottawa, pour les appelantes.
McCarthy & McCarthy, Toronto, pour TransCanada PipeLines Limited.
Le sous-procureur général du Canada pour le procureur général du Canada.
F. Lamar, c.r., Ottawa, pour l'Office national de l'énergie.
Gowling & Henderson, Ottawa, pour le pro- cureur général de la Saskatchewan.
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par.
LE JUGE EN CHEF THURLOW: Le présent appel, fondé sur le paragraphe 18 (1) de la Loi sur l'Of- fice national de l'énergie, S.R.C. 1970, c. N-6,
modifiée, a été formé à l'encontre de l'ordonnance TG-1-76 rendue le 26 novembre 1976 par l'Office national de l'énergie sur demande introduite par l'intimée TransCanada PipeLines Limited (Trans- Canada). Les appelantes font valoir que l'Office a outrepassé sa compétence en fixant le prix du gaz albertain que TransCanada devait leur fournir en vertu d'un contrat prévoyant un prix beaucoup moins élevé.
Ce contrat, passé en 1969, était l'objet du litige dans l'affaire Saskatchewan Power Corp. c. TransCanada Pipelines Ltd. [1979] 1 R.C.S. 297. En vertu de ce contrat, Saskatchewan Power Cor poration (SPC) s'était engagée à vendre, pendant un certain temps, à des prix variant entre 23.50e et 24.50e le Mp 3 , du gaz à TransCanada. Celle-ci, en retour, s'engageait à lui livrer sur demande, à partir de 1976, pour une certaine période, un volume équivalent de gaz au prix de 23.50e le Mp 3 . Entre 1969 et 1976, le prix du gaz albertain acheté par TransCanada pour livraison à ses clients a brusquement augmenté. En 1975, le Règlement sur les prix du gaz naturel, DORS/75- 630, pris en application de la Loi sur l'administra- tion du pétrole, S.C. 1974-75-76, c. 47, est entré en vigueur, fixant les prix du gaz produit en Alberta et mis sur le marché interprovincial et international.
Presque tout le gaz transporté par le pipe-line de TransCanada appartient à celle-ci, qui l'achète à des fournisseurs dont la plupart se trouvent en Alberta, pour le revendre à des sociétés distributri- ces. La différence entre le prix de vente du gaz et son prix d'achat constitue le revenu brut retiré par TransCanada de l'achat, du transport et de la vente de ce gaz. De petites quantités de gaz n'ap- partenant pas à TransCanada sont transportées par son pipe-line, aux taux fixés par l'Office.
L'Office a rendu son ordonnance en ces termes:
vu une demande présentée par la demanderesse en date du 16e jour de juillet 1976 inter alia pour l'obtention, en vertu des articles 50 et 53 de la Loi sur l'Office national de l'énergie, d'ordonnances qui établiraient les taux ou les droits justes et raisonnables que la demanderesse peut exiger pour le gaz qu'elle vend au Canada et pour les services de transport fournis à la Saskatchewan Power Corporation, à la Greater Winnipeg Gas Company, à la Consolidated Natural Gas Limited et la Gaz Métropolitain, inc. et qui suspendraient l'application en tout ou en partie, de tous taux ou tarifs ou droits existants, qui sont incompatibles avec les taux ou droits justes et raisonnables ainsi établis, à compter du 1" janvier 1977; et pour l'obtention
d'une ordonnance qui approuverait les dispositions particulières relatives au tarif déposées par la demanderesse et supprimerait toute disposition qui existe dans le tarif actuel ou dans des contrats relatifs aux divers services qui sont visés dans ladite demande et sont incompatibles avec les dispositions relatives au tarif ainsi approuvées;
IL EST ORDONNÉ QUE:
1. La demanderesse exige, en ce qui concerne ses ventes de gaz naturel au Canada, son service de transport et son service-T, les tarifs et les droits prescrits à l'Annexe A de la présente ordonnance.
2. Soient approuvées, et elles le sont par les présentes, les modifications du tarif proposées par la demanderesse relative- ment à ses modalités générales, à ses barèmes de taux et à ses contrats de transport, le tout étant exposé plus en détail aux tableaux 1 à 7 inclusivement, sous la rubrique «tarif» de ladite demande, et énoncé dans la pièce justificative 54 déposée au cours de l'audition de ladite demande.
3. Soient rejetées et elles le sont par la présente, les modifica tions du tarif proposées par la demanderesse en ce qui concerne ses barèmes de taux et ses contrats de transport, le tout étant énoncé plus en détail dans la pièce justificative 55 déposée au cours de l'audition de ladite demande.
ET IL EST EN OUTRE ORDONNÉ QUE:
4. La demanderesse dépose sans délai auprès de l'Office et signifie à toutes les parties à l'audition de cette demande les nouveaux tarifs, taux et droits conformes à la présente ordonnance.
5. Nonobstant le dépôt desdits nouveaux tarifs, taux et droits, ceux-ci demeurent suspendus et invalides jusqu'au 1°" janvier 1977.
6. Les dispositions des tarifs, droits et taux de la demande- resse, ou toute partie desdites dispositions, qui sont contraires à toute disposition de la Loi sur l'Office national de l'énergie, ou à toute ordonnance de l'Office, y compris la présente ordon- nance, soient, et elles le sont par les présentes, annulées, cette annulation prenant effet le 31' jour de décembre 1976.
