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T-3189-79 T-3275-80 T-3276-80
Modern Miss Sportswear Limited (Demande- resse)
c.
La Reine (Défenderesse)
Division de première instance, le juge Dubé— Montréal, 18 novembre; Ottawa, 25 novembre 1980.
Impôt sur le revenu Calcul du revenu Déductions Appel contre la décision du Ministre de rejeter les coûts de sous-traitance réclamés par la demanderesse au motif que ceux-ci ne font partie ni du «coût en main-d'œuvre» ni du «coût en main-d'oeuvre de fabrication et de transformation» La demanderesse, qui est un fabricant, confie ses travaux de couture à des sous-traitants qui, eux, emploient des opératri- ces de machine à coudre La demanderesse allègue que le fabricant exerce un certain contrôle sur les opératrices et répond des salaires non acquittés La question est de savoir si, pour ces motifs, les employés des sous-traitants deviennent ceux du fabricant Loi de l'impôt sur le revenu, S.C. 1970-71-72, c. 63, modifiée, art. 125.1 Règlements de l'impôt sur le revenu, DORS/73-495, art. 5202.
Les présents appels ont été interjetés de la décision du Ministre rejetant les coûts de sous-traitance réclamés par la demanderesse au motif que ceux-ci ne faisaient partie ni du «coût en main-d'oeuvre» ni du «coût en main-d'oeuvre de fabri cation et de transformation», au sens de l'article 5202 des Règlements de l'impôt sur le revenu. La demanderesse, qui s'occupe de la fabrication de vêtements pour dames, emploie des travailleurs dont la plupart sont directement engagés dans les opérations de fabrication et de transformation, et cède les travaux de couture à plusieurs sous-traitants qui, eux, emploient des opératrices de machine à coudre. La demande- resse a réclamé pour les années d'imposition 1973, 1974 et 1975, en vertu de l'article 125.1 de la Loi de l'impôt sur le revenu, des déductions pour coût en main-d'oeuvre de fabrica tion et de transformation, y compris les coûts de sous-traitance. La demanderesse allègue que, puisque le fabricant exerce un certain contrôle sur les opératrices et répond légalement des salaires et avantages non acquittés, les employés des entrepre neurs sont ceux du fabricant lorsqu'ils travaillent sur les pro- duits de ce dernier.
Arrêt: les appels sont rejetés. Il n'existe aucun rapport de commettant à préposé entre le fabricant et les opératrices de machines à coudre. (1) Il n'existe aucun lien contractuel, sous forme verbale ou par écrit, entre eux. Les travailleuses sont engagées et licenciées par les entrepreneurs. (2) Les salaires sont payés aux opératrices par les entrepreneurs. Il ne s'agit donc pas d'un cas le préposé s'engage à fournir ses compé- tences et son travail au commettant en contrepartie d'un salaire. (3) Le matériel dont se servent les opératrices appar- tient normalement aux entrepreneurs. (4) Tous les prélève- ments habituels sur les chèques de paye des employés sont effectués par les entrepreneurs. (5) C'est de l'entrepreneur que les opératrices reçoivent généralement leurs instructions. En
outre, les entrepreneurs ne sont pas mandataires des fabricants. Ils déposent leurs propres déclarations d'impôt, dans lesquelles ils revendiquent leurs propres déductions pour les coûts en question. Enfin, l'article 5202 des Règlements ne peut pas s'appliquer: le fabricant a payé les entrepreneurs selon leurs factures, qui portent sur le coût du travail et non sur les salaires des opératrices.
APPEL en matière d'impôt sur le revenu. AVOCATS:
Carl M. Ravinsky pour la demanderesse. Deen Olsen et Wilfrid Lefebvre pour la défenderesse.
PROCUREURS:
Spiegel & Kravetz, Montréal, pour la demanderesse.
Le sous-procureur général du Canada pour la défenderesse.
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
LE JUGE DUBÉ: Les trois présents appels portent sur la cotisation d'impôt de la demanderesse pour les années d'imposition 1973, 1974 et 1975 et ont été entendus ensemble sur preuve commune.
