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A-536-80
L'Administration de pilotage du Pacifique (Requérante)
c.
Kenneth Arnison et la Commission canadienne des droits de la personne (Intimés)
Cour d'appel, les juges Pratte et Le Dain et le juge suppléant Hyde—Montréal, 24 octobre; Ottawa, 31 octobre 1980.
Examen judiciaire Demande d'examen et d'annulation de la décision par laquelle un tribunal des droits de la personne a déclaré que le fait de rayer de la liste d'admissibilité établie pour fins d'emploi le nom de l'intimé Arnison, au moment ce dernier a atteint l'âge de 50 ans, constituait un acte discri- minatoire L'art. 4(1)a) du Règlement général sur le pilotage fixe un âge minimum et un âge maximum comme condition à remplir de la part des candidats à un brevet Il y avait à déterminer si c'est à tort que le tribunal a décidé que l'art. 4(1)a) était ultra vires au motif qu'un âge maximal ne pouvait être considéré comme une condition minimale quant à l'âge, au sens de l'art. 42a) de la Loi sur le pilotage Requête accueillie Le mot «minimales» qualifie le mot «conditions» et non le mot «âge», et montre la relation entre le pouvoir du gouverneur en conseil d'imposer des conditions et celui d'une Administration de pilotage Loi canadienne sur les droits de la personne, S.C. 1976-77, c. 33, art. 3, 7, 10, 146) Règlement général sur le pilotage, C.R.C. 1978, Vol. XIII, c. 1263, art. 4(1)a) Loi sur le pilotage, S.C. 1970-71-72, c. 52, art. 14(1)f,g), 42a) Loi sur la Cour fédérale, S.R.C. 1970 (2e Supp.), c. 10, art. 28.
DEMANDE d'examen judiciaire. AVOCATS:
William O'M. Forbes pour la requérante. Allan E. Black pour l'intimé Kenneth Arnison.
Russell G. Juriansz pour l'intimée la Com mission canadienne des droits de la personne.
PROCUREURS:
Owen, Bird, Vancouver, pour la requérante. McTaggart, Ellis & Company, Vancouver, pour l'intimé Kenneth Arnison.
La Commission canadienne des droits de la personne, Ottawa, pour l'intimée la Commis
sion canadienne des droits de la personne.
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
LE JUGE LE DAIN: Il y a requête fondée sur l'article 28 en révision et en annulation d'une
décision d'un tribunal des droits de la personne constitué en vertu de l'article 39 de la Loi cana- dienne sur les droits de la personne, S.C. 1976- 1977, c. 33, et chargé d'examiner une plainte d'acte discriminatoire. Dans sa décision rendue le 28 juillet 1980, le tribunal a statué que le fait de rayer de la liste d'admissibilité ténue par la requé- rante pour fins d'emploi des pilotes, le nom du capitaine Arnison, intimé à l'instance, au moment ce dernier a atteint l'âge de 50 ans, constituait un acte discriminatoire en vertu de la Loi et a ordonné sa réinscription sur la liste à son rang antérieur.
Il n'est pas contesté que le geste de l'Adminis- tration de pilotage du Pacifique équivaut à un refus d'employer quelqu'un au sens de l'article 7 de la Loi ou à l'application d'une ligne de conduite en matière d'emploi au sens de l'article 10. Ces dispositions sont ainsi conçues:
7. Constitue un acte discriminatoire le fait
a) de refuser d'employer ou de continuer d'employer un individu, ou
b) de défavoriser un employé,
directement ou indirectement, pour un motif de distinction illicite.
10. Constitue un acte discriminatoire le fait pour l'employeur ou l'association d'employés
a) de fixer ou d'appliquer des lignes de conduite, ou
b) de conclure des ententes, touchant le recrutement, les mises en rapport, l'engagement, les promotions, la formation, l'apprentissage, les mutations ou tout autre aspect d'un emploi présent ou éventuel
pour un motif de distinction illicite, d'une manière susceptible d'annihiler les chances d'emploi ou d'avancement d'un individu ou d'une catégorie d'individus.
