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T-3600-78 `
La Reine (Demanderesse)
c.
Gallagher Leblanc Ltée (Défenderesse)
et
Suzanne Gallagher (Opposante)
Division de première instance, le juge Marceau— Québec, 25 juin; Ottawa, 2 juillet 1980.
Impôt sur le revenu Dépôt d'un certificat selon l'art. 223(2) de la Loi de l'impôt sur le revenu, établissant une créance de la demanderesse dont la défenderesse était redeva- ble Saisie des biens de la défenderesse pour vente en justice en satisfaction de jugement L'épouse du président de la compagnie débitrice fait opposition à saisie au motif que les biens saisis ont été nantis par la défenderesse, en faveur de l'opposante, en garantie du remboursement d'une dette de la compagnie envers elle pour location de machinerie La demanderesse conteste le bien-fondé de l'opposition au motif que le contrat de nantissement commercial a été passé en fraude des droits des créanciers II échet d'examiner si les conditions de l'action «paulienne» des art. 1032 ss. du Code civil de la province de Québec sont réunies et le nantissement nul Le recours de la demanderesse doit être accordé Le nantissement commercial est déclaré nul et de nul effet et l'opposition de l'opposante rejetée Code civil de la province de Québec, art. 1032, 1034 et 1035 Code de procédure civile, art. 597.
Distinction faite avec l'arrêt: In re Mocajo Construction Inc.: Freed c. Rodrigue [1973] C.A. 509. Arrêt suivi: R. c. Restaurant & Bar La Seigneurie de Sept-lies Inc. [1977] 2 C.F. 207.
DEMANDE. AVOCATS:
J. Ouellet, c.r. pour la demanderesse. Personne n'a comparu pour la défenderesse. R. Carrier pour l'opposante.
PROCUREURS:
Le sous-procureur général du Canada pour la demanderesse.
Personne n'a comparu pour la défenderesse. R. Carrier, Québec, pour l'opposante.
Voici les motifs de l'ordonnance rendus en fran- çais par
LE JUGE MARCEAU: Un certificat selon l'article 223(2) de la Loi de l'impôt sur le revenu, S.C. 1970-71-72, c. 63 a été déposé au greffe de la Cour
le 14 août 1978, établissant que la défenderesse était redevable envers Sa Majesté d'une somme de plus de $17,000. Le certificat se voyait dès lors attaché l'effet d'un jugement. Des procédures d'exécution furent prises et les biens de la défende- resse furent saisis pour être vendus en justice en satisfaction du jugement. L'opposante a attaqué cette saisie au motif que «les biens saisis ont été nantis par la défenderesse en faveur de votre oppo- sante par acte notarié intervenu le 16 octobre 1978 devant W Paul Dionne, notaire à Amqui sous le numéro 457 de ses minutes». Le procureur général, au nom de Sa Majesté, conteste le bien-fondé de l'opposition et en demande le rejet. Il fait valoir principalement que le contrat de nantissement commercial que tente de faire valoir l'opposante a été passé en fraude des droits de la créancière-sai- sissante et doit en conséquence être déclaré nul et de nul effet. Il soutient subsidiairement que même si le contrat de nantissement ne devait pas être déclaré nul, il ne saurait en lui-même permettre un appel à l'article 597 du Code de procédure civile de la province de Québec pour faire obstacle aux mesures d'exécution entreprises.
Par son moyen principal, la créancière-saisis- sante exerce, on le voit, ce recours dit «paulien» que les articles 1032 et ss. du Code civil de la province de Québec accordent à un créancier pour obtenir la nullité quant à lui d'un acte de son débiteur fait en fraude du droit de gage général qui garantissait sa créance. Et elle a bien raison de le faire, car il me semble difficile d'imaginer une situation susceptible de donner plus clairement ouverture au recours paulien.