Voici les parties pertinentes de l'annexe A:
ANNEXE A
TRANSCANADA PIPELINES LIMITED
TAUX ET DROITS DES VENTES, TRANSPORT ET SERVICE-T AU CANADA
DATE D'ENTRÉE EN VIGUEUR: Le 1°" janvier 1977.
TRANSPORT TRANSPORT PRIX IMPUTÉ
TAUX TAUX ÀLA
DE LA DE LA FRONTIÈRE DÈTAILS BARÈME DEMANDE MARCHAN- DE
PARTI- DE (S/MPC/ DISE L'ALBERTA
CULIERS TAUX MOIS) (0/MPC) jt/MMBTU1
Services de vente
Zone de la
Saskatchewan CD 0.711 0.975 105.228
Les mots «Transport et Service-T» du titre se rapportent aux droits pour le transport du gaz n'appartenant pas à TransCanada. Ceux-ci et les taux et droits auxquels ils font référence (et que je n'ai pas cités) ne présentent aucun intérêt en l'es- pèce. Les parties Transport, taux de la demande, 0.711 et Transport, taux de la marchandise, 0.975, ne sont pas contestées en l'espèce. Le litige porte sur la partie indiquant «Prix imputé à la frontière de l'Alberta (¢/MMBtu), 105.288».
Dans leur mémoire, les appelantes soutiennent tout d'abord que:
[TRADUCTION] a) La Loi sur l'Office national de l'énergie ne confère pas à l'Office compétence pour modifier les conditions d'un contrat: en l'espèce, le prix que les appelantes devaient, en vertu du contrat, payer à TransCanada pour le gaz qu'elle leur livrait. Ce prix se distingue d'un droit à payer pour le transport du gaz;
b) les articles 50, 53, et 61 de la Loi sur l'Office national de l'énergie sont ultra vires du Parlement du Canada si on les interprète comme le fondement légal de la compétence de l'Office sur le prix stipulé dans le contrat.
Dans son argumentation sur le point a), l'avocat des appelantes, si j'ai bien compris, reconnaît la compétence de l'Office pour la fixation des droits de transport présentés 'comme «Taux de la demande» et «Taux de la marchandise». Il soutient toutefois, que ce qu'on entend par «Prix imputé à la frontière de l'Alberta» ne constitue pas un taux ou droit pour le transport du gaz, mais représente plutôt la valeur du gaz en tant que marchandise et que cet élément est compris dans le prix total auquel le gaz doit être livré par TransCanada aux appelantes. Je souscris à cette thèse. A mon avis, quel que soit le nom qu'on lui donne, il ne s'agit pas, sous cette rubrique, d'un taux ou droit pour le transport du gaz. Il s'agit de la valeur ou du prix, ou d'une partie du prix, à payer pour le gaz.
J'examinerai maintenant l'étendue de la compé- tence de l'Office en vertu de la Partie IV de la Loi sur l'Office national de l'énergie. Cette Partie a pour titre «Mouvement, Droits et Tarifs» et s'appli- que au transport du gaz et du pétrole. Elle com- prend les articles 50, 53 et 61.
A l'époque en cause, le terme «droit» était ainsi défini à l'article 2:
«droit» comprend tout droit, taux ou prix ou tous frais exigés ou établis pour l'expédition, le transport, la transmission, la garde, la manutention ou la livraison d'hydrocarbures, ou pour l'emmagasinage, les surestaries ou choses analogues;
Le terme «tarif» n'était pas défini. Dans le con- texte de la Partie IV, à mon avis, ce mot est pris dans son sens ordinaire et désigne simplement une liste de droits ou taux. Dans certains contextes, il peut désigner un droit ou taux, mais il n'a pas ce sens dans la Partie IV. Celle-ci parle de droits et de taux et, à mon avis, le mot «tarif» ne doit s'y entendre que d'une liste de droits ou taux.
Voici le texte des articles 50 54 inclusivement et 61:
50. L'Office peut rendre des ordonnances sur tous les sujets relatifs au mouvement, aux droits ou tarifs.
51. (1) Une compagnie ne doit pas imposer de droits, sauf les droits que spécifie un tarif produit auprès de l'Office et en vigueur.
(2) Si le gaz que transmet une compagnie par son pipe-line lui appartient, elle doit, lors de l'établissement de tous les contrats de vente de gaz qu'elle peut conclure et des modifica tions y apportées à l'occasion, en fournir copie conforme à l'Office, et les copies conformes ainsi fournies sont censées, aux fins de la présente Partie, constituer un tarif produit en confor- mité du paragraphe (1).
52. Tous les droits doivent être justes et raisonnables, et ils doivent toujours, dans des circonstances et conditions fonda- mentalement semblables, à l'égard de tout le mouvement d'une même nature opéré sur le même parcours, être imposés égale- ment à toutes personnes, au même taux.
53. L'Office peut rejeter tout tarif ou une partie d'un tarif qu'il estime contraire à une disposition quelconque de la pré- sente loi ou à une ordonnance de l'Office, et il peut exiger qu'une, compagnie y substitue, dans un délai prescrit, un tarif qu'il juge satisfaisant, ou il peut prescrire d'autres tarifs au lieu du tarif ainsi rejeté en totalité ou en partie.
54. L'Office peut suspendre l'application de tout tarif ou de toute partie de tarif avant ou après l'entrée en vigueur de ce dernier.
