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T-3587-77
CC Chemicals Limited (Demanderesse)
c.
Sternson Limited (Défenderesse)
Division de première instance, le juge Cattanach— Ottawa, 19 juin et ler août 1980.
Pratique Interrogatoire préalable Requête pour inter- dire à la défenderesse de poursuivre l'interrogatoire préalable d'un inventeur-cédant résidant aux É.-U. La juridiction étrangère a accordé à la défenderesse sa requête, présentée ex parte, pour enjoindre audit inventeur de déposer au préalable La demanderesse soutient que la procédure est irrégulière en l'absence de requête à la Cour fédérale pour directives Il échet d'examiner si accorder une ordonnance forçant le cédant d'un brevet qui n'habite pas le Canada à subir un interroga- toire préalable que ce soit ou non au Canada est autorisé Règles 465(5), (12), (16) et 494(9) de la Cour fédérale Loi sur la preuve au Canada, S.R.C. 1970, c. E-10, art. 43.
La demanderesse demandait une ordonnance interdisant à la défenderesse de poursuivre l'interrogatoire préalable de l'inven- teur et cédant initial d'un brevet d'invention résidant aux États-Unis, en dérogation des Règles de la Cour. La défende- resse, qui a fait appel sans résultat à la Règle 465(5), a voulu obtenir, et a obtenu, d'une Cour de District des États-Unis, par requête ex parte, une ordonnance, sans commission rogatoire de la Cour, enjoignant à l'inventeur de déposer au préalable, sur interrogatoire oral, conformément aux règles de la juridiction étrangère. La demanderesse soutient que la défenderesse a agi fort irrégulièrement ce faisant, au sujet d'une action engagée devant la Cour, la procédure qu'on envisageait d'engager n'ayant pas d'abord été arrêtée par une requête à la Cour pour directives, ce qui serait contraire au droit de notre pays. Il échet de déterminer si accorder une ordonnance forçant le cédant d'un brevet qui n'habite pas le Canada à subir un interrogatoire préalable, que ce soit ou non au Canada, est autorisé.
Arrêt: la requête est accordée. (1) Il est inapproprié de la part de la défenderesse d'obtenir une ordonnance d'un tribunal étranger forçant à comparaître le cédant d'une invention habi- tant dans cette juridiction pour subir un interrogatoire relative- ment à une action engagée devant la Cour sans avoir au préalable recours aux voies de droit qu'elle lui ouvre: un tribunal est maître de sa propre procédure et de la conduite de l'instance dont il est saisi conformément au droit général applicable et à ses propres règles. (2) La Règle 465(5) ne s'applique pas au cas la personne à interroger se trouve à l'extérieur du Canada et ne peut faire l'objet d'un subpoena émanant d'un tribunal canadien (affaire Lido, le juge en chef Jackett). Une telle ordonnance ne peut être rendue parce que les propres voies de droit de la Cour ne lui permettent pas de l'exécuter: les Règles de la Cour ne la prévoient pas. On ne peut recourir à une commission pour interrogatoire préalable du cédant d'un brevet à l'extérieur du Canada: on ne peut non plus utiliser des commissions ou lettres rogatoires pour arriver à cette fin. L'objet de ces commissions et lettres est l'obtention de témoignages hors de la juridiction, destinés à servir de preuve testimoniale dans une action engagée dans la juridiction. On ne
peut douter que ce que la défenderesse voulait ce n'était pas le témoignage du cédant, mais plutôt des renseignements et un fil conducteur pour investiguer. La Cour interdira à un justiciable comparaissant devant elle de poursuivre une instance devant une juridiction étrangère ayant pour fin la recherche de preuve ou d'information, relativement à une action dont elle est saisie, quand une telle instance devant le for étranger n'est pas permise selon ses Règles. La défenderesse ne peut retirer «aucun avantage légitime» de cette procédure.
Arrêts appliqués: Lido Industrial Products Ltd. c. Tele- dyne Industries, Inc. [1979] 1 C.F. 310; Lovell Manufac turing Co. c. Beatty Bros. Ltd. (1961) 35 C.P.R. 12; Textron Canada Ltd. c. Rodi & Wienenberger AG [1973] C.F. 667; Xerox of Canada Ltd. c. IBM Canada Ltd., IBM Canada Ltée [1976] 1 C.F. 213; Dennison Manufac turing Co. of Canada Ltd. c. Dymo of Canada Ltd. (1976) 23 C.P.R. (2e) 155; The Carron Iron Co. Proprietors c. Maclaren (1854-56) 5 H.L. Cas. 416; Armstrong c. Arm- strong [1892] P. 98. Arrêt examiné: Re Raychem Corp. c. Canusa Coating Systems, Inc. [1971] 1 O.R. 192.
REQUÊTE. AVOCATS:
D. MacOdrum pour la demanderesse. J. Morrissey pour la défenderesse.
PROCUREURS:
Hayhurst, Dale & Deeth, Toronto, pour la demanderesse.
Barrigar & Oyen, Ottawa, pour la défende- resse.
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
LE JUGE CATTANACH: La demanderesse demandait, par requête, en date du 16 juin 1980, laquelle fut instruite le 19 juin 1980, une ordon- nance interdisant à la défenderesse de poursuivre l'interrogatoire préalable de Solomon J. Rehmar, relativement à l'instance en cause, à titre de cédant d'un brevet d'invention, en dérogation des Règles de la Cour.
Comme l'interrogatoire devait avoir lieu dans les trois jours juridiques, j'ai prononcé l'ordonnance demandée à la clôture de l'instruction de la requête, m'engageant à en fournir les motifs, écrits, ultérieurement.
Je m'acquitte maintenant de cet engagement.
La demanderesse est une compagnie constituée selon la loi ontarienne, avec son siège social à Thornhill (Ontario). A ce titre elle réside donc au Canada et y est domiciliée.
La défenderesse est aussi une compagnie cons- tituée en vertu de la loi ontarienne; elle a son siège social à Brantford (Ontario) et donc réside et est domiciliée aussi au Canada.
La demanderesse est propriétaire d'un brevet d'invention, délivré par le Bureau des brevets du Canada le 17 octobre 1967 à Solomon J. Rehmar de Cleveland en Ohio, l'un des États des États- Unis d'Amérique, pour l'une de ses inventions.
Rehmar, par acte translatif de propriété, daté du 27 octobre 1969 et enregistré le 21 novembre de la même année, céda ses droits sur ce brevet à Intrusion Prepakt Incorporated, une compagnie constituée selon la loi de l'État de l'Ohio.
Par acte translatif de propriété, daté du 16 septembre 1969, Intrusion Prepakt Incorporated céda le brevet à la demanderesse.
Dans sa déclaration, en date du 23 septembre 1977, déposée près la Cour à cette date, la deman- deresse soutient que la défenderesse a contrefait son brevet et prétend avoir droit au recours habituel.
La défenderesse a déposé une défense qui en substance allègue que les revendications ne décri- vent aucune nouvelle invention, nie la contrefaçon et prétend que le brevet est invalide. Il s'agit d'une défense habituelle à une action en contrefa- çon. Ces allégations sont détaillées.
