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T-627-76
New West Construction Co. Ltd. (Demanderesse) c.
La Reine du chef du Canada représentée par le ministre des Travaux publics (Défenderesse)
Division de première instance, le juge Mahoney— Edmonton, 26 février 1980; Ottawa, 29 février 1980.
Pratique Requête de la demanderesse pour que son avocat soit cité comme témoin à l'instruction Le témoignage ainsi rendu serait recevable et il est hors du pouvoir du juge de première instance d'exiger qu'une partie fasse un choix et que son avocat agisse soit en cette qualité, soit en qualité de témoin, mais qu'il ne remplisse pas les deux fonctions à la fois.
Arrêt approuvé: Brett c. Brett (N° 1) [1937] 2 W.W.R. 689; confirmé [1938] 2 W.W.R. 368. Arrêts mentionnés: Stanley c. Douglas [1952] 1 R.C.S. 260; Imperial Oil Ltd. c. Grabarchuk [1974] 3 O.R. (2') 783. Distinction faite avec l'arrêt: Phoenix c. Metcalfe [1974] 5 W.W.R. 661 (C.A.C.-B.).
DEMANDE. AVOCATS:
William G. Geddes pour la demanderesse.
I. G. Whitehall et John Kennedy pour la
défenderesse.
PROCUREURS:
William G. Geddes, Edmonton, pour la demanderesse.
Le sous-procureur général du Canada pour la défenderesse.
Ce qui suit est la version française des motifs de l'ordonnance rendus par
LE JUGE MAHONEY: La présente action contre la Couronne découle de l'exécution d'un contrat de construction de route. Dans sa défense, déposée le 10 septembre 1976, la défenderesse allègue qu'à la suite de négociations, un règlement est intervenu et que la demanderesse a accepté le paiement intégral de certaines demandes avancées dans la déclaration. Le 12 février 1980, lors de la confé- rence préalable à l'instruction, on a avisé la Cour qu'il serait probablement nécessaire de citer l'avo- cat de la demanderesse comme témoin relative- ment à cette question. La conférence préalable a été ajournée au 26 février. Les parties, entre-
temps, n'en étaient pas arrivées à un accord et la demanderesse n'était nullement disposée à aban- donner quelque partie de sa demande pour éviter d'avoir à citer son avocat comme témoin.
La question soulevée en est avant tout une de déontologie et porte sur le principe voulant que l'avocat qui représente un client devant le tribunal ne doit pas permettre que soit mis en cause son crédit personnel, ce qui devient inévitable du moment qu'il se présente à la barre des témoins. Le Code de déontologie professionnelle de l'Asso- ciation du Barreau canadien dit tout simplement ceci la page 29]:
D'un autre côté, si le témoignage de l'avocat est absolument nécessaire, la conduite du procès doit être confiée à un confrère.
Les tribunaux, tout en reconnaissant que cette décision relève au premier chef du client et non du tribunal, se sont prononcés plus énergiquement. Dans sa dissidence dans l'affaire Stanley c. Doug-
las', le juge Cartwright a passé longuement en revue la jurisprudence ayant trait à cette question. Il a conclu son examen en ces termes la page 274] :
[TRADUCTION] Bien que ces décisions m'amènent à conclure que le témoignage de l'avocat était en l'espèce recevable, dans chacune d'elles, comme d'ailleurs dans toutes les causes traitant de cette question que j'ai pu lire, le tribunal réprouvait ferme- ment un tel témoignage. Il ne servirait à rien de citer au long toutes ces expressions de désapprobation. Il suffira de rappeler les propos du juge en chef Ritchie dans l'affaire Bank of British North America c. McElroy ((1875) 15 N.B.R. 462, la p. 463):
Si c'est le droit le plus strict d'une partie que de faire déposer son avocat, il n'en reste pas moins qu'il s'agit d'une procédure inconvenante qu'il faut décourager***
Si de telles opinions judiciaires s'échelonnant sur une période d'un siècle, ajoutées aux déclarations répétées en ce même sens des représentants du Barreau, n'ont pas suffi pour empêcher les avocats d'agir de la sorte, il est sans doute vain d'espérer qu'une nouvelle opinion de ce genre s'avérera plus efficace et je me contenterai simplement de dire que je souscris à l'affirmation précitée du juge en chef Ritchie.
Je n'ai pu trouver de jurisprudence susceptible de me lier sur ce point et, vu que cette action sera instruite en Alberta, j'adopte l'affaire Brett c. Brett (No 1) 2 comme expression de la loi de cette province à ce sujet. Le témoignage ainsi rendu serait recevable et il est hors du pouvoir du juge de première instance d'exiger qu'une partie fasse un
1 [1952] 1 R.C.S. 260, aux pp. 272 et ss.
2 [1937] 2 W.W.R. 689; confirmé [1938] 2 W.W.R. 368.
choix et que son avocat agisse soit en cette qualité, soit en qualité de témoin mais qu'il ne remplisse pas les deux fonctions à la fois 3 .