61. Si le gaz que transmet une compagnie, par son pipe-line, appartient à la compagnie, la différence entre ce qu'il en coûte à la compagnie pour le gaz au point celui-ci pénètre dans son pipe-line et le montant pour lequel la compagnie vend le gaz, est réputée, aux fins de la présente Partie, un droit imposé par la compagnie, à l'acheteur, pour la transmission de ce gaz.
A mon avis, ces dispositions portent entièrement sur les taux ou droits que fait payer un transpor- teur pour le transport du pétrole et du gaz. Ces taux et droits sont imposés pour le transport du gaz et du pétrole sur le marché international et interprovincial et, en application des articles 50 et 53, l'Office est autorisé à les fixer. C'est, à mon avis, ce qui se dégage d'une lecture attentive de l'ensemble de la Loi et, en particulier, de la Partie
IV. Rien n'exige que le prix de vente du gaz ou du pétrole soit juste et raisonnable ou le même pour tous. L'Office ne tient de ces dispositions le pou- voir de fixer le prix de vente du pétrole ou du gaz ou d'influer sur celui-ci que dans la mesure il peut forcer le transporteur à exiger les droits de transport prévus par l'Office. Par contre, le fait que les parties aient convenu, dans le contrat, de la vente de gaz à un prix à payer au point de livraison sans y mentionner que partie du prix représentait un droit de transport, ne peut priver l'Office du pouvoir incontestable qu'il tient de l'article 53 de rejeter le tarif des droits de transport contenu dans le contrat, d'exiger que le transporteur y substitue un tarif qu'il juge satisfaisant et de fixer, en remplacement de celui qui a été rejeté, un tarif des droits pour le transport du gaz qui fait l'objet du contrat.
En l'espèce, le contrat ne stipule nullement qu'une partie du prix de 23.50¢ par Mp 3 constitue un droit pour le transport du gaz, et il ressort du dossier soumis à l'Office que ce qu'il en coûte à TransCanada pour le gaz dépasse de beaucoup le prix de 23.50¢ le Mp 3 . Il résulte de l'application de l'article 61 que le droit à imposer est égal à zéro. A mon avis, l'Office avait le pouvoir, en vertu de l'article 53, de rejeter le contrat en tant que tarif des droits et de n'en pas tenir compte dès lors qu'il estimait que ce tarif était contraire aux disposi tions de la Loi qui exige que les droits soient justes et raisonnables et qu'ils soient toujours, dans des circonstances et conditions fondamentalement semblables, à l'égard de tout le mouvement opéré sur le même parcours, imposés également à toutes personnes, au même taux.
L'Office avait aussi compétence pour fixer les droits appropriés pour le transport du gaz visé dans le contrat et exiger que le transporteur sou- mette un tarif qu'il juge satisfaisant.
Toutefois, à mon avis, le pouvoir de l'Office relativement au contrat et à l'application de l'arti- cle 61 ont pris fin avec le rejet du contrat en tant que tarif. Le contrat avait été déposé en applica tion du paragraphe 51(2). Les copies du contrat
ainsi fournies furent considérées comme un tarif. Comme le contrat ne se voulait pas un tarif et ne fixait pas de droits pour le transport du gaz, l'article 61 s'appliqua. Mais il résulta de cette application que rien ne pouvait être considéré comme un droit. L'Office rejeta donc le contrat en tant que tarif et fixa ce qu'il estimait des droits appropriés. Selon mon interprétation, rien dans la Loi n'autorisait l'Office à modifier davantage le contrat. Du reste, aucune autre disposition de la Loi n'a pour effet de modifier ce dernier. De plus, l'article 61 ne saurait être interprété comme per- mettant à l'Office d'utiliser les pouvoirs que lui accorde l'article 50 de rendre des ordonnances relatives aux tarifs et aux droits pour exiger que soit imposé pour le gaz vendu par TransCanada, un prix qui serait assez élevé pour recouvrer le coût d'achat du gaz plus les droits de transport, de sorte que la différence entre le prix de vente et le prix d'achat du gaz puisse être réputée un droit. Quoi qu'il en soit, le prix imputé à la frontière de l'Alberta n'est pas, selon moi, ce qu'il en coûte à TransCanada PipeLines pour le gaz au point celui-ci pénètre dans son pipe-line, au sens de l'article 61. Il s'agit plutôt d'un chiffre obtenu en appliquant une formule mathématique conçue pour les fins du Règlement sur les prix du gaz naturel.
L'étendue de la Partie IV de la Loi sur l'Office national de l'énergie étant interprétée dans ce sens, il est inutile de statuer sur la prétention voulant que cette Loi soit ultra vires dans la mesure elle autorise l'Office à réglementer le prix de vente du gaz visé au contrat.
Ce qui m'amène à la question de savoir quelle était l'intention de l'Office lorsqu'il a inclus dans l'annexe A un «Prix imputé à la frontière de l'Alberta» figurant sur la même ligne que les droits de transport qu'il a fixés. S'il a voulu par fixer le prix de vente du gaz, l'Office a, je crois, outrepassé la compétence que la Loi sur l'Office national de l'énergie lui confère et pris une décision qui ne saurait figurer dans une ordonnance qui se veut rendue en application de cette Loi. Dans ce cas, on devrait le rayer de l'annexe.