Par lettre en date du 15 octobre 1979, les avo- cats de la défenderesse s'enquirent auprès des avo- cats de la demanderesse de la date revendiquée pour l'invention, ce qui amena comme réponse qu'il s'agissait du 4 avril 1979.
Par lettre datée du 28 septembre 1978, les avo- cats de la défenderesse notifièrent ceux de la demanderesse de leur intention d'interroger au préalable Solomon J. Rehmar en tant qu'inventeur et dirigeant d'Intrusion Prepakt Incorporated, tous deux cédants.
Par lettre datée du 30 octobre 1978, en réponse, les avocats de la demanderesse firent valoir que les deux cédants résidaient à l'extérieur du Canada,
ne représentaient ni l'une ni l'autre des parties et que la Règle que la défenderesse se proposait d'invoquer n'allait pas jusqu'à autoriser l'interro- gatoire de ces parties à l'extérieur du pays.
La Règle que la défenderesse se proposait de faire valoir, mentionnée dans une lettre du 15 octobre 1979, était la Règle 465(5).
La demanderesse déclara que son président était prêt à subir un interrogatoire préalable.
Le 24 avril 1980 la défenderesse fit savoir que
les démarches nécessaires seraient entreprises pour obtenir l'interrogatoire de Rehmar avant l'instruc- tion.
La demanderesse fait état que les Règles n'auto- risent pas l'interrogatoire d'un tiers au litige qui n'habite pas au Canada, particulièrement un inventeur à la retraite dont elle n'a plus le contrôle.
M. Rehmar a plus de 87 ans et a fait savoir qu'il ne se soumettra pas volontairement à un interroga- toire préalable. Il n'est pas, ni n'a jamais été, l'employé de la demanderesse et celle-ci n'a aucun contrôle, quel qu'il soit, sur lui.
Il y a eu apparemment un entretien téléphoni- que entre les avocats des parties, d'où résulta la lettre des avocats de la demanderesse du 22 mai 1980, et la réponse qui y fut faite le 4 juin 1980, lettres que je considère utile de reproduire ici pour illustrer le litige qui oppose les parties.
Les avocats de la demanderesse écrivirent:
[TRADUCTION] Nous avons pris acte des informations que vous nous avez communiquées lors de votre coup de téléphone du 18 mai 1980, soit que vous avez l'intention d'interroger au préalable M. Rehmar, l'inventeur dont le nom figure sur le brevet en litige, devant la Cour fédérale qui a en effet compé- tence en la matière qui fait l'objet du litige entre nos clients respectifs.
Il semblerait que'vous admettiez que les Règles de la Cour fédérale, et les décisions qui les ont interprétées, ne vous autorisent pas à procéder à l'interrogatoire préalable de M. Rehmar. Il nous semble en outre que vous cherchez à contour- ner les Règles, et même la Cour fédérale elle-même, en dépit du fait que cette action soit régie par les Règles de pratique de la Cour fédérale. Nous craignons que les actions que vous vous proposez d'entreprendre puissent être considérées comme un outrage à la Cour fédérale, aussi hésitons-nous à, nous impli- quer dans celles-ci.
Cette procédure que vous envisagez suscite un certain nombre de questions qui à notre avis devraient être réglées par une requête à la Cour fédérale pour obtenir ses directives.
D'abord est-il régulier que M. Rehmar soit interrogé compte tenu de la pratique de la Cour fédérale? Advenant que M. Rehmar témoigne devant une commission rogatoire, pouvez- vous démontrer qu'il a refusé de comparaître à l'instruction de la présente demande? Si M. Rehmar témoigne devant la com mission rogatoire à votre requête, comparaît-il comme votre témoin et serons-nous en droit de le contre-interroger? Si vous envisagez d'obtenir le témoignage de M. Rehmar devant une commission rogatoire, celui-ci ne devrait-il pas être lu au cours de l'instance en son entier ou vous estimez-vous autorisés à ne nous lire que les passages qui, selon vous, sont pertinents, parce que favorables à votre cause?
Étant donné que nous sommes d'avis que la procédure que vous envisagez constitue une tentative manifeste de contourner les Règles de la Cour fédérale, je vous propose de présenter votre requête pour directives dans les plus brefs délais. Si vous ne la présentez pas, nous présenterons la nôtre. Nous ne voyons aucune raison qui justifie de nous imposer des inconvénients et des frais pour obtenir la déposition de M. Rehmar alors que les Règles ne prévoient pas son interrogatoire préalable et qu'en outre, il n'y a aucune preuve qu'on lui ait demandé, et qu'il ait refusé, de comparaître à l'audition de l'action.
Les avocats de la défenderesse répliquèrent:
[TRADUCTION] Nous avons reçu, ce 29 mai 1980, votre lettre du 22 mai 1980.
Si vous désirez demander à la Cour fédérale du Canada des directives au sujet de notre proposition d'obtenir la déposition de M. Rehmar, nous ne nous y opposons pas.
A notre avis, l'action que nous projetons d'entreprendre pour obtenir le témoignage de M. Rehmar n'est en nulle manière outrageante pour la Cour fédérale du Canada. Au contraire, nous désirons obtenir le témoignage de M. Rehmar afin d'avoir une déposition de l'inventeur avant de procéder à l'instruction de l'action.
Dans votre lettre vous dites: «Nous ne voyons aucune raison qui justifie de nous imposer des inconvénients et des frais pour obtenir la déposition de M. Rehmar alors que les Règles ne prévoient pas son interrogatoire préalable et qu'en outre, il n'y a aucune preuve qu'on lui ait demandé, et qu'il ait refusé, de comparaître à l'audition de l'action.» Au contraire, la Règle, 465(5) de la Cour fédérale prévoit l'interrogatoire de M. Rehmar: «Le cédant d'un brevet d'invention, d'un droit d'au- teur, d'une marque de commerce, d'un dessin industriel ou de tout bien, droit ou intérêt peut être interrogé au préalable par une partie qui est opposée à tout cessionnaire.» (Lorsque le contexte le permet, la mention faite dans la présente Règle d'un individu qui doit être interrogé ou d'un individu qui est inter- rogé comprend un tel concessionnaire). Vous avez toujours refusé de présenter volontairement M. Rehmar à l'interroga- toire préalable conformément à la Règle 465(5) et par votre fait, vous ne nous laissez d'autres choix que de nous adresser à la juridiction américaine compétente en la matière. Si M. Rehmar habitait le Canada, il n'y aurait aucune difficulté à obtenir son témoignage. Au contraire vous vous êtes servis du fait, une technicalité, que M. Rehmar habite les États-Unis pour éviter que nous puissions l'interroger au préalable.
Nous allons donc examiner la déposition préalable de M. Rehmar avant de décider s'il faut, le cas échéant, prendre d'autres mesures.
Enfin nous vous rappelons que ce n'est pas la première fois que des justiciables en une instance devant la Cour fédérale du Canada ont recours à la loi américaine pertinente.
