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T-825-80
In re la Loi sur la citoyenneté et in re Akberali S. Lakha (Appelant)
Division de première instance, le juge Cattanach— Vancouver, 6 et 14 mai 1980.
Citoyenneté La demande de citoyenneté a été rejetée L'appel formé contre ce rejet est fondé sur le fait que le juge de la citoyenneté a laissé en blanc la case de l'imprimé il devait indiquer s'il recommandait au Ministre d'exercer ses pouvoirs discrétionnaires Selon le par. 14(1) de la Loi sur la citoyenneté, le juge de la citoyenneté doit, avant de rejeter une demande, examiner s'il y a lieu de recommander l'exercice de pouvoirs discrétionnaires Il échet d'examiner si la décision de rejeter la demande est nulle Appel rejeté Loi sur la citoyenneté, S.C. 1974-75-76, c. 108, art. 5(4), 13(2),(3), 14(1),(2)a), 20(2) Loi sur l'immigration de 1976, S.C. 1976-77, c. 52, art. 27(1)d).
Appel formé contre le rejet par le juge de la citoyenneté de la demande de citoyenneté de l'appelant. Le juge de la citoyenneté est tenu par le paragraphe 14(1) de la Loi sur la citoyenneté d'examiner s'il y a lieu de recommander l'exercice de pouvoirs discrétionnaires avant de rejeter la demande de citoyenneté. En remplissant l'imprimé intitulé «DÉCISION DU JUGE DE LA CITOYENNETÉ», le juge de la citoyenneté a laissé en blanc la case indiquant si l'affaire a été soumise au Ministre en vue de l'exercice de ses pouvoirs discrétionnaires. Il y a lieu d'examiner si la décision de rejet de la demande est nulle parce que le juge de la citoyenneté n'a pas décidé s'il y avait lieu de recomman- der l'exercice des pouvoirs discrétionnaires, décision qui est la condition préalable de la décision de rejet de la demande.
Arrêt: l'appel est rejeté. Le paragraphe 14(1) prévoit que, avant de décider d'accueillir ou de rejeter une demande, le juge de la citoyenneté doit examiner s'il y a lieu de faire une recommandation au Ministre; s'il conclut qu'il n'y a pas lieu à recommandation, il peut alors rejeter la demande et faire connaître sa décision. A supposer que le paragraphe 14(1) impose un ordre chronologique rigide, toutes choses sont présu- mées être faites selon les règles. Cette présomption n'a pas été réfutée. Il est clair que l'imprimé est une note de service interne qui a été improprement intitulée «DÉCISION DU JUGE DE LA CITOYENNETÉ».
APPEL. AVOCATS:
A. Vander Linde pour l'appelant.
A. D. P. MacAdams à titre d'amicus curiae.
PROCUREURS:
A. Vander Linde, Burnaby, pour l'appelant.
A. D. P. MacAdams, Vancouver, à titre d'amicus curiae.
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
LE JUGE CATTANACH: Le juge de la citoyen- neté a rejeté la demande de citoyenneté de l'appe- lant parce que le 15 août 1979, ce dernier avait été trouvé coupable d'avoir tenu une maison de débau- che, en violation de l'article 193 du Code criminel, S.R.C. 1970, c. C-34. Il s'agit d'un acte crimi- nel, passible d'un emprisonnement de deux ans au plus. L'appelant n'a pas été expulsé du pays, et ce par application de l'alinéa 27(1)d) de la Loi sur l'immigration de 1976, S.C. 1976-77, c. 52, car il n'a été condamné qu'à une amende de $500 au lieu d'un emprisonnement de six mois et la peine maxi mum prévue pour l'infraction est de deux ans et non de cinq ans.
Le paragraphe 20(2) de la Loi sur la citoyen- neté, S.C. 1974-75-76, c. 108, porte:
20. ...