Mais on ne doit pas affirmer à la légère que l'Office a outrepassé les pouvoirs qu'il tient de sa loi constitutive et, dans toute la mesure du possi ble, l'ordonnance de l'Office devrait être interpré-
tée de façon à ce qu'elle soit conforme à ses pouvoirs.
Dans ses motifs, après avoir examiné les faits et les prétentions de l'appelante et mentionné que l'application de l'article 61 aboutissait à ce qu'il qualifiait de droit de transport négatif, l'Office s'est exprimé en ces termes:
En conséquence, l'Office conclut que, dans la vente de gaz à la SPC en vertu du contrat, il n'existe pas de circonstances et de conditions fondamentalement différentes qui justifieraient une dérogation aux exigences réglementaires d'égalité des droits applicables au réseau de gazoducs de la TransCanada. En outre, toujours selon l'Office, un droit de transport trop bas, même s'il n'est pas négatif, n'est pas plus juste et raisonnable qu'un droit excessivement élevé. En ce qui a trait aux argu ments avancés à l'égard de cette transaction, l'Office conclut qu'un droit de transport négatif de quelque 81.98 cents le Mpc ne serait pas juste et raisonnable comme l'exige l'article 52 de la Loi.
Vu les divers facteurs examinés dans les précédentes parties des présents motifs, l'Office conclut que le droit de transport juste et raisonnable relatif au gaz qui doit être vendu à la SPC au cours de l'année de référence en vertu du contrat est le taux CD de la zone de la Saskatchewan tel qu'établi à l'Annexe A de l'ordonnance TG-1-76, lequel taux est applicable à toutes les quantités de gaz vendues par la TransCanada à la SPC dans la zone de la Saskatchewan. [C'est moi qui souligne.]
A mon avis, l'Office estime dans ce passage que le droit de transport juste et raisonnable relative- ment au gaz est le taux CD de la zone de la Saskatchewan établi à l'annexe A de l'ordonnance. Qu'on ait entendu ou non y inclure le «Prix imputé à la frontière de l'Alberta», la partie de l'ordon- nance qui prévoit expressément des droits à impo- ser est le paragraphe 1. Il est utile de le citer de nouveau:
1. La demanderesse exige, en ce qui concerne ses ventes de gaz naturel au Canada, son service de transport et son service-T, les tarifs et les droits prescrits à l'Annexe A de la présente ordonnance. [C'est moi qui souligne.]
Les taux et droits prescrits dans l'annexe A relativement au gaz vendu par la demanderesse TransCanada sont ceux qui apparaissent sous l'in- titulé. Puisque seulement deux des chiffres donnés sont des taux et droits pour le transport du gaz, comme les titres le montrent clairement, et puisque le titre situé au-dessus de l'autre chiffre n'indique pas qu'il s'agit d'un prix de transport, ou même d'un taux ou d'un droit, je suis d'avis que la troisième colonne n'est pas visée et prescrite par l'ordonnance et que celle-ci n'établit que les taux et droits figurant sous les titres «Transport, taux de la demande» et «Transport, taux de la marchan-
dise». A mon avis, les chiffres figurant à la colonne intitulée «Prix imputé à la frontière de l'Alberta» ne servent que de renseignement relativement à l'un des éléments d'un prix qui a été ou est sur le point d'être prescrit', non pas par l'Office par l'ordonnance dont il est fait appel, ni par toute autre ordonnance de l'Office, mais par le gouver- neur en conseil en application de la Loi sur l'ad- ministration du pétrole (quoique, dans une cer- taine mesure, ce dernier agisse avec l'assistance et sur les recommandations de l'Office). La validité de ce qui a été prescrit en vertu de ladite Loi n'est pas contestée en l'espèce et n'a pas à être examinée.
De plus, à l'examen des éléments mentionnés au paragraphe 2 de l'ordonnance, je ne trouve rien qui soit incompatible avec cette interprétation. En vertu du paragraphe 2, les modifications du tarif proposées par la demanderesse sont approuvées et en application du paragraphe 4, TransCanada doit déposer de nouveaux tarifs, taux et droits confor- mes à l'ordonnance. A mon avis, cela oblige Trans- Canada à déposer un nouveau tarif comprenant un paragraphe conçu comme suit:
3. TAUX
3.1 Les taux et les barèmes de taux applicables aux services de vente dans chaque zone sont:
TRANSPORT
Prix imputé
Barème à la Taux de la Taux de Demande
de taux frontière marchan- la demande quotidienne
applicable de l'Alberta dise $/Mpc/ Taux par
et zone t/MMBtu ¢/Mpc Mois MPC
CD-S—Zone de la Sask. CD-M—Zone du Manitoba
CD-W—Zone de l'Ouest CD-N—Zone du Nord CD - E — Zone de l'Est
Toutefois, cela ne peut, selon moi, changer ce qui est de par sa nature un prix en un taux ou droit de transport. Je ne pense d'ailleurs pas que ce soit l'objet de l'ordonnance. Il ne s'agit pas d'un cas le prix comprend la valeur de la marchandise et les frais de son transport. Dans ce tarif les diffé- rents éléments sont définis comme étant le «Prix
' Voir le décret C.P. 1976-3122 [DORS/77-13] pris le 16 décembre 1976 et entré en vigueur le 1" janvier 1977.
imputé à la frontière de l'Alberta» et les différents taux de transport pour chaque zone. De toute évidence, le «Prix imputé à la frontière de l'Al- berta» ne constitue ni un taux ni un droit de transport et sa présence dans le tarif à déposer n'a pas plus de conséquences qu'au paragraphe 1 de l'ordonnance.
