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A-430-79
La Reine (Appelante) (Défenderesse) c.
Manitoba Fisheries Limited (Intimée) (Demande- resse)
Cour d'appel, les juges Pratte et Heald et le juge suppléant Maguire—Winnipeg, 30 novembre 1979; Ottawa, 29 janvier 1980.
Pratique Dépens Requête fondée sur la Règle 344(7) en vue de la majoration des frais taxés selon le tarif B Cause-précédent Affaires parallèles n'ayant pas de rapport avec l'action L'appel relatif à l'ordonnance de majoration des dépens doit-il être accueilli? Règle 344(7) de la Cour fédérale.
Il s'agit d'un appel interjeté contre la décision de la Division de première instance faisant droit à une requête de l'intimée présentée en vertu de la Règle 344(7) «pour une ordonnance portant majoration des frais taxés selon le tarif dans la présente affaire. En 1975, l'intimée a intenté une action en vue d'obtenir une déclaration établissant qu'elle avait le droit d'être indemnisée pour la perte de son entreprise et de son achalan- dage. Sept autres compagnies ont intenté des actions sembla- bles contre l'appelante mais seule l'action de l'intimée a été instruite. La Division de première instance de la Cour fédérale et la Cour d'appel fédérale ont rejeté l'action mais la Cour suprême du Canada a infirmé ces arrêts, prononcé le jugement déclaratoire demandé et ordonné le paiement à l'intimée de «ses dépens dans toutes les cours». A la suite de cet arrêt, l'intimée a présenté la requête qui a été accueillie par la décision attaquée.
Arrêt (le juge Pratte dissident): l'appel est rejeté.
Le juge Heald: L'un des principaux motifs sur lesquels se fonde le juge de première instance pour ordonner une majora- tion des dépens est le fait qu'il s'agit en l'espèce d'une cause- précédent. Il y a de nombreux éléments de preuve lui permet- tant de conclure ainsi. C'est à bon droit que le juge de première instance a donné les directives en question aux taxateurs. La ligne de conduite adoptée par les avocats en l'espèce et dans les sept autres actions touchées par la décision de la Cour suprême du Canada en l'espèce doit être encouragée plutôt que découra- gée. Au lieu de poursuivre huit actions parallèles au même rythme, avec le résultat que des frais beaucoup plus élevés auraient été engagés, les demandeurs et leurs avocats ont plutôt choisi de poursuivre une seule affaire, pour qu'il soit statué de façon définitive sur le principe juridique très important établi en l'espèce par la Cour suprême du Canada.
Le juge Pratte dissident: Les frais doivent se rapporter à l'action. L'intimée n'a pas le droit, par suite du jugement dans son action, à des frais engagés relativement à d'autres actions devant la Cour. Le travail supplémentaire et le surcroît de responsabilités découlant du fait qu'il s'agissait d'une «cause- précédent» n'avaient rien à voir avec l'action de l'intimée mais se rapportaient exclusivement aux sept autres actions sem- blables en instance devant la Cour. L'intimée n'a pas droit au remboursement de ses frais au motif que son avocat, en plus de défendre ses intérêts, défendait également les intérêts d'autres personnes qui ne participaient pas directement aux procédures.
APPEL. AVOCATS:
L. P. Chambers, c.r. pour l'appelante (défen- deresse).
K. M. Arenson pour l'intimée (demande- resse).
PROCUREURS:
Le sous-procureur général du Canada pour l'appelante (défenderesse).
Arenson & Arenson, Winnipeg, pour l'intimée (demanderesse).
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
LE JUGE PRATTE (dissident): Appel est formé contre une décision de la Division de première instance accueillant la requête de l'intimée présen- tée en vertu de la Règle 344(7) «pour une ordon- nance portant majoration des frais taxés selon le tarif en l'espèce.
En 1975 l'intimée a intenté une action contre l'appelante en vue d'obtenir une déclaration éta- blissant qu'elle (l'intimée) avait le droit d'être indemnisée par l'appelante pour la perte de son entreprise et de son achalandage. Sept autres com- pagnies ont intenté des actions semblables contre l'appelante. L'action de l'intimée est la seule à avoir été instruite. Elle a été rejetée par la Division de première instance et par la présente Cour. Ces jugements ont toutefois été réformés par la Cour suprême du Canada qui a accueilli la demande de déclaration présentée par l'intimée et a ordonné qu'elle avait droit à «ses dépens dans toutes les cours». A la suite de ce jugement, l'intimée a présenté la requête qui a été accueillie dans la décision attaquée.
