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T-5340-80
Elesguro Inc. (Demanderesse) c.
Ssangyong Shipping Company Limited (Défende- resse)
Division de première instance, le juge Collier— Vancouver, 12 et 17 novembre 1980.
Droit maritime Demandes ex parte pour signification hors du ressort et pour une injonction de type Mareva Les parties à l'action principale sont étrangères et ont conclu, et prétendument violé, une charte-partie à l'étranger Le bien qui fait l'objet d'une demande d'injonction n'a rien à voir avec la charte-partie Il s'agit de déterminer si la Cour doit autoriser la signification hors du ressort Règle 307 de la Cour fédérale Loi sur la Cour fédérale, S.R.C. 1970 (2e Supp.), c. 10, art. 22(1),(2)i).
Par requête ex parte, la demanderesse réclame que soient prononcées des ordonnances de signification à la défenderesse hors du ressort et une injonction de type Mareva interdisant à la défenderesse de soustraire un navire à la compétence de cette Cour. La demanderesse allègue la violation d'une charte-partie, violation qui se serait produite à l'étranger. Les parties sont des sociétés étrangères qui ne font pas affaires au Canada. Le navire qui fait l'objet d'une demande d'injonction n'a rien à voir avec la charte-partie. Celle-ci comporte une clause compromis- soire en vertu de laquelle les questions litigieuses seront ren- voyées à trois personnes de New York. Il s'agit de déterminer si la Cour doit autoriser la signification hors du ressort.
Arrêt: les requêtes sont rejetées. Les actions principales ne présentent manifestement aucun lien que ce soit avec le Canada. Cette Cour a compétence pour connaître d'une demande découlant de la violation d'une charte-partie. Toute- fois, on ne peut pas nécessairement conclure de la compétence en ce qui concerne une demande à la competence en ce qui concerne les personnes qui formulent la demande ou contre qui la demande est formulée. La Cour suprême du Canada a jugé que la considération primordiale doit être l'existence d'un autre tribunal, plus commode et plus approprié à la poursuite de l'action. Même en supposant que la Cour fédérale ait compé- tence, il n'y a aucune raison impérieuse de préférer celle-ci à d'autres tribunaux. Le fait que la défenderesse ait amené un bien dans le ressort de cette Cour ne constitue pas non plus une raison pressante ou convaincante de conclure que le Canada constitue le forum convenions et qu'il faut permettre la signifi cation hors du ressort. L'absence de lien géographique entre le Canada et la cause d'action n'est qu'un des éléments dont il faut tenir compte. Les clauses compromissoires ne peuvent être considérées que par rapport à la signification hors du ressort, et non par rapport au bien-fondé de l'octroi d'une injonction de type Mareva. Les contrats prévoyant l'arbitrage à l'étranger ne doivent pas automatiquement faire obstacle à la signification hors du ressort.
Arrêts mentionnés: The «Siskina» [1978] 1 Lloyd's Rep. 1; Oy Nokia Ab c. Le «Martha Russ» [1973] C.F. 394, confirmé par [1974] 1 C.F. 410. Distinction faite avec les arrêts: Santa Marina Shipping Co. S.A. c. Lunham & Moore Ltd. [1979] 1 C.F. 24; Antares Shipping Corp. c.
Le «Capricorn.. [1977] 2 R.C.S. 422; Santa Maria Ship- owning and Trading Company S.A. c. Hawker Industries Ltd. [1976] 2 C.F. 325; Les Nations Unies c. Atlantic Seaways Corp. [1978] 2 C.F. 510, infirmé par [1979] 2 C.F. 541; Sea Blue Shipping & Financing Co. S.A. c. Ssangyong Shipping Corp. Ltd. T-3231-80.
REQUÊTE. AVOCATS:
J. L. Jessiman et J. W. Perrett pour la demanderesse.
PROCUREURS:
Macrae, Montgomery & Cunningham, Van- couver, pour la demanderesse.
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
LE JUGE COLLIER: La présente action est pres- que identique à une autre, soit Efwind Shipping Company S.A. c. Ssangyong Shipping Company Limited.
Dans chacune des actions dont il s'agit, la demanderesse a demandé, ex parte, par avis de requête présenté le 12 novembre 1980, que soient rendues:
[TRADUCTION] 1. Une ordonnance permettant, en vertu de la règle 307, la signification à la défenderesse à Séoul en Corée du Sud et, en vertu de la règle 310, signification substitutive à un agent maritime à Vancouver et à un officier à bord du navire
BOO YONG.
2. Une injonction de type Mareva interdisant à la défenderesse de soustraire le navire BOO YONG à la compétence de la présente Cour.