Voilà ma décision et j'entends l'appliquer en l'espèce. Toutefois, je ne suis pas certain que, pour un cas comme celui qui nous intéresse, le droit soit tout à fait clair. Dans l'affaire Brett c. Brett (N° 1), l'avocat avait décidé qu'il n'était pas un témoin indispensable et avait agi en conséquence. Ce n'est qu'après le procès qu'il découvrit son vieux journal personnel, qui permettait d'établir une date dont il avait été question au litige. Sa demande en réou- verture d'instance a été accueillie et il a alors témoigné. Il n'a pas représenté son client à l'appel. Dans l'affaire Phoenix c. Metcalfe, la nécessité du témoignage de l'avocat apparut en cours d'ins- tance. En l'espèce, l'avocat aurait dû, à l'examen de la défense, s'apercevoir qu'il aurait vraisembla- blement à témoigner. La présente affaire ressem- ble donc davantage à Stanley c. Douglas, il s'agissait d'un testament et d'un codicille homolo- gués en la forme solennelle, l'avocat qui les avait rédigés comparaissant en la double qualité d'avo- cat et de témoin. La Cour suprême du Canada a maintenu la décision de la cour d'appel ordonnant qu'il soit procédé à un nouveau procès. Cette décision reposait sur d'autres motifs que le fait que l'avocat avait rempli deux fonctions lors de l'ins- truction. Le juge Kerwin, dont le juge Taschereau partageait l'opinion, estima qu'il fallait procéder à un nouveau procès et, aux pages 269 et suivantes du recueil, s'exprime en ces termes:
[TRADUCTION] J'ajouterai seulement, sans trancher la question de savoir si un témoignage de ce genre serait recevable, que lors d'un nouveau procès, nul comparaissant comme avocat pour une partie ne devrait témoigner.
Ni le juge Kellock, qui souscrivait, ni le juge Rand, dissident, ne se sont penchés sur cette question. Je suis persuadé que le juge Cartwright, s'il n'avait pas été dissident, se serait rangé à l'avis du juge Kerwin sur ce point.
Il se peut fort bien que dans un cas comme celui-ci, le problème aurait être reconnu tôt dans les procédures, la position du juge de pre- mière instance ressemble davantage à celle d'une cour d'appel qu'à celle d'un juge de première instance ayant à faire face à la situation en cours d'instance. Les avocats qui ont comparu comme
3 Phoenix c. Metcalfe [1974] 5 W.W.R. 661 (C.A.C.-B.).
témoins en première instance ne sont tout simple- ment pas admis à plaider advenant un appel du jugement rendu 4 . En raison des doutes que j'entre- tiens à cet égard, je me sens tenu de réduire le risque de responsabilité personnelle que pourra courir l'avocat de la demanderesse si cette dernière persiste à exiger qu'il comparaisse à l'instruction à titre tant d'avocat que de témoin. On prévoit que le procès durera de deux à trois mois. L'enjeu financier est élevé. Si la demanderesse décide de retenir un autre avocat et qu'un ajournement de l'instance s'avère nécessaire, il lui sera loisible de présenter une requête à cet effet.
ORDONNANCE
1. L'avocat de la demanderesse, en sa qualité d'officier de la Cour, recommandera à la deman- deresse de consulter un avocat indépendant sur la question de l'opportunité de comparaître à l'ins- truction à la fois comme avocat et comme témoin.
2. Au plus tard le 11 mars 1980, la demanderesse fera déposer au greffe de la Cour situé à Edmon- ton un document, signé en son nom soit par M. Felix Anselmo, soit par M. Albert Anselmo, et qui sera ainsi libellé:
a. M. William Geddes nous a prié de consulter un avocat indépendant sur la question de savoir si nous devrions exiger qu'il continue de nous représenter dans l'action (no de greffe T-627-76) que nous avons introduite devant la Cour fédérale du Canada contre Sa Majesté la Reine, nonobstant le fait qu'il pourra être nécessaire de le citer comme témoin lors de l'instruction.
ET SOIT
b. Nous avons décidé, après étude de cette demande, de ne pas consulter d'avocat indépendant sur la question.
SOIT
b. Nous avons décidé, après avoir consulté (nom et adresse), de demander à M. Geddes de continuer à nous représenter, nonobstant le fait qu'il pourra être nécessaire de le citer comme témoin en notre faveur à l'instruction.
3. Au cas le document mentionné au paragra- phe 2 ne serait pas déposé conformément à la présente ordonnance, l'instruction de cette action, qui doit s'ouvrir le 8 avril 1980 à Calgary, en Alberta, sera de plein droit ajournée sine die et la défenderesse aura droit à ses dépens quelle que soit l'issue de la cause.
4 Imperia! Oil Ltd. c. Grabarchuk (1974) 3 O.R. (2') 783.
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