Dans cette optique, on ne trouve rien d'irrégulier dans l'ordonnance. Le maintien ou la suppression des chiffres en question ne changerait rien. Toute- fois, pour rendre plus claires la nature et l'étendue de l'ordonnance, je modifierais le paragraphe 1 en ajoutant après le mot «droits», à la troisième ligne, les mots «de transport», et le paragraphe 4 en ajoutant après le mot «droits», à la troisième ligne, les mots «de transport». Ces modifications faites, je rejetterais l'appel.
Compte tenu de la Règle 1312, il n'y aura pas lieu de statuer sur les dépens.
* * *
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
LE JUGE PRATTE: J'ai pris connaissance des motifs prononcés par le juge en chef. Je ne saurais me rallier à son opinion sur les pouvoirs de l'Office national de l'énergie et sur la portée de l'ordon- nance dont il est fait appel.
Si j'ai bien compris, l'Office a, par cette ordon- nance, statué que les appelantes devaient payer pour le gaz qu'elles avaient, par un contrat passé le ler novembre 1969, acheté à TransCanada Pipe - Lines Limited pour livraison en 1977, un prix de beaucoup supérieur à celui de 23.5 cents le Mp 3 convenu dans ledit contrat. Les appelantes contes- tent le pouvoir de l'Office de rendre cette ordon- nance qui a, d'après elles, pour effet de modifier la teneur du contrat du ler novembre 1969.
Le contrat du ler novembre 1969 passé entre les appelantes et TransCanada était un contrat de fourniture de gaz à long terme d'une durée de douze ans se terminant le 31 octobre 1981. Il stipulait que, du 1e. novembre 1975 jusqu'à son expiration, les appelantes avaient la faculté d'ache- ter à TransCanada certaines quantités de gaz au
prix de 23.5 cents le Mp 3 . Ce gaz devait être livré au principal pipe-line de TransCanada, en un lieu situé près de Success en Saskatchewan. Les appe- lantes se sont prévalues de cette option et ont avisé par écrit TransCanada des quantités de gaz qu'el- les désiraient acheter durant les années du contrat commençant le 1e. novembre 1976 et le ler novem- bre 1977. En application du paragraphe 51(2) de la Loi sur l'Office national de l'énergie, TransCa- nada transmit à l'Office ces avis écrits ainsi que le contrat du 1" novembre 1969. Le 15 juillet 1976, TransCanada saisit l'Office national de l'énergie de la requête qui a donné lieu à l'ordonnance en litige. Il s'agissait d'une requête introduite en application des articles 50 et 53 de la Loi sur l'Office national de l'énergie et tendant à l'obten- tion d'ordonnances qui, entre autres, [TRADUC- TION] «établiraient les taux ou les droits justes et raisonnables que la demanderesse peut exiger pour le gaz qu'elle vend au Canada ... et qui suspen- draient l'application en tout ou en partie, de tous tarifs ou taux ou droits existants, qui sont incom patibles avec les taux ou droits justes et raisonna- bles ainsi établis, à compter du 1er janvier 1977». Dans cette requête, après avoir fait état du contrat du 1" novembre 1969 et du fait que les appelantes avaient levé leur option, TransCanada demanda expressément [TRADUCTION] «le rejet des prix de vente établis dans ledit contrat et leur remplace- ment par le taux CD de la zone de la Saskatche- wan qui est proposé dans la présente demande».
Sur cette requête, l'Office constata que:
a) le gaz acheté par les appelantes serait trans porté, par le pipe-line de TransCanada, d'Al- berta à son point de livraison, près de Success, en Saskatchewan;
b) ce qu'il en coûtait à TransCanada pour le gaz à la frontière de l'Alberta était le «prix imputé à la frontière de l'Alberta» de 105.228¢/MMBtu;
c) aux termes du contrat du 1e. novembre 1969, TransCanada devait vendre et livrer ce gaz aux appelantes pour un prix considérablement infé- rieur au «prix imputé à la frontière de l'Alberta»;
d) rien ne justifiait que les appelantes ne payent pas pour le gaz acheté à TransCanada le prix applicable en Saskatchewan à d'autres person- nes, qui devaient payer le taux CD de la zone de la Saskatchewan, lequel taux comprenait, en
plus du prix imputé à l'Alberta, des frais de transport raisonnables.
Si je comprends bien, l'avocat des appelantes, M. Henderson, ne conteste aucune de ces constata- tions. Il attaque simplement la conclusion que l'Office tire de ces constatations, savoir que les appelantes doivent payer le taux CD de la zone de la Saskatchewan pour le gaz acheté conformément au contrat du 1e" novembre 1969. Il fonde sa prétention sur deux moyens. Premièrement, la Loi sur l'Office national de l'énergie n'autorise pas, selon lui, l'Office à modifier la teneur d'un contrat de vente de gaz et, deuxièmement, si l'on devait interpréter cette Loi comme conférant un tel pou- voir à l'Office, celle-ci serait inconstitutionnelle et ultra vires du Parlement du Canada.
