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T-189-77
Nahum Gelber (Demandeur)
c.
La Reine (Défenderesse)
Division de première instance, le juge Walsh— Montréal, 21 octobre; Ottawa, 27 octobre 1980.
Impôt sur le revenu Allocation du coût en capital Accord d'acquisition et de rétro-location En 1972, le demandeur acheta des intérêts dans un film à un prix total de $38,333.33, dont $8,333.33 furent versés en acompte en 1972 et $30,000 en 1973 Il était convenu que le demandeur rece- vrait un loyer annuel garanti jusqu'à concurrence d'un mini mum de $30,000 avant l'expiration de l'accord Le deman- deur devait recevoir aussi les intérêts des obligations d'épargne du Canada engagées en garantie du paiement du loyer Pour l'année d'imposition 1972, le demandeur revendique une allo cation du coût en capital calculée sur le montant de $38,333.33 La défenderesse a fait une nouvelle cotisation sur le mon- tant de $8,333.33 Il échet d'examiner si, pour le deman- deur, le coût véritable de l'investissement a été de $38,333.33, ou de $8,333.33, seul ce dernier montant étant en jeu selon la défenderesse Appels accueillis Loi de l'impôt sur le revenu S.R.C. 1952, c. 148 modifiée, art. 67, 245(1).
Distinction faite avec les arrêts: Mandel c. La Reine [1977] 1 C.F. 673, confirmé à [1979] 1 C.F. 560; Lipper c. La Reine 79 DTC 5246.
APPEL en matière d'impôt sur le revenu. AVOCATS:
R. S. Litvack pour le demandeur.
P. Plourde et J.-P. Fortin, c.r. pour la
défenderesse.
PROCUREURS:
Chait, Salomon, Gelber, Reis, Bronstein, Lit- yack, Echenberg & Lipper, Montréal, pour le demandeur.
Le sous-procureur général du Canada pour la défenderesse.
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
LE JUGE WALSH: Cette action a été entendue en même temps que les actions enregistrées au greffe sous les numéros T-1438-77 et T-1439-77, qui opposent les mêmes parties et dont le litige est identique sauf les années d'imposition visées (en l'occurrence 1972, 1973 et 1974) qui, elles, varient d'une action à l'autre. Il ressort de la déclaration et des preuves produites que, le 28 décembre 1972,
le demandeur a conclu avec Intercontinental Lei sure Industries Ltd. (ci-après appelée «Interconti- nental») un accord par lequel il s'est engagé à acheter une participation 4 1/6 p. 100 dans un film de long métrage intitulé «Mother's Day», moyennant un prix total de $38,333.33 dont $8,333.33 furent versés en acompte dès la signa ture de, l'accord, avec engagement de payer le solde de $30,000 après l'exécution, par Interconti nental, de certaines obligations lui incombant en vertu de l'accord. Intercontinental ayant exécuté ces obligations, le demandeur lui a versé le solde de $30,000 pendant l'année d'imposition 1973. Selon les dispositions de l'accord, Intercontinental s'engageait auprès du demandeur (et des autres copropriétaires indivis) à prendre ce film en loca tion pour une période de quinze ans venant à expiration le 31 décembre 1988, pour un loyer annuel équivalant à 4 1/6 p. 100 de 92 p. 100 des recettes brutes tirées par Intercontinental de l'ex- ploitation de ce film, à la condition que les sommes ainsi versées par Intercontinental au contribuable, jusqu'au 31 décembre 1983, atteignent un total de $30,000 au moins. De plus, Intercontinental devait garantir le paiement du loyer par des obligations d'épargne du Canada.
Il ressort des preuves rapportées que le deman- deur n'a touché, comme loyer, que la somme de $124.58 en octobre 1974 et les sommes de $1,917 et de $9.14 en janvier 1975, soit au total $2,050.72. De plus, en exécution des dispositions de l'accord, qui prévoyaient le versement au demandeur des intérêts sur les obligations enga gées en garantie du paiement du loyer, Interconti nental a versé au demandeur $875.24 en septem- bre 1973, $875.26 en mars 1974, $832.50 en septembre 1974 et ainsi de suite, si bien qu'au 20 octobre 1980, ces versements totalisaient $12,573.