J'ai rejeté la requête dans chaque cas.
Lors de ce rejet, j'ai prononcé de très brefs motifs oraux et j'ai dit que je déposerais des motifs écrits. Les voici donc. Ces motifs s'appliquent éga- lement, avec les modifications mineures qui s'im- posent pour ce qui est des faits, à l'affaire Efwind.
La demanderesse allègue, en l'espèce, la viola tion d'une charte-partie conclue entre la demande- resse, à titre de propriétaire du M.N. Janice L., et la défenderesse. La charte-partie portait sur un voyage, aller seulement, d'un port situé en Corée du Sud à un endroit d'Arabie Saoudite.
Voici le paragraphe 5 de la déclaration:
[TRADUCTION] 5. La demanderesse s'est conformée à toutes les clauses et conditions auxquelles, aux termes de la charte-partie, elle devait se conformer. Elle a, entre autres, mis le navire à la disposition de la défenderesse et effectué le voyage prévu. Mais la défenderesse, en ne versant pas à la demanderesse la somme de $592,444.07 (en devises américaines) due à celle-ci au titre notamment du prix d'affrètement et des primes d'assurance, a violé la charte-partie.
Dans l'affaire Efwind, il s'agit d'un affrètement à temps relatif au navire Tassia, propriété de la demanderesse. Le paragraphe 5 de la déclaration dans l'affaire Efwind est ainsi rédigé:
[TRADUCTION] 5. La demanderesse s'est conformée à toutes les clauses et conditions auxquelles, aux termes de la charte-partie, elle devait se conformer. Elle a, entre autres, mis le navire à la disposition de la défenderesse et effectué le voyage prévu. Mais la défenderesse, en ne versant pas à la demanderesse la somme de $1,076,332.83 (en devises américaines) due à celle-ci au titre notamment du prix d'affrètement, des primes d'assurance et du coût du combustible, a violé la charte-partie.
Les demanderesses ainsi que la défenderesse sont des sociétés étrangères. Aucune d'entre elles n'exerce ses activités au Canada et les chartes-par ties n'ont pas été conclues dans ce pays. La préten- due violation des chartes-parties s'est produite à l'étranger.
La défenderesse est propriétaire du navire Boo Yong, qui n'a rien à voir avec les chartes-parties litigieuses. Or, il s'est trouvé que ce navire relâ- chait à Vancouver afin d'y prendre une cargaison de grain ou de dérivés de grain. C'est alors qu'ont été introduites les actions dont il s'agit.
Le véritable objet des requêtes est d'obtenir une injonction de type Mareva interdisant à la défen- deresse de soustraire à la compétence de la pré- sente Cour un bien, en l'occurrence le Boo Yong.
La Règle 307 prévoit, à l'égard de procédures in personam, la signification à l'extérieur du Canada. La Cour jouit, en matière d'autorisation d'une signification de ce genre, d'un certain pouvoir discrétionnaire. Ce pouvoir doit être exercé judiciairement.
En l'espèce, j'ai refusé de rendre une ordon- nance permettant la signification ex juris.
Comme je l'ai indiqué plus haut, les actions en question ne présentent aucun lien ou rapport que ce soit avec le Canada. Je renvoie au début des propos de lord Diplock dans The «Siskina»'.
' [ 1978] I Lloyd's Rep. 1 à la page 3.
[TRADUCTION] ... le litige entre les appelants Odes arma- teurs») et les intimés Odes propriétaires de la cargaison»), dont ces derniers veulent saisir la Haute Cour d'Angleterre, ne concerne nullement ce pays.
Jessiman, l'avocat des deux parties deman- deresses, a invoqué une jurisprudence abondante à l'appui de sa thèse voulant que la Cour fédérale ait compétence pour connaître des actions dont il s'agit. Il a soutenu, en outre, que, dans ces deux cas, compte tenu des circonstances, il y avait lieu d'autoriser la signification ex juris.
La compétence de la présente Cour pour connaî- tre d'une demande découlant de la violation d'une charte-partie ne fait pour moi aucun doute. Toute- fois, on ne peut pas nécessairement conclure de la compétence en ce qui concerne une demande à la compétence en ce qui concerne les personnes qui formulent la demande ou contre qui la demande est formulée 2 . Les demandes relatives aux chartes- parties relèvent depuis longtemps, tant au Canada qu'en Angleterre, soit de la compétence en matière de droit maritime, soit de la compétence en matière de navigation et de marine marchande. L'alinéa 22(2)i) de la Loi sur la Cour fédérale' confère expressément à la Division de première instance compétence concurrente en première instance:
22. (1) La Division de première instance a compétence concurrente en première instance, tant entre sujets qu'autre- ment, dans tous les cas une demande de redressement est faite en vertu du droit maritime canadien ou d'une autre loi du Canada en matière de navigation ou de marine marchande, sauf dans la mesure cette compétence a par ailleurs fait l'objet d'une attribution spéciale.