Les parties pertinentes de la Loi sur l'Office national de l'énergie se trouvent à la Partie IV de la Loi, sous les intitulés «MOUVEMENT, DROITS ET TARIFS». Bien entendu, on doit les interpréter à la lumière des définitions de l'article 2:
2. Dans la présente loi
«Office» désigne l'Office national de l'énergie; «compagnie» comprend
a) une personne ayant l'autorité sous une loi spéciale de construire ou d'exploiter un pipe-line, et
b) une personne morale dont l'existence est continuée en tant que corporation sous l'autorité de la Loi sur les corporations commerciales canadiennes, qui n'a pas été discontinuée con- formément à cette loi;
«pipe-line» signifie une canalisation pour la transmission du gaz ou du pétrole, reliant une province à une autre ou à d'autres provinces, ou s'étendant au-delà des limites d'une province
«droit» comprend tout droit, taux ou prix ou tous frais exigés ou établis pour l'expédition, le transport, la transmission, la garde, la manutention ou la livraison d'hydrocarbures, ou pour l'emmagasinage, les surestaries ou choses analogues;
La plupart des dispositions de la Partie IV de la Loi s'appliquent aux compagnies s'occupant du transport du pétrole ou du gaz par pipe-line. Les plus importantes de ces dispositions sont ainsi conçues:
50. L'Office peut rendre des ordonnances sur tous les sujets relatifs au mouvement, aux droits ou tarifs.
51. (1) Une compagnie ne doit pas imposer de droits, sauf les droits que spécifie un tarif produit auprès de l'Office et en vigueur.
52. Tous les droits doivent être justes et raisonnables, et ils doivent toujours, dans des circonstances et conditions fonda- mentalement semblables, à l'égard de tout le mouvement d'une même nature opéré sur le même parcours, être imposés égale- ment à toutes personnes, au même taux.
53. L'Office peut rejeter tout tarif ou une partie d'un tarif qu'il estime contraire à une disposition quelconque de la pré- sente loi ou à une ordonnance de l'Office, et il peut exiger qu'une compagnie y substitue, dans un délai prescrit, un tarif qu'il juge satisfaisant, ou il peut prescrire d'autres tarifs au lieu du tarif ainsi rejeté en totalité ou en partie.
54. L'Office peut suspendre l'application de tout tarif ou de toute partie de tarif avant ou après l'entrée en vigueur de ce dernier.
55. Une compagnie ne doit faire, à l'égard d'une personne ou d'une localité, aucune différenciation injuste dans les droits, le service ou les aménagements.
Toutefois, il existe dans la Partie IV trois dispo sitions qui s'appliquent uniquement aux compa- gnies de transport de gaz par pipe-line. Ce sont les articles 60 et 61 et le paragraphe 51(2):
51....
(2) Si le gaz que transmet une compagnie par son pipe-line lui appartient, elle doit, lors de l'établissement de tous les contrats de vente de gaz qu'elle peut conclure et des modifica tions y apportées à l'occasion, en fournir copie conforme à l'Office, et les copies conformes ainsi fournies sont censées, aux fins de la présente Partie, constituer un tarif produit en confor- mité du paragraphe (1).
60. Lorsque l'Office juge une telle action nécessaire ou désirable dans l'intérêt public, il peut ordonner à une compa- gnie exploitant un pipe-line pour la transmission du gaz d'éten- dre ou améliorer ses moyens de transmission, en vue de faciliter le raccordement de son pipe-line à tous aménagements établis par une personne ou municipalité quelconque pratiquant, ou légalement autorisée à pratiquer, la distribution locale du gaz au public, et de vendre du gaz à ladite personne ou municipalité et, pour ces objets, de construire des canalisations secondaires jusqu'aux agglomérations immédiatement adjacentes à son pipe-line, si l'Office estime qu'il n'en résultera, pour la compa- gnie, aucun fardeau injustifié. Cependant, l'Office n'a nulle- ment le pouvoir de forcer une compagnie à vendre du gaz à des clients additionnels lorsque le fait d'agir ainsi diminuerait sa capacité de fournir un service suffisant à ses clients déjà inscrits.
61. Si le gaz que transmet une compagnie, par son pipe-line, appartient à la compagnie, la différence entre ce qu'il en coûte à la compagnie pour le gaz au point celui-ci pénètre dans son pipe-line et le montant pour lequel la compagnie vend le gaz, est réputée, aux fins de la présente Partie, un droit imposé par la compagnie, à l'acheteur, pour la transmission de ce gaz.
Selon moi, ces dispositions ont été prises dans l'idée que le fonctionnement des pipe-lines de gaz ne pouvait se faire normalement que de deux façons. Tout d'abord, une compagnie de transport de gaz par pipe-line peut agir tout simplement comme transporteur et recevoir à ce titre une rémunération pour le transport des marchandises de ses clients. C'est la méthode de fonctionnement visée aux dispositions de la Partie IV qui s'appli- quent à la fois au transport de gaz et de pétrole par pipe-line. Le paragraphe 51(2) et les articles 60 et 61 font mention de la deuxième méthode de fonc- tionnement, selon laquelle une compagnie de trans port de gaz par pipe-line s'occupe de la transmis sion et de la vente de son propre gaz. Dans ce cas, l'article 61 porte que:
... la différence entre ce qu'il en coûte à la compagnie pour le gaz au point celui-ci pénètre dans son pipe-line et le montant pour lequel la compagnie vend le gaz, est réputée, aux lins de la présente Partie, un droit imposé par la compagnie, à l'acheteur, pour la transmission de ce gaz.
