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T-1397-77
Les Nations Unies et l'Organisation des Nations Unies pour l'alimentation et l'agriculture (Demanderesses)
c.
Atlantic Seaways Corporation et Unimarine S.A. (Défenderesses)
et
Vilamoura Corp. S.A. (Tiers mis en cause)
Division de première instance, le juge Dubé— Montréal, 28 janvier; Ottawa, 31 janvier 1980.
Compétence Droit maritime Requête fondée par le tiers mis en cause sur la clause compromissoire de la charte- partie et tendant à la suspension ou au rejet de la demande en intervention forcée Le transport des marchandises a été effectué en totalité à l'extérieur des eaux canadiennes Le connaissement prévoit l'applicabilité de la loi canadienne et la compétence de la Cour fédérale du Canada Dans l'action principale, la Cour d'appel a conclu à la compétence de la Cour de céans Afin de déterminer la compétence, la demande en intervention forcée doit être considérée comme une action distincte de l'action principale La charte-partie prévoit l'arbitrage de tout différend à New York Compé- tence déterminée en fonction des considérations de commodité Éléments de preuve applicables à la fois à l'action princi- pale et à la demande en intervention forcée Requête rejetée.
REQUÊTE. AVOCATS:
Personne n'a comparu pour les demanderes-
ses.
John T. Morin pour la défenderesse Atlantic
Seaways Corporation.
Personne n'a comparu pour la défenderesse
Unimarine S.A.
Marc de Man pour le tiers mis en cause.
PROCUREURS:
McMillan, Binch, Toronto, pour les demande- resses.
Campbell, Godfrey & Lewtas, Toronto, pour la défenderesse Atlantic Seaways Corpora tion.
McTaggart, Potts, Stone & Herridge, Toronto, pour la défenderesse Unimarine S.A. Stikeman, Elliott, Tamaki, Mercier & Robb, Montréal, pour le tiers mis en cause.
Ce qui suit est la version française des motifs de l'ordonnance rendus par
LE JUGE DUSÉ: Il s'agit d'une requête présentée par le tiers mis en cause pour que la demande en intervention forcée formée par la défenderesse Atlantic Seaways Corporation («Atlantic») soit suspendue ou rejetée, compte tenu de la clause compromissoire prévue dans le contrat de charte- partie conclu entre Atlantic et le tiers mis en cause.
Le premier point qu'a soulevé l'avocat du tiers mis en cause est la compétence de la Cour en l'espèce. Aucune des parties au litige n'est cana- dienne. Les demanderesses («ONU») sont proprié- taires d'une cargaison de blé expédiée pour leur compte à bord du navire Valiant, immatriculé au Libéria, de la Nouvelle-Orléans en Louisiane à destination d'Hodeïda en la République arabe du Yémen. Les Nations Unies ont leur siège en la ville de New York et l'Organisation pour l'alimen- tation et l'agriculture des Nations Unies a le sien à Rome. Atlantic est une société libérienne qui a son siège social à Monrovia et Unimarine S.A., est une société panaméenne. L'affréteur mis en cause, la Vilamoura Corp. S.A. est également une société panaméenne. Le transport des marchandises a été effectué en totalité à l'extérieur des eaux canadien- nes. Le connaissement a été délivré par le com mandant du navire à la Nouvelle-Orléans. Il con- tient la clause suivante:
[TRADUCTION] 2. Loi applicable et compétence. Le contrat dont fait foi le présent connaissement est régi par la loi canadienne, et les litiges seront réglés par la Cour fédérale du Canada à l'exclusion de tout autre tribunal.
Dans l'action principale [[1978] 2 F.C. 510], les défenderesses ont soulevé l'incompétence de la Cour et le juge de première instance a rejeté l'action aux motifs la page 512] que «les parties ne peuvent, de consentement, attribuer à un tribu nal une compétence qui n'existe pas». La Cour d'appel [[1979] 2 F.C. 541] a toutefois conclu à la compétence de la présente Cour. Elle a déclaré la page 550] que «Les termes de la Loi sur la Cour fédérale qui attribuent compétence personnelle en matière de créances sur une cargaison ne compor- tent aucune réserve, tacite ou expresse, qui serait fonction du lieu de naissance de la cause de la demande.»
Le juge Le Dain, dans les motifs du jugement de la Cour, a déclaré la page 552] «que la compé- tence de la Cour, ratione materiae, dans une action personnelle, en matière de demande pour cause d'avaries à une cargaison, s'étend à celle dont la cause est née à l'extérieur du Canada.» Le juge s'est ensuite demandé la page 552] «si la demande peut être fondée sur le droit maritime canadien ou sur quelque autre loi du Canada concernant la navigation et le commerce mari time».
Deux décisions prononcées par la Cour suprême du Canada en 1977', ont établi que pour que la Cour fédérale soit compétente dans une espèce, il doit y avoir en existence et applicable, une règle de droit fédérale, loi, règlement ou règle de common law. Le juge a ensuite examiné la clause 1 du connaissement, qui stipule que lorsque le transport se fait à partir d'un port situé aux Etats-Unis, le connaissement est assujetti aux dispositions de la Carriage of Goods by Sea Act, 1936 des États- Unis. Il a étudié la clause 2, mentionnée ci-dessus, qui prévoit que le contrat sera régi par la loi canadienne et que les litiges seront réglés par la Cour fédérale du Canada.
