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T-2285-71
In re Penn Central Transportation Company
(Débitrice)
et
Robert W. Blanchette, Richard C. Bond et John H. McArthur, fiduciaires des biens de la Penn Central Transportation Company
et
In re Canada Southern Railway Company (Créancière)
et
In re The Penn Central Corporation (Requérante)
Division de première instance, le juge Addy— Toronto, 24 et 25 juin; Ottawa, 12 décembre 1980.
Chemins de fer Contrat Requête sollicitant une ordonnance en annulation d'une ordonnance antérieure de cette Cour La requérante cherche à obtenir paiement de fonds déposés en fidéicommis dans une banque canadienne Demande reconventionnelle de Canada Southern qui sollicite une ordonnance qui substituerait la requérante aux fiduciaires de la Penn Central Ordonnance antérieure nommait un séquestre judiciaire en attendant la liquidation des créances de Canada Southern par une Cour de l'Ontario La Reorgani zation Court américaine autorise le dépôt en fidéicommis au Canada des fonds Il s'agit de déterminer si une mesure d'exécution éventuelle du jugement rendu contre la requérante par la Cour de l'Ontario peut être réservée à la Reorganization Court.
La requérante sollicite une ordonnance révoquant les fidu- ciaires de la Penn Central Transportation Company (PCTC), révoquant le projet de concordat et annulant une ordonnance antérieure de cette Cour, de façon à lui permettre d'obtenir paiement de fonds déposés en fidéicommis dans une banque canadienne. La Canada Southern Railway (CSR), créancière canadienne, conteste cette requête et sollicite une ordonnance de la Cour qui substituerait la requérante aux fiduciaires. L'ordonnance rendue accueillait la requête de la CSR et pres- crivait la nomination d'un séquestre judiciaire devant garder le produit de la vente par la PCTC de ses actions dans la Toronto, Hamilton and Buffalo Railway Co. (TH&B), en attendant la liquidation des créances de la CSR par une Cour de l'Ontario. A la suite de cette ordonnance, la Reorganization Court améri- caine autorisait les fiduciaires à déposer en fidéicommis au Canada les fonds. La requérante demande essentiellement que toute mesure d'exécution éventuelle du jugement rendu contre elle par la Cour de l'Ontario soit réservée à la Reorganization Court.
Arrêt: la demande et la demande reconventionnelle sont rejetées. La réorganisation du chemin de fer, homologuée par la Cour américaine, n'a pas de portée extra-territoriale qui empê- cherait l'exécution sur des biens situés au Canada au profit de créanciers canadiens; elle ne prétend du reste pas avoir un tel
effet. L'ordonnance rendue vise clairement à garder les fonds au Canada en attendant le jugement des actions en justice, dont celles intentées par la CSR. Rien ne justifie que la requérante, en sa qualité de subrogée des fiduciaires, demande maintenant à être relevée de l'engagement pris à l'égard des fonds déposés en fidéicommis. Accorder la demande reviendrait à rapporter cette ordonnance, chose qui n'est certes pas du pouvoir de la Cour. Quant à la demande reconventionnelle, elle est rejetée du fait du refus de la requérante d'accepter la fiducie. Cette Cour, même si elle était habilitée à le faire, n'essaierait jamais d'imposer une fiducie à venir à un fiduciaire contre son gré, à plus forte raison si ce fiduciaire réside à l'étranger.
REQUÊTE. AVOCATS:
Duncan Finlayson, c.r. et Gerald C. Hollyer, c.r. pour la requérante.
J. E. Sexton, c.r. et J. Steiner pour la créancière.
PROCUREURS:
Kingsmill, Jennings, Toronto, pour la requé- rante.
Osier, Hoskin & Harcourt, Toronto, pour la créancière.
Voici les motifs de l'ordonnance rendus en fran- çais par
LE JUGE ADDY: La requérante, The Penn Cen tral Corporation, en qualité de continuatrice de la Penn Central Transportation Company, débitrice, sollicite de la Cour une ordonnance:
I. en révocation ou confirmation de la révoca- tion de MM. Blanchette, Bond et McArthur, fiduciaires des biens de la Penn Central Trans portation Company, débitrice, au Canada, à la suite de mon ordonnance, en date du 27 septem- bre 1974, accueillant et homologuant le projet de concordat;
2. en révocation du projet de concordat homolo- gué par ladite ordonnance; et
3. en annulation ou, subsidiairement, en modifi cation de l'ordonnance rendue le 14 avril 1977 par mon collègue le juge Cattanach, de façon à permettre à la requérante, en sa qualité de continuatrice de ladite débitrice et de ses fidu- ciaires, d'obtenir paiement des fonds mentionnés dans ladite ordonnance du juge Cattanach, à permettre à la requérante de retirer lesdits fonds déposés actuellement en fidéicommis à la
banque, et à autoriser la banque ledit argent est actuellement déposé à libérer les fonds déte- nus en fidéicommis en faveur de la requérante à l'instance.