L'article 3 de la Loi définit ainsi les motifs de distinction illicite:
3. Pour l'application de la présente loi, les motifs de distinc tion illicite sont ceux qui sont fondés sur la race, l'origine nationale ou ethnique, la couleur, la religion, l'âge, le sexe, la situation de famille ou l'état de personne graciée et, en matière d'emploi, sur un handicap physique.
L'Administration de pilotage du Pacifique sou- tient que la loi, et plus précisément l'article 4(1)a) du Règlement général sur le pilotage, C.R.C. 1978, Vol. XIII, c. 1263, l'obligeait à faire ce qu'elle a fait. Ledit article 4(1)a) est ainsi rédigé:
4. (1) Tout candidat à un brevet de pilote doit
a) avoir au moins 23 ans et au plus 50 ans; ...
L'Administration invoque l'article 14b) de la Loi canadienne sur les droits de la personne, qui est ainsi libellé:
14. Ne constituent pas des actes discriminatoires
b) le fait de refuser ou de cesser d'employer un individu
(i) qui n'a pas atteint l'âge minimal, ou
(ii) qui a atteint l'âge maximal
prévu pour l'emploi en question par la loi ou par les règle- ments que peut établir le gouverneur en conseil pour l'appli- cation du présent alinéa;
Le tribunal a statué que l'article 4(1)a) du Règlement général sur le pilotage était ultra vires lorsqu'il fixait un âge minimum et un âge maxi mum comme condition à remplir de la part des candidats à un brevet. L'Administration n'a pas contesté, lors des plaidoiries en cette Cour, la compétence du tribunal pour se prononcer sur la validité du Règlement général sur le pilotage, mais elle a soutenu que la conclusion à laquelle le tribunal en était arrivé quant à la validité dudit Règlement n'était pas fondée en droit.
L'article 4(1)a) du Règlement général sur le pilotage a été adopté par le gouverneur en conseil en application de l'article 42a) de la Loi sur le pilotage, S.C. 1970-71-72, c. 52, qui est ainsi rédigé:
42. Le gouverneur en conseil peut établir des règlements
a) prescrivant pour toute région ou partie de région les conditions minimales que doit remplir un requérant quant aux certificats de navigation, aux états de service en mer, à l'âge et à l'état de santé, avant de pouvoir obtenir un brevet ou un certificat de pilotage;
La question de validité tient au sens qu'a le mot «minimales» à l'article 42a). Le tribunal a estimé qu'un âge maximal n'était pas une condition mini- male quant à l'âge au sens de cet article. A mon avis il est dans l'erreur. Le mot «minimales» quali- fie le mot «conditions» et non le mot «âge», et le sens dans lequel l'expression «conditions minima- les» est employée à l'article 42a) ressort de l'article 14(1)f) de la Loi, l'expression est utilisée pour distinguer les conditions prescrites par le gouver- neur en conseil de celles prescrites par une Admi nistration de pilotage. L'article 14(1)f) est ainsi conçu:
14. (1) Une Administration peut, avec l'approbation du gou- verneur en conseil, établir les règlements généraux nécessaires pour atteindre ses objets notamment, et sans restreindre la portée générale de ce qui précède, des règlements généraux
J) prescrivant les conditions que le titulaire d'un brevet ou d'un certificat de pilotage d'une catégorie quelconque doit remplir, notamment le niveau de connaissance des lieux, de compétence, d'expérience et de connaissance de l'une des langues officielles du Canada, ou les deux, requis en sus des conditions minimales prescrites par le gouverneur en conseil aux termes de l'article 42;
Les mots «en sus des conditions minimales pres- crites par le gouverneur en conseil aux termes de l'article 42» indiquent, selon moi, que le terme «minimales» est utilisé dans le sens de fondamenta- les pour montrer la relation entre le pouvoir du gouverneur en conseil d'imposer des conditions et celui d'une Administration de pilotage. C'est cette distinction, faite à l'article 14(1)j), qui explique l'emploi du mot «minimales» à l'article 42a). Autrement, il aurait suffi, à l'article 42a), d'utili- ser le mot «conditions» sans qualificatif puisqu'en l'absence d'un pouvoir de prescrire des conditions supplémentaires ou des conditions plus sévères, le mot «minimales» n'ajouterait rien au sens ordinaire du mot «conditions».
