Jugements

Informations sur la décision

Contenu de la décision

T-2681-76 T-2682-76 T-2683-76 T-2684-76
Olympia and York Developments Ltd. (Demande- resse)
c.
La Reine (Défenderesse)
Division de première instance, le juge Addy— Toronto, 8 janvier 1980; Ottawa, 21 avril 1980.
Impôt sur le revenu Calcul du revenu Déductions Revenus tirés d'une entreprise ou d'un bien En 1969, la demanderesse a convenu par contrat de vendre certaines pro- priétés Le contrat accordait à l'acheteur le droit de se faire remettre l'acte de vente sur paiement d'une contrepartie, et il lui accordait également la possession légale du bien, mais pré- cisait que ce contrat n'était pas un acte de vente L'acheteur a payé les salaires, les impôts, les primes d'assurance, il a fait toutes les réparations et assuré l'administration du bien L'acheteur n'a pas rempli ses obligations et en 1974, l'ensemble a été vendu à un tiers, lequel a reçu l'acte de vente Il échet de déterminer si la vente a eu lieu en 1969 ou en 1974 il échet de déterminer s'il y a eu une «disposition. de bien en 1969 Loi de l'impôt sur le revenu, S.R.C. 1952, c. 148, art. 20(1)a),(5)b),c),e)(ii)(A),(B),(6)a), 85B(1)d) modifiée par S.C. 1970-71-72, c. 63, art. 13(1)a),(21)c)f)(ti)(A),(B) Code civil, art. 406, 1079, 1472, 1473, 1476, 1478.
En août 1969, la demanderesse a convenu par contrat de vendre et de transférer l'ensemble de la Place Crémazie à First General Real Estate & Resources Trust («First General»). Le contrat prévoyait que l'acheteur avait le droit de se faire remettre l'acte de vente moyennant paiement du prix total ou moyennant paiement d'un montant suffisant pour réduire le solde à un montant spécifié. First General avait droit à la possession légale immédiate mais le contrat prévoyait expressé- ment que nonobstant l'entrée en possession le contrat n'était pas un acte de vente et ne transmettait pas le titre de propriété tant que l'acte de vente ne serait pas signé. First General a cédé tous les baux au vendeur à titre de garantie de paiement mais a perçu et conservé les loyers. First General a également payé les salaires, les impôts, les primes d'assurance, les charges de toutes sortes, a fait toutes les réparations et a assuré l'adminis- tration générale du bien. Finalement, First General n'a pas rempli ses obligations et a cédé tous les droits qu'elle tenait du contrat à Century Plaza Limited («Century Plaza»). En mai 1974, Century Plaza recevait et signait un acte de vente. Le premier point en litige consiste à déterminer si la vente a eu lieu en août 1969 ou en mai 1974, et le second, à déterminer si en août 1969, il y a eu «disposition» au sens de l'article 20(5)b) de la Loi de l'impôt sur le revenu antérieure, laquelle «disposition» rendrait applicables les dispositions 20(1)a) et 20(5)e)(ii)(A) et (B).
Arrêt: la demanderesse a en partie gain de cause. La deman- deresse a vendu le bien-fonds, pour la première fois, à Century Plaza, en mai 1974. II y a eu en septembre 1969, «disposition»
par la demanderesse de l'ensemble de la Place Crémazie au sens de l'article 20 de la Loi antérieure (article 13 de la Loi nouvelle). Il y a eu disposition aux fins d'allocation du coût en capital à cette date, même si le bénéfice effectivement réalisé grâce à cette opération à titre de gain en capital devait être déclaré en 1974 et non en 1969, l'article 20 de la Loi antérieure ne prévoyant que l'allocation du coût en capital. Puisque la Loi de l'impôt sur le revenu ne définit pas le mot «vente», ce mot doit être envisagé à la lumière des lois de la province de Québec telles qu'elles s'appliquent aux rapports nés des contrats. Il ressort de l'article 406 du Code civil de la province de Québec que la propriété comprend le droit de jouir de la chose et le droit d'en disposer de la manière la plus absolue. Le droit de jouissance peut être cédé séparément du droit de disposition, et pour qu'il y ait vente, la chose elle-même doit être cédée et non pas simplement le droit d'en jouir. Il ressort de nombreuses énonciations de la jurisprudence et de la doctrine du droit québécois que même lorsque l'acheteur est entré en possession, jouit de tous les avantages et assume toutes les charges de propriété, si le vendeur n'est pas intégralement payé et si les parties conviennent expressément que le titre ne sera pas trans- féré mais est conservé par le vendeur et aussi qu'il n'y aura pas vente tant que le prix d'achat ne sera pas acquitté, on doit conclure qu'il n'y a pas eu vente juridiquement parlant, alors que selon l'article 1478, tout cela «équivaut à» une vente. En ce qui a trait au second point litigieux, les définitions des termes «disposition of property» (disposition de biens) et «proceeds of disposition» (produit d'une disposition) à l'article 20(5)b) et c) indiquent clairement que l'expression «disposed of» est employée dans son sens le plus large. Le critère applicable pour déterminer le moment le bien est acquis se rapporte au titre de propriété sur le bien en question ou aux accessoires normaux du titre, naturels ou déduits par interprétation, tels que la possession, l'usage et le risque. La demanderesse, en signant le contrat et en transmettant le bien-fonds à First General en 1969, s'est déchargée de toutes les obligations, responsabilités et charges attachées à la propriété, en même temps qu'elle a renoncé à tous les avantages, bénéfices et privilèges de la propriété à l'exception du titre formel. Elle s'était engagée absolument et irrévocablement à signer et à remettre à l'ache- teur un titre incontestable dès paiement du solde du prix de vente. Tous les droits complémentaires auxquels elle avait droit en vertu du contrat visaient exclusivement à garantir le paie- ment de ce solde; ce sont des droits qui reviennent normalement au créancier hypothécaire pour protéger sa garantie.
Arrêts mentionnés: Laflamme c. Croteau (1920) 57 C.S. 318; Desautels c. Parker (1894) 6 C.S. 419; L'Hon. Wil- liam Henry Chaffers c. Morrier (1896) 2 R. de J. 103; Lalonde c. De Houle (1927) 33 R.L. (N.S.) 255; Labelle c. Paquette (1934) 40 R.L. (N.S.) 380; Lussier c. Paquette [1948] C.S. 74; Héroux c. Héroux [1952] R.L. 449; Renaud c. Arcand (1870) 14 L.C.J. 102 (C.S.); R. c. Henuset Bros. Ltd. IN° II 77 DTC 5169. Arrêts suivis: R. c. Compagnie Immobilière BCN Limitée [1979] 1 R.C.S. 865; Le ministre du Revenu national c. Wardean Drilling Limited [1969] 2 R.C.E. 166.