La Canada Southern Railway Company con- teste cette requête et, en même temps, sollicite une ordonnance qui substituerait The Penn Central Corporation aux trois fiduciaires de la Penn Cen tral Transportation Company.
Les faits sur lesquels repose la demande princi- pale sont, quoique dans l'ensemble non contestés, loin d'être simples. Nous essaierons de résumer les principaux.
Les abréviations suivantes seront utilisées pour désigner certaines compagnies et entités:
Canada Southern Railway Company CSR (qui conteste la demande principale et est la requérante dans la demande reconvention- nelle.)
Penn Central Transportation Company PCTC
Taie Penn Central Corporation Penn
(la continuatrice de la PCTC et la requérante Central dans la demande principale.)
Robert W. Blanchette, Fiduciaires
Richard C. Bond et de la PCTC John H. McArthur,
fiduciaires des biens de la Penn Central
Transportation Company
Consolidated Rail Corporation Conrail (une nouvelle compagnie de chemins de fer du gouvernement américain, à laquelle PCTC et plusieurs compagnies de chemins de fer américaines en faillite ont été contraintes par le Congrès américain à céder leurs avoirs ferroviaires.)
Michigan Central Railroad Company MCR
(Locataire, en vertu d'un bail de 999 ans, des
biens ferroviaires de la CSR et bailleresse de
ces biens en vertu d'un bail de sous-location
de 99 ans consenti à la New York Central
Railway.)
New York Central Railway NYC (Locataire des biens ferroviaires de la CSR en vertu d'un bail de sous-location de 99 ans consenti par MCR.)
Toronto, Hamilton and Buffalo Railway TH&B Company
Canadien Pacifique Ltée CP (Acheteuse des actions de la TH&B aux fidu- ciaires de la PCTC et à la MCR.)
La CSR a été constituée en 1868 ou vers cette date et, par une Loi spéciale du Parlement du Canada datée de 1874, a été transformée en entre- prise fédérale. Elle possédait, et avait exploité pour une brève période, une ligne ferroviaire reliant Windsor à Welland et deux embranchements, l'un entre Welland et Niagara Falls, l'autre entre Wel- land et Fort Érié. En 1903, elle loua, en vertu d'un bail de 999 ans qui fut approuvé par une loi du Parlement du Canada, ses biens ferroviaires à la MCR. En 1930, celle-ci concéda à la NYC ses droits sur les biens ferroviaires de la CSR, pour une période de 99 ans. En 1968, la NYC et la Pennsylvania Railroad fusionnèrent pour former la Penn Central Transportation Company (PCTC). Antérieurement au 1er avril 1976, la CSR avait été, au moyen d'avoir en actions, contrôlée par la MCR, la PCTC et ses prédécesseurs et puis les fiduciaires. La MCR était elle-même contrôlée par la PCTC et ses prédécesseurs.
Le 21 juin 1970, la PCTC introduisit devant la District Court of the United States of America for the Eastern District of Pennsylvania (ci-après nommée la «Reorganization Court») une requête tendant à l'obtention d'une ordonnance qui autori- serait sa réorganisation en tant que compagnie de chemins de fer en vertu de l'article 77 de la Bankruptcy Act des États-Unis d'Amérique. L'or- donnance accueillant cette requête fut rendue le jour même et plus tard, le 22 juillet 1970, certains fiduciaires furent nommés fiduciaires des biens de la PCTC en vue de cette réorganisation. Les fidu- ciaires figurant à l'intitulé de la présente cause, MM. Blanchette, Bond et McArthur, étaient les fiduciaires en fonctions à l'époque de la promulga tion du projet de concordat ci-inclus. Ils restèrent, semble-t-il, en fonctions jusqu'à leur révocation par la Reorganization Court, le 24 octobre 1978. En mai 1973, la MCR, une filiale presque à 100 p. 100 de la PCTC, introduisit, en vertu de la Bank ruptcy Act américaine, une requête en réorganisa- tion et Douglas Campbell fut nommé fiduciaire de ses biens par la Reorganization Court. Au Canada, aucun projet de concordat ne fut déposé devant la Cour fédérale du Canada pour le compte de la MCR.