Pour ce qui est du dernier paragraphe, à l'audi- tion de la requête, j'ai demandé à l'avocat de la défenderesse de me citer les instances auxquelles il se référait, quelle requête antérieure avait été faite à la Cour et si aucune autorisation antérieure n'avait été ainsi demandée, puis obtenue, pour des commissions ou lettres rogatoires, y avait-il des dépositions ainsi obtenues qui aient été déclarées admissibles lors de l'instruction d'une action devant la Cour?
Il n'a pu me répondre. Il avait simplement voulu dire qu'à trois occasions, à sa connaissance, on avait demandé à des juridictions de tel ou tel État américain d'obliger un de leurs résidents à compa- raître et à témoigner, sans qu'aucune intervention n'ait été faite devant la Cour, mais que la déposi- tion ainsi obtenue n'avait pas apparemment été administrée en preuve au cours de l'audition de l'action dont la Cour avait été saisie.
Cela ne me laisse donc aucun précédent dans notre juridiction; ce dont je me doutais fort.
J'ai laissé entendre qu'il n'était pas de ma com- pétence d'intervenir dans ce qu'une juridiction étrangère pourrait faire selon les lois qu'elle peut avoir à appliquer et à exécuter. Je n'ai certaine- ment aucun pouvoir en ce sens. Ma première réaction a été qu'il vaudrait probablement mieux laisser au juge du fond le soin de décider de l'admissibilité du témoignage ainsi obtenu, adve- nant qu'il soit présenté lors de l'instruction à titre de preuve, mais l'ordonnance que demande la demanderesse en tant que requérante en l'instance a une portée beaucoup plus importante.
La demanderesse a fait valoir que la défende- resse en voulant obtenir d'un tribunal étranger une ordonnance forçant l'inventeur à comparaître à un interrogatoire relatif à une action engagée devant notre juridiction, agissait fort irrégulièrement lors- que la procédure qu'on envisageait d'engager en ce sens n'était pas d'abord arrêtée par une requête pour directives présentée à notre juridiction.
A vrai dire la logique de cette proposition s'est imposée à moi, mais non apparemment au procu- reur de la défenderesse, qui l'a sereinement ignorée et a présenté unilatéralement une requête à un
juge de la Cour de District des États-Unis pour le District nord de l'Ohio, sur le fondement du 28 U.S.C. § 1782, pour obtenir une ordonnance enjoi- gnant le lancement d'une assignation, subpoena duces tecum au nom de Solomon J. Rehmar, lui ordonnant de se présenter et [TRADUCTION] «de déposer au préalable, sa déposition devant être consignée par Sternson après l'interrogatoire oral, pour servir dans une instance actuellement pen- dante devant la Cour fédérale du Canada, Division de première instance».
La requérante, Sternson, demandait qu'on ordonne que [TRADUCTION] «le témoignage soit consigné conformément aux Règles fédérales de procédure civile». Sans doute s'agit-il de règles applicables dans cette juridiction étrangère car une telle expression est inconnue dans la nôtre.
Voici le texte et le titre du paragraphe 1782 (vraisemblablement une loi fédérale):
[TRADUCTION] § 1782. Assistance aux tribunaux étrangers et internationaux et aux justiciables agissant devant eux.
a) La cour de district du district de résidence d'un individu, ou de celui on le trouve, peut lui ordonner de rendre témoignage, ou de déposer, ou encore de déposer des pièces ou autres objets pouvant servir dans une instance devant un tribu nal étranger ou international. L'ordonnance peut être rendue sur le fondement d'une commission ou lettre rogatoire interna- tionale donnée par un tribunal étranger ou international, ou sur requête de tout intéressé; elle peut enjoindre que le témoignage ou la déposition soit faite, ou que la pièce ou autre objet soit déposé devant celui que nomme la cour.
La requête, ex parte, qui n'est pas datée, mais qui semble avoir été déposée près le tribunal étran- ger le 10 juin 1980, fut instruite ce jour-là par le juge de ce tribunal, lequel annota en marge de la requête: «Requête accueillie. Ainsi en est-il ordonné. Frank J. Battisti». Je présume qu'il n'y a pas obligation de rendre une semblable ordonnance mais qu'elle est discrétionnaire.
La requête fut faite sans notification à la partie adverse et donc, malheureusement, le distingué juge a été privé de l'avantage d'entendre les argu ments qui auraient pu s'opposer à ce qu'elle soit accordée. En substance on a surtout insisté devant moi pour dire que rien n'autorise d'accorder une ordonnance forçant le cédant d'un brevet qui n'ha- bite pas le Canada à subir un interrogatoire préa- lable, que ce soit ou non au Canada; ce faire serait
contraire à la loi de notre pays.
Le précédent juge en chef de notre juridiction a eu l'opportunité de connaître de la question dans Lido Industrial Products Ltd. c. Teledyne Indus tries, Inc. [1979] 1 C.F. 310 lorsqu'il prononça l'arrêt de la Cour d'appel.
La Division de première instance avait rejeté une requête pour ordonnance, qui aurait enjoint de présenter le cédant d'un brevet habitant aux États- Unis pour qu'il soit interrogé au préalable sur le fondement de la Règle 465(5). Il y eut appel.
Le juge en chef Jackett rejeta l'appel car aucune jurisprudence n'autorisait l'ordonnance demandée. Aucune n'avait été citée et il n'en connaissait aucune.
Ayant ainsi statué, il jugea utile d'expliquer pourquoi la demande d'ordonnance était non seule- ment mal conçue mais constituait une tentative d'exercer un recours que ne permettaient pas les Règles.
Il déclare aux pages 311 et 312:
Tel que je l'entends, l'interrogatoire préalable est, dans l'ac- ception générale du terme, un acte de procédure antérieur au procès par lequel une partie cherche à obtenir des renseigne- ments ou des aveux de l'autre partie; il s'agit d'un des rares éléments de notre procédure qui n'ont pas leur origine dans les règles de procédure du Royaume-Uni. Cette pratique est deve- nue courante devant presque toutes les cours supérieures du Canada mais, dans chaque juridiction, elle participe de la loi applicable en la matière ainsi que des règles de procédure qui en sont issues.
La règle applicable était la Règle 465 des Règles de la Cour fédérale, adoptée en application de l'article 46 de la Loi sur la Cour fédérale, S.R.C. 1970 (2e Supp.), c. 10.
Le juge en chef expliqua qu'on n'a pas à obtenir une ordonnance de la Cour pour un interrogatoire préalable sauf dans des circonstances exceptionnel- les.
Le cas le plus simple est celui de l'action qu'in- tente un individu contre un autre alors que l'une des parties interroge l'autre (Règle 465(1),(2) et (3)). Alors aucune ordonnance de la Cour n'est prévue à moins qu'il ne faille nommer un examina- teur (Règle 465(6)c)).
La sanction applicable à la partie qui fait défaut de se soumettre à l'interrogatoire préalable ou de répondre aux questions que demande la Cour est, lorsqu'il s'agit du défendeur, la radiation de la défense ou, dans le cas du demandeur, le rejet de l'action.
Seconde exception: l'interrogatoire préalable de la Couronne ou d'une personne morale. Advenant que les parties ne puissent s'entendre au sujet du fonctionnaire ou du dirigeant à interroger, on s'adresse alors à la Cour pour qu'elle le désigne (Règle 465(1)b),c)).