(2) Sans restreindre la portée générale du paragraphe (1), il est déclaré pour plus de certitude que la Division de première instance a compétence relativement à toute demande ou à tout litige de la nature de ceux qui sont ci-après mentionnés:
1) toute demande née d'une convention relative au transport de marchandises à bord d'un navire, à l'utilisation ou au louage d'un navire soit par charte-partie, soit autrement;
Le juge Dubé, dans Santa Marina Shipping Co.
2 Je reprends ici les opinions que j'ai exposées dans Oy Nokia Ab c. Le «Martha Russ» [1973] C.F. 394, décision confirmée par la Cour d'appel fédérale [1974] 1 C.F. 410, bien que cette Cour n'ait pas nécessairement souscrit expressément à ces opinions.
3 S.R.C. 1970 (2 » Supp.), c. 10.
S.A. c. Lunham & Moore Ltd. 4 , a confirmé la compétence de la présente Cour à l'égard des chartes-parties. Il ne s'agissait cependant pas dans cette affaire de signification ex juris. La défende- resse était une société canadienne ayant un bureau à Montréal et exerçant les activités d'exploitant et d'affréteur de navire. La question de la compé- tence in personam à l'égard de la défenderesse ne se posait évidemment pas. Le point en litige était plutôt de savoir si la Cour était compétente pour connaître d'une demande fondée sur une charte- partie anglaise. La Cour a statué qu'elle avait compétence.
Me Jessiman, l'avocat des demanderesses dans les présents litiges, a invoqué Antares Shipping Corporation c. Le «Capricorn» 5 . Dans cette affaire, la demanderesse, une société étrangère, se prétendait propriétaire du Capricorn. Elle affir- mait qu'elle avait acheté le navire d'une autre société libérienne (Delmar), et que celle-ci avait prétendu dénoncer le contrat et vendre le Capri- corn à une autre société libérienne (Portland).
La demanderesse introduisit contre le navire une action in rem jointe à une demande in personam contre la Delmar et la Portland.
Le Capricorn relâcha à Québec et fut saisi. Portland, afin d'obtenir la mainlevée de la saisie, versa un cautionnement. La Division de première instance de la présente Cour refusa dans les termes suivants de rendre une ordonnance permettant la signification ex juris aux deux défenderesses libériennes:
[TRADUCTION] Comme il semble que l'objet de cette action n'a aucun rapport ni lien avec le Canada, la requête de la demande- resse visant à obtenir la signification ex juris est rejetée avec dépens.
La Cour d'appel confirma la décision rendue en première instance.
La Cour suprême du Canada a infirmé ces décisions. Le juge Ritchie, parlant en son propre nom et au nom de trois autres juges, a statué que la Cour fédérale était compétente pour entendre la demande dont il s'agissait. Il a souligné que le navire, au moment de la saisie, était dans la juri- diction du Canada et que la Portland, en versant un cautionnement et en saisissant la Cour de plu-
4 [1979] 1 C.F. 24.
5 [1977] 2 R.C.S. 422.
sieurs demandes, avait participé au litige. Il a en outre jugé que bien que la comparution initiale de la Portland ait eu lieu sous réserve quant à la compétence de la Cour, le dépôt du cautionnement constituait une intervention dans la cause et, par- tant, une renonciation à la réserve apportée. Pour ce qui est de l'autre défenderesse, la Delmar, ancienne propriétaire du navire, il a été dit que son seul actif était le navire et que les seuls fonds disponibles pour assurer l'exécution du jugement se trouvaient être le cautionnement versé à la Cour.
Compte tenu de tout cela, la majorité a jugé que la question qui devait être tranchée en première instance était de savoir s'il existait un tribunal plus commode que la Cour fédérale.
Le juge Ritchie dit à la page 445:
Bien que ces jugements expriment l'opinion des deux divi sions de la Cour fédérale, ils n'expliquent pas pourquoi les juges ont conclu qu'une cause d'action revendiquant la possession d'un navire qui avait été saisi au Canada et qui avait fait l'objet d'un cautionnement à la demande d'une des parties défenderes- ses, n'avait aucun rapport ni lien avec le Canada, ou tout au moins aucun qui puisse justifier la Cour de rendre une ordon- nance autorisant la signification de la déclaration aux compa- gnies défenderesses en dehors du Canada.