APPEL en matière d'impôt sur le revenu.
AVOCATS:
D. A. Brown, D. A. Ward, c.r. et J. B. Clax- ton, c.r. pour la demanderesse.
W. Lefebvre et P. Barnard pour la défende- resse.
PROCUREURS:
Davies, Ward & Beck, Toronto, pour la demanderesse.
Le sous-procureur général du Canada pour la défenderesse.
Voici les motifs du jugement rendus en français par
LE JUGE ADDY: Il s'agit en l'espèce de quatre actions distinctes, intentées contre la défenderesse à la suite des cotisations d'impôt sur le revenu qu'elle a établies pour les années d'imposition 1970 à 1973 inclusivement de la demanderesse.
Pour les quatre cotisations, le seul point litigieux est le suivant: aux fins de l'impôt sur le revenu, à quelle date la demanderesse a-t-elle effectivement vendu ou aliéné un certain ensemble résidentiel? Les quatre causes ont donc été, par consentement mutuel, entendues ensemble sur preuve commune.
Aucun témoin n'a été cité, la défenderesse ayant admis toutes les allégations matérielles des quinze premiers paragraphes de la déclaration, à l'excep- tion des trois premières lignes du paragraphe 15 selon lesquelles la demanderesse a aliéné l'ensem- ble résidentiel dont s'agit le 15 mai 1974.
Voici les paragraphes susmentionnés de la déclaration:
[TRADUCTION] I. La demanderesse, société constituée sous le régime des lois de l'Ontario, exploite au Canada une entreprise de promoteur immobilier et de marchand de matériaux de construction.
2. Pour les années en cause, l'exercice financier de la demande- resse se termine le 31 juillet.
3. Vers le 1" avril 1969, la demanderesse a acheté dans la ville de Montréal un bien-fonds appelé «l'ensemble de la Place Crémazie» et consistant en un terrain et trois immeubles, au prix (dépenses légales comprises) de $15,062,734, dont $1,495,- 600 pour le terrain et les autres biens non amortissables et $13,567,134 pour les immeubles, ces derniers constituant un actif de la catégorie 3 de l'annexe B des Règlements de l'impôt sur le revenu.
4. Par contrat (ci-après appelé «le contrats) en date du 31 août 1969, la demanderesse a convenu, sous réserve des conditions prévues, de vendre et de transférer l'ensemble de la Place Crémazie à First General Real Estate & Resources Trust, compagnie de fiducie constituée au Massachusetts en vertu d'une déclaration de fiducie du 31 juillet 1962, modifiée et reconstituée le 9 août 1962, et modifiée encore le 30 septembre 1968 et le 28 avril 1969 (ci-après appelée «First Generals).
5. Aux termes dudit contrat, First General devait prendre à sa charge les hypothèques qui s'élevaient à $8,325,662 et payer à la demanderesse la somme de $8,775,000, répartie comme suit:
a) $1,150,000 la signature du contrat;
b) $1,350,000 le 1«" novembre 1969 au plus tard;
c) les intérêts courus sur la somme de $1,350,000, du 31 août 1969 au 1°" novembre 1969, au taux annuel de 8 p. 100;
d) $6,275,000, le 31 août 1970 au plus tard, First General ayant le droit de demander que le paiement d'une tranche de $2,562,500 soit différé au 28 février 1971 et le paiement de la tranche de $3,712,500 différé au 31 août 1971, et la demanderesse étant tenue d'accéder à cette demande, à moins qu'au cours de la période du 31 août 1969 au 31 août 1970, First General n'ait déposé une demande d'enregistre- ment auprès de la Securities and Exchange Commission des États-Unis, qu'elle n'ait rempli toutes les conditions requises pour la vente ou l'émission en public de ses actions, obliga tions ou autres titres, et qu'elle n'ait reçu le produit de la vente de ces actions;
e) les intérêts courus sur la somme de $6,275,000 du 31 août 1969 au 31 août 1970 au taux annuel de 4.27 p. 100 et subséquemment au taux de base appliqué par les banques à charte du Canada, ce taux ne devant être en aucun cas inférieur à 8 p. 100.
6. Ce contrat prévoit que First General a le droit de se faire remettre l'acte de vente et de translation de propriété concer- nant l'ensemble de la Place Crémazie a) dès qu'elle aura versé à la demanderesse ou à ses ayants droit toutes les sommes visées au paragraphe 5 de la présente déclaration, ou b) dès qu'elle aura rempli toutes les obligations prévues par le contrat, en sus du paiement à la demanderesse d'un montant suffisant pour réduire le solde débiteur à $3,075,000.
7. Ledit contrat prévoit expressément que nonobstant l'entrée en possession par First General de l'ensemble de la Place Crémazie, ce contrat n'est pas un acte de vente et n'a pas pour effet de lui transmettre le titre de propriété sur le bien-fonds, titre que conserve la demanderesse jusqu'à la signature de l'acte de vente visé au paragraphe 6 de la présente déclaration.
8. First General n'a pas été en mesure de payer, comme prévu, la somme de $1,150,000 la signature du contrat, et afin de maintenir en vigueur le projet de vente de l'ensemble de la Place Crémazie, la demanderesse a reçu, par l'entremise d'un mandataire vers le 29 septembre 1969, une première obligation de $1,150,000 échoir en mars 1971, garantie par les droits que First General possède sur certaines concessions de pétrole et de gaz dans l'Ouest canadien. En décembre 1969, First General a obtenu un prêt bancaire de $800,000, qu'elle a versé
à la demanderesse par l'entremise du mandataire de cette dernière, en vue de réduire à $350,000 le principal au titre de l'obligation.
9. First General n'a pas été en mesure d'effectuer le second paiement de $1,350,000, prévu au contrat pour le 1" novembre 1969. De nouveau, la demanderesse, toujours afin de maintenir le projet de vente en vigueur, a reçu en février 1970 par l'entremise de son mandataire, des billets convertibles de First General à échoir le 1" septembre 1972 et d'un montant de 1,250,000 dollars américains, soit 1,341,406.25 dollars cana- diens, ainsi qu'un chèque de $8,593.75.