En plus des actions engagées aux États-Unis devant la Reorganization Court, les fiduciaires de
la PCTC ont, en vertu des articles 95 99 de la Loi sur les chemins de fer' et des articles 26 28 de la Loi sur la Cour de l'Échiquier 2 , intenté des actions en vue de la continuation au Canada de l'entreprise ferroviaire de la PCTC et du désinté- ressement de certains créanciers. Parmi les créan- ciers susceptibles de faire valoir leurs créances dans le cadre du projet de concordat figurent les bailleurs de biens ferroviaires canadiens. Antérieu- rement au 22 juin 1970, la PCTC avait contracté des dettes envers certains créanciers canadiens du fait de ses opérations ferroviaires au Canada et pris, au Canada, certains autres engagements à exécuter au Canada, notamment des engagements en vertu de la prise à bail de biens ferroviaires canadiens.
Il a été établi que le prix de location a été, en vertu du bail, payé à la CSR au cours de la réorganisation entreprise sous le régime de la Bankruptcy Act américaine. Les sommes dues par les fiduciaires de la PCTC à la CSR en vertu du bail ont toujours été versées au terme.
Conformément au projet de concordat approuvé par mon ordonnance du 27 septembre 1974, un rapport a été déposé le 27 mai 1975 devant la Cour. Toutes les créances présentées et suscep- tibles d'être payées en vertu de ce projet de concor- dat ont, à ce qu'il semble, été intégralement réglées. Un certain nombre d'actions qui avaient été intentées à Montréal contre la PCTC et qui avaient été contestées, ont, en fin de compte, fait l'objet d'un compromis et d'un règlement du fait du projet de concordat.
Le 1" avril 1976, les fiduciaires de la PCTC ont mis fin à l'exploitation d'une ligne de chemin de fer, tant au Canada qu'aux États-Unis. En vertu de la Regional Rail Reorganization Act, une loi du Congrès américain, pratiquement toutes leurs lignes et tous leurs avoirs ferroviaires ont été trans- férés à la Conrail, notamment leur intérêt dans le bail de la CSR et leurs actions dans celle-ci.
Les fiduciaires de la PCTC, le fiduciaire de la MCR et la CSR détenaient, à un moment donné, une majorité substantielle des actions de la TH&B, celles-ci n'ayant pas fait l'objet de la cession à la Conrail. En mai 1976, les fiduciaires
' S.R.C. 1970, c. R-2. 2 S.R.C. 1970, c. E-11.
de la PCTC et de la MCR ont vendu au CP leurs actions dans la TH&B. De son côté, la CSR a accepté de vendre, séparément, ses actions au CP. La date limite de signature de ces deux ententes était fixée au ler novembre 1976. Avant cette date, la CSR a saisi la Cour fédérale du Canada d'une demande tendant à la nomination d'un séquestre, à l'obtention d'une injonction et d'autres redresse- ments au sujet du produit de la vente par les fiduciaires de la PCTC et de la MCR des actions de la TH&B. A la suite du prononcé par la présente Cour d'une série d'ordonnances, dont celle rendue le 17 novembre 1976 par mon collè- gue le juge Walsh et celle en date du 14 avril 1977 rendue par mon collègue le juge Cattanach, la somme de $2,776,184 tirée du produit de la vente fut déposée en fidéicommis à la Banque de Montréal.
La CSR a fait valoir d'importantes créances contre la MCR, la PCTC, leurs fiduciaires respec- tifs et la Penn Central. Ces revendications ont trait à la manière dont la MCR et la PCTC ont disposé des biens ferroviaires de la CSR et à d'autres questions connexes. Elles ont été, pour la première fois, formellement formulées en 1976 dans une requête en arbitrage et, plus tard, dans une action intentée le Pr juin 1979 par la CSR devant la Cour suprême de l'Ontario contre la MCR et la Penn Central. Il y a eu, dans l'intervalle, un grand nombre d'actions connexes.
Entre-temps, devant la Reorganization Court américaine, un nouveau plan de réorganisation de la faillite PCTC a été proposé et finalement approuvé par une ordonnance d'exécution et un jugement définitif de ladite Cour en date du 17 août 1978 (ci-après nommée l'«ordonnance d'exé- cution»).