Toutefois, j'ai eu l'avantage de lire les motifs du Juge en chef de la présente Cour, qui explique en détail les raisons pour lesquelles il en est arrivé aux mêmes conclusions que les juges de la Cour fédérale et, ce faisant, étudie le dossier de l'affaire en appel et mentionne la jurisprudence sur laquelle il se fonde pour statuer sur cette affaire importante.
Vu les motifs du jugement du juge en chef Laskin, je n'ai pas à étudier en détail les questions soulevées relativement à la compétence de la Cour fédérale, car je suis d'accord avec lui lorsqu'il déclare:
La seule question à régler est de savoir si, la compétence in rem étant établie et les demandes de redressement in perso- nam ayant à bon droit fait l'objet d'un cumul, les défenderes- ses étrangères peuvent être assujetties à la signification ex juris.
Aux pages 447 et 448 il poursuit:
En jugeant si la Cour fédérale a eu raison de refuser d'exer- cer son pouvoir discrétionnaire en l'espèce, il convient de se demander s'il ne faudrait pas appliquer la doctrine du forum conveniens, et bien que la Cour fédérale ne semble pas avoir accordé d'attention à cet aspect du problème, j'estime, tout comme le juge en chef Laskin semble le faire, que c'est-là la question clé à trancher en l'espèce. Plusieurs décisions décrivent sous différents aspects les divers facteurs qui influent sur l'application de cette doctrine, et nous en mentionnerons quel- ques-uns ci-dessous; parmi eux, on peut citer les avantages réciproques pour toutes les parties intéressées, y compris le
demandeur, l'inopportunité d'empiéter sur la juridiction d'un État étranger, l'inconvénient de juger une affaire dans un pays lorsque la cause d'action a pris naissance dans un autre, régi par des lois différentes, et ce qu'il en coûte pour réunir des témoins étrangers.
Selon moi, cependant, la considération primordiale qui doit guider la cour lorsqu'en exerçant son pouvoir discrétionnaire, elle refuse d'accéder à une telle requête, doit être l'existence d'un autre tribunal, plus commode et plus approprié à la poursuite de l'action et à la réalisation des fins de la justice. Il faut évidemment juger chaque cas selon les faits en cause ....
La majorité a passé alors à un examen des faits de la cause et elle en est venue à la conclusion que, dans les circonstances, il n'y avait de tribunal plus commode que la Cour fédérale.
Il y a eu vive dissidence du juge en chef Laskin.
D'après moi, les faits de l'affaire Antares 6 sont différents de ceux de la présente cause. Il y avait manifestement compétence in rem, puisque le Capricorn avait été saisi dans le ressort de la Cour. Dans les deux causes actuellement devant moi, il n'existe pas, comme dans l'Antares, d'autres actes ou incidents tendant à conférer à la présente Cour compétence quant à la défenderesse étrangère. Même en supposant que la Cour fédérale ait com- pétence, il n'y a aucune raison impérieuse de préfé- rer cette dernière à d'autres tribunaux pouvant, eux aussi, avoir compétence. Le fait que la défen- deresse ait amené un bien (le Boo Yong) dans le ressort de la présente Cour ne constitue pas non plus, à mon sens, une raison pressante ou convain- cante de conclure que le forum conveniens c'est le Canada et de permettre la signification ex juris.
L'avocat de la demanderesse a invoqué deux autres affaires, soit Santa Maria Shipowning and Trading Company S.A. c. Hawker Industries Limited' ainsi que Les Nations Unies c. Atlantic Seaways Corporation'.
6 En 1973 une requête tendant à la radiation de la déclara- tion a été présentée au motif que la Division de première instance n'avait pas compétence. La requête a été rejetée: [1973] C.F. 955. Cette décision a été infirmée par la Cour d'appel fédérale: [1978] 2 C.F. 834. Le jugement de la Division de première instance a été rétabli par la Cour suprême du Canada: [1980] 1 R.C.S. 553,
7 [1976] 2 C.F. 325 (Cour d'appel fédérale).
8 [1978] 2 C.F. 510 (Division de première instance); infirmé [1979] 2 C.F. 541 (Cour d'appel fédérale).