D'après la Règle 465(12), il est possible qu'un interrogatoire préalable puisse, dans certains cas, avoir lieu à l'extérieur du Canada, mais seulement en vertu d'une convention ou de l'autorité d'une ordonnance judiciaire. C'est la troisième excep tion à la règle générale voulant qu'aucune ordon- nance judiciaire ne soit nécessaire pour obtenir un interrogatoire préalable.
Voici la Règle 465(5):
Règle 465. .. .
(5) Le cédant d'un brevet d'invention, d'un droit d'auteur, d'une marque de commerce, d'un dessin industriel ou de tout bien, droit ou intérêt peut être interrogé au préalable par une partie qui est opposée à tout cessionnaire. (Lorsque le contexte le permet, la mention faite dans la présente Règle d'un individu qui doit être interrogé ou d'un individu qui est interrogé comprend un tel concessionnaire).
Commentant cette disposition en quelque sorte inhabituelle, le juge en chef déclara ceci, aux pages 313 et 314:
La Règle 465 prévoit également (Règle 465(5)) une procé- dure rangée sous le vocable d'interrogatoire préalable mais qui ne s'accorde pas avec l'acception commune de cette expression. Il ne s'agit pas d'un interrogatoire préalable d'une partie par une autre, mais d'un interrogatoire, antérieur au procès, d'un témoin potentiel, et la seule personne susceptible d'être interro- gée est le cédant d'un droit qui fait l'objet du litige, cette personne étant susceptible d'être interrogée qu'elle soit ou non un membre de la direction ou un employé de la partie adverse.
La comparution de la personne assujettie à l'interrogatoire prévu à la Règle 465(5) est assurée par subpoena (Règle 465(9)); dans ces conditions, cette personne n'est pas soumise au contrôle de la partie adverse et elle ne risque pas de voir sa défense radiée ou sa demande rejetée pour défaut ou pour refus de répondre ainsi qu'elle en est requise. (Règle 465(20).) II est à croire qu'aux termes de la Règle 465(12), la Cour peut autoriser un tel interrogatoire à l'extérieur du Canada, mais nulle disposition des Règles n'habilite la Cour à ordonner à une telle personne de comparaître, que ce soit à l'intérieur ou à l'extérieur du Canada; un tel pouvoir est exclu si l'on tient compte du fait que le subpoena s'applique à l'intérieur du
Canada et que la Cour ne peut rendre des ordonnances ou autres moyens de contrainte exécutoires à l'extérieur de son ressort territorial (voir McGuire c. McGuire [1953] O.R. 328). En d'autres termes, dans le contexte de la Règle 465, la portée de la Règle 465(5) est implicitement restreinte en ce sens qu'elle ne s'applique pas au cas la personne à interroger se trouve à l'extérieur du Canada et ne peut faire l'objet d'un subpoena émanant d'un tribunal canadien. Ceci n'exclut pas la possibilité d'un accord international entre le Canada et un autre pays, dûment ratifié de part et d'autre, qui autorise un interrogatoire dans ces conditions. Je n'ai connaissance d'aucun accord de ce genre qui prévoit l'interrogatoire, antérieur au procès, de témoins potentiels, acte de procédure tout différent de celui qui vise à obtenir des témoignages dans un pays en vue d'un procès dans l'autre pays.
Je me suis longuement étendu sur ce sujet pour faire ressortir qu'à mon avis, l'appelante n'a pas gain de cause non seulement parce qu'elle a mal formulé sa demande mais encore parce qu'elle invoque un recours auquel elle n'a nullement droit, aux termes des Règles. Par la même occasion, j'ai voulu souligner qu'il semble y avoir une tendance à demander à la Cour des ordonnances concernant les détails d'organisation d'un interro- gatoire préalable (personne à interroger, temps, lieu, etc.) et à surcharger ainsi le rôle de la Cour, dans les cas mêmes les Règles ne prévoient rien de tel.
Au cours du débat devant moi, l'avocat de la défenderesse soutint que si le juge en chef avait eu connaissance du paragraphe 1782 du United States Code, il aurait statué dans un autre sens.
Il basait son argument sur le texte d'un extrait de la citation ci-dessus que voici:
Ceci n'exclut pas la possibilité d'un accord international entre le Canada et un autre pays, dûment ratifié de part et d'autre, qui autorise un interrogatoire dans ces conditions. Je n'ai connaissance d'aucun accord de ce genre qui prévoit l'interro- gatoire, antérieur au procès, de témoins potentiels, acte de procédure tout différent de celui qui vise à obtenir des témoi- gnages dans un pays en vue d'un procès dans l'autre pays.
Lorsque le juge en chef a parlé d'une convention internationale qu'une loi d'exécution introduirait dans le droit interne de chaque État contractant, il voulait dire précisément ce qu'il a dit.
Il ne voulait pas parler d'une législation interne comme le paragraphe 1782 du United States Code semble être. Il voulait parler, comme il a dit, de lois parallèles, mutuellement adoptées par les États parties à une convention internationale introdui- sant les stipulations de la convention contractée dans le droit interne de chaque État. Rien n'indi- que que le paragraphe 1782 ait été une semblable loi d'exécution.
En soutenant que c'est le cas, l'avocat doit faire une analogie entre le droit interne d'un État étran- ger en soi et le droit que cet État adopte pour exécuter les obligations contractées comme signa- taire d'une convention internationale. Aucune sem- blable analogie n'existe.
L'avocat de la défenderesse n'a pu me référer à aucune semblable convention, sans doute parce qu'aucune n'existe. J'ajouterais que j'ai moi-même recherché une telle convention en vain.
Le juge en chef Jackett a déclaré qu'il y a une limite implicite à la Règle 465(5), en ce qu'elle ne peut s'appliquer lorsque celui que l'on veut interro- ger au préalable est à l'extérieur du Canada.
On ne peut recourir à une commission rogatoire pour un interrogatoire préalable du cédant d'un brevet d'invention habitant à l'extérieur du Canada.
Le juge Cameron dans Lovell Manufacturing Co. c. Beatty Bros. Ltd. (1961) 35 C.P.R. 12 a dit la page 13]:
[TRADUCTION] A mon avis la Règle 129 n'autorise pas la Cour à donner une commission pour l'interrogatoire préalable d'un cédant d'un brevet d'invention (qui, en l'espèce, n'est pas partie à l'instance) hors du Canada.
Dans Textron Canada Ltd. c. Rodi & Wienen- berger AG [1973] C.F. 667, le juge Kerr a jugé que des ordonnances donnant commission d'inter- roger les cédants d'un brevet résidant en Allema- gne et au Japon ne pouvaient être rendues sur le fondement de la Règle 477, c.-à-d. par commission rogatoire. La Règle 477 des Règles de la Cour fédérale succède à la Règle 129 des Règles de la Cour de l'Échiquier dont parle le juge Cameron.