La demanderesse est une société québécoise s'occupant depuis 1966 de la fabrication de vête- ments pour dames à Montréal. Elle occupe environ 25 travailleurs, dont une vingtaine sont directement engagés dans les opérations de fabri cation et de transformation. Toutefois, ces travail- leurs ne font pas de couture. La demanderesse confie ce travail à plusieurs sous-traitants, En 1975, elle recourait aux services d'environ 25 entrepreneurs de ce genre, situés la plupart dans le quartier du vêtement de Montréal, l'un d'entre eux à Nicolet et d'autres jusque dans la région de la Beauce.
La demanderesse a réclamé, en vertu de l'article 125.1 de la Loi de l'impôt sur le revenu, S.C. 1970-71-72, c. 63, modifiée, des déductions pour coût en main-d'oeuvre de fabrication et de trans formation pour les années d'imposition considé- rées. Les montants des déductions réclamées ont été calculés selon ces coûts, y compris les coûts de sous-traitance.
Le Ministre a rejeté les coûts de sous-traitance au motif que ceux-ci ne faisaient partie ni du «coût
en main-d'oeuvre» ni du «coût en main-d'oeuvre de fabrication et de transformation» de la demande- resse, au sens de l'article 5202 des Règlements de l'impôt sur le revenu [DORS/73-495].
La partie pertinente de la définition du «coût en main-d'oeuvre» que donne l'article 5202 est ainsi rédigée:
5202... .
«coût en main-d'oeuvre» d'une corporation pour une année d'imposition signifie un montant égal au total
a) des traitements et salaires payés ou payables pendant l'année à tous les employés de la corporation pour des services rendus pendant l'année, et
b) de toutes les autres sommes dont chacune constitue une somme payée ou payable pendant l'année pour l'exécution pendant l'année, par toute personne autre qu'un employé de la corporation, de fonctions relatives
(i) à la gestion ou à l'administration de la corporation;
(ii) à la recherche scientifique suivant la définition qu'en donne l'article 2900, ou
(iii) à un service ou à une fonction que rendrait ou accomplirait normalement un employé de la corporation,
Dans sa déclaration d'impôt, la demanderesse à réclamé, en vertu du sous-alinéa b)(iii), les coûts de sous-traitance comme montants payés pour «un service ou .. . une fonction que rendrait ou accom- plirait normalement un employé de la corpora tion», mais à l'audience, l'avocat n'a pas confirmé que les travaux de couture se faisaient normale- ment à l'établissement de la demanderesse. Il a fait valoir que les employés des divers entrepreneurs étaient également ceux de la demanderesse lors- qu'ils cousaient les vêtements confectionnés par cette dernière (alinéa a)).
D'après les éléments de preuve produits à l'au- dience, l'industrie du vêtement du Québec, ou l'industrie de la couture comme on l'appelle, a une structure différente de celle de la plupart des autres entreprises de fabrication. En vue de réduire leur responsabilité et d'accroître leur productivité, la plupart des fabricants ne retiennent que des opérations clés pour leur propre usine et cèdent les travaux de couture à plusieurs petits sous-traitants qui emploient des femmes de la place pour faire fonctionner leurs machines à coudre.
Selon Lazar Peters, le directeur général de La Guilde des manufacturiers de la robe et du vête- ment sport de Montréal, les sous-traitants devien- nent [TRADUCTION] «un prolongement» du fabri- cant et celui-ci a la haute main sur les activités de
ceux-là. Le fabricant envoie du personnel techni que [TRADUCTION] «pour surveiller et former» les opératrices qui, aux usines des sous-traitants, tra- vaillent sur ses vêtements et [TRADUCTION] «leur donner des instructions».
Javier Montero, secrétaire-trésorier de la société demanderesse durant les années d'imposition con- sidérées et maintenant président de celle-ci, a per- sonnellement visité les usines des sous-traitants et contrôlé les opérations de couture pendant la pé- riode en cause. Il le fait encore de temps à autre.