10. Le 28 février 1971, First General n'a pas été en mesure de payer la somme de $2,562,500 exigible à cette date, ainsi que le principal de $350,000 au'elle devait verser également à cette date au titre des obligations garanties par ses droits sur les concessions de pétrole et de gaz dans l'Ouest canadien. Vers le 9 juin 1971, la demanderesse, toujours en vue de maintenir le projet de vente en vigueur, a racheté compter du 1°' janvier 1971) ces concessions de pétrole et de gaz à First General pour la somme de $2,454,000, acquittée de la manière suivante:
a) prise en charge du principal de $617,310 que devait First General au titre de sa première obligation garantie par les concessions;
b) prise en charge formelle et décharge effective des $350,- 000 que First General devait sur sa seconde obligation;
c) décharge du billet convertible de 1,250,000 dollars améri- cains, lequel équivalait, le 9 juin 1971, à 1,273,438 dollars canadiens; et
d) paiement d'une somme de $213,252, que First General restitua immédiatement à la demanderesse, à titre de paie- ment anticipé des intérêts courus en vertu du contrat.
11. Vers le 9 juin 1971, le contrat a été modifié aux fins, entre autres, de différer jusqu'au 28 février 1974 le paiement de la somme de $6,275,000, visée à l'alinéa d) du paragraphe 5 de la présente déclaration.
12. Vers le 17 mai 1972, le contrat a été modifié une nouvelle fois en vue, entre autres, d'excuser First General du défaut de paiement de l'impôt foncier auquel elle était tenue aux termes du contrat et de prévoir qu'elle devrait verser $100,000 titre de dépôt complémentaire.
13. Vers le 31 janvier 1974, le contrat a été modifié de nouveau en vue de différer la signature jusqu'au 30 septembre 1974 et de prévoir le versement d'un dépôt complémentaire de $1,175,- 000 vers le 31 janvier 1974, le solde du prix d'achat, soit $5,000,000, étant payable à la signature.
14. First General n'a jamais eu les ressources financières pour payer le prix d'achat de l'ensemble de la Place Crémazie, et vers le 31 janvier 1974, elle a cédé tous les droits qu'elle tenait du contrat modifié à Century Plaza Limited, laquelle lui a versé la somme de $1,175,000 qui a été remise à la demanderesse à titre de dépôt complémentaire à cette date, comme en fait état le paragraphe 13 de la présente déclaration.
15. Vers le 15 mai 1974, la demanderesse a vendu l'ensemble de la Place Crémazie à Century Plaza Limited, laquelle a reçu l'acte de vente et lui a versé $5,000,000 la signature.
Par consentement mutuel, les parties ont aussi produit au procès quelque 25 pièces, dont la plus importante est la pièce 1, savoir la promesse de vente du 31 août 1969 dont font état les paragra- phes cités ci-dessus de la déclaration. Il convient de noter dès l'abord que les deux parties admettent (et j'en suis convaincu) que la vente a été à tous égards une opération à distance et, en outre, qu'il s'agissait d'un bien vendu dans le cours de l'entre- prise au sens de l'article 8513(1)d) de la Loi de l'impôt sur le revenu', ci-après appelée la Loi antérieure et de l'article 20(1)n) correspondant des S.R.C. 1952, c. 148, modifié par S.C. 1970-71-72, c. 63, ci-après appelée la Loi nouvelle.
La question litigieuse dont est saisie la Cour est de savoir si la demanderesse a vendu à Century Plaza Limited (ci-après appelée «Century Plaza»), le 15 mai 1974, le bien-fonds composé de trois immeubles et appelé «ensemble de la Place Créma- zie» à Montréal, par le contrat passé entre Century Plaza et First General et par l'acte translatif de propriété en faveur de Century Plaza (voir les pièces 11 et 12) comme le prétend la demande- resse, ou si elle l'a vendu à First General, le 29 septembre 1969, comme le prétend la défende- resse. La demanderesse soutient que le contrat formellement passé le 31 août avec First General, produit au procès à titre de pièce 1 et appelé ci-après le «contrat», n'est pas un acte de vente, mais simplement une promesse de vente, et que First General ayant été incapable de remplir les conditions prévues, n'a acquis aucun droit de pro- priété sur l'ensemble immobilier dont s'agit.
La défenderesse, tout en soutenant qu'à la date du 29 septembre 1969, l'ensemble de la Place Crémazie a été vendu ou devait être considéré comme ayant fait l'objet d'une disposition au sens de l'article 20(5)b) de la Loi antérieure, conclut subsidiairement qu'en tout cas, la demanderesse a acquis l'ensemble à l'origine en vue de gagner ou de produire un revenu, qu'elle a commencé à cette même date à l'utiliser à d'autres fins et que, par
' S.R.C. 1952, c. 148, et les modifications antérieures à S.C. 1970-71-72, c. 63.
conséquent, elle doit être considérée comme l'ayant aliéné à cette date par application de l'arti- cle 20(6)a) de la Loi antérieure. Cette argumenta tion subsidiaire fondée sur le changement de desti nation a été abandonnée au procès.
Si je devais conclure que la vente a eu lieu en 1969 en vertu du contrat susmentionné, il va de soi que l'appel de la demanderesse devrait succomber. Si je devais conclure que, même en l'absence d'une vente à cette date, il y a eu disposition au sens de l'article 20(5)b), la demanderesse devrait avoir en partie gain de cause parce qu'il y aura eu disposi tion aux fins d'allocation du coût en capital à cette date, même si le bénéfice effectivement réalisé grâce à cette opération à titre de gain en capital devait être déclaré en 1974 et non en 1969, l'arti- cle 20 de la Loi antérieure ne prévoyant que l'allocation du coût en capital. Mais si je devais conclure qu'il n'y a eu ni vente ni disposition en 1969, il va de soi que la demanderesse aurait entièrement gain de cause.
Il est évident que les droits des parties au con- trat ainsi que toutes les questions relatives aux diverses conventions et aux rapports juridiques tenant aux actes des parties à ces conventions doivent être déterminés conformément à la loi de la province de Québec.
Les droits des parties prenant leur source dans le contrat déposé à titre de pièce 1, il convient d'en examiner les termes avec la plus grande attention. Puisque la Loi de l'impôt sur le revenu ne définit le mot «vente» ni ne lui accorde aucun sens spécial, ce mot doit être envisagé à la lumière des lois de la province de Québec telles qu'elles s'appliquent aux rapports nés de ce contrat (pièce 1).
La demanderesse a invoqué plusieurs expres sions employées dans la promesse de vente pour démontrer qu'il n'y a pas eu vente. Par exemple, il ressort des premières lignes de cet instrument que le vendeur a [TRADUCTION] «convenu de vendre» et que l'acheteur a [TRADUCTION] «convenu d'acheter»; il n'est donc indiqué nulle part que le bien-fonds est effectivement vendu, il est seule- ment sous-entendu qu'il le sera ultérieurement. De même, l'article 1 stipulant que le vendeur s'engage à vendre et que l'acheteur s'engage à acheter, la demanderesse en conclut que les parties ne font qu'envisager une vente future. A cela, la défende-
resse répond que les parties sont décrites comme étant le vendeur et l'acheteur et que l'engagement pris par l'une d'entre elles de vendre signifie en réalité que le bien-fonds est vendu.