L'opposante est l'épouse du président de la com- pagnie débitrice, une compagnie que ce dernier a formée en 1971 pour s'occuper de travaux de voirie. En 1978, les affaires de la compagnie, que son mari contrôlait en totalité, étaient déjà tom- bées dans un état des plus déplorables: depuis quelques années les réclamations en justice s'étaient multipliées (plus de 20 sont attestées sur la liste C-3); les poursuites du procureur général, en vertu de la Loi de l'impôt sur le revenu, s'étaient succédé sans relâche suite à toute une série d'avis de cotisation laissés en souffrance (C-2), et même une condamnation pénale rendue le 18 novembre 1977 était restée impayée (C-5); les tentatives d'exécution en main-tierce, sous l'au-
torité de ladite Loi de l'impôt sur le revenu, avaient été aussi nombreuses qu'infructueuses (C-6). C'est dans ce contexte et au milieu de ces difficultés, soit le 16 octobre 1978, qu'était passé l'acte de nantissement dont se prévaut aujourd'hui l'opposante. Cet acte notarié disait vouloir donner effet à une résolution des actionnaires et adminis- trateurs de la compagnie (apparemment le mari, sa sœur et sa femme) aux termes de laquelle un nantissement sur tous les meubles de la compagnie devait être concédé à l'opposante en garantie du remboursement d'une dette de $166,067.47 que lui devait la compagnie pour location de machinerie. L'opposante expliqua dans son témoignage que cette dette dont elle était créancière provenait de ce que trois tracteurs utilisés par la compagnie depuis ses débuts avaient été achetés par son mari mais en son nom à elle et avec de l'argent prove- nant d'elle. Le premier achat avait été fait en 1967 et avait requis $3,000, qu'elle avait alors en main; les deux autres avaient eu lieu en 1971 pour des sommes de $11,000 et $8,000 environ, qu'elle avait empruntées, pour une très grande part, de son beau-père, le père de son mari. De ces conventions entre l'opposante et son mari ou entre elle-même et la compagnie ou encore elle-même et son beau- père, il n'y avait cependant aucune trace ou réfé- rence dans un document écrit quelconque; seule cette décision de la compagnie de reconnaître la dette et de la garantir par nantissement en attes- tait. Voilà les faits.
On peut s'interroger sérieusement sur la réalité des transactions invoquées et sur l'existence légale de la dette que l'acte de nantissement prétendait couvrir, mais ce serait inutile car il ne s'agit pas ici de se prononcer sur l'existence ou non d'une simu lation. La question qui se pose est celle de savoir si les conditions du recours paulien des articles 1032 et ss. du Code civil existent dans les circonstances de l'espèce et comme je disais on ne saurait douter d'une réponse affirmative. D'une part, l'état d'in- solvabilité de la compagnie, i.e. son impossibilité de satisfaire à ses engagements, est évident et ce n'est pas ses prétentions à des réclamations possi bles contre des tiers qui peuvent faire penser autre- ment, peu importe que ces prétentions aient été inscrites dans le bilan annuel préparé par son comptable. D'autre part, cet état d'insolvabilité était très bien connu de l'opposante, actionnaire de la compagnie et épouse de son président, et elle l'a
d'ailleurs elle-même admis spontanément au cours de son témoignage. Or, ce sont les seules condi tions requises par les articles 1034 ou 1035 du Code civil pour donner ouverture au recours pau- lien. La contestation de l'opposition ayant été faite dans l'année de la passation de cet acte qui sous- trayait les biens de la compagnie au recours de ses créanciers en général, elle doit certes être maintenue.
Cette conclusion me dispense de me prononcer de façon définitive sur la valeur du deuxième moyen subsidiaire invoqué au soutien de la contes- tation. Je me permets cependant de dire que ce deuxième moyen me semble également fondé. Un acte de nantissement commercial, à mon sens, ne donne pas au créancier le droit de s'opposer à la saisie et à la vente des biens nantis, ce droit était réservé par l'article 597 du Code de procédure civile à celui qui peut revendiquer en qualité de propriétaire. Le procureur de l'opposante prétend que l'arrêt In re Mocajo Construction Inc.: Freed c. Rodrigue [1973] C.A. 509, en aurait décidé autrement, mais cet arrêt, se situant en matière de faillite, repose sur des principes qui lui sont pro- pres. La décision de mon collègue le juge Walsh, dans La Reine c. Restaurant & Bar La Seigneurie de Sept-Îles Inc. [1977] 2 C.F. 207, me paraît plus à point et c'est elle qui, à mon avis, s'impose.
ORDONNANCE
La Cour maintient la contestation. Elle déclare nul et de nul effet à l'égard de la créancière-saisis- sante le contrat de nantissement commercial con- senti par la défenderesse-saisie en faveur de l'oppo- sante en date du 16 octobre 1978; en conséquence la Cour rejette l'opposition de l'opposante et ordonne la vente des biens saisis pour qu'à même le produit de la vente soit payée la créance de Sa Majesté conformément aux dispositions applica- bles en l'espèce.
Le tout avec dépens contre l'opposante.
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