Ce plan de réorganisation prévoyait que les créanciers, les autres réclamants et actionnaires de la PCTC et certaines compagnies concessionnaires accepteraient, compte tenu des incertitudes de l'avenir, un compromis quant à leurs revendica- tions en vue d'obtenir un prompt recouvrement et d'éviter les dépenses et retards que causeraient des litiges longs et complexes. Le plan prévoyait que la compagnie débitrice, la PCTC, continuerait à fonctionner en tant que compagnie réorganisée sous le nom de The Penn Central Corporation (la «Penn Central»), et les créances de différentes
catégories seraient payées ou feraient l'objet d'une transaction. Une ordonnance de la Reorganization Court portant révocation de MM. Blanchette, Bond et McArthur en tant que fiduciaires a été plus tard obtenue. La direction de la compagnie réorganisée Penn Central a été confiée à de nou- veaux dirigeants et administrateurs.
Les ex-fiduciaires de la PCTC ont, conformé- ment à l'ordonnance d'exécution, reçu l'autorisa- tion et l'ordre de signer des actes translatifs de tous actifs et biens des fiduciaires de la PCTC et de remettre ces actes à la PCTC; à la suite de ces transferts, ces avoirs 'et biens sont devenus la pro- priété absolue de la Penn Central à la date d'exé- cution, qui était le 24 octobre 1978. A compter de la même date, tous les fonds détenus par les anciens fiduciaires de la PCTC, et, plus tard, conformément aux ordonnances de la Reorganiza tion Court, par un fidéicommissaire ou fiduciaire, devenaient complètement et sans réserves propriété de la Penn Central et devaient par la suite être versés à la Penn Central ou sur son ordre par ce fidéicommissaire ou fiduciaire, ces paiements valant libération de ce dernier.
Le paragraphe 3.10 de l'ordonnance d'exécution porte ce qui suit:
[TRADUCTION] A compter de la date d'exécution, les fiduciai- res de la PCTC ... seront révoqués et relevés de toutes fonctions et responsabilités relatives à la gestion des biens ou à la conduite de l'entreprise et des affaires transférées à la compagnie réorganisée ... à la date d'exécution. De cette date, les fiduciaires n'auront plus le pouvoir ni l'obligation d'agir pour le compte de la compagnie réorganisée ou relativement à celle-ci ....
Le projet de réorganisation et mon ordonnance du 27 septembre 1974 comportent tous deux la disposition suivante:
[TRADUCTION] 8. Il est convenu que les présentes dispositions sont prises uniquement pour permettre à la compagnie de continuer son entreprise de chemins de fer au Canada par l'entremise des fiduciaires de ses biens, et pour nul autre but. Les présentes et le concordat resteront en vigueur jusqu'à la survenance de l'un des événements suivants: a) l'annulation des procédures intentées devant la Reorganization Court en vue de la réorganisation de la compagnie; ou b) la révocation des fiduciaires ou de leurs successeurs; ou c) la décision par la Cour fédérale du Canada de ne pas homologuer le concordat, de le rejeter, de le remplacer ou de le déclarer inexécuté, pourvu que la non-confirmation ou le rejet du concordat n'opère pas dessai- sissement des fiduciaires des biens de la compagnie au Canada.
Il semble que la Reorganization Court ait agi en partant du principe que les demandes de la CSR doivent être jugées au Canada et payées à même l'actif de la Penn Central. En août 1978, elle a accueilli la requête de la CSR en modification de l'ordonnance d'exécution de façon que celle-ci ne s'applique pas aux réclamations formées au Canada par la CSR contre la Penn Central et la MCR.
L'ordonnance de mon collègue le juge Walsh datée du 17 novembre 1976, que j'ai mentionnée précédemment, prescrivait la nomination d'un séquestre judiciaire et la détention par ce dernier du produit de la vente des actions de la TH&B jusqu'à la survenance de l'un quelconque des évé- nements suivants:
a) le prononce par la Reorganization Court d'une ordonnance permettant aux fiduciaires de la Penn Central de déposer en fidéicommis au Canada le produit de la vente des actions de la TH&B et un engagement de leur part à cet effet;
b) la constitution par les fiduciaires d'un cau- tionnement équivalant au montant de la vente des actions de la TH&B [TRADUCTION] «pour garantir les réclamations des créanciers cana- diens contre lesdits fonds, au cas ils décide- raient de retirer ces derniers du Canada»; ou
c) la détermination, par arbitrage, par jugement d'un tribunal compétent ou par transaction, des créances de la CSR ou de tout autre créancier canadien contre le produit de la vente des actions de la TH&B et le paiement de la créance ou des créances ainsi établies sur ledit produit.