Toutefois il a admis la possibilité d'accorder une ordonnance pour interrogatoire préalable selon la Règle 465 (12), analogue à celle envisagée par la Règle 477, advenant démonstration de l'existence d'une convention ou d'un traité intervenu entre le Canada, l'Allemagne et le Japon, en vertu de laquelle les interrogatoires demandés seraient tenus ou permis selon la loi de ces pays. Il a donc suspendu la requête pour un mois afin de permet- tre aux avocats des parties de s'en enquérir. Appa- remment l'affaire Textron fut réglée peu après que le jugement du juge Kerr eut été rendu; en consé- quence la requête fut abandonnée.
Dans Xerox of Canada Ltd. c. IBM Canada Ltd., IBM Canada Ltée [1976] 1 C.F. 213, la défenderesse présenta une requête au juge Heald pour que soient rendues des ordonnances autori- sant de donner commission rogatoire pour l'inter- rogatoire préalable de dix-huit inventeurs et cédants de brevets résidant dans cinq juridictions différentes aux États-Unis. La défenderesse invo- quait les alinéas (5) et (12) de la Règle 465 ainsi que les remarques du juge Kerr dans l'affaire Textron (précitée), soit que si on pouvait le con- vaincre que l'ordonnance serait exécutoire selon le droit du pays la commission devrait être exécu- tée, il accepterait d'être saisi d'une requête à cette fin.
A l'appui de la requête soumise au juge Heald, la défenderesse fournissait des dépositions sous serment d'un juriste compétent de chacune des juridictions de New York, du Connecticut et de deux districts en Californie, selon lesquels les tri- bunaux de ces juridictions donneraient effet aux lettres rogatoires de la Cour, permettant à la défenderesse d'obtenir l'interrogatoire préalable des cédants d'un brevet habitant ces juridictions.
En réplique les demanderesses produisirent les dépositions, sous serment, de juristes aussi compé- tents dont les opinions étaient diamétralement opposées. On était formellement d'avis que les tribunaux de Californie ne donneraient pas effet à ces lettres rogatoires puisque les témoignages ainsi obtenus ne pourraient être administrés comme preuve en l'instance et ne serviraient qu'à obtenir de plus amples renseignements. Cela pourrait ne pas se révéler être le cas.
Les auteurs de ces réfutations étaient clairement d'avis que les tribunaux du Connecticut et de New York n'agiraient pas sur la foi de commissions ou lettres rogatoires de la Cour vu son incapacité d'offrir la réciproque en vertu du droit de notre pays. On a déjà jugé que cette incapacité d'offrir la réciproque existait.
Selon l'article 43 de la Loi sur la preuve au Canada, S.R.C. 1970, c. E-10, une juridiction canadienne a le pouvoir discrétionnaire d'ordonner de comparaître au Canada à une partie ou à un témoin présent dans son ressort lorsqu'il paraît qu'une juridiction étrangère compétente désire
obtenir son «témoignage» relativement à une affaire pendante devant elle.
L'article 60 de The Evidence Act de l'Ontario est au même effet.
Dans l'affaire Raychem Corp. c. Canusa Coat ing Systems, Inc. [1971] 1 O.R. 192, le juge Brooke de la Cour d'appel dit à la page 197:
[TRADUCTION] La loi dans la province est, que l'on procède selon les dispositions pertinentes de The Evidence Act de l'Ontario, S.R.O. 1960, c. 125, ou de la Loi sur la preuve au Canada, S.R.C. 1952, c. 307, que la Cour n'ordonne l'interro- gatoire d'un témoin que s'il est clair que ce qu'on recherche est pour les fins de la preuve à administrer au procès. Aucune ordonnance semblable ne sera rendue si son objet principal est d'employer une telle procédure pour obtenir de la prevue et des renseignements comme on le fait lors d'un interrogatoire préa- lable. Dans l'affaire Radio Corp. of America c. Rauland Corp. et al. [1956] O.R. 630 la p. 635, 5 D.L.R. (2e) 424 la p. 428, 26 C.P.R. 29, le juge Gale, c'était alors son titre, fit siens les dires du juge Devlin dans Radio Corp. of America c. Rauland Corp. et al. [1956] 1 Q.B. 618 la p. 646, disant:
Le témoignage qui de par sa nature sert de preuve au procès est admissible. Le témoignage, si l'on peut appeler cela un «témoignage», qui ne consiste qu'en de simples réponses à des questions au cours de la procédure d'interrogatoire préalable conçue pour mener à une investigation, n'est pas permis.
Incidemment l'emploi du terme «témoignage» au paragraphe 1782 du United States Code m'a amené à me référer à la définition de ce terme dans le Black's Law Dictionary, 5e édition, cet ouvrage définissant les termes et aphorismes de la science juridique américaine et anglaise.
On y définit témoignage au sens propre comme signifiant:
[TRADUCTION] ... uniquement la preuve qu'apporte un témoin au cours de l'instruction d'une affaire soit oralement, soit sous forme de dépositions faites ou non sous serment.
Devant le juge Heald, on s'opposait aux requêtes pour une double raison.
On faisait d'abord valoir que la Cour n'a jamais la compétence de donner des commissions rogatoi- res à un tribunal étranger.
Le juge Heald, étant donné la manière dont il statua en l'instance, n'élabora pas sur la nature exacte de ce moyen ni sur les motifs avancés à son appui. Il est concevable, mais c'est pure spécula- tion, que ce soit parce qu'il y a incompétence en l'absence de convention internationale ou de traité qu'exécuterait une législation interne des États contractants qui autoriserait les interrogatoires de
la nature de ceux en cause ou, encore, parce que ni la Loi sur la Cour fédérale, ni les Règles prises en application de celle-ci, ne le permettent expressé- ment.
Le deuxième moyen qu'on a fait valoir était que «même si la présente Cour a cette compétence, il s'agit d'un pouvoir discrétionnaire qui ne devrait pas être exercé dans le but d'ordonner l'interroga- toire préalable d'un cédant qui n'est pas partie à l'action». Il s'agit d'un extrait des motifs du juge- ment du juge Heald, page 217. La citation est extraite de son contexte; aussi, à la lumière de la Règle 465(5), je présume qu'on devrait y ajouter: [TRADUCTION] «habitant hors de la juridiction, l'interrogatoire devant se faire selon les directives du tribunal de la juridiction de résidence du cédant».
Le juge Heald a bien dit cependant que ce pouvoir discrétionnaire ne devrait pas être exercé, la Cour fédérale du Canada ne pouvant offrir la réciproque; il s'ensuivait qu'on ne devait pas demander à un tribunal étranger de faire ce qu'on ne pourrait faire pour lui.
Il refusa de donner les commissions rogatoires demandées, n'étant pas convaincu, d'après la preuve, contradictoire, du droit en vigueur dans quatre de ces juridictions, que les tribunaux de celles-ci leur donneraient effet (aucune preuve por- tant sur le droit de la cinquième juridiction n'ayant été administrée) et, en outre, que la défenderesse subirait un préjudice du fait de son refus de rendre les ordonnances demandées car celle-ci peut tou- jours se prévaloir de la procédure normale d'inter- rogatoire des parties prévue par la Règle 465.
Cette même procédure normale d'interrogatoire des parties, la défenderesse peut s'en prévaloir en la présente action, mais elle n'en démord pas et insiste pour interroger le cédant initial, l'inventeur.