Il a conclu la page 556] que «une fois qu'il a été statué qu'une demande particulière relève de l'une des catégories de compétence spécifiées à l'article 22(2) de la Loi sur la Cour fédérale, il faut présumer qu'elle est reconnue par le droit maritime canadien et que ce droit lui est applica ble, en autant que le requièrent les arrêts Quebec North Shore Paper et McNamara Construction.» Il a donc statué que la demande était fondée sur le droit maritime canadien et qu'il s'ensuivait que la Cour était compétente pour en connaître.
La demande en intervention forcée formée par Atlantic est fondée sur un contrat de charte-partie conclu entre cette dernière en sa qualité de pro- priétaire du navire et le tiers mis en cause Vila- moura, l'affréteur. En vertu de la clause 2 de cette charte-partie à temps, la fumigation est au frais de l'affréteur après un affrètement continu de six mois. La clause 8 prévoit que le chargement et
' Quebec North Shore Paper Co. c. Canadien Pacifique Limitée [1977] 2 R.C.S. 1054 et McNamara Construction (Western) Limited c. La Reine [1977] 2 R.C.S. 654.
l'arrimage se font aux risques et aux frais des affréteurs. La clause 11 stipule que les affréteurs doivent fournir les ordres et les instructions nautiques.
Atlantic croit qu'en vertu de cette charte-partie et compte tenu de la participation active du tiers mis en cause dans le chargement, l'arrimage et le transport de la cargaison des demanderesses, elle est, jusqu'à preuve du contraire, fondée à réclamer du tiers mis en cause contributions ou indemnités.
La clause 17 de la charte-partie prévoit ce qui suit:
[TRADUCTION] En cas de différend entre les propriétaires et les affréteurs, la question en litige sera soumise à trois arbitres à New York, chaque partie en nommant un, et le troisième étant nommé par les deux autres; la décision de la majorité des membres est finale et, aux fins de l'application de cette décision arbitrale, le présent accord peut être adopté comme une règle de la Cour. Les arbitres seront des hommes d'affaires.
Nul n'ignore le principe de droit qui prévoit qu'aux fins de déterminer la compétence, la demande en intervention forcée doit être considé- rée comme une action distincte de l'action princi- pale. Un tribunal qui n'a pas par ailleurs compé- tence pour connaître d'un litige ne devient pas compétent à cet égard du seul fait qu'un tiers est mis en cause dans l'action principale. 2
La question de la compétence pour connaître de la demande en intervention forcée est considérée isolément. Posée carrément, la question est de savoir si la Cour aurait compétence pour connaître d'une action distincte intentée par un propriétaire étranger d'un navire étranger contre un affréteur étranger et fondée sur une charte-partie à temps conclue dans la ville de New York prévoyant l'arbitrage de tout différend dans cette ville, lors- que la cause d'action est une prétendue violation de cette charte-partie (défaut de désinfecter adé- quatement le navire) à l'occasion d'un transport de marchandises effectué entièrement à l'extérieur des eaux canadiennes.
De prime abord, on serait tenté de répondre non. Toutefois, les mêmes principes et critères appli- qués par la Cour d'appel à l'action principale s'appliqueraient également à la demande en inter vention forcée, en vertu des mêmes dispositions
2 La Reine c. Canadian Vickers Limited [1976] 1 C.F. 77.
attributives de compétence, qui comprennent le transport de marchandises et l'utilisation ou le louage d'un navire.
Ce qui distingue principalement l'action princi- pale de la demande en intervention forcée, c'est évidemment que dans la première, les parties ont convenu, à la clause 2 du connaissement, de sou- mettre leurs différends à la présente Cour, alors que dans le second cas, les parties se sont enga gées, en vertu de la clause 17 de la charte-partie, à soumettre leurs différends à des arbitres à New York. Mais ce ne sont pas les accords ou les désaccords qui déterminent la compétence.
Normalement, il faut donner plein effet aux clauses compromissoires. Les parties devraient donc être liées par celles-ci à moins qu'il ne semble plus avantageux que la question soit tranchée par la Cour déjà saisie de l'affaire.'
A mon avis, il est plus opportun de faire enten- dre toute l'affaire par la Cour à laquelle on a déjà attribué compétence pour ce faire, étant donné que des parties relevant de juridictions différentes sont en cause. Il est probable que plusieurs des témoins étrangers présenteront des éléments de preuve afférents à la fois à l'action principale et à la demande en intervention forcée. Les lois d'ami- rauté du Canada et des États-Unis sont issues de la même source. Les deux documents clé, le con- naissement et la charte-partie à temps, peuvent être soumis au même examen. Cela éviterait une multiplication des actions et permettrait d'écono- miser temps et argent. Aucune partie n'en subirait de préjudice.
Dans ces circonstances, la requête sera rejetée; les frais suivront l'issue de la cause.
ORDONNANCE
La requête est rejetée. Les frais suivront l'issue de la cause.
3 Voir Distillers Co. Ltd. c. N.M. »Agelos Raphael» [1978] 1 Lloyd's Rep. 105.
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