Il ressort de ce qui précède et des motifs du jugement du juge Walsh [[1977] 2 C.F. 624] que cette ordonnance visait à garder au Canada des fonds équivalant au montant de la vente des actions TH&B en attendant la liquidation des créances de la CSR et de tout autre créancier canadien et le paiement de celles-ci sur ces fonds. Les événements b) et c) ne sont pas survenus.
Les fiduciaires ont demandé à la Reorganization Court l'autorisation de garder en fidéicommis au Canada le produit de la vente des actions TH&B conformément à la solution a) susmentionnée et
aussi de procéder à [TRADUCTION] «la satisfaction au Canada des créances de la Canada Southern.» La Cour a accueilli cette requête en mars 1977.
De toute évidence, l'ordonnance du juge Catta- nach a été rendue pour donner effet à celle du juge Walsh. Il a également enjoint aux deux parties d'agir avec diligence pour déterminer les créances de la CSR. Rien n'indique que ceci n'ait pas été fait. Si le dépôt en fidéicommis était levé et si l'argent retournait aux États-Unis, l'objet même du fidéicommis serait contredit. Rien ne justifie que la Penn Central, en sa qualité de subrogée des fiduciaires ou autres, demande maintenant à être relevée de l'engagement pris à l'égard des fonds détenus en fidéicommis. Accorder le redressement demandé reviendrait à rapporter cette ordonnance, chose qui n'est certes pas en mon pouvoir.
La requérante prétend aussi que les revendica- tions de la CSR découlant du bail ne tombent pas sous le coup du projet de concordat. C'est mainte- nant chose réglée entre les parties, puisque mon collègue le juge Walsh a statué qu'elles y tom- baient, ainsi qu'il ressort des motifs de son ordon- nance. Il a estimé devoir statuer ainsi pour accueil- lir la demande. Son ordonnance a été rendue voilà trois ans et n'a pas été frappée d'appel. Je ne pourrais pas annuler cette décision même si je le voulais.
La requérante fait valoir que la présente Cour ne peut maintenir le dépôt en fidéicommis, puisque la Penn Central est actuellement en état de solva- bilité et que les créanciers américains sont en voie d'être intégralement payés. Je ne suis pas de cet avis, puisque les créanciers américains ne sont pas payés comptant pour ce qui est de leurs créances, mais qu'ils sont contraints par la Reorganization Court à accepter d'être payés en titres plutôt qu'en espèces. Un débiteur incapable de payer comptant ses créanciers n'est pas solvable. Si la Penn Cen tral était solvable, il importerait peu que les créan- ces soient payées comptant au Canada ou aux États-Unis et la requérante ne tiendrait pas tant à retirer les fonds du Canada. La requérante pré- tend, assez curieusement, qu'il serait injuste pour la CSR d'être payée à même les fonds canadiens plutôt que d'aller aux États-Unis. Il ne saurait, en tout cas, y avoir d'injustice à l'égard des créanciers américains si l'on devait payer comptant la CSR. Demander que la CSR soit obligée de «partager»
avec les autres créanciers devant la Cour améri- caine revient à admettre son insolvabilité.
Encore à propos de cette question de la solvabi- lité, un certain Roger Frish, agissant pour le compte de la CSR, a dans un affidavit affirmé que, d'après un mémoire des fiduciaires daté du 16 mars 1978, les créances de la CSR tomberaient dans la catégorie des créances «M» et qu'en tant que telles, elles pourraient être réglées par la [TRA- DUCTION] «délivrance de certificats de beneficial interest d'un montant égal à 30 % des créan- ces ....» Aux pages 26 et 27 de son affidavit, il dépose relativement à d'autres faits, dont la valeur marchande des actions émises en règlement des créances de la catégorie «M», ce qui établirait que la CSR ne serait probablement jamais payée en entier même si elle acceptait les actions et titres qu'elle serait, semble-t-il, obligée d'accepter en règlement de ses créances. M. Frish n'a jamais été contre-interrogé sur ces affirmations, qui ont trait on ne peut plus directement à la solvabilité de la requérante.
L'avocat de la requérante fait valoir d'une part que les procédures devant la Reorganization Court ont été annulées et soutient d'autre part que la CSR pourra présenter devant celle-ci tout juge- ment qu'elle obtiendra au Canada en vue du paie- ment ou du règlement selon la décision de cette Cour. Les deux arguments semblent se contredire et être inconciliables.