Dans l'affaire Santa Maria il s'agissait de déter- miner si la Cour fédérale avait compétence relati- vement à un contrat de réparation de navire, la passation et la rupture dudit contrat ayant eu lieu hors du Canada. La Cour d'appel fédérale a jugé que la compétence de la Cour fédérale ne se limite pas à des questions ayant pris naissance au Canada. Il est dit aux pages 334 et 335:
Néanmoins, selon l'argumentation de l'appelante (et c'est le seul véritable argument avancé par celle-ci au cours des débats devant cette cour), il appert, suivant la déclaration, que toute la cause contractuelle d'action ainsi invoquée se situe géographi- quement hors du Canada et que, par conséquent, cette cause d'action ne relève pas de la compétence d'un tribunal canadien et, en particulier, n'est pas du ressort de la Division de première instance. Si je comprends bien, cet argument est fondé sur une restriction implicite qui limiterait l'objet de la compétence d'un tribunal à une question qui prendrait naissance à l'intérieur des limites géographiques la Cour peut exercer sa compétence.
Ni l'un ni l'autre des avocats des parties n'ont pu nous renvoyer à une jurisprudence qui pencherait d'un côté ou de l'autre au sujet de cette limitation implicite de compétence. La jurisprudence relative à la signification ex juris et à la ratifica tion des jugements étrangers ne peut, me semble-t-il, nous être d'un grand secours sur le sujet; néanmoins, il est à noter que cette cour, dans l'arrêt Martha Russ, ([19741 1 C.F. 410) a clairement établi qu'elle ne tranchait pas cet appel sur une question de «compétence» pour autoriser une signification ex juris; de même, la décision de la Cour suprême du Canada dans l'arrêt Antares Shipping Corporation c. Le navire »Capricorn» rendue le 30 janvier 1976, a prévu une signification ex juris dans une affaire la cause d'action ne semblait pas plus située au Canada que ne l'est, selon le point de vue adopté par l'appelante, la cause d'action en l'espèce. (D'après moi, dans ce dernier arrêt, la question relative à la «compétence» de la Cour semble encore sujette à examen.)
Vu l'absence de jurisprudence directement reliée à la ques tion, je ne suis pas convaincu que les litiges relatifs à la compétence d'amirauté soient soumis à des limitations géogra- phiques implicites. Dans une affaire d'amirauté (et, autant que je sache, dans toute autre affaire présentée devant n'importe quel tribunal), quand il n'existe pas de limitation expresse, il n'y a pas de raison de conclure à l'existence d'autre limitation géographique implicite de la compétence de la Cour que celle relative à la nécessité de remettre une assignation à un défen- deur à l'intérieur du ressort géographique de la Cour, sauf si une autorité compétente donne la permission de délivrer une assignation ex juris.
Ces observations, à mon avis, ne me sont pas d'un grand secours pour trancher la question de savoir si, en l'espèce, je dois ou non autoriser la significa tion ex juris. L'absence d'un lien géographique entre le Canada et la cause d'action n'est qu'un des éléments à prendre en compte et ne fait pas auto- matiquement obstacle à la signification ex juris.
Dans l'affaire Les Nations Unies (une action in personam, celle-là), aucune des parties n'était canadienne, ne résidait au Canada ou n'exploitait une entreprise au Canada. Il s'agissait d'une demande en dommages-intérêts fondée sur la rup ture d'un contrat de transport. Ce contrat avait pour objet le transport de blé d'un port situé aux Etats-Unis à un port situé au Yémen. On avait découvert, lors du déchargement, qu'une partie de la cargaison de blé était avariée. Le seul lien avec le Canada découlait, semble-t-il, du connaisse- ment. Ce document disposait, paradoxalement peut-être, que:
[TRADUCTION] 2. Loi applicable et compétence. Le contrat dont fait foi le présent connaissement est régi par la loi canadienne, et les litiges seront réglés par la Cour fédérale du Canada à l'exclusion de tout autre tribunal.
Les défenderesses avaient, sur le fondement de la Règle 474, introduit une requête sollicitant le rejet de l'action pour incompétence de la Cour fédérale. Le juge de première instance a accédé à la requête, sa conclusion étant que la réclamation relevait du droit américain et qu'elle n'avait donc pas été faite en vertu du «droit maritime canadien ou d'une autre loi du Canada».