Le juge Kerr, dans l'affaire Textron (précitée), a clairement laissé entendre qu'à son avis une ordonnance d'interrogatoire préalable d'un cédant habitant hors de la juridiction pouvait se faire et être accordée. Il dit à la page 668:
Cependant, j'estime qu'en l'absence de dispositions précises sur la manière dont doit se dérouler l'interrogatoire préalable de cédants de brevet situés hors du Canada, la Règle 465(12) autorise la Cour à rendre des ordonnances pour interrogatoire
préalable sur le même modèle que les ordonnances prévues par la Règle 477(1) ou même, mais ceci est moins souhaitable, d'instituer, avec les modifications qui s'imposent, des commis sions rogatoires devant procéder aux interrogatoires. Je n'ai pas à préjuger à ce stade de l'usage qui pourra être fait de l'interrogatoire si celui-ci a lieu; il se peut fort bien qu'il se révèle utile même si ce n'est que pour renseigner la demande- resse. Je n'ai pas non plus à me demander si les cédants se soumettront à cet interrogatoire et, dans la négative, quels recours pourrait alors avoir la demanderesse.
Il ajoute, à la page 669:
Je suis disposé à rendre dans les termes appropriés une ordonnance prévoyant l'interrogatoire préalable des cédants au Japon et en Allemagne, ou selon ce qui sera jugé approprié, mais auparavant je voudrais être assuré qu'il existe des chances raisonnables qu'une telle décision soit applicable selon le droit de ces pays.
Le juge Kerr s'est fondé pour accepter d'accor- der une semblable ordonnance, sur la Règle 465(12), que voici:
Règle 465. .. .
(12) Lorsqu'un individu qui doit être interrogé au préalable est hors du ressort de la Cour, temporairement ou d'une façon permanente, la Cour pourra ordonner, ou les parties pourront convenir, que l'interrogatoire préalable soit tenu à un endroit, et de telle manière, qui sera considérée comme juste et convenable.
Selon la Règle 465(5) celui qui cède un brevet peut être interrogé au préalable par toute partie opposée au cessionnaire.
La défenderesse remplit cette condition.
Solomon J. Rehmar est bien un cédant que la défenderesse peut interroger. C'est aussi «un indi- vidu qui doit être interrogé au préalable ... hors du ressort ... d'une façon permanente».
En vertu de la Règle 465(16), il:
... doit répondre à toute question sur tout fait dont elle a connaissance et qui peut soit démontrer ou tendre à démontrer une allégation de fait non admis dans une plaidoirie du cession- naire ... soit réfuter ou tendre à réfuter une telle allégation de fait.
L'usage que l'on peut faire à l'instruction de l'action d'un interrogatoire préalable est énoncé à la Règle 494(9) qui prévoit notamment:
Règle 494. .. .
(9) Une partie peut, à l'instruction d'une action, utiliser en preuve contre une autre partie tout passage de l'interrogatoire préalable qu'elle a fait subir à cette autre partie, mais.....
Vu la disposition expresse de la Règle 494(9), la question se pose de savoir si, en dépit de la disposi-
tion de la Règle 465(5), selon laquelle le cédant d'un brevet qui n'est pas une partie à l'instance peut être interrogé au préalable par une partie qui s'oppose au cessionnaire et qui, d'après la Règle 465(16), a l'obligation de répondre à toutes les questions portant sur des allégations faites dans les actes de procédure, et qui n'ont pas été admises, les renseignements ainsi obtenus peuvent être administrés en preuve. Mon collègue le juge Mahoney a répondu à cette question. Je me référe- rai à cette décision plus tard.
Le juge Kerr n'a pas décidé de l'usage pouvant être fait de l'interrogatoire préalable advenant qu'il l'ait ordonné sauf pour faire la remarque suivante:
... il se peut fort bien qu'il se révèle utile même si ce n'est que pour renseigner la demanderesse.
Le juge en chef Jackett dans l'affaire Lido (précitée) a dit que ce que l'on décrit à la Règle 465(5) comme l'interrogatoire préalable d'un tiers n'est pas ce qu'on entend habituellement par inter- rogatoire préalable. Ce serait «un interrogatoire, antérieur au procès, d'un témoin potentiel», le cédant d'un droit de propriété industrielle.
Quant à la Règle 465(12), que le juge Kerr était prêt à invoquer pour ordonner l'examen préalable dans l'affaire Textron, pourvu que l'ordonnance puisse être exécutée selon la loi étrangère, le juge en chef Jackett, examinant la Règle 465(12), dit, dans l'affaire Lido:
Il est à croire qu'aux termes de la Règle 465(12), la Cour peut autoriser un tel interrogatoire à l'extérieur du Canada, mais nulle disposition des Règles n'habilite la Cour à ordonner à une telle personne de comparaître, que ce soit à l'intérieur ou à l'extérieur du Canada; un tel pouvoir est exclu si l'on tient compte du fait que le subpoena s'applique à l'intérieur du Canada et que la Cour ne peut rendre des ordonnances ou autres moyens de contrainte exécutoires à l'extérieur de son ressort territorial.
C'est cela, et de semblables considérations, qui l'ont amené à dire que la Règle 465(5) «ne s'appli- que pas au cas la personne à interroger se trouve à l'extérieur du Canada et ne peut faire l'objet d'un subpoena émanant d'un tribunal canadien».
Comme je perçois sa conclusion, c'est parce que les propres voies de droit de la Cour ne lui permet-
tent pas d'exécuter l'ordonnance qu'elle ne la rend pas. Les Règles de la Cour ne prévoient pas que l'on puisse rendre une telle ordonnance.
Mais le juge en chef Jackett n'a pas écarté la possibilité qu'il puisse y avoir d'autres moyens d'arriver à la même fin.
On ne peut recourir à une commission pour interrogatoire préalable du cédant d'un brevet à l'extérieur du Canada: voir ce que dit le juge Cameron dans Lovell Manufacturing Co. c. Beatty Bros. Ltd. (précité) et le juge Kerr dans l'affaire Textron.
On ne peut non plus utiliser des commissions ou lettres rogatoires pour arriver à cette fin. Voir ce que dit le juge Brooke de la Cour d'appel dans les affaires Raychem Corp. (précitée), Radio Corp. of America c. Rauland Corp. [1956] 1 All E.R. 549 et Radio Corp. of America c. The Rauland Corp. [1956] O.R. 630. La raison en est que l'objet des commissions et lettres rogatoires est l'obtention de témoignages hors de la juridiction, destinés à servir de preuve testimoniale dans une action engagée dans la juridiction; elles n'ont pas pour fin princi- pale la recherche de preuve et d'information comme c'est le cas de l'interrogatoire préalable.
Le juge en chef Jackett était d'avis que cela pourrait se faire en vertu d'une convention interna- tionale dûment exécutée.
Le juge Kerr, dans l'affaire Textron, n'ignorait pas qu'il puisse y avoir des conventions ou traités internationaux exécutoires qui autorisent la tenue d'un interrogatoire préalable dans les pays étran- gers contractants, mais on ne lui avait cité aucun semblable traité. En l'absence de convention ou traité de ce genre, il était néanmoins disposé en raison de la Règle 465(12), à rendre une ordon- nance analogue à une commission de consignation de témoignage afin de permettre la tenue d'un interrogatoire préalable du cédant d'un brevet habitant à l'extérieur du Canada. Avant de ce faire il demandait qu'on le satisfasse de ce que la loi de la juridiction étrangère permettrait de le faire.