Les motifs pour lesquels le juge de première instance accueille la requête de l'intimée sont ainsi rédigés [[1980] 1 C.F. 36, aux pages 48 et 49]:
A mes yeux, on ne peut, en l'espèce, considérer comme un luxe l'engagement de deux avocats supplémentaires. Il s'agit ici d'une cause-précédent et la décision de la Cour déterminera les droits de sept autres compagnies qui sont dans une situation identique à celle de la requérante. Les deux avocats supplémen- taires ont aussi agi à titre de conseillers juridiques pour plu- sieurs de ces sept compagnies. Pour l'avocat de la requérante, qui a introduit cette action comme cause-précédent, il importait de s'assurer que tous les faits, que lui-même et les conseillers
juridiques des autres compagnies ont estimé pertinents aux questions en litige, soient évalués, examinés et présentés de façon complète et détaillée à la Cour, que ce soit sous la forme d'un énoncé conjoint des faits ou par la voie de preuves orales ou écrites à l'audience. De même, l'avocat de la requérante devait être bien renseigné sur tous les points de droit considérés pertinents par les conseillers des autres compagnies et ce, tant pour les étapes préalables à l'instruction et pour l'instruction elle-même, que pour décider, ultérieurement, de l'opportunité d'interjeter appel devant la Cour d'appel et devant la Cour suprême et d'aller de l'avant avec ces appels.
En l'espèce, chacune des huit compagnies a un important montant d'argent en jeu. La requérante (demanderesse) se devait de coopérer de la façon la plus étroite avec les sept autres compagnies pour s'assurer, dans toute la mesure du possible, que la présente cause-précédent soit conduite de manière effi- cace du début à la fin. C'était le seul moyen pour les sept autres compagnies de s'assurer que leurs droits y seraient complètement protégés. Aux différents stades de la procédure en Division de première instance et en Cour d'appel, les conseil- lers juridiques ont sans doute tenu de nombreuses discussions et conférences. Le moyen le plus simple et le plus efficace de garantir une parfaite coopération était d'engager les conseillers juridiques des autres compagnies comme avocats supplémentai- res pour les fins de la cause-précédent. A mon avis, c'était une mesure prudente et justifiée.
A mon avis, la requérante a droit à la taxation de frais plus élevés que ceux prévus en classe III du tarif B. Cette conclusion est fondée sur le fait qu'il s'agit ici d'une cause-précédent et sur l'accroissement des responsabilités et du travail qui en a découlé.
Par ces motifs, le juge a rendu l'ordonnance attaquée dont le dispositif est ainsi rédigé:
... la Cour ordonne par les présentes, que la requête soit accueillie et qu'en application de la règle 344(7) de la Cour et du paragraphe 2(3) du tarif B, les honoraires des avocats de la requérante (demanderesse) soient majorés à la taxation, sous réserve des directives spéciales suivantes:
Le taxateur doit prendre en considération le fait qu'il s'agit en l'espèce d'une cause-précédent et déterminer dans quelle mesure ce fait a ajouté aux responsabilités et au volume de travail de l'avocat de la requérante, en particulier pour les consultations, les conférences et les actes de procédure en vue de l'instruction et de l'appel, la requérante ayant engagé deux avocats supplémentaires. Il doit estimer si le temps compté pour chacun des travaux figurant sur le mémoire est raisonnable, compte tenu du fait qu'il s'agit en l'espèce d'une cause-précé- dent, et déterminer le montant raisonnable des honoraires en l'espèce, compte tenu du surcroît de responsabilités et de temps nécessaire. Comme j'ai conclu que la requérante (demande- resse) était fondée à engager deux avocats de plus, le taxateur doit déterminer ,les honoraires équitables à revenir à chacun d'eux, pour les services rendus avant et pendant l'instruction, lesquels honoraires doivent être inférieurs à ceux de l'avocat engagé le premier. Dans tous ces calculs, le taxateur ne doit pas oublier qu'il s'agit de dépens entre parties et que ceux-ci ne signifient pas le remboursement intégral de tous les frais enga- gés aux fins de l'instruction, mais seulement d'une fraction raisonnable de ces frais.
Les frais subis par la requérante pour la présente requête peuvent être taxés au titre des dépens.
Je suis d'avis que cette décision ne peut être confirmée. La requête de l'intimée a soulevé la question des frais auxquels elle avait droit par suite du jugement définitif à l'issue de l'action qu'elle avait intentée. A mon avis, il est clair que ces frais doivent se rapporter à cette action. L'inti- mée n'a pas le droit, par suite du jugement dans son action, à des frais engagés relativement à d'autres actions devant la Cour. Le juge de pre- mière instance a accueilli la demande de majora- tion des frais de l'intimée à cause du travail sup- plémentaire et du surcroît des responsabilités découlant du fait qu'il s'agissait d'une «cause-pré- cédent». Toutefois, ce travail supplémentaire, ce surcroît de responsabilités, n'avaient rien à voir avec l'action de l'intimée mais se rapportaient exclusivement aux sept autres actions semblables en instance devant la Cour. L'intimée n'a pas le droit au remboursement de ses frais au motif que son avocat, en plus de défendre ses intérêts, défen- dait également les intérêts d'autres personnes qui ne participaient pas directement aux procédures.