La Cour d'appel fédérale a infirmé la décision du juge de première instance. Le juge Le Dain, aux pages 545 et 546, a résumé ainsi les points en litige:
Si je comprends bien les motifs du jugement et les arguments qu'on nous a fait valoir, l'appel porte essentiellement sur deux questions: premièrement, la compétence personnelle de la Cour fédérale en matière de créances sur une cargaison s'étend-elle à une demande dont la cause est née à l'extérieur du Canada? Et, deuxièmement, si par hypothèse c'est le cas, la demande en l'espèce, compte tenu des stipulations des clauses I et 2 du connaissement, en est-elle une qui est faite sur le fondement ou en vertu du droit maritime canadien ou de quelque autre loi canadienne relative à la navigation et à la marine marchande au sens de l'article 22(1) de la Loi sur la Cour fédérale? Subsidiairement, les appelantes font valoir que la question de la compétence ne devrait pas être décidée en cet état de la cause car la Cour n'a pas devant elle suffisamment de faits pour la trancher. Le bien-fondé de cette proposition ne peut bien stil- être évalué qu'après avoir considéré les implications des deux questions et l'importance, pour en décider, des faits dont la Cour n'a pas présentement connaissance.
La Cour s'est alors penchée sur les deux questions soulevées, apportant à chacune une réponse affir mative. Le juge Le Dain, à la page 552, a dit relativement au premier point en litige:
Pour ces motifs je suis d'avis que la compétence de la Cour, ration materiae, dans une action personnelle, en matière de
demande pour cause d'avaries à une cargaison, s'étend à celle dont la cause est née à l'extérieur du Canada. Que la Cour doive se présumer compétente dans une affaire qui exige l'auto- risation de signifier ex juris c'est là, naturellement, une autre question. C'est un pouvoir discrétionnaire à exercer en prenant en compte la théorie du forum conveniens: affaire Antares Shipping Corporation c. Le «Capricorn» [1977] 2 R.C.S. 422. En l'espèce la Division de première instance a autorisé à signifier hors de la juridiction et ce n'est pas l'exercice de ce pouvoir discrétionnaire, en soi, que contestent les intimées dans leur demande, mais bien la compétence ratione materiae de la Cour. 9
Au sujet du deuxième point en litige, il est dit ceci la page 556):
De toute façon je suis d'avis que la réponse à la question de savoir si la demande est fondée ou non sur le droit maritime canadien ne peut être fonction de la mesure dans laquelle la loi étrangère s'applique. D'après moi, une fois qu'il a été statué qu'une demande particulière relève de l'une des catégories de compétence spécifiées à l'article 22(2) de la Loi sur la Cour fédérale, il faut présumer qu'elle est reconnue par le droit maritime canadien et que ce droit lui est applicable, en autant que le requièrent les arrêts Quebec North Shore Paper et McNamara Construction. Il n'y a pas d'autre approche de la compétence de la Cour en matière d'amirauté qui puisse fonc- tionner. Que cette compétence soit fonction de la loi applicable de par l'opération du droit international privé créerait des dichotomies de compétence imprévisibles et hasardeuses.
Les affaires Les Nations Unies et Santa Maria concernent la compétence à l'égard de certains genres de demandes. Il n'y est nullement question de savoir si l'on doit, en autorisant la signification ex juris, s'arroger compétence sur certaines personnes.
Voyons maintenant une dernière affaire, Sea Blue Shipping & Financing Co. S.A. c. Ssangyong Shipping Corp. Ltd. 1 °, les faits, à toutes fins utiles, sont identiques à ceux de l'espèce présente. Par une coïncidence, le bien dont la demanderesse voulait faire interdire le déplacement était le même, soit le Boo Yong. Or, j'ai rendu une ordon- nance ex parte autorisant la signification ex juris et j'ai accordé une injonction Mareva d'une durée
9 Je suis le juge qui, dans l'affaire Les Nations Unies, sur une demande ex parte, a accordé la permission de signifier ex juris. La requête, en conformité de la Règle 324, a été entendue sans comparution en personne de l'avocat. Parmi les pièces figurait le connaissement contenant la clause relative à la «compétence». Bien que je ne me rappelle pas clairement cette affaire, je suis porté à croire que c'est cette clause qui a influencé ma décision de permettre la signification ex juris.
10 Décision inédite rendue le 17 juillet 1980 (n° du greffe: T-3231-80).
de 9 jours. Entre-temps, les parties en sont arrivées à un compromis. Elles ont introduit une requête commune en mainlevée de l'injonction et, sans entendre les avocats, j'ai rendu l'ordonnance solli- citée en faisant, toutefois, les observations suivan-
tes (pages 2 et 3):
Or, il s'est trouvé que le navire de la défenderesse, le Boo Yong, relâchait à Vancouver. Par la suite, la présente action a été engagée. Une demande tendant à l'octroi d'une injonction du type Mareva, a, comme je l'ai relaté plus haut, été introduite.
A l'audition, j'ai à contrecoeur accordé l'injonction. J'ai abordé avec l'avocat de la demanderesse la question de savoir si la présente Cour avait compétence pour accueillir l'action intentée par sa cliente. Vu l'avis de l'avocat à ce sujet, j'ai, bien qu'assez sceptique, rendu l'ordonnance sollicitée. J'ai toutefois limité l'injonction à neuf jours.