La première partie de l'article 3 à la page 6 du contrat se lit comme suit:
[TRADUCTION] 3. Le vendeur fait valoir et garantit que dès signature de l'acte de vente, comme il est prévu ci-après, le titre de propriété sur le bien-fonds sera bon et négociable et libre de toutes charges, hypothèques ou autres servitudes de quelque nature que ce soit (y compris les privilèges prévus aux articles 2013 et suivants du Code civil du Québec), à l'exception des hypothèques qui grèvent actuellement le bien-fonds conformé- ment à l'annexe aBn ci-jointe.
Selon la demanderesse, ce paragraphe signifie que la vente n'a pas lieu tant que l'acte de vente n'est pas signé. La défenderesse soutient de son côté qu'il s'agit d'une garantie expresse et non d'une condition qui caractériserait une promesse de vente. La thèse de la demanderesse est plus juste.
Toutefois, la clause la plus importante pour ce qui est de la réservation du droit de propriété et de la vente est la première partie de l'article 9, page 12, que voici:
[TRADUCTION] 9. L'acheteur aura immédiatement droit à la possession légale du bien-fonds. Nonobstant l'entrée en posses sion par l'acheteur, le présent contrat n'est pas un acte de vente et n'a pas pour effet de transmettre à l'acheteur le titre de propriété sur le bien-fonds, titre que conserve le vendeur jusqu'à la signature de l'acte de vente prévu aux présentes.
Quant au droit de percevoir les loyers, il est intéressant de noter que par le même contrat, l'acheteur a transféré et cédé tous les baux au vendeur à titre de garantie de paiement (voir l'article 15, page 18, de la pièce 1). Puisque par cette clause, First General, acheteur, transférait effectivement les baux à Olympia, il fallait qu'elle en fût devenue propriétaire en vertu de l'article 11 dudit contrat, selon lequel [TRADUCTION] «L'acheteur par les présentes se subroge et se substitue au vendeur dans tous ses droits, actions et privilèges découlant de tous les baux....» Autrement, il n'aurait pas été question que l'ache- teur les transfère à Olympia and York Develop ments Limited (ci-après appelée «Olympia») en garantie de paiement. Ces baux seraient simple- ment restés la propriété d'Olympia comme ils l'étaient avant la signature du contrat. Le transfert
et la cession des baux en garantie de paiement constituent la condition qu'un créancier impose normalement au propriétaire lorsque celui-ci signe une hypothèque en sa faveur. A mon avis, ces clauses sont la preuve dans l'esprit des parties au contrat, que l'article 11 transférait non seulement le droit de percevoir les loyers, que l'acheteur ne cessait de percevoir, mais encore la propriété effec tive des baux et non pas, comme le prétend l'avo- cat de la demanderesse, la preuve que les loyers n'ont jamais été considérés comme transférés.
Bien que les loyers fussent effectivement perçus et conservés par First General, acheteur, les paie- ments hypothécaires (tant le principal que les inté- rêts), qu'elle faisait en vertu des hypothèques qui grevaient le bien-fonds, étaient assimilés dans les livres de la demanderesse, vendeur, au [TRADUC- TION] «revenu locatif». Vu la manière dont la demanderesse concevait la propriété du bien-fonds, il semble que ce fût la seule manière d'inscrire ce revenu puisque les loyers eux-mêmes restaient la propriété de First General. A mon sens, ces entrées comptables ne prouvent pas grand-chose, sinon une manifestation de la propre position de la demanderesse après la signature du contrat. A cela, on pourrait opposer le fait que le 29 septem- bre 1969, les vendeurs ont mentionné dans une lettre à leur agent [TRADUCTION] «la vente, faite par nous, des locaux appelés Place Crémazie....» (Voir la pièce 2.)
L'article 16 du contrat interdit à l'acheteur de passer sans l'autorisation du vendeur, un nouveau bail allant au-delà du 31 août 1971, dernière échéance prévue pour le paiement du solde de $8,775,000 directement au vendeur, cette date étant également prévue pour la signature et la remise de l'acte de vente. De même, pour une cession de loyers en garantie du paiement d'une dette immobilière, l'interdiction de passer des baux à long terme et plus particulièrement des baux allant au-delà de la date limite de paiement du solde dû, est une mesure que le créancier hypothé- caire impose normalement au débiteur hypothé- caire à l'égard d'un immeuble locatif. Bien qu'elle limite le droit de l'acheteur de disposer du bien- fonds, cette interdiction n'en est pas pour autant une négation du droit de propriété sur le bien. Elle constitue simplement une restriction qui vise direc-
terrent à protéger la dette garantie par le bien en cause et un moyen d'assurer au créancier, qui pourrait finalement être obligé de réaliser sa garantie, que sa valeur ne sera pas diminuée dans l'intervalle par des baux à long terme prévoyant des loyers indûment faibles ou assujettis à des conditions qui favorisent déraisonnablement les locataires. Cette clause ne prouve pas, comme l'a soutenu l'avocat de la demanderesse, qu'il n'y a pas eu vente.
Il y a aussi une clause portant interdiction for- melle d'enregistrer le contrat ou de publier l'une quelconque de ses dispositions, ainsi qu'une clause pénale prévoyant des dommages-intérêts liquidés si l'acheteur n'observe pas cette interdiction. A mon avis, ces deux dispositions n'empêchent pas la vente de se réaliser. L'arrêt Dulac c. Nadeau" de la Cour suprême du Canada (les juges Fauteux et Taschereau, tels étaient alors leurs titres, étant dissidents) fait autorité à cet égard. Il ressort de cet arrêt que du moment qu'il y a eu entrée en possession, l'acheteur est devenu, en vertu de l'arti- cle 1478 du Code et nonobstant les dispositions de ce genre, le propriétaire du bien-fonds et a le droit de transférer à un tiers un titre franc d'hypothèque sur les immeubles qui en ont été enlevés.