L'avocat de la défenderesse savait très bien, nul doute, que la Cour de District des États-Unis pour le District nord de l'Ohio pourrait accéder à une telle requête, si on se rappelle sa déclaration selon
laquelle cela fut fait au moins à trois reprises auparavant, à sa connaissance, quoiqu'il n'ait pas dit elles eurent lieu.
De toute façon, la Cour de District des États- Unis pour le District nord de l'Ohio, se fondant sur le paragraphe 1782 du United States Code, a obtempéré à la demande, ex parte, soumise sans commission ni lettres rogatoires, que Solomon J. Rehmar soit tenu de «déposer au préalable», sa déposition devant être consignée après l'interroga- toire oral «pour servir en une instance actuellement pendante devant la Cour fédérale du Canada, Division de première instance».
La défenderesse savait donc que la condition d'obtention de l'ordonnance que le juge Kerr envi- sageait de rendre dans l'affaire Textron pouvait être réalisée non seulement au cas la Cour rendrait l'ordonnance mais même sans une telle ordonnance.
Un tribunal est maître de sa propre procédure et de la conduite de l'instance dont il est saisi confor- mément au droit général applicable et à ses pro- pres règles; c'est axiomatique. C'est pour cette raison que j'ai estimé inapproprié de la part de la défenderesse d'obtenir l'ordonnance d'un tribunal étranger forçant à comparaître le cédant d'une invention habitant dans cette juridiction pour subir un interrogatoire relativement à une action enga gée devant la Cour sans avoir au préalable recours aux voies de droit qu'elle lui ouvrait.
Avoir au préalable recours aux voies de droit de la Cour, cela la défenderesse ne l'a pas fait.
Au contraire elle l'a ignoré.
Il se peut qu'elle ait jugé qu'une requête pour directives était vouée à l'échec et contraire à sa conception de ce que le droit devrait être, mais ce n'est pas une raison pour faire dire par ce moyen ce qu'est le droit en cas de doute.
On ne peut douter par ailleurs que ce que la défenderesse voulait, et a atteint, ce n'était pas le témoignage de Solomon J. Rehmar en tant que témoin pour servir lors de l'instruction de l'action, auquel cas rien semble-t-il ne se serait opposé à ce qu'une ordonnance donne une commission ou des lettres rogatoires. Ce qu'on voulait, et ce qu'on a obtenu, sans commission ni lettres rogatoires mais
par requête unilatérale, présentée à une juridiction étrangère, est décrit comme une déposition préala- ble destinée à servir en l'instance dont la Cour est saisie.
Si je comprends bien, la déposition orale aux États-Unis constitue un instrument d'interroga- toire préalable servant aux mêmes fins que l'inter- rogatoire préalable proprement dit de notre juridiction.
De plus l'avocat de la défenderesse a franche- ment admis qu'il ne voulait pas se présenter au procès sans d'abord avoir soumis le cédant du brevet à un interrogatoire préalable. Il ne recher- chait pas le «témoignage du cédant». Il était donc à la recherche de renseignements et d'un fil conduc- teur pour investiguer.
La requête présentée à la Cour de District des États-Unis alléguait que la fin de la déposition préalable faite sur interrogatoire oral était de «servir en une instance actuellement pendante devant la Cour fédérale du Canada».
Cette affirmation peut avoir été trompeuse et inexacte. Pour le moins elle est ambiguë.
Le juge Kerr dans l'affaire Textron n'a pas décidé de l'usage qu'on pourrait faire de l'interro- gatoire préalable qu'il envisageait d'ordonner si ce n'est pour dire qu'il pourrait être utile.
La question s'est posée au cours de la plaidoirie de l'avocat de la défenderesse. J'ai pensé alors qu'au mieux il pourrait servir au contre-interroga- toire de M. Rehmar advenant qu'il soit appelé à témoigner par la demanderesse à l'instruction; j'entretenais des réserves sur le fait qu'une portion quelconque de la déposition préalable, consignée par écrit, puisse servir de preuve à l'instruction sur le fondement de la Règle 494(9).
Par sa décision dans Dennison Manufacturing Co. of Canada Ltd. c. Dyino of Canada Ltd. (1976) 23 C.P.R. (2e) 155, le juge Mahoney a résolu la question.
Après avoir cité la Règle 494(9), soulignant ce qui s'applique il dit, à la page 162:
Les admissions reçues au cours d'un interrogatoire préalable ne sont pas faites volontairement mais elles sont obtenues sous la contrainte légale. En common law, elles ne sont pas accep- tées en preuve mais elles peuvent servir seulement à contredire la partie interrogée durant son témoignage au procès. L'admis-
sibilité de ces admissions en preuve dépend entièrement de la loi. Le seul précédent en l'espèce est la Règle 494(9). Cette règle sert de précédent uniquement pour que la partie opposée utilise en preuve les admissions obtenues de l'autre partie; cela se limite à l'utilisation desdites admissions uniquement contre leur auteur. Le cédant n'est pas une partie et même dans le cas contraire, ses admissions ne pourraient pas, aux termes de la Règle 494(9), servir de preuve contre une autre partie.
Les réserves que j'avais pu entretenir au sujet des Règles 465(5) et (16) sont écartées par sa réponse à une question similaire, posée par l'avocat de la défenderesse agissant devant lui, que voici:
La question posée par la défenderesse est la suivante: quelle est l'utilité de l'autorisation, en vertu de la Règle 464(5), d'un interrogatoire préalable de la portée définie par la Règle 465(16) si les résultats ne sont pas admis en preuve? Dans l'affaire Graydon c. Graydon (1921), 67 D.L.R. 116, aux pp. 117 et 118, le juge Middleton a résumé les objectifs de l'inter- rogatoire préalable:
[TRADUCTION] L'objectif fondamental est de permettre à la partie opposée de connaître la cause dans laquelle elle est concernée et l'objectif secondaire est de permettre à la partie qui procède à l'interrogatoire d'obtenir de son adversaire des admissions qui peuvent dispenser d'une preuve plus formelle à l'audition.
La tenue d'un tel interrogatoire permet de remplir l'objectif principal mais ce n'est pas le cas de l'objectif secondaire puisque la personne interrogée n'est pas l'nadversaire» de la défenderesse en l'espèce, quelle que soit sa position de fait.
Ce sont ces considérations qui suscitèrent ma première réaction: laisser au juge du fond le soin de décider de l'admissibilité de la déposition orale, en tout ou en partie, à l'instruction.
Mais comme déjà dit, l'ordonnance que demande la demanderesse par sa requête va beau- coup plus loin et, à mon avis, il y a d'excellents motifs et une ample jurisprudence qui justifient d'accorder le recours.
La requête à la Cour de District des États-Unis était appuyée d'une déclaration sous serment de l'avocat de la défenderesse.