Cet article, qui considère la «différence» comme étant un droit imposé pour la transmission du gaz, a pour conséquence de conférer à l'Office les mêmes pouvoirs relativement à cette différence que ceux dont il est investi relativement aux sim- ples droits de transport. Puisque l'Office peut reje- ter un tarif prévoyant des droits déraisonnables et fixer les droits qu'il estime justes et raisonnables, il peut, de la même manière, rejeter un contrat de vente de gaz passé par une compagnie de pipe-line et établir la «différence» qui doit exister entre ce qu'il en coûte à la compagnie pour le gaz et le prix de vente de celui-ci.
Puisque j'interprète ainsi l'article 61, je suis forcé de conclure que, de toute évidence, cet article autorise l'Office à fixer, dans les circonstances dont fait état l'article 61, le prix auquel une com- pagnie de pipe-line doit vendre du gaz. C'est pour cette raison que je trouve mal fondée la première prétention des appelantes, selon laquelle l'Office aurait outrepassé les pouvoirs que la Loi lui a conférés en rendant l'ordonnance en question.
La seconde prétention des appelantes porte sur la validité constitutionnelle de l'article 61 de la Loi sur l'Office national de l'énergie. Elles soutiennent en effet que si cet article confère à l'Office le pouvoir de modifier le prix stipulé dans un contrat de vente de gaz, il s'agit d'une disposition législa- tive qui touche à la propriété et aux droits civils et
qui donc ne relève pas de la compétence du Parle- ment fédéral.
Pour réfuter cette prétention, il faut tout d'abord souligner que la compétence législative des législatures provinciales sur le domaine de la pro- priété et des droits civils n'est pas exclusive et ne s'étend pas à toutes les questions comprises dans ce domaine. Le Parlement a aussi le droit de légiférer en la matière dans tous les cas l'article 91 ou l'alinéa 92(10)a) de l'Acte de l'Amérique du Nord britannique, 1867 [S.R.C. 1970, Appendice II, 5] l'autorise à le faire. En vertu de l'alinéa 92(10)a), le Parlement a compétence législative sur les entreprises interprovinciales telles que celles de transmission du gaz et du pétrole par pipe-line auxquelles s'applique la Loi sur l'Office national de l'énergie. Il est incontestable que, dans l'exer- cice de cette compétence, le Parlement est habilité à réglementer les taux de transport à imposer par les exploitants de pipe-line et à annuler les contrats de transport stipulant des taux qui s'écartent de ceux fixés en conformité du barème approuvé par le Parlement. Mais qu'il s'agisse d'un contrat de transport ou d'un contrat de vente, la fixation de leurs conditions touche au domaine de la propriété et des droits civils. Rien de sacro-saint dans un contrat de vente ne le rendrait moins sujet au contrôle fédéral que les autres types de contrats. A mon avis, la seule question à trancher en l'espèce est celle de savoir si l'article 61, qui assujettit dans certains cas les contrats de vente de gaz au pouvoir réglementaire de l'Office, porte véritablement sur l'exploitation d'une entreprise interprovinciale. Il ne fait aucun doute dans mon esprit qu'il porte sur un tel sujet, puisque l'article 61 a été adopté à partir de l'hypothèse, hypothèse à mon avis fondée, que l'une des façons normales de conduire une entreprise telle qu'un pipe-line de gaz consiste pour l'exploitant à transmettre et à vendre son propre gaz 2 .
Par ces motifs, je rejetterais l'appel.
* * *
2 Le juge Gibson a exprimé une opinion identique dans l'affaire Northern and Central Gas Corp. c. L'Office national de l'énergie [1971] C. F. 149.
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
LE JUGE SUPPLÉANT KERR: Les faits et les points litigieux de la cause sont exposés dans les motifs du juge en chef, dont j'ai pris connaissance.
L'Office national de l'énergie (ci-après appelé «l'Office») a été constitué par voie législative et, d'après les principes, sa compétence est celle que prévoit expressément la loi ou qui est une suite nécessaire de cette dernière. L'article 63 de la Loi sur l'administration du pétrole est ainsi conçu:
63. En cas de conflit entre un prix imposé en vertu de la présente Partie et un prix fixé en vertu de la Partie IV de la Loi sur l'Office national de l'énergie, le prix imposé en vertu de la présente loi l'emporte.
Cet article n'est pas attributif de compétence, mais il est possible d'en déduire que l'Office a, en vertu de la Partie IV de la Loi sur l'Office natio nal de l'énergie, le pouvoir de fixer le cas échéant un prix de vente du gaz, accessoirement à l'exer- cice de son pouvoir de réglementation des droits.