Le demandeur soutient que le coût en capital de sa participation indivise de 4 1/6 p. 100 dans le film «Mother's Day» s'élevait à $38,333.33 et non à $8,333.33 ainsi que le prétend le Ministre, et qu'il avait donc droit, dans le calcul de son revenu imposable pour l'année d'imposition 1972, une déduction de 60 p. 100 de ce coût en capital, conformément aux dispositions de la Loi de l'im- pôt sur le revenu, S.R.C. 1952, c. 148, et des Règlements y afférents.
La défenderesse reconnaît qu'en vertu de l'ac- cord, le loyer était garanti par des obligations d'épargne du Canada d'une valeur de $30,000. Pour l'année d'imposition 1972, le demandeur a revendiqué une déduction de $23,000 au titre de l'allocation à l'égard du coût en capital, cette déduction étant calculée sur la base d'un coût en capital de $38,333.33 pour ce long métrage. La défenderesse l'a cotisé sur la base d'un coût en capital de $8,333.33, c'est-à-dire sur le montant véritablement investi dans l'affaire. Selon la défen- deresse, il ne serait pas raisonnable d'accepter la déduction revendiquée par le demandeur car cela aurait pour effet de réduire indûment ou de façon factice son revenu imposable. Le demandeur n'a jamais été engagé, directement ou indirectement, à quelque époque des années d'imposition en cause, dans l'industrie cinématographique. Pour l'année d'imposition 1973, le demandeur ayant ramené ce coût en capital à $15,333.33 compte tenu des $23,000 déjà revendiqués au même titre en 1972, revendique 60 p. 100 du premier montant, soit $9,200. De son côté, le Ministre, n'ayant autorisé qu'une allocation de $5,000 en 1972 par ce motif que le coût en capital ne s'élevait qu'à $8,333.33, n'autorise qu'une allocation de $2,000 sur les $3,333.33 qui représentent le solde de ce coût. Pour l'année d'imposition 1974, le demandeur sou- tient que la fraction non amortie du coût en capital s'élevait à $6,133.33 alors que pour le Ministre, cette fraction représentait seulement $1,333.33. On peut difficilement rapprocher les chiffres res- pectifs de la déclaration d'impôt du demandeur pour 1974 et de la nouvelle cotisation du Ministre. Pour des raisons non exprimées, le demandeur a revendiqué une déduction de 100 p. 100 de $6,133.33, solde du coût en capital du film «Moth- er's Day» alors que, de son côté, le Ministre a ajouté au revenu du demandeur la somme de $5,333.33, ce qui s'expliquerait du fait qu'à la lumière de ses calculs, il n'autoriserait qu'une déduction de 60 p. 100 du montant de $1,333.33, soit $800. Par ailleurs, le demandeur a déclaré un revenu de $1,607.76 provenant de ce placement. Si l'on additionne les sommes de $875.26 et de $832.50 représentant les intérêts des obligations pour 1974, l'on arrive à un total de $1,707.76, soit exactement $100 de plus. Il se peut qu'il y ait eu une erreur de calcul. Qui plus est, le demandeur aurait déclarer le loyer du film de $124.58, ce qui ferait monter le total à $1,832.34 au lieu de
$1,607.76. Dans ses dépositions, M. Gelber ne pouvait expliquer ces écarts, et son comptable ne comparaissait pas comme témoin. J'ai fait ressortir ces écarts par souci d'exactitude, bien qu'ils ne changent rien au fond du litige, à savoir si le véritable coût en capital de ce placement était de $38,333.33 comme le prétend M. Gelber, ou de $8,333.33 comme le prétend le Ministre.