(2) Nonobstant toute disposition de la présente loi, sous réserve cependant de la Loi sur le casier judiciaire, nul ne peut recevoir la citoyenneté en vertu de l'article 5 ou du paragraphe 10(1) ni se faire déférer le serment de citoyenneté si
a) au cours des trois années précédant la date de sa demande, ou
b) entre la date de sa demande et celle la citoyenneté lui serait accordée ou le serment de citoyenneté déféré
il a été déclaré coupable d'une infraction aux paragraphes 28(1) ou (2) ou d'un acte criminel prévu par une loi du Parlement.
L'appelant n'a certainement pas invoqué la Loi sur le casier judiciaire, S.R.C. 1970 (l e ' Supp.), c. 12, dont il ne peut se prévaloir avant le 15 août 1981, date à laquelle expire la période de deux ans qui suit sa condamnation.
En application du paragraphe 20(2), il ne peut se voir accorder la citoyenneté en vertu de l'article 5, avant le 15 août 1982, date à laquelle expire la période de trois ans commençant le 15 août 1979. Même après cette période et à moins que l'appelant ne réussisse à établir qu'il aura mené une vie exemplaire du 15 août 1979 au 15 août 1982, je serais encore disposé à prendre en considération toute réserve formulée contre son admissibilité à la citoyenneté pour ignorance des responsabilités du citoyen.
Le juge de la citoyenneté a parfaitement eu raison de rejeter la demande de citoyenneté de
l'appelant. Toute autre décision eût été une viola tion de la loi. La demande de citoyenneté de l'appelant était un acte irréfléchi qu'il n'aurait pas faire.
Son appel a été également mal conçu.
Il s'est servi de la formule imprimée d'avis d'ap- pel prévue à l'annexe des Règles. Voici le motif d'appel qu'il a invoqué:
[TRADUCTION] Le juge de la citoyenneté aurait tenir compte de ma situation exceptionnelle de détresse. Par consé- quent, je requiers que mon cas soit examiné à la lumière de l'article 5(4) de la Loi sur la citoyenneté.
Voilà qui est fort absurde puisque, dans la lettre en date du 6 février 1980 qu'il a envoyée à l'appe- lant et que ce dernier a reçue, le juge de la citoyenneté l'a informé comme suit:
[TRADUCTION] Après examen, j'ai décidé de ne pas recomman- der au Ministre d'exercer pour des raisons humanitaires, les pouvoirs discrétionnaires prévus au paragraphe 5(4) de la Loi.
En appel, l'appelant s'est fait cependant repré- senter par conseil; c'est manifestement la première fois qu'il a fait preuve de bon sens depuis le 6 septembre 1979, date à laquelle il a demandé la citoyenneté, à peine 22 jours après sa condamna- tion pour un acte criminel.
L'avocat de l'appelant fonde son argumentation sur un détail purement procédural, en l'occurrence une omission ou erreur manifeste de la part du juge de la citoyenneté.
Lorsqu'un juge de la citoyenneté ne peut accueillir une demande par application du para- graphe 13(2) (c'est-à-dire lorsqu'il établit que le candidat ne remplit pas les conditions prévues par la Loi) il doit, conformément au paragraphe 14(1), avant de la rejeter, examiner s'il y a lieu de recommander l'exercice des pouvoirs discrétionnai- res prévus au paragraphe 5(4).
Voici l'ordre chronologique du processus de décision:
(1) examiner si le candidat remplit les condi tions prévues par la loi;
(2) s'il ne les remplit pas, examiner s'il y a lieu de recommander l'exercice des pouvoirs discrétion- naires;
(3) dans la négative, rejeter la demande.
L'avocat de l'appelant attire mon attention sur un imprimé qui se trouve parmi les copies confor- mes constituant le dossier adressé au greffe de la Cour en application de la Règle 903, lequel imprimé porte l'en-tête «Secrétariat d'État» et le titre «DÉCISION DU JUGE DE LA CITOYENNETÉ» «Article 5(1).»