Le 3 juillet, la défenderesse introduisit une requête en annu- lation de l'injonction. Elle chercha également à faire annuler une ordonnance de signification ex juris que j'avais rendue en même temps que l'injonction Mareva.
Le débat sur cette dernière requête a été ajourné tandis que les parties s'efforçaient d'arriver à un accord. Une entente est en fin de compte intervenue, d'où la requête commune en mainlevée de l'injonction.
Dans les documents déposés par l'avocat de la défenderesse, il est affirmé que la charte-partie concernant le navire Georgios comportait une clause compromissoire renvoyant tout litige à l'arbitrage à Londres.
Si j'avais connu ce fait lors de la requête ex parte, je n'aurais pas accordé l'injonction Mareva. J'ai indiqué plus haut qu'à première vue, la présente action ne regardait nullement le Canada. Je renvoie à la première phrase de lord Diplock dans The ”Siskina. [1978] 1 Lloyd's Rep. 1 à la page 3:
[TRADUCTION] ... le litige entre les appelants Odes arma- teurs») et les intimés («les propriétaires de la cargaison»), dont ces derniers veulent saisir la Haute Cour d'Angleterre, ne concerne nullement ce pays.
Dans l'affaire Siskina, la Chambre des Lords procéda à l'annulation de l'injonction Mareva aux motifs que les tribu- naux anglais n'avaient aucune compétence sur l'objet de l'ac- tion, ou sur les parties, au sujet desquels une injonction interlo- cutoire ex parte avait été obtenue.
Il me semble rétrospectivement qu'il en est de même en l'espèce. Toutefois, l'ordonnance sollicitée d'un commun accord par les parties sera rendue.
Dans les deux causes présentement devant moi, les chartes-parties comportent chacune une clause usuelle dite clause «compromissoire» ou clause relative à la «compétence». Dans l'affaire Elesguro cette clause est ainsi rédigée:
[TRADUCTION] 17. Advenant un litige entre les armateurs et les affréteurs, la question litigieuse sera renvoyée à trois person- nes, à New York, dont une nommée par chacune des parties aux présentes et la troisième par les deux ainsi choisies; leur
décision ou celle de deux d'entre eux sera sans appel et, afin d'en assurer l'exécution, la présente convention pourra être homologuée par le tribunal. Les arbitres devront être des transporteurs.
Dans l'affaire Efwind la clause est identique, sauf que tout litige est renvoyé à trois personnes à Londres plutôt qu'à New York.
Dans l'affaire Sea Blue nul argument ne m'a été présenté quant aux incidences éventuelles d'une clause compromissoire semblable sur la décision d'accorder la permission de signifier ex juris ou sur l'octroi d'une injonction Mareva. Compte tenu de mes remarques citées plus haut, Me Jessiman, a présenté, à l'appui des requêtes dont il s'agit, une argumentation prudente et raisonnée sur l'impor- tance à accorder aux clauses compromissoires. Il a prétendu ce qui suit relativement à ces clauses:
a) Il n'y a pas, vu les faits des deux actions, de litige susceptible d'arbitrage.
b) La question d'une garantie à l'égard d'une demande (comme par exemple la procédure visant l'octroi d'une injonction Mareva) est dif- férente et séparable des questions prévues par la procédure d'arbitrage.
c) La question d'une garantie (là encore, comme par voie d'injonction Mareva) ne relève ni de la clause compromissoire ni des arbitres; seul un tribunal possède la compétence requise.
Si, dans l'affaire Sea Blue, on m'avait présenté ces arguments et la jurisprudence invoquée à l'ap- pui, je doute que j'eusse fait les remarques que j'y ai faites, ou que je les eusse énoncées de la même façon. Il me semble rétrospectivement que les clau ses compromissoires ne pouvaient être considérées que par rapport à la signification ex juris et non par rapport au bien fondé de l'octroi d'une injonc- tion Mareva. Les contrats prévoyant l'arbitrage à l'étranger ne doivent pas automatiquement faire obstacle à la signification ex juris. Quoi qu'il en soit, pour trancher la question de savoir si, dans les présentes actions, je devais accorder la permission de signifier ex juris, j'ai pris en compte les argu ments de Me Jessiman.