Attendu que selon le demandeur, la somme de $30,000 qu'il est assuré de recevoir le 31 décembre 1983, au plus tard, déduction faite de toutes les recettes perçues entre-temps à titre de loyer du film, constitue un revenu et non un remboursement de capital, il doit, pour demeurer logique avec lui-même, déclarer toutes ces recettes comme revenu et payer l'impôt qui s'y rapporte, cependant que de son côté, la défenderesse ne peut cotiser cette somme comme revenu tout en soutenant qu'elle représente un remboursement garanti de capital et en ne reconnaissant au demandeur qu'un débours net de $8,333.33. Les preuves relatives à la qualification de ces recettes sont loin d'être convaincantes. Selon la déclaration d'impôt du demandeur pour l'année d'imposition 1974, le revenu provenant de sa participation dans le film s'établit à $1,607.76 alors que le seul revenu loca- tif provenant de ce film était de $124.58 sans compter les $1,707.76 d'intérêts des obligations, qualifiés de loyer supplémentaire dans l'annexe versée au dossier. Bien qu'aux termes de l'accord, les intérêts provenant des obligations données en garantie constituent un [TRADUCTION] «loyer sup- plémentaire», je suis convaincu qu'il s'agit de recettes distinctes du loyer effectif du film, garanti jusqu'à concurrence de $30,000. En tout cas, le demandeur aurait déclarer ces intérêts comme revenu et il l'a fait pour 1974, encore que par une somme quelque peu inexacte qui ne tenait manifes- tement pas compte du revenu locatif de $124.58. Dans sa déclaration d'impôt pour l'année d'imposi- tion 1973, M. Gelber n'a indiqué aucun revenu provenant de son placement dans le film «Mother's Day» alors que, suivant l'annexe produite au procès, il a reçu en septembre 1973 la somme de $875.24 à titre d'intérêts sur les obligations don- nées en garantie. Il se peut certes que ce montant soit compris dans la somme de $926.99 déclarée comme revenu d'intérêts canadiens, mais faute de preuve, ce n'est que conjecture. Il est regrettable que la déclaration d'impôt du demandeur pour
l'année d'imposition 1975 n'ait pas été produite, car c'est la seule année la location du film ait rapporté des recettes importantes. Aussi n'y a-t-il aucun moyen de savoir comment ce revenu a été présenté dans la déclaration d'impôt pour cette année.
De son côté, la défenderesse a, dans la nouvelle cotisation pour 1974, ajouté au revenu du deman- deur la somme de $5,333.33 titre de redresse- ment de l'allocation du coût en capital revendiquée pour le film, sans accorder aucun crédit pour les $1,607.76 d'intérêts provenant de la même source. Ainsi que l'a admis l'avocat de la défenderesse, celle-ci ne peut pas tout avoir, mais, tout comme je serais incliné à le faire, elle a distingué les intérêts provenant des obligations données en garantie du revenu locatif du film, les intérêts n'étant pas considérés comme un revenu locatif provenant du film. En tout cas, la manière, aussi intéressante soit-elle, dont le demandeur ou la défenderesse conçoivent respectivement les recettes provenant de la location du film en 1973 et 1974 ne lie pas la Cour dans sa conclusion en l'espèce.
L'accord entre Intercontinental et les acquéreurs du film, dont le demandeur à l'action, prévoit que ces derniers peuvent négocier des emprunts bancai- res pour financer leur acquisition, auquel cas Intercontinental mettra en gage, auprès de la Banque Royale du Canada, les obligations qui, autrement, auraient été données en garantie, et Intercontinental garantirait ces emprunts bancai- res jusqu'à concurrence de 78 p. 100 du prix d'achat. Cette clause laisse entendre que, dans le calcul de leur revenu imposable, les acquéreurs pourront déduire les intérêts payés sur les emprunts bancaires. Le dossier ne dit pas si M. Gelber s'est prévalu de cette clause; en tout cas, celle-ci n'aurait aucun effet sur le présent litige. Le paragraphe 4 de l'accord d'acquisition et de rétro- location porte notamment:
[TRADUCTION] En cas d'obligations données en garantie au soussigné conformément au paragraphe 2 ci-dessus, le soussigné gardera tous les intérêts y afférents à titre de loyer supplémen- taire .... Les intérêts ainsi versés ou portés à son crédit n'auront pas pour effet de réduire d'autant la garantie du paiement du loyer.