Sous la rubrique «LE REQUÉRANT» figure une série de cases il faut cocher «oui» ou «non» pour répondre aux questions en regard.
Ces indications permettent de voir si l'appelant répond aux conditions imposées par la loi en matière d'admissibilité à la citoyenneté.
Pour la question «Le requérant fait l'objet d'une interdiction (art. 20)» c'est la case «oui» qui a été cochée.
Voilà la première conclusion faite dans l'ordre chronologique par le juge de la citoyenneté en vue de la décision finale prévue par le paragraphe 14(1), et le juge a conclu que l'appelant n'était pas admissible à la citoyenneté.
Pour respecter cet ordre chronologique, le juge de la citoyenneté aurait examiner ensuite s'il y avait lieu de recommander l'exercice des pouvoirs discrétionnaires prévus au paragraphe 5(4).
Or il a laissé en blanc la case indiquant si la demande a été soumise au Ministre à cet effet.
L'avocat de l'appelant soutient de façon fort logique que le juge de la citoyenneté n'a pris aucune décision à cet égard.
N'ayant pas pris cette décision à laquelle il était tenu par le paragraphe 14(1), il a passé à la décision finale, qui était de rejeter la demande au motif que l'appelant avait été déclaré coupable d'un acte criminel.
Bref, l'avocat de l'appelant soutient que le juge de la citoyenneté a violé la loi en omettant de prendre une décision qui, de par cette loi même, est la condition préalable de la décision finale de rejet, et que de ce fait, sa décision est nulle ou, tout au moins, annulable.
Le 4 février 1980 est la «Date de la décision» marquée sur l'imprimé qui porte la signature du juge de la citoyenneté. L'avocat de l'appelant n'ignore pas la lettre en date du 6 février 1980, par laquelle le juge de la citoyenneté a informé, con- formément au paragraphe 13(3) de la Loi, l'appe- lant du rejet de la demande, des motifs de sa décision et du droit d'appel de ce dernier.
Dans cette lettre, le juge de la citoyenneté a informé l'appelant de sa décision de ne pas faire la recommandation. Aucune disposition de la loi ne l'y oblige. Lorsque le juge de la citoyenneté recom- mande l'exercice de pouvoirs discrétionnaires, il doit en informer le requérant conformément à l'alinéa 14(2)a) (il n'y est pas tenu dans le cas contraire).
On pourrait considérer comme une «décision» le choix fait en matière de recommandations. Le juge de la citoyenneté est tenu par le paragraphe 13(3) d'informer le requérant de sa décision et des motifs de celle-ci. D'habitude, on informe un requérant, sans en préciser les motifs, qu'il n'y a pas de recommandation à son sujet.
Si le juge de la citoyenneté coche toutes les cases requises et signe, le jour de la décision, le docu ment intitulé «DÉCISION DU JUGE DE LA CITOYEN- NETÉ», il s'ensuit logiquement qu'il s'agit de sa décision et des motifs qui la justifient, décision et motifs qui devraient être portés à la connaissance du requérant. Or, il n'en est pas ainsi. Ce docu ment fait partie du dossier du juge de la citoyen- neté. Lorsqu'il y a appel, ce dossier est communi- qué au greffe, à l'amicus curiae et à l'appelant, qui en prend connaissance pour la première fois. Que ce document ne soit pas signifié à l'appelant, voilà qui n'est pas compatible avec sa nature de «déci- sion», quelle que soit l'appellation qu'on lui donne.
A mon avis, cet imprimé a certainement été conçu par les fonctionnaires du Ministère comme un moyen pratique par lequel le juge de la citoyen- neté transmet au Ministre sa décision conformé- ment au paragraphe 13(2) que voici:
13....
(2) Aussitôt après avoir statué sur une demande visée au paragraphe (1) conformément à ce paragraphe, mais sous
réserve de l'article 14, le juge de la citoyenneté l'approuve ou ne l'approuve pas conformément à sa décision, en avertit le Minis- tre et lui en donne les motifs.