Au cas il serait interjeté appel des ordonnan- ces rendues dans ces deux litiges, j'estime qu'il y a lieu de m'expliquer sur le bien-fondé, compte tenu des faits dont il est ici question, de la demande
d'injonction Mareva. L'injonction Mareva est un
nouveau concept du droit anglais qui est apparu en 1975. Selon le droit commun, le demandeur, en règle générale, ne pouvait, avant le prononcé du jugement, interdire au défendeur résident de sous- traire des biens à la compétence du tribunal afin de faire échec à l'exécution d'un éventuel jugement
défavorable. Le concept de l'injonction Mareva, tout en reconnaissant cette notion, pose le principe qu'un tribunal anglais peut, lorsque les circons- tances le permettent, sur demande ex parte et avant le prononcé du jugement, interdire au défen- deur non résidant de soustraire des biens à la compétence du tribunal ".
Le lord Denning Maître des rôles a établi, dans l'affaire Third Chandris (précitée), les règles sui- vantes en matière d'injonction Mareva la page 189]:
[TRADUCTION] (i) Le demandeur doit révéler pleinement et sincèrement tout fait dont il a connaissance qui est propre à éclairer le juge. Voir The Assios [1979] 1 Lloyd's Rep. 331.
(ii) Le demandeur doit fournir le détail de sa demande contre le défendeur, indiquant, à cet effet, le fondement de sa demande ainsi que le montant réclamé et faisant honnêtement état des moyens soulevés par le défendeur à l'encontre de la demande.
(iii) Le demandeur doit rapporter des preuves tendant à établir que les défendeurs ont des biens dans ce pays. J'estime que dans l'affaire inédite MBPXL Corporation c. Interconti nental Banking Corporation, en date du 28 août 1975, cette dernière exigence a été trop sévèrement appliquée. Le plus souvent, le demandeur ne sera pas au courant de l'importance des biens en question. Il n'aura que des indices de leur présence. L'existence d'un compte en banque en Angleterre suffit, peu importe qu'il y ait un solde débiteur.
" Voici une liste, qui ne prétend pas être exhaustive, de la jurisprudence anglaise relative à la procédure Mareva:
Nippon Yusen Kaisha c. Karageorgis [1975] 2 Lloyd's Rep. 137 (C.A.). Mareva Compania Naviera S.A. c. International Bulkcarriers S.A. [1975] 2 Lloyd's Rep. 509 (C.A.). Rasu Maritima S.A. c. Pertamina [1977] 2 Lloyd's Rep. 397 (C.A.) (injonction refusée). The »Siskina» [1978] 1 Lloyd's Rep. 1 (C.L.) (injonction refusée—défaut de compétence sur l'objet de l'action). The «Cretan Harmony» [1978] 1 Lloyd's Rep. 425 (C.A.) (injonction annulée). Third Chandris Ship ping Corp. c. Unimarine S.A. (The «Genie») [1979] 2 Lloyd's Rep. 184 (C.A.). The «Assios» [1979] 1 Lloyd's Rep. 331 (C.A.) (injonction annulée—permission d'en appeler devant la Cour d'appel refusée). Montecchi c. Shimco (U.K.) Ltd. [1979] 1 W.L.R. 1180 (C.A.) (injonction refusée). The «Agrabele» [1979] 2 Lloyd's Rep. 117 (injonction refusée contre défendeur résidant). Chartered Bank c. Daklouche [1980] 1 W.L.R. 107 (C.A.) (injonction accordée contre défendeur résidant, en droit strict). The «Ange! Bel!» [ 1980] 1 Lloyd's Rep. 632 (Q.B.).
(iv) Le demandeur doit rapporter des preuves tendant à établir que les biens risquent d'être enlevés avant l'exécution du jugement ou de la décision. Le simple fait que le défendeur se trouve lui-même à l'étranger n'est pas en soi suffisant ....
(v) Les demandeurs doivent, bien entendu, s'engager à payer tous dommages-intérêts au cas la demande serait rejetée ou l'injonction s'avérerait injustifiée. Cet engagement doit, s'il est jugé à propos, être appuyé d'un cautionnement. Et l'injonction ne doit être accordée que sur constitution d'un tel cautionne- ment ou sur l'engagement de le constituer.
J'ajouterais qu'il doit ressortir des pièces justifica- tives qu'il y a une cause valable d'action contre la défenderesse et que cette cause d'action relève de la compétence de la présente Cour.
Compte tenu des éléments dont je dispose (et compte tenu également du fait qu'il s'agit, en l'espèce, de requêtes ex parte), j'aurais, si j'avais estimé qu'il y avait lieu de permettre la significa tion ex juris, adopté les règles anglaises et accordé des injonctions Mareva.
Par conséquent, comme je l'ai dit plus haut, les deux requêtes ont été rejetées.
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