L'acheteur, First General, avait droit immédia- tement au titre foncier au paiement des sommes prévues au contrat; elle avait aussi le droit de payer d'avance le prix d'achat à tout moment. De son côté, la demanderesse avait l'obligation for- melle de transférer la propriété du bien lors du paiement. C'est ce que prévoit expressément l'arti- cle 13, page 14, de la pièce 1, que voici:
[TRADucTtoN] Nonobstant ce qui précède, l'acheteur a le droit à tout moment (pourvu qu'il ait rempli toutes les obligations prévues aux présentes) de payer d'avance au vendeur un mon- tant suffisant pour réduire le solde à trois millions soixante- quinze mille dollars ($3,075,000.00) et de s'assurer la signature d'un acte de vente, qui lui confère le droit de propriété sur le bien-fonds.
Après avoir précisé que le titre ne sera transféré à l'acheteur qu'après l'enregistrement de l'acte, le contrat prévoit que l'acheteur doit tenir l'immeu- ble en bon état et l'empêcher de se détériorer, etc.
[1953] 1 R.C.S. 164.
Cette exigence, à laquelle s'ajoute l'obligation imposée à l'acheteur d'assurer les bâtiments afin de [TRADUCTION] «garantir le paiement» et d'in- demniser le vendeur [TRADUCTION] «selon ses intérêts», signifie que l'acheteur devait assumer les risques, bien qu'il n'y eût aucune disposition expresse dans ce sens. Selon le droit de la province de Québec, c'est le propriétaire qui assume le risque de perte. Jean-Louis Baudouin, dans son chapitre intitulé Les obligations 2 , note à ce sujet à la page 191:
360 Principe général Le droit civil québécois, suivant en cela la tradition française moderne, fait reposer sur le propriétaire d'un objet le risque de perte ou destruction de celui-ci par cas forfuit. Le risque est donc lié, non à la détention ou possession de l'objet mais au lien et au droit de propriété. Il devient donc particulièrement important dès lors, de déterminer avec précision le moment exact du transfert du droit de pro- priété, puisque de ce transfert dépend également le transfert du risque de la perte de l'objet aliéné.
On pourrait aussi se référer à l'ouvrage de Marler, The Law of Real Property 3 , au paragra- phe 410 (3e) de la page 179 et au paragraphe 418 de la page 184.
Pour résumer, il a été prouvé à mon entière satisfaction que, sauf le droit d'obtenir et d'enre- gistrer le titre foncier, droit qui lui reviendra lors- qu'il aura payé au vendeur les montants dus, l'acheteur, une fois entré en pleine possession du bien-fonds le 30 septembre 1969, jouissait de tous les droits d'un propriétaire, dont les biens auraient fait l'objet d'une hypothèque garantie par des engagements normaux. Dès lors, l'acheteur était pleinement en droit de jouir des loyers et des bénéfices du bien-fonds et dès paiement des mon- tants dus, il aurait eu le droit de le vendre avec un titre de propriété assujetti aux seules hypothèques antérieures en faveur des tiers. Il lui a fallu aussi supporter les charges normales de la propriété car il a été obligé non seulement de payer les salaires, les impôts, les primes d'assurance et les charges de toutes sortes, mais il a faire toutes les répara- tions et assurer l'administration générale du bien. Je constate aussi que les parties ont formellement convenu que, nonobstant l'entrée en possession, le contrat ne constitue pas un acte de vente et ne fait pas de l'acheteur le propriétaire du bien ni ne lui
2 Traité élémentaire de droit civil, 1970.
3 Québec 1932.
donne aucun droit de propriété, ce dernier restant dévolu au vendeur. (Voir l'article 9 précité du contrat.)
Il reste maintenant à examiner si, à la lumière de ces constatations, il y a eu vente au sens de la loi québécoise.
J'ai consulté, sans les suivre, les décisions sui- vantes: Cornwall c. Henson 4 ; Trinidad Lake Asphalt Operating Company, Limited c. Commis sioners of Income Tax for Trinidad and Tobago 5 ; Buchanan c. Oliver Plumbing & Heating Ltd. 6 ; ainsi que les passages cités par les avocats en présence de 19 C.E.D., chapitre IX et de Hals- bury's, troisième édition, Volume 34. Bien entendu, il s'agit exclusivement de jurisprudence de common law anglaise. Le droit immobilier est l'un des domaines les principes de common law et de droit civil sont le plus probablement diffé- rents ou tout au moins découlent de postulats différents. En common law, la nature des rapports entre vendeur et acheteur d'immeuble, dans un cas donné, est régie dans une grande mesure par la distinction des notions de propriété, de biens et de recours entre la common law et l'equity et par les principes applicables aux diverses catégories de fiducies et de fiduciaires. Ces notions sont incon- nues en droit civil. Chercher une solution au litige en l'espèce dans la jurisprudence de common law équivaut donc à entreprendre un voyage périlleux sur des chemins rocailleux et tortueux, pleins d'embûches, qui (avec de la chance) conduiraient à un cul-de-sac.
Au cours de leurs plaidoiries, les avocats en présence ont cité les articles suivants du Code civil, que je reproduis textuellement pour en faciliter la consultation:
Art. 406. La propriété est le droit de jouir et de disposer des choses de la manière la plus absolue, pourvu qu'on n'en fasse pas un usage prohibé par les lois ou les règlements.
Art. 1079. L'obligation est conditionnelle lorsqu'on la fait dépendre d'un événement futur et incertain, soit en la suspen- dant jusqu'à ce que l'événement arrive, soit en la résiliant, selon que l'événement arrive ou n'arrive pas.
4 [1899] 2 Ch. 710.
5 [1945] A.C. (C.P.) 1.
6 [1959] O.R. 238.
Lorsqu'une obligation dépend d'un événement qui est déjà arrivé, mais qui est inconnu des parties, elle n'est pas condition- nelle. Elle a son effet ou est nulle du moment qu'elle a été contractée.
Art. 1472. La vente est un contrat par lequel une personne donne une chose à une autre, moyennant un prix en argent que la dernière s'oblige de payer.
Elle est parfaite par le seul consentement des parties, quoique la chose ne soit pas encore livrée; sujette néanmoins aux conditions contenues en l'article 1027, et aux règles spéciales concernant la cession des vaisseaux enregistrés.
[L'article 1027 ne s'applique pas en l'espèce.]
Art. 1473. Le contrat de vente est assujetti aux règles générales concernant les contrats, les effets et l'extinction des obligations, énoncées dans le titre Des obligations, à moins qu'il n'y soit pourvu autrement d'une manière spéciale dans ce Code.
Art. 1476. La simple promesse de vente n'équivaut pas à vente; mais le créancier peut demander que le débiteur lui passe un titre de vente suivant les conditions de la promesse, et qu'à défaut par lui de ce faire, le jugement équivaille à tel titre et en ait tous les effets légaux; ou bien il peut recouvrer des domma- ges-intérêts suivant les dispositions contenues au titre Des obligations.