Je suis donc d'avis que le juge de première instance a erré lorsqu'il a décidé que le fait qu'il s'agissait d'une «cause-précédent» justifiait la majoration des frais de l'intimée. Puisque les docu ments produits à l'appui de la requête ne révèlent pas, à mon avis, que l'action de l'intimée était à d'autres égards si exceptionnelle qu'elle justifie une majoration des frais prévus au tarif B, il s'ensuit que j'accueillerais l'appel, annulerais la décision de la Division de première instance et rejetterais la requête de l'intimée. Je ne rendrais aucune ordonnance relativement aux dépens.
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Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
LE JUGE HEALD: J'ai lu les motifs de mon collègue le juge Pratte. En toute déférence, je ne puis être d'accord avec lui que le juge de première instance a erré et que le présent appel devrait être accueilli.
Le ler mai 1969, l'intimée a été forcée de cesser ses activités à cause de celles de l'appelante. C'est une conclusion de fait du juge du fond. Ce dernier a également conclu, d'après la preuve, que
l'intimée et ses anciens concurrents ont été injuste- ment traités. Depuis ce moment jusqu'à la date du jugement de la Cour suprême du Canada le 3 octobre 1978, l'appelante a refusé d'indemniser l'intimée et les autres qui se trouvaient dans une situation semblable. L'intimée prétend que depuis le début du litige en novembre 1974, elle a retenir les services de procureurs et avocats qui ont consacré au présent litige un total de 500 heures de travail pour mener à terme les procédures devant la Cour d'appel fédérale. L'appelante soutient que les dépens devraient se limiter, en conformité avec le tarif B, à un montant total de $3,650, montant qui, si on tient compte des heures consacrées par les avocats, équivaut à environ $7.30 l'heure.
Un des principaux motifs sur lesquels se fonde le juge de première instance pour ordonner une majo- ration des dépens est le fait qu'il s'agit en l'espèce d'une cause-précédent. Je suis d'avis qu'il y a de nombreux éléments de preuve lui permettant de conclure ainsi. Dans ses motifs du jugement, le juge du fond cite de nombreux éléments de preuve qui le convainquirent qu'il y avait plusieurs autres compagnies dans une situation semblable à celle de la demanderesse en l'espèce. Par exemple, le juge du fond dit à la page 26 du dossier d'appel la page 459 du jugement publié]:
Je suis convaincu, d'après les dépositions de MM. Marder, Lazarenko et Page, que la compagnie demanderesse et ses concurrents possédaient leur propre clientèle.
Il conclut également (dossier d'appel, page 38) que la Loi sur la commercialisation du poisson d'eau douce a eu pour effet pratique «... de forcer la demanderesse et ses concurrents à cesser leurs activités.» Dans les motifs du jugement de la Cour suprême du Canada et ceux de la Cour d'appel fédérale, il est fait mention à plusieurs reprises du fait que les autres compagnies étaient dans une situation semblable à celle de l'intimée. A l'audi- tion de la présente requête, l'avocat de l'intimée déclara que le juge de première instance, avant de statuer sur la présente requête pour majoration des dépens, avait déjà accueilli une requête pour juge- ment dans trois des autres affaires par suite d'un accord avec la Couronne que la présente affaire serait la cause-précédent. Il semble que les quatre autres affaires n'ont pas encore été réglées mais on a encouragé les avocats de ces demandeurs à sou- mettre des réclamations pour jugement. Je suis
donc d'avis que le juge de première instance avait raison de conclure que la présente affaire était une cause-précédent ou à tout le moins une affaire dont le résultat a déjà déterminé l'issue de trois autres actions dans la présente Cour et qui déter- minera fort probablement sous peu l'issue de quatre autres actions. A mon avis, c'est à bon droit que le juge de première instance a donné les directives aux taxateurs et je ne les modifierais pas. La ligne de conduite adoptée par les avocats en l'espèce et dans les sept autres actions touchées par la décision de la Cour suprême du Canada en l'espèce en est une qui selon moi doit être encoura gée plutôt que découragée. Au lieu de poursuivre huit actions parallèles au même rythme, avec le résultat que des frais beaucoup plus élevés auraient été engagés, les demandeurs et leurs avo- cats ont plutôt choisi de poursuivre une seule affaire, pour qu'il soit statué de façon définitive sur le principe juridique très important établi en l'espèce par la Cour suprême du Canada.
Je suis d'avis qu'ils ne devraient pas être péna- lisés pour avoir adopté une telle ligne de conduite. Ce serait les pénaliser sérieusement que de limiter leur frais aux postes prévus au tarif. Par ces motifs, je rejetterais l'appel avec dépens.
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Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
LE JUGE SUPPLÉANT MAGUIRE: Il s'agit ici d'un appel interjeté contre la décision de la Divi sion de première instance faisant droit à une requête «pour une ordonnance portant majoration des frais taxés selon le tarif Bu dans la présente affaire, requête présentée par l'intimée en vertu de la Règle 344(7).
J'ai lu les motifs du juge Pratte et du juge Heald.
Étant sur l'essentiel d'accord avec le jugement du juge Heald, j'y souscris.
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