J'en conclus que les intérêts provenant des obliga tions n'ont aucun rapport avec la garantie de paiement d'un loyer minimum de $30,000 au 31 décembre 1983, et que les sommes reçues à titre de
loyer ou en acquittement du solde qui reste après paiement éventuel du loyer minimum de $30,000 au 31 décembre 1983, ne constituent ni un revenu ni un remboursement de capital.
M. Gelber, avocat versé en droit des sociétés, était certainement au courant des avantages fis- caux de cet accord, mais connaissance des avanta- ges fiscaux ne signifie pas nécessairement volonté de se dérober à l'impôt. Il va de soi que le contri- buable a le droit de mettre à profit toutes les dispositions favorables de la Loi de l'impôt sur le revenu et des Règlements d'application pour réduire au minimum sa charge fiscale. L'opération dont s'agit était particulièrement à l'avantage de M. Gelber parce que, avec un débours de $38,333.33, il était assuré de récupérer au moins $30,000 et, en attendant, de gagner les intérêts sur la fraction de $30,000 du total placé. Tout ce qu'il risquait de perdre, c'était $8,333.33 au maximum, et il ne fait pas oublier la possibilité (quelque peu mince, il est vrai, puisqu'il s'agit de l'industrie du film) d'un bénéfice tenant à la rentabilité du film. Le 22 décembre 1972, un associé de M. Gelber lui adressa, ainsi qu'à d'autres que ce film pourrait intéresser, un mémoire l'on lit notamment ce qui suit:
[TRADUCTION] Pour bien comprendre l'opération proposée pour ce film, il faut la considérer comme un placement, et non comme un simple refuge fiscal. En d'autres termes, si vous recevez un loyer total de $23,000', c'est-à-dire la valeur d'une unité, vous paierez, au taux de 50 p. 100, $11,500 d'impôt sur le revenu, soit à peu près le montant de l'amortissement accu- mulé en cinq ans, suivant l'annexe jointe. En outre, les frais bancaires se monteraient à environ $234 par an après impôt; cependant, si le film est rentable, il y aura des bénéfices substantiels.
Selon M. Gelber, les obligations qu'il recevait en garantie du loyer conformément à l'accord,
valaient $31,583 l'époque, malgré leur valeur nominale de $38,900. La garantie devait être réduite au fur et à mesure du paiement du loyer. En effet, des obligations ayant une valeur nomi- nale de $1,900 ont été rendues depuis. Les autres, ayant une valeur nominale de $37,000 et toutes exigibles au 31 décembre 1983, restent en dépôt de garantie. Il est évident qu'à cette date, Interconti nental paiera toute différence restant due entre le loyer effectivement payé et le minimum garanti de
' En fait, M. Gelber a investi $38,333.33 dans cette opération.
$30,000 afin de récupérer ces obligations dont la valeur nominale s'élève à $37,000.
Avec un rapport prévu de $48,000 sur une période de 11 ans, pour une mise de fonds de $8,333.33 comme capital spéculatif 2 , M. Gelber estimait que les risques à courir étaient négligea- bles. Selon l'avocat de la défenderesse, un place ment de plus de $38,000 qui rapporte un total de $48,000 après 11 ans n'est certainement pas bien intéressant, et n'eût été les avantages fiscaux, le demandeur aurait pu mieux employer son capital. M. Gelber a reconnu que l'un des attraits de cette opération tient à la somme de $30,000 garantie par des obligations qui lui éviteraient d'avoir à enquê- ter sur le crédit des vendeurs offrant leur garantie personnelle. Il a entrepris cette opération à cause du risque minimal couru et non, à strictement parler, à cause des avantages qu'elle pourrait lui offrir. Depuis 1975, il n'a plus rien reçu à titre de loyer du film.
Ainsi que l'a fait ressortir l'avocat du deman- deur dans sa plaidoirie, M. Gelber n'a pas acheté ces obligations. Celles-ci étant seulement données en garantie, on ne peut dire qu'il a déboursé $30,000 pour l'acquisition de ces obligations.