Art. 1478. La promesse de vente avec tradition et possession actuelle équivaut à vente.
Il ressort de l'article 406 que la propriété com- prend deux droits distincts: le droit de jouir de la chose et le droit d'en disposer de la manière la plus absolue. A propos de ces principes, Marler écrit dans son ouvrage intitulé The Law of Real Prop erty, supra:
[TRADUCTION] La propriété se définit peut-être mieux comme le droit en vertu duquel une chose est assujettie d'une manière absolue et exclusive à la volonté et au pouvoir d'une personne; Aubry et Rau, II, 190; Planiol, I, 1027. Elle a donc deux caractéristiques: elle est absolue et elle est exclusive.
63. Propriété complète et incomplète:—Le propriétaire peut exercer tous les pouvoirs ci-dessus quand son droit de propriété est complet ou, comme on le dit communément mais erroné- ment, absolu, car il n'y a pas de propriété absolue. Par ailleurs, le droit de propriété est le plus complet de tous les droits immobiliers; il est la somme de tous les droits réels sur une chose. Cependant, le droit du propriétaire n'est pas toujours complet. Pour l'être, il doit être perpétuel et la chose possédée ne doit être soumise à aucun droit immobilier d'autrui. Elle est incomplète quand elle est temporaire ou quand la chose possé- dée est soumise à un droit immobilier d'autrui.
68. Le droit de propriété sur une chose ne peut jamais être en suspens:—Cette chose doit appartenir à un moment donné à une personne, à un groupe de personnes ou une personne
morale. Une chose doit avoir un propriétaire. Une chose qui n'a pas de propriétaire est réputée appartenir à la Couronne, C.C. 584, 401.
420. Le vendeur doit céder la chose elle-même:—Dans une vente, le vendeur doit faire plus que céder à l'acheteur son droit sur la chose ou la possession de la chose, comme c'était le cas avant le Code; il doit lui remettre la chose elle-même.
Il est clair que le droit de jouissance peut être cédé séparément du droit de disposition et que pour qu'il y ait vente, la chose elle-même doit être cédée et non pas simplement le droit d'en jouir.
L'article 1478 du Code civil prévoit certes que la promesse de vente accompagnée du transfert de la possession réelle équivaut à la vente, mais cet article est susceptible d'interprétation. Marler, dans son ouvrage The Law of Real Property, op. cit. supra, écrit:
[TRADUCTION] 443. Promesse de vente avec transmission:— Quand une promesse de vente s'accompagne de la transmission par le débiteur et de l'entrée en possession réelle, dénotant l'intention du créancier de devenir propriétaire, elle équivaut à une vente, C.C. 1478. (Note de l'éditeur: Greaves et al. c. Cadieux, 50 S.C. 361.) Une promesse de vente n'est jamais la même chose qu'une vente, mais dans ce cas, elle a les mêmes effets qu'une vente car la propriété est transmise. Il y a d'un côté la volonté de vendre manifestée par l'acte de transmission et de l'autre, la volonté d'acheter qu'atteste l'entrée en posses sion du créancier en qualité de propriétaire. La propriété passe de l'un à l'autre; le créancier assume les risques du bien; rien ne manque excepté l'acte formel qu'il faut signer comme preuve du contrat et son enregistrement comme avis aux tiers.
440. Promesse bilatérale:—Quand la promesse de vente est bilatérale, une partie promettant de vendre et l'autre d'acheter un certain immeuble à un prix déclaré, le contrat devant être mis à exécution à la demande de l'une ou l'autre partie par la signature d'un acte translatif de propriété, à n'importe quel moment ou dans un certain délai ou encore après une certaine date, cette promesse n'est pas une vente ayant pour effet de transférer immédiatement la propriété. Il ne peut pas y avoir vente s'il est entendu que le titre de propriété et les risques ne seront pas transmis avant que l'obligation contractée par l'une ou l'autre parties ne soit volontairement remplie par la signa ture de l'acte de vente ou que l'une ou l'autre partie ne soit contrainte de l'exécuter par un jugement ayant l'effet d'un acte translatif de propriété. McIntyre c. Birchenough, 35 R.L., n.s. 14, supra 417.
De son côté, Faribault écrit dans son Traité de droit civil du Québec, Volume XI, article 116:
Remarquons que même lorsqu'elle est accompagnée de tradi tion, la promesse de vente n'équivaut pas à vente lorsqu'elle est accompagnée d'une condition suspensive, ou lorsque les parties ont convenu que le promettant vendeur devait retenir la pro- priété de la chose jusqu'au paiement intégral du prix ou jusqu'à
ce que le bénéficiaire ait rempli toutes ses obligations. Notre jurisprudence est constante dans ce sens.
Voir aussi la décision Laflamme c. Croteau 7 .
Le même principe a été aussi appliqué dans les décisions suivantes: Desautels c. Parker 8 ; L'Hon. William Henry Chaffers c. Morrier 9 ; Lalonde c. De Houle'°; Labelle c. Paquette"; Lussier c. Paquette 12 ; et Héroux c. Héroux l 3 . A ce sujet, il convient de noter les conclusions du juge MacKay dans Renaud c. Arcand 14 la page 104]:
Bien que l'art. 1478 du Code civil du Bas-Canada, d'accord en cela avec le sentiment de presque tous les auteurs, établisse que «la promesse de vente avec tradition et possession actuelle équivaut à vente», cependant il ne faut pas donner à cette disposition plus d'étendue que n'a voulu lui en donner le législateur. Qu'un semblable acte ait plusieurs des caractères de la vente, et soit effectif en ce sens que le vendeur se trouve lié par cet acte à passer titre si l'acheteur remplit toutes les conditions stipulées, et ne puisse vendre à une autre, cela est incontestable. C'est ce qu'ont voulu exprimer tous les auteurs et après eux notre code civil. Mais que les effets d'un tel acte soient tellement absolus qu'ils dépouillent le prometteur de vendre de tout droit de propriété, et transportent en la personne du prometteur d'acheter une propriété parfaite, c'est ce qui ne peut pas se supposer. Il ne faut pas donner à un tel acte des effets plus étendus que les parties n'ont voulu lui en donner.
Ces nombreuses énonciations de la jurispru dence et de la doctrine du droit québécois semblent toutes aboutir à la même conclusion: lors même que l'acheteur est entré en possession, jouit die tous les avantages et assume toutes les charges de. propriété, si le vendeur n'est pas intégralement payé et si les parties conviennent expressément que le titre ne sera pas transféré mais est conservé par le vendeur et aussi qu'il n'y aura pas vente tant que le prix d'achat ne sera pas acquitté, on doit con- clure qu'il n'y a pas eu vente juridiquement par- lant, alors que selon l'article 1478, tout cela «équi- vaut à» une vente.