D'habitude, les sous-traitants fournissent leur propre matériel, mais il arrive que le fabricant leur prête, gratuitement ou pour un prix imputable sur le contrat de sous-traitance, des machines à coudre ou d'autres outils. Montero a, une fois, consenti un prêt personnel à un entrepreneur pour lui permet- tre de lancer sa propre entreprise.
Généralement, le rôle du fabricant consiste à rassembler des renseignements sur le tissu, à con- cevoir de nouvelles coupes de vêtement pour chaque saison, à faire venir d'Europe ou d'ailleurs de nouvelles modes, à préparer des patrons, à produire des modèles, à acheter du tissu des four- nisseurs et à procéder à la coupe du tissu. A ce stade, le tissu est envoyé aux sous-traitants par un transporteur indépendant engagé par le fabricant. Les paquets sont accompagnés de «traceurs» (patrons), de feuilles de coupe et de feuilles de vérification de découpe. Ces derniers documents, faits en trois exemplaires, permettent au fabricant de vérifier le travail accompli sur les vêtements.
Le fabricant paye le sous-traitant à la pièce, le travail achevé, au prix verbalement convenu par les deux parties.
Les opératrices de machines à coudre sont enga gées par le sous-traitant. Toutefois, si le travail d'une opératrice n'est pas efficace ou satisfaisant aux yeux du fabricant, ce dernier peut utiliser son poids considérable pour amener le sous-traitant à la renvoyer.
Pour ce qui est des salaires, c'est, bien entendu, le sous-traitant qui paie les opératrices et qui prélève sur les chèques de paie les sommes habi- tuelles pour l'assurance-chômage, l'impôt sur le revenu, le régime de pension, etc. Toutefois, en vertu du Décret relatif à l'industrie de la robe,
cette responsabilité incombe en dernier lieu au fabricant. L'article 14 de l'annexe C dudit Décret est ainsi rédigé:
14. Tout employeur professionnel qui contracte avec un sous- entrepreneur ou sous-traitant, directement ou par intermé- diaire, est solidairement responsable avec ce sous-entrepreneur ou sous-traitant et tout intermédiaire, du paiement du salaire fixé par le décret.
Cette responsabilité solidaire du fabricant et du sous-traitant résulte également de la «convention collective de travail» intervenue entre La Guilde des Manufacturiers de la robe et du vêtement sport de Montréal, le Comité conjoint (Comité conjoint de Montréal, Union des ouvriers de la robe), et l'Union internationale des ouvriers du vêtement pour dames. Cette convention collective prévoit en effet ce qui suit:
50.02 Chaque employeur, membre de la Guilde sera solidai- rement responsable avec chaque entrepreneur et sous-entrepre neur à qui il fournit du travail couvert par la présente conven tion collective, pour le paiement des salaires, les versements aux fonds de bien-être, et pour l'observance des conditions de travail, le tout tel qu'il est disposé dans la présente convention collective.
L'article 50.01 de la convention prévoit que le fabricant, décrit comme «Employeur-fournisseur», qui fournit du travail à l'entrepreneur, appelé «Employeur-entrepreneur», doit, sur la requête de l'Union, effectuer deux versements à cet entrepre neur pour le travail accompli, savoir 90% l'entre- preneur et le reste, soit 10%, aux fiduciaires du Fonds de Bien-être de l'Union.
Si un entrepreneur ne paye pas ses employés, ou encore s'il fait faillite (chose qui, semble-t-il n'est pas rare dans la soierie), le Comité conjoint en avise le fabricant et ce dernier doit alors verser au Comité les sommes dues aux opératrices de machi nes à coudre. Il a été établi que la demanderesse a payer les salaires et les congés que l'entrepre- neur Dopinjay Fashions Inc. n'avait pas acquittés.