Ce paragraphe porte cette annotation en marge: «Avis au Ministre». Il est clair que cet imprimé est une note de service interne qui a été improprement intitulée «DÉCISION DU JUGE DE LA CITOYEN- NETÉ». On aurait l'intituler «Notification» ou «Avis» au Ministre de l'accueil ou du rejet d'une demande et des motifs de la décision.
Les obligations légales du juge de la citoyenneté envers le requérant et à l'égard de sa décision sont prévues au paragraphe 13(3), dont la note margi- nale se lit «Avis au requérant».
Le juge de la citoyenneté est tenu par le para- graphe 13(2) d'informer le Ministre de sa décision. A cet effet, il a utilisé cette note de service interne, intitulée à tort et à travers. Pour sa part, il a omis de remplir la partie concernant sa décision de faire ou non une recommandation en application du paragraphe 5(4). Ce point n'intéresse que le Ministre et lui-même. Il ressort de l'imprimé qu'il n'a pas fait de recommandation.
Par la lettre qu'il lui adressait le 6 février 1980, deux jours après l'audition, le juge de la citoyen- neté s'est acquitté de ses obligations légales envers le requérant. Toutefois, si le juge de la citoyenneté a consigné sur papier les motifs de décision, il doit les signifier au requérant et il ressort du paragra- phe susmentionné que les décisions en la matière doivent être motivées. (Ce paragraphe ne prévoit pas les «motifs le cas échéant», mais les «motifs de celle-ci».)
L'ancienne école de pensée selon laquelle les notes marginales ne servent pas à l'interprétation d'une loi se justifiait par le fait que ces notes ne faisaient pas partie intégrante de la loi telle qu'elle était adoptée par le législateur, et qu'il s'agissait d'annotations ajoutées après coup. Or, il n'en est plus ainsi puisque les notes marginales font bien partie de la loi et qu'on peut s'y référer pour dégager le sens général des termes utilisés dans un article ou un paragraphe. A mon avis, les notes marginales «Avis au Ministre» et «Avis au requé- rant» des paragraphes 13(2) et 13(3) reflètent le sens exact du texte de ces paragraphes.
Tel que je le comprends, le paragraphe 14(1) prévoit que, avant de décider d'accueillir ou de rejeter une demande, le juge de la citoyenneté doit examiner s'il y a lieu de faire une recommandation au Ministre; s'il conclut qu'il n'y a pas lieu à recommandation, il peut alors rejeter la demande et faire connaître sa décision.
A supposer, aux fins de l'argumentation de l'ap- pelant, que je n'accueille pas nécessairement, que le paragraphe 14(1) impose au juge de la citoyen- neté un ordre chronologique rigide à observer sans la moindre dérogation possible, la célèbre maxime «Omnia praesumuntur rite esse acta» s'applique- rait quand même en l'espèce. Librement traduite, cette phrase signifie que toutes choses sont présu- mées être faites selon les règles.
Il ne s'agit que d'une présomption mais, à mon avis, cette présomption n'a pas été réfutée, et ce, pour les raisons que j'ai exposées.
C'est par ces motifs que je n'accueille pas l'ar- gumentation de l'avocat de l'appelant. Toutefois, cette argumentation a le mérite de faire ressortir une pratique ministérielle qui manque de rigueur et à laquelle il faut remédier immédiatement pour qu'il n'y ait plus confusion entre une «décision» prévue par la loi et une «Notification au Ministre».
L'avocat de l'appelant s'est judicieusement abs- tenu de me demander de faire une recommanda- tion que le juge de la citoyenneté n'a pas faite. Je ne l'aurais pas fait parce qu'il ne m'incombe pas de le faire, comme mon collègue le juge Addy et moi-même l'avons expliqué à l'occasion d'autres appels. En tout cas, je souscris entièrement à la sage décision du juge de la citoyenneté, celle de ne pas faire une recommandation au Ministre.
Par ces motifs, l'appel est rejeté.
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