Par contre, on trouve dans les ouvrages suivants:
7 (I 920) 57 C.S. 318.
8 (1894) 6 C.S. 419.
9 (1896) 2 R. de J. 103.
10 (1927) 33 R.L. (N.S.) 255.
11 (1934) 40 R.L. (N.S.) 380.
12 [1948] C.S. 74.
13 [1952] Ri. 449.
14 (1870) 14 L.C.J. 102 (C.S.).
Leçons de Droit Civil 15 de Mazeaud et Le Droit Civil Canadien' 6 de Mignault, une opinion tout à fait opposée. Mazeaud écrit à la page 753 de son ouvrage:
Mais ni l'une ni l'autre de ces analyses ne peut être retenue. L'événement qui se trouve choisi comme condition, est, en effet, le paiement du prix; or il n'est pas possible de choisir comme condition l'élément essentiel d'un contrat (cf. t. Il, éd., 1039); vendre sous la condition que le prix sera payé, ce n'est pas conclure une vente conditionnelle, mais une vente pure et simple, car, dans toute vente, l'acheteur est tenu de payer le prix.
La vente à tempérament avec réserve de propriété est, en réalité, une vente pure et simple, mais assortie, à la fois, d'un pacte commissoire ou clause résolutoire (cf. t. II, éd., 1104) et d'une convention retardant le transfert de la propriété jusqu'au paiement de la totalité du prix: les parties ont convenu que le vendeur restera propriétaire jusqu'au paiement intégral du prix, et que la vente sera résolue de plein droit par le non-paiement d'une échéance du prix (cf. trib. civ. Valen- ciennes 30 nov. 1956, Gaz. Pal. 1957. 1. 461).
[Il convient de noter que l'exposé de Mazeaud porte sur le droit civil de France et non du Québec.]
On trouve cependant cette analyse dans l'ou- vrage de Mignault, aux pages 4 et 5:
Dans notre droit, la vente n'est point seulement productive d'obligations, le plus souvent elle est en même temps transla- tive de propriété, ainsi que nous le verrons bientôt. On peut donc la définir: la convention par laquelle l'une des parties transfère ou s'engage à transférer la propriété d'une chose moyennant un prix que l'autre s'engage à payer.
Il résulte de la définition de la vente que trois éléments sont de son essence, savoir:
Une chose qui en fait l'objet; Un prix;
L'accord des volontés des parties sur la chose et sur le prix.
Quand ces trois éléments concourent, la vente est perfecta en droit romain et dans notre droit, c'est-à-dire qu'elle est formée, qu'elle existe. Ainsi, elle existe dès que les parties sont conve- nues de la chose et du prix.
et aux pages 11 et 12:
Dans notre droit, la vente conclue peut produire jusqu'à trois effets. Elle peut: créer des obligations; transférer la propriété; mettre les risques de la chose vendue à la charge de l'acheteur.
Mais ces trois effets ne se trouvent pas toujours réunis. La vente est quelquefois seulement productive d'obligations, d'au- tres fois translative de propriété en même temps que créatrice d'obligations, avec ou sans les risques pour l'acheteur.
15 Deuxième édition, Volume 3.
16 Volume 7 (1906).
Les trois effets sont réunis quand la vente, pure ou à terme, a pour objet un corps certain dont le vendeur était propriétaire. Cette vente oblige le vendeur à livrer et à garantir la chose vendue, l'acheteur à payer le prix.
De plus, elle rend l'acheteur propriétaire. La translation de propriété est alors un effet aussi direct, aussi immédiat, que la création des obligations. La propriété passe du vendeur à l'acheteur par la seule puissance de la vente, sans qu'il y ait besoin ni de la tradition ni du paiement du prix. On est alors aliénateur en même temps que vendeur, acquéreur en même temps qu'acheteur (art. 583, 1025.)
Le terme accordé à l'une ou à l'autre partie n'empêche pas la vente d'être instantanément translative de propriété: car le simple terme suspend, non pas l'acquisition des droits que le contrat peut produire, mais seulement leur exécution (art. 1089).
Toutefois, il en serait différemment si les parties avaient, par une clause expresse, renvoyé à une époque ultérieure la transla tion de la propriété.
Enfin, lorsque l'acheteur devient propriétaire, les risques de la chose vendue sont à sa charge. On disait en droit romain: res perit domino (art. 1025, 1200).
Dans ces passages, Mignault semble viser sur- tout la vente des meubles, mais le même principe devrait s'appliquer aussi aux immeubles.
Il ressortirait de l'exposé fait par ces deux der- niers auteurs que si l'acheteur est entré en posses sion et jouit de tous les fruits et droits de la propriété, le contrat qui l'y autorise peut être considéré en droit comme un contrat de vente final, même si le prix de vente n'a pas été intégra- lement payé et que les parties ont expressément convenu que le titre ne serait pas transféré et que le contrat n'opérerait pas vente avant le paiement intégral du prix.
Attendu que les opinions en faveur de la pre- mière école de pensée (dont celles de plusieurs savants juges de droit civil) l'emportent nettement, je rejette le point de vue de MM. Mazeaud et Mignault.
Il est vrai que lorsque toutes les conditions essentielles sont réunies pour créer certains rap ports juridiques, lesquels sont consacrés par un terme ou une expression juridiquement reconnue ou acceptée, un accord entre les parties visant à établir que ces rapports n'existent pas ou ne sont pas décrits ni identifiés par ce terme, ne peut en aucune façon modifier ou affecter ni la situation réelle, qui existe en fait et en droit, ni les termes
juridiques qui la caractérisent. En l'espèce cepen- dant, il ressort des règles de droit civil que si l'acheteur et le vendeur ont convenu que la vente n'aurait lieu qu'au paiement, il n'y a pas vente sur le plan juridique, mais un simple contrat exécu- toire stipulant que la vente aura lieu à une date ultérieure, au moment du paiement.
Par ces motifs, je dois donc conclure en l'espèce qu'il n'y a jamais eu de vente entre la demande- resse et First General et que la demanderesse a vendu le bien-fonds, pour la première fois, à Cen tury Plaza, en mai 1974.