L'avocat des intimés soutient qu'on ne peut, pour interpréter le mot «minimales» à l'article 42a), s'aider de l'article 14(1)f), parce qu'il s'ap- plique aux conditions à remplir par le «titulaire» d'un brevet alors que l'article 42a) s'applique aux conditions à remplir par le «requérant» au brevet. Je trouve cet argument sans fondement puisque, qu'il y ait ou non de différence notable ou pratique entre les conditions imposées à un requérant au brevet et celles imposées à un titulaire de brevet, ce qui importe au sujet du libellé de l'article 14(1)f) c'est que par les mots «en sus des condi tions minimales prescrites par le gouverneur en conseil aux termes de l'article 42», le législateur a indiqué le sens qu'a le mot «minimales» à l'article 42a). De toute façon, l'importance à attribuer à l'emploi du mot «titulaire» à l'article 14(1)f) est loin d'être claire compte tenu du fait que l'article 14(1)g) parle des conditions prescrits en vertu de l'alinéa f) comme étant applicables aussi bien au titulaire qu'au requérant. Cet article est ainsi conçu:
14. (1) Une Administration peut, avec l'approbation du gou- verneur en conseil, établir les règlements généraux nécessaires pour atteindre ses objets notamment, et sans restreindre la portée générale de ce qui précède, des règlements généraux
g) prescrivant la façon de déterminer
(i) si une personne qui demande un brevet ou un certificat de pilotage, ou
(ii) si un pilote breveté ou un titulaire de certificat de pilotage
remplit les conditions prescrites en vertu de l'alinéa f) pour la catégorie du brevet ou certificat de pilotage dont il est titulaire ou dont il a demandé l'attribution, selon le cas.
Étant donné le sens à attribuer au mot «minima- les» à l'article 42a), un âge maximal au-delà duquel un requérant ne peut obtenir un brevet constitue une condition quant à l'âge au sens de la disposition. Une telle condition, qui repose sur un jugement sur ce qui est un âge approprié pour s'adonner au pilotage, n'est à mon sens ni incom patible ni en contradiction avec la fixation à 65 ans de l'âge obligatoire de la retraire en application de l'article 15(7) de la Loi.
En conséquence, je conclus que le retrait du nom du capitaine Arnison de la liste d'admissibilité à l'emploi de pilote n'était pas un acte discrimina- toire au sens de la Loi canadienne sur les droits de la personne puisqu'il constituait un refus d'em- ployer quelqu'un pour un motif légal. On n'a pas débattu devant nous la question de savoir si, de façon générale, les dispositions de la Loi cana- dienne sur les droits de la personne pouvaient avoir des conséquences sur la validité ou l'applica- tion des règlements par ailleurs valablement pris en application d'une loi. Sans me prononcer sur cette question, j'estime que le refus d'employer qui nous intéresse était clairement autorisé par l'arti- cle 14b) de la Loi, que j'ai cité plus haut.
Vu cette conclusion, je n'ai pas à me prononcer sur le second grief de la requérante, voulant que le tribunal ait commis une erreur de droit en con- cluant que l'âge maximum prévu à l'article 4(1)a) du Règlement général sur le pilotage n'était pas fondé sur une exigence professionnelle normale au sens de l'article 14a) de la Loi canadienne sur les droits de la personne.
J'estime qu'il y a lieu d'accueillir la requête, d'annuler la décision du tribunal et de renvoyer l'affaire pour qu'il soit statué sur celle-ci à partir
de ce que le retrait du nom du capitaine Arnison de la liste d'admissibilité tenue par la requérante ne constituait pas un acte discriminatoire au sens de la Loi canadienne sur les droits de la personne.
Vu que c'est à la demande de la requérante, pour des motifs d'urgence, que l'audience a eu lieu à Montréal plutôt qu'à Vancouver, j'estime qu'il y a lieu de faire payer par la requérante les frais de voyage raisonnables encourus par l'avocat du capi- taine Arnison, intimé à l'instance, pour assister à l'audience, mais je ne rendrai pas d'autre ordon- nance quant aux dépens.
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LE JUGE PRATTE: Je souscris.
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LE JUGE SUPPLÉANT HYDE: Je souscris.
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