L'avocat de la défenderesse soutient que si l'on voit dans cette opération un placement, non de $38,333.33, mais de $8,333.33, le rapport prévu de $48,000 (capital de $30,000 compris) ou de quel- que $10,000 sur la somme initialement investie après 10 ans, serait plus conforme à la réalité. Il se fonde, entre autres, sur l'article 67 qui porte:
67. Lors du calcul du revenu, aucune déduction ne doit être faite relativement à un débours ou à une dépense à l'égard de laquelle une somme est déductible par ailleurs en vertu de la présente loi, sauf dans la mesure ce débours ou cette dépense était raisonnable eu égard aux circonstances.
Sur la foi des preuves produites, je ne saurais conclure que le débours de $38,333.33 était dérai- sonnable. Ce débours ou cette dépense était raison-
2 I1 n'a pas expliqué sa méthode de calcul, mais on peut conclure de son annexe en date du 20 octobre 1980 qu'au 31 décembre 1983, les intérêts provenant des obligations donne- ront un total d'environ $19,000, si aucune de ces obligations n'est restituée sauf par suite d'un paiement de loyer supplémen- taire pour le film. Il est possible que par «rapport,' de son placement, M. Gelber entende, non le revenu qu'il en tire, mais le total de ce qu'il récupérerait, dont le capital de $30,000 et les intérêts sur les obligations, abstraction faite des recettes prove- nant du film.
nable car le risque de perte était minimisé par la garantie de remboursement, jusqu'à concurrence de $30,000, du capital placé en sus des intérêts sur les obligations, équivalant aux intérêts qui eussent été gagnés sur un placement initial de $30,000.
Le Ministre a également invoqué l'article 245(1) de la Loi qui porte:
245. (1) Dans le calcul du revenu aux fins de la présente loi, aucune déduction ne peut être faite à l'égard d'un débours fait ou d'une dépense faite ou engagée, relativement à une affaire ou opération qui, si elle était permise, réduirait indû- ment ou de façon factice le revenu.
D'après les documents produits au procès, cette opération n'a rien de factice et il ne suffit pas de lui en prêter l'intention pour conclure que M. Gelber l'a accomplie en vue de réduire son revenu de manière factice. Pour la défenderesse, il est extraordinaire qu'Intercontinental ait accepté de risquer $30,000 sous forme de garantie de revenu afin d'obtenir un placement net de $8,333.33, alors qu'il aurait été bien plus simple pour M. Gelber de risquer $8,333.33 dans l'espoir que ce montant serait couvert par le revenu locatif du film, au lieu d'engager $38,333.33 avec garantie de rembourse- ment de $30,000 seulement. Toutefois la Loi ne vise pas le [TRADUCTION] «véritable montant en jeu», expression utilisée à plusieurs reprises par la défenderesse dans sa plaidoirie, mais plutôt le «coût en capital supporté par le contribuable», et il est constant que le demandeur a bien déboursé $38,333.33 en argent liquide à titre de coût en capital. La défenderesse soutient que le montant du placement ayant été gonflé de $8,333.33 à $38,333.33, dont le demandeur était assuré de récupérer $30,000, l'opération est devenue intéres- sante du fait que le demandeur peut se prévaloir du montant supérieur pour revendiquer l'allocation du coût en capital, ce qu'il a fait d'ailleurs; mais elle ne réussit pas à établir que les $30,000 consti- tuaient la garantie de remboursement d'une partie du prix d'achat, et non la garantie d'un revenu à due concurrence, destinée à rendre l'offre de vente plus attrayante. Quant il aura reçu le solde arrêté au 31 décembre 1983, le demandeur devra le déclarer comme revenu imposable.