Comme je l'ai déjà dit, le second point litigieux à trancher porte sur la question de savoir si en août 1969, il y a eu «disposition» au sens de l'article 20(5)b) de la Loi antérieure, laquelle «disposition» rendrait applicables les dispositions 20(1)a) et 20(5)e)(ii)(A) et (B). (Ces dispositions portent maintenant les numéros 13(21)c), 13(1)a) et 13(21)f)(ii)(A) et (B) dans la Loi nouvelle.) Voici ce qu'elles prévoient:
20. (1) Lorsque, dans une année d'imposition, il a été disposé de biens d'un contribuable, susceptibles de dépréciation et appartenant à une catégorie prescrite, et que le produit de la disposition excède le coût en capital non déprécié, pour lui, des biens susceptibles de dépréciation de cette catégorie, immédia- tement avant leur aliénation, le moindre
a) du montant de l'excédent, ou
doit être inclus dans le calcul de son revenu pour l'année.
(5) Dans le présent article et dans les règlements établis en exécution de l'alinéa a) du paragraphe (1) de l'article 11, l'expression
b) «disposition de biens» comprend toute opération ou tout événement donnant droit au contribuable au produit d'une disposition de biens;
e) «le coût en capital non déprécié, pour un contribuable, de biens susceptibles de dépréciation» d'une catégorie prescrite, à une époque quelconque, signifie le coût en capital, pour le contribuable, de biens susceptibles de dépréciation de cette catégorie dont l'acquisition est antérieure à cette époque, moins l'ensemble
(ii) pour chaque disposition, avant cette époque, de biens du contribuable appartenant à cette catégorie, du moindre
(A) du produit de la disposition desdits biens,
(B) du coût en capital, pour lui, desdits biens, ou
Selon l'article 20(5)c), «disposition» s'entend de la vente et de plusieurs autres types de paiement tels que: indemnité pour les biens endommagés, montants payables en vertu d'une police d'assu- rance, etc., mais il ne s'agit pas d'une définition exhaustive des termes «disposition de biens» qui figure à l'article 20(5)b) cité plus haut. En fait, l'article 20(5)b) lui-même, figure le terme «includes» (comprend), n'est pas non plus une défi- nition exhaustive ou limitative. A cet égard, le juge Pratte s'est prononcé en ces termes à la page 876 de l'arrêt La Reine c. Compagnie Immobilière BCN Limitée" de la Cour suprême du Canada:
Les définitions des substantifs «disposition of property» (dis- position de biens) et «proceeds of disposition» (produit d'une disposition) aux al. 20(5)b) et c) indiquent clairement que le verbe «disposed of» est employé dans son sens le plus large.
Le terme «acquired» (acquis) figurant à l'article 20(5)e) est de toute évidence l'antonyme direct de «disposed» (disposé) (ou disposition) employé dans la même disposition et implique en gros pour la personne qui acquiert le bien, les mêmes éléments que pour celle qui en dispose. Dans Le ministre du Revenu national c. Wardean Drilling Limited' 8 , mon collègue le juge Cattanach, s'attachant au sens du mot «acquired», tel qu'il figure à l'article 20(5), s'est prononcé en ces termes à la page 172:
[TRADUCTION] Sauf le respect que je lui dois, je ne peux souscrire à cette thèse.
A mon avis, le critère applicable pour déterminer le moment le bien est acquis se rapporte au titre de propriété sur le bien en question ou aux accessoires normaux du titre, naturels ou déduits par interprétation, tels que la possession, l'usage et le risque.
et encore, à la page 173:
[TRADUCTION] Comme je l'ai indiqué, je suis d'avis qu'un acheteur a acquis des biens d'une catégorie de l'annexe B lorsque le titre est transmis, en supposant que ces biens existent à ce moment, ou lorsque l'acheteur a réuni tous les accessoires du titre, tels que la possession, l'utilisation et le risque, bien que le titre légal reste au vendeur en garantie du prix d'achat comme le veut la pratique commerciale dans les cas de contrats de vente conditionnelle. Selon moi, le critère susdit est celui qu'il faut appliquer pour déterminer s'il y a acquisition de l'un des biens décrits à l'annexe B des Règlements de l'impôt sur le revenu.
17 [ 1979] 1 R.C.S. 865. [1969] 2 R.C.É. 166.
Le juge suppléant Bastin a souscrit à cette con clusion dans La Reine c. Henuset Bros. Ltd. LN 11 19 , il s'est prononcé en ces termes à la page 5170:
[TRADUCTION] 11 s'ensuit que l'acheteur a acquis, le 30 décem- bre 1971, tous les accessoires du droit de propriété autres que le titre légal (réservé par le vendeur en vertu des accords de vente conditionnelle) tels que la possession, le risque et le droit de se servir des tracteurs. A mon avis, le fait que le vendeur s'est réservé le titre de propriété de ces derniers comme garantie équivaut à la situation cette garantie aurait été prise sous forme d'hypothèque mobilière. Cette opinion est fondée sur la décision rendue par le savant juge Cattanach dans M.R.N. c. Wardean Drilling Limited [69 DTC 5194], (1969) C.T.C. 265.
En l'espèce, la demanderesse, en signant le con- trat et en transmettant le bien-fonds à First Gen eral, en septembre 1969, s'est déchargée de toutes les obligations, responsabilités et charges attachées à la propriété, en même temps qu'elle a renoncé à tous les avantages, bénéfices et privilèges de la propriété à l'exception du titre formel. Elle s'était engagée absolument et irrévocablement à signer et à remettre à l'acheteur un titre incontestable dès paiement du solde du prix de vente. Tous les droits complémentaires auxquels elle avait droit en vertu du contrat visaient exclusivement à garantir le paiement de ce solde; ce sont des droits qui revien- nent normalement au créancier hypothécaire pour protéger sa garantie.
Eu égard à l'interprétation donnée par la Cour suprême du Canada dans La Reine c. Compagnie Immobilière BCN Limitée, op. cit. supra, des notions de «disposition de biens» et de «produit d'une disposition» et compte tenu des conclusions du juge Cattanach dans Le ministre du Revenu national c. Wardean Drilling Limited, op. cit. supra (auxquelles je souscris pleinement), je con- clus qu'en l'espèce, il y a eu en septembre 1969, «disposition» par la demanderesse de l'ensemble de la Place Crémazie au sens de l'article 20 de la Loi antérieure (article 13 de la Loi nouvelle).
Les cotisations établies contre la demanderesse pour les années d'imposition 1970, 1971, 1972 et 1973 seront donc retournées au ministre du Revenu national aux fins de nouvelle cotisation fondée sur le fait qu'à aucun moment, avant ou pendant ces années, il n'y a eu vente de l'ensemble
19 77 DTC 5169.
de la Place Crémazie, mais qu'en septembre 1969, il y a eu «disposition» de ce bien-fonds au sens de l'article 20(5)b) de la Loi antérieure et de l'article 13(21)c) de la Loi nouvelle.
La demanderesse a droit à ses dépens.
 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.