Dans l'arrêt Saskatchewan Power Corp. c. TransCanada Pipelines Ltd. [1979] 1 R.C.S. 297, à la page 309, la Cour suprême du Canada fait état de l'annexe suivante aux motifs de la décision de l'Office (ce sont les mêmes motifs dont la Cour est saisie dans le présent appel):
Suite au dépôt de la présente demande auprès de l'Office, le Gouverneur en conseil a fixé le prix de vente maximal du gaz naturel produit dans la province d'Alberta qui sera livré dans d'autres régions ou zones du Canada, ailleurs qu'en Alberta, en vertu de l'article 51(1) de la Loi sur l'administration du pétrole. Par le décret en conseil C.P. 1975-2533, modifié par le décret C.P. 1975-2731, le Gouverneur en Conseil a fixé le prix maximal applicable, notamment, aux ventes de gaz naturel de l'Alberta effectuées par la TransCanada en Saskatchewan. L'Office juge que le prix stipulé dans le contrat du ler novem- bre 1969, en dehors du fait qu'il est subordonné au règlement de la Partie VI [sic] de la Loi sur l'Office national de l'énergie, est subordonné aux prix prescrits en vertu de la Loi sur l'administration du pétrole.
Par une autre modification apportée au Règle- ment sur les prix du gaz naturel le 16 décembre 1976, le gouverneur général en conseil a fixé le prix de vente du gaz par TransCanada, notamment par le service CD dans la zone de la Saskatche- wan, à compter du ler janvier 1977. Le prix ainsi établi comprend:
Prix attribué au gaz à la frontière
de l'Alberta 105.228¢/MMBtu
Taux de la demande de transport $ .71I /Mpc/Mois
Taux commercial de transport .975¢/Mpc (C.P. 1976-3122 DORS/77-13)
L'Office déclare à la page 2-2 des motifs de sa décision:
Aux termes de l'entente intervenue le 23 juin 1976 entre le gouvernement fédéral et le gouvernement de l'Alberta, le prix du gaz albertain vendu dans la zone est de la TransCanada augmentera de $1.405 à $1.505/MM Btu à partir du 1°" janvier 1977 pour le service CD lorsque le coefficient d'utilisation est de 100 pour cent.
Il ajoute à la page 7-13:
... Le gaz de l'Alberta, en vertu du barème de fixation des prix du gaz établi conformément à la partie III de la Loi sur l'administration du pétrole, pénètre dans le réseau de la Trans- Canada à la frontière de l'Alberta à un coût pour la TransCa- nada de 105.228 cents par million de BTU, comme il est indiqué à la page 2-2 des présents motifs.
De toute évidence, l'Office a tenu compte des dispositions de la Loi sur l'administration du pétrole et des prix établis conformément à cette Loi.
Les prix indiqués dans l'ordonnance TG-1-76 de l'Office, qui fait l'objet du présent appel, sont identiques à ceux prescrits par ledit C.P. 1976- 3122 et prennent effet le même jour, soit le P' janvier 1977.
L'Office en est manifestement arrivé à la con clusion que le prix stipulé dans le contrat du P r novembre 1969 de TransCanada était assujetti à ceux établis conformément à la Loi sur l'adminis- tration du pétrole.
A mon avis, on peut raisonnablement déduire des motifs de l'Office et des documents de la cause que l'Office a estimé, étant donné cette conclusion, à l'exception de celle voulant que le prix soit soumis au règlement édicté en application de la Partie IV de la Loi sur l'Office national de l'éner- gie, que les prix prescrits par ledit C.P. 1976-3122 devaient être inclus dans les nouveaux tarifs, droits et taux à imposer et à déposer conformément à ladite ordonnance.
Je suis persuadé que l'Office tient de la Partie IV de la Loi sur l'Office national de l'énergie le pouvoir d'exiger et, le cas échéant, de fixer dans
l'intérêt public, pour la transmission du gaz dont il est question dans le présent appel, les droits qu'il estime justes et raisonnables et qui ne sont pas discriminatoires. Je pense aussi que pour détermi- ner ces droits (d'après la méthode, coût du service, taux de base, calcul du taux de rendement appli- quée par l'Office, et qui selon lui est juste envers les bénéficiaires du service et permet à l'entreprise qui fournit ce dernier d'avoir un rendement accep table dans un avenir prévisible), l'Office doit pren- dre en considération beaucoup de facteurs, dont le coût du service, qui englobe le coût du gaz appar- tenant à l'entreprise.
Que l'Office ait ou non, en vertu de ladite Partie IV, le pouvoir de fixer lui-même le prix de vente du gaz, je pense que lorsque le prix de vente est autrement et définitivement fixé et s'impose à l'Office, à l'entreprise et aux utilisateurs des ins tallations et services de l'entreprise, l'Office n'a pas l'occasion de prescrire un prix de vente. A mon avis, l'Office a en l'espèce accepté et utilisé les prix prescrits conformément à la Loi sur l'administra- tion du pétrole parce qu'il estimait qu'il s'agissait de prix imposés par la loi. Cette opinion est à mon avis bien fondée et, partant, je n'hésiterai pas à affirmer que, dans l'exercice de ses pouvoirs administratifs et réglementaires, l'Office pouvait ordonner que les prix soient inclus dans les nou- veaux tarifs à déposer. La somme de ces prix et de ces droits de transmission constituait le revenu que, selon l'Office, TransCanada devait être auto- risée à tirer de l'exploitation de son pipe-line. La loi ne précise pas quelle ordonnance doit être rendue ni quelle ordonnance il convient de rendre dans un cas donné.
Bref, vu la conséquence finale de l'ordonnance de l'Office, je suis d'avis que les éléments de la cause ne permettent pas à la Cour d'infirmer, comme le voudraient les appelantes, l'ordonnance de l'Office.
Par ces motifs, je rejetterais l'appel.
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