Il s'ensuit qu'il existe des liens étroits entre les fabricants et les entrepreneurs: les succès et les échecs des uns dépendent directement de ceux des autres. Les entrepreneurs regardent les fabricants comme leur source de revenus; ceux-ci dépendent totalement de la production de ceux-là. Ce haut
niveau d'interdépendance et de confiance mutuelle est vitale dans un secteur aussi fragile que l'indus- trie textile du Québec.
La demanderesse demande à la Cour de con- clure que, compte tenu de ces rapports d'affaires étroits, les employés des entrepreneurs sont ceux du fabricant lorsqu'ils travaillent sur les produits de ce dernier.
Bien que le fabricant exerce un certain contrôle sur les opératrices de machines à coudre et qu'il réponde légalement des salaires et avantages non acquittés, je ne puis conclure à l'existence d'un rapport de commettant à préposé entre eux.
Premièrement, il n'existe aucun contrat de tra vail, aucun lien contractuel, sous forme verbale ou par écrit, entre eux. Les travailleuses sont enga gées et licenciées par les entrepreneurs. Bien entendu, puisque les entrepreneurs dépendent, sur le plan économique, du fabricant, ce dernier a assez d'influence pour obtenir le renvoi d'une opé- ratrice incompétente. Un tel licenciement est obtenu non pas en vertu d'un droit, mais bien du seul pouvoir économique.
Deuxièmement, les salaires ne sont pas payés aux opératrices par le fabricant, mais par les entrepreneurs. Pour qu'il y ait contrat de travail, il faut, et c'est une condition essentielle, que le préposé s'engage à fournir ses compétences et son travail au commettant en contrepartie d'un salaire ou de toute autre rémunération (voir A Ready Mixed Concrete (South East), Ltd. c. Minister of Pensions and National Insurance [1968] 1 All E.R. 433, aux pp. 439 et 440).
Troisièmement, le matériel et les outils dont se servent les opératrices appartiennent normalement aux entrepreneurs et non au fabricant.
Quatrièmement, tous les prélèvements habituels sur les chèques de paye des employés sont effec- tués par les entrepreneurs.
Cinquièmement, c'est de l'entrepreneur et non du fabricant, que les opératrices reçoivent généra- lement leurs instructions. L'entrepreneur décide les vêtements de quel fabricant seront cousus dans son atelier. Ses employés travaillent à tout moment sur les marchandises de plusieurs fabricants à la fois. On ne voit pas comment ces opératrices pour-
raient être successivement les préposées de diffé- rents commettants au cours d'une même semaine ou d'une même journée, et ce, très probablement à l'insu tant des commettants que des préposés.
Si les entrepreneurs étaient regardés comme mandataires des fabricants, on pourrait peut-être considérer les opératrices de machines à coudre comme étant effectivement les employées des mandants, en l'occurrence les fabricants. Or, tel n'est pas le cas. Les entrepreneurs ne se considè- rent pas comme mandataires des fabricants. Ils déposent leurs propres déclarations d'impôt, dans lesquelles ils revendiquent leurs propres déductions pour coût en main-d'oeuvre de fabrication et de transformation. La Loi ne permet nullement une telle double déduction.
En tout état de cause, même si je considérais les employés des différents entrepreneurs comme des préposés de la demanderesse, ce qui n'est pas le cas, le coût qu'ils entraînent ne saurait être consi- déré comme un «coût en main-d'oeuvre» tel que défini à l'article 5202 des Règlements. D'après cette définition, ce coût ne se rapporte qu'aux «traitements et salaires» payés aux employés, alors que les traitements et salaires des opératrices de machines à coudre en question n'ont pas été payés par la demanderesse. Celle-ci a payé les entrepre neurs selon leurs factures, lesquelles portent sur le coût total du travail accompli et non sur les salai- res payés aux opératrices de machines à coudre.
Il est bien établi que les dispositions d'exonéra- tion d'une loi fiscale doivent être strictement inter- prétées et qu'il incombe au contribuable de prouver qu'il tombe bien dans leur champ d'application.
Dans les circonstances, les trois appels sont reje- tés avec dépens.
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