L'avocat de la défenderesse a cité certaines déci- sions, dont la plupart sont des affaires d'opération factice n'ayant aucun rapport avec la présente espèce les parties ont conclu des accords vali- des, sans aucun lien de dépendance. Parmi les
décisions citées, les deux cas les plus pertinents portent l'un et l'autre sur l'investissement dans les films et se distinguent nettement de l'affaire en instance. Dans l'affaire Mandel c. La Reine [1977] 1 C.F. 673, confirmée en appel, [1979] 1 C.F. 560, l'appelant et d'autres personnes ont versé un acompte sur le film et se sont engagés à payer le solde avec les recettes provenant de la distribu tion de ce film. Ils ont revendiqué l'allocation du coût en capital pour le total du prix, y compris le solde non encore payé, lequel représentait une obligation éventuelle. Il a été jugé que l'opération n'était pas factice, compte tenu de la possibilité de rentabilité du film, mais que pour l'année d'impo- sition en cause le contribuable ne pouvait revendi- quer l'allocation du coût en capital qu'à l'égard du montant effectivement versé cette même année. Le solde constituait une obligation éventuelle et ne pouvait faire l'objet d'une allocation du coût en capital qu'après paiement. Les faits de la cause étaient à peu près les mêmes dans l'affaire Lipper c. La Reine 79 DTC 5246 (soit dit en passant, M. Lipper était un associé de M. Gelber). L'accord conclu par M. Lipper n'était pas le même que celui de M. Gelber, le film était différent, et il s'agissait d'une autre année d'imposition. Dans cette affaire comme dans l'affaire Mandel, une partie du prix d'achat fut payée au comptant, le solde, d'un montant plus élevé, étant éventuellement payable à même les recettes futures du film. Il s'agissait d'une société en commandite, avec juste un associé ordinaire qui était une compagnie sans aucun actif. Si le film ne rapportait rien, le contribuable per- drait juste son placement initial, et seul l'associé ordinaire serait tenu à la dette. L'entreprise n'a rapporté aucun bénéfice. Pour le calcul de l'alloca- tion du coût en capital, il a été jugé que le contri- buable avait seulement droit à la déduction de son placement effectif de $5,000, et non aux $11,243 représentant sa part dans la société, attendu que cette dernière somme constituée par les paiements différés n'était qu'un stratagème d'évasion fiscale et n'avait rien à voir avec l'exploitation d'une entreprise. Il s'agissait également d'une obligation éventuelle de payer le solde avec les recettes futu res du film. Le paiement différé, qui était outra- geusement et artificiellement exagéré, n'avait aucun rapport avec la valeur du film. Ni le ven- deur ni l'acquéreur ne s'attendaient à ce qu'il eût lieu. En l'espèce, M. Gelber ne s'est pas engagé à une obligation éventuelle. Il a payé au comptant. Il
était certainement au courant des avantages fis- caux, et l'opération lui paraissait, sans aucun doute, profitable. Les risques à courir étaient rela- tivement minimes et il pouvait toujours espérer que l'exploitation de ce film serait rentable. Il ressort des preuves administrées que le film était interprété par de bons acteurs et de bonnes actri- ces. D'assimiler une garantie de revenu à un rem- boursement de capital, comme l'a fait la défende- resse, revient à ignorer, de propos délibéré, l'accord écrit dont il s'agit. Même si, du point de vue de l'allocation du coût en capital, il était plus avantageux pour le demandeur de payer $38,333.33 avec un revenu garanti de $30,000 plutôt que d'investir simplement $8,333.33, il ne faut pas oublier que le demandeur devait attendre 11 ans pour recevoir l'intégralité de ce revenu garanti. En attendant, les intérêts perçus sur les obligations en nantissement étaient probablement inférieurs à ce qu'il aurait pu tirer de ces $30,000 s'il les avait placés dans autre chose que des obli gations d'épargne de l'État; et il est indéniable qu'il a été séduit par le revenu garanti ainsi que par les avantages fiscaux. A mon avis cependant, on ne saurait en conclure qu'il s'agissait d'une opération sans but commercial et entreprise à seule fin de réduire indûment et de façon factice le revenu, au sens de l'article 245(1) de la Loi. En conséquence, les appels relatifs aux trois années d'imposition en cause sont accueillis, et les décla- rations de revenu du demandeur pour chacune des années 1972, 1973 et 1974 sont renvoyées au Ministre pour nouvelle cotisation conforme à ces motifs, avec dépens accordés pour un seul appel, attendu que les trois appels ont été entendus en même temps.
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