La requérante demande aussi la mainlevée du dépôt en fidéicommis en se fondant sur le passage suivant du paragraphe 8 de mon ordonnance du 27 septembre 1974:
... les présentes dispositions sont prises uniquement pour permettre à la compagnie de continuer son entreprise de che- mins de fer au Canada par l'entremise des fiduciaires de ses biens, et pour nul autre but.
Pour ce qui est des parties, cette ordonnance a été rendue «uniquement pour permettre à la compa- gnie de continuer son entreprise de chemins de fer», mais en ce qui concerne les créanciers, elle visait, de toute évidence, à les protéger et à fournir une somme suffisante pour couvrir leurs créances.
D'après la déclaration de la CSR dans l'action intentée en Ontario, beaucoup de ses créances ont pris naissance avant le 22 juin 1970, et mon ordon-
nance a expressément enjoint aux fiduciaires de [TRADUCTION] «payer en entier les créances des- dits créanciers de la compagnie au Canada, prove- nant de l'exploitation de l'entreprise de chemins de fer de celle-ci avant le 22 juin 1970 ....» L'ordon- nance prévoyait également l'allocation d'un délai supplémentaire suffisant pour la liquidation de toute créance non liquidée. C'est précisément le résultat escompté de l'action intentée en Ontario. Les créances sont celles d'un créancier canadien, prenant naissance antérieurement à cette date tant en vertu de baux de location de biens ferroviaires canadiens que de charges fiscales au Canada.
Il a été également allégué que la Penn Central n'était pas partie au bail. Par ailleurs, cette com- pagnie et ses prédécesseurs ont, depuis les années 30, pleinement fait usage des fonds locatifs et il semble qu'elle soit légalement responsable, en vertu du bail, de tout paiement et de tout autre engagement qu'elle est censée, aux yeux de la loi, avoir pris. Quoi qu'il en soit, c'est une des questions à trancher par la Cour suprême de l'On- tario à partir des éléments de preuve qui lui seront soumis.
Bien que la requérante admette que la Cour suprême de l'Ontario ait compétence sur les reven- dications de la CSR, elle demande essentiellement que toute mesure d'exécution de son jugement contre la requérante soit réservée à la Reorganiza tion Court américaine. La créance de la CSR est une créance appartenant à une compagnie cana- dienne, née au Canada et découlant d'un contrat affectant des biens canadiens, et, pourtant, on demande à la Cour fédérale du Canada de céder son contrôle sur la disposition effective des fonds qui se trouvent actuellement ici et qui ont été spécialement affectés à la satisfaction des créan- ciers canadiens.
La réorganisation du chemin de fer, homologuée par la Cour américaine, n'a pas de portée extra- territoriale qui empêcherait l'exécution sur des biens situés au Canada au profit de créanciers canadiens; elle ne prétend du reste pas avoir un tel effet. L'ordonnance du juge Walsh vise clairement à garder les fonds au Canada en attendant le sort des actions telles que celles que la CSR a intentées contre les fiduciaires de la PCTC et celui de la MCR.
Par les motifs qui précèdent, la demande de la Penn Central sera rejetée.
Sans tenir compte de la question de la compé- tence de la présente Cour soulevée par le point de savoir si la Penn Central est maintenant véritable- ment une compagnie de chemins de fer, et égale- ment en dehors du fait que, en l'absence de dispo sitions spéciales d'une loi ou d'un acte de fiducie, les tribunaux ne nomment pas de fiduciaires même si elles peuvent nommer des séquestres, la demande reconventionnelle par laquelle la CSR prie la Cour de substituer la Penn Central aux fiduciaires de la PCTC est rejetée du fait du refus par la Penn Central d'accepter la fiducie. La pré- sente Cour, même si elle était habilitée à le faire, n'essaierait jamais d'imposer une fiducie à venir à un fiduciaire contre son gré, à plus forte raison à un fiduciaire résidant à l'étranger. Ma décision sur cette demande a été rendue oralement à l'au- dience, à l'issue de l'audition.
Il se peut que, du fait de ses actions, la Penn Central se soit constituée ou bien fiduciaire de son tort, ou bien fiduciaire par détermination de la loi, mais la Cour n'est pas saisie de cette question.
ORDONNANCE
Par ces motifs, LA COUR ORDONNE le rejet, avec dépens, des deux demandes.
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