Au paragraphe 6, l'auteur jure que les princi- paux points litigieux de l'action en contrefaçon de brevet sont: la date de l'invention par le cédant et la nature de l'invention; (2) les étapes allant de la conception à la réalisation, lesquels appellent des explications de la part de la défenderesse. On y jure aussi que le «témoignage» de l'inventeur est d'une très grande importance. Le mot témoignage est employé au sens large. On ne demande pas à
l'inventeur d'agir comme témoin. On veut l'inter- roger préalablement. C'est ce que le paragraphe de la déclaration établit.
Après avoir énoncé que M. Rehmar n'est pas partie au litige et n'habite pas au Canada, le paragraphe 9 poursuit:
[TRADUCTION] La Cour fédérale du Canada n'a donc aucune compétence pour obliger, en lançant un subpoena ou quelque autre forme d'assignation, M. Rehmar à se soumettre à un interrogatoire préalable ....
C'est tout à fait exact et je souscris à cette affirmation mais je l'énoncerais autrement, à la lumière des décisions du juge en chef Jackett dans l'affaire Lido, du juge Brooke de la Cour d'appel dans l'affaire Re Raychem Corp. c. Canusa Coat ing Systems, Inc., et des deux décisions sub nomine Radio Corp. of America c. Rauland Corp. largement citées ci-dessus. Il est contraire au droit que la Cour fédérale du Canada ordonne qu'il ait lieu.
La Cour interdira à un justiciable comparais- sant devant elle de poursuivre une instance devant une juridiction étrangère ayant pour fin la recher- che de preuve ou d'information, relativement à une action dont elle est saisie, quand une telle instance devant le for étranger n'est pas permise selon ses Règles.
Dans The Carron Iron Co. Proprietors c. Maclaren (1854-56) 5 H.L. Cas. 416, la Chambre des Lords statua que si les circonstances étaient telles qu'il serait du devoir du for de la juridiction d'interdire à une partie d'engager une instance devant un autre for de la même juridiction, cela justifierait aussi la Cour de lui imposer la même restriction pour une instance devant un for étranger.
Lord Cranworth dit aux pages 436 et 437:
[TRADUCTION] Le pouvoir de la Cour de Chancellerie d'inter- dire aux personnes se trouvant dans sa juridiction d'engager une procédure, ou de la poursuivre, devant les tribunaux étran- gers, lorsque les circonstances de l'espèce rendent cette interpo sition nécessaire ou utile, ne fait aucun doute. La Cour exerce sa compétence personnelle et ne saurait souffrir de quiconque lui est justiciable un comportement contraire à ses notions d'équité pour l'unique raison que celui-ci peut se trouver en un lieu hors de sa juridiction.
Je prends en compte que l'arrêt Carron fut décidé en 1855, mais il faisait encore jurisprudence
en 1928, lorsque le lord juge Scrutton l'appliqua dans Ellerman Lines, Limited c. Read [1928] 2 K.B. 144 (C.A.).
Dans l'affaire The Christiansborg (1885) 10 P.D. 141, le navire en cause avait été saisi et une action engagée contre lui en Hollande. Sur cau- tionnement, la saisie fut levée. Le navire gagna l'Angleterre il y fut saisi à nouveau par la partie agissant contre lui en Hollande.
On demanda, à Sir James Hannen, main-levée de la saisie effectuée en Angleterre.
Sir James Hannen déclara à la page 143:
[TRADUCTION] Le principe qui je pense devrait servir à résou- dre la question est que lorsqu'une action a été engagée devant une juridiction et qu'il n'a pas été montrée qu'elle ne rendra pas justice, il est de prime abord abusif d'engager une action devant une autre juridiction.
En appel le lord juge Baggallay déclara aux pages 152 et 153:
[TRADUCTION] J'estime qu'il est de jurisprudence constante que lorsqu'un demandeur agit relativement à la même demande devant deux juridictions, l'une dans notre pays et l'autre à l'étranger, les tribunaux de notre pays sont autorisés à réagir de trois façons: mettre la partie ainsi agissante dans l'alternative, ou encore lui imposer sans lui en laisser le choix, de surseoir à toute procédure au pays, ou à l'étranger; il ne s'agit pas formellement de surseoir à une procédure engagée devant un tribunal étranger mais bien de lancer une injonction interdisant au demandeur de poursuivre la procédure engagée devant la juridiction étrangère, laquelle bien entendu ne peut être exécutée contre celui-ci s'il s'agit d'un étranger ne se trouvant pas dans le pays ou ni ayant aucun bien. Cette injonction peut demeurer inopérante mais elle peut aussi permettre effective- ment d'arrêter la procédure devant le tribunal étranger.
L'ordonnance que j'ai accordée en l'espèce inter- disait à la défenderesse de poursuivre l'inter- rogatoire préalable, qu'il n'est pas permis d'ordon- ner d'après le droit de notre juridiction, mais qui l'a été par le tribunal étranger, relativement à une instance ayant lieu entièrement dans notre juridiction.
Le lord juge Fry déclara à la page 155 de l'affaire The Christiansborg (précitée):
[TRADUCTION] ... la saisie de la Cour d'amirauté de notre pays en cette affaire allait contre la bonne foi.
Dans l'affaire Ellerman Lines, Limited c. Read (précitée), il fut statué que le fait qu'un sujet britannique ait effectivement obtenu un jugement devant une juridiction étrangère n'empêchait pas
le tribunal anglais de lancer une injonction interdi- sant son exécution lorsqu'il était démontré qu'il avait été obtenu en contravention à un contrat ou par dol. En accordant l'injonction le tribunal anglais ne cherchait pas à s'attribuer compétence à l'encontre de la juridiction étrangère. Il interdisait à celui qui demandait l'exécution du jugement de l'obtenir tant en Angleterre qu'ailleurs. L'injonc- tion était in personam.
Le juge de première instance avait accordé l'in- jonction interdisant l'exécution du jugement étran- ger en Angleterre mais il estimait n'avoir pas le pouvoir d'interdire son exécution hors de la juridic- tion du for anglais.
Le lord juge Scrutton n'était pas d'accord. Il déclara, à la page 151:
[TRADUCTION] Ils [les tribunaux anglais] n'accordent pas bien sûr d'injonctions interdisant à un tribunal étranger d'agir; ils n'ont pas ce pouvoir; mais ils peuvent accorder une injonction interdisant à un sujet britannique qui par dol n'exécute pas son contrat, et qui est partie à l'instance devant eux, de saisir le tribunal étranger dans le but de percevoir les fruits de son inexécution dolosive du contrat. Cela découle d'une jurispru dence constante.
En l'espèce l'injonction n'est pas dirigée contre le tribunal étranger mais contre une partie à une action devant lui.
Voici comment le lord juge Atkin énonce la chose, à la page 155:
[TRADUCTION] Le principe sur lequel se fonde le tribunal anglais, lorsqu'il accorde des injonctions, n'est pas qu'il cherche à assujettir le tribunal étranger à sa compétence ni qu'il s'arroge une quelconque supériorité qui l'autoriserait à lui dicter ses actes, ni qu'il cherche à critiquer celui-ci ou sa procédure; le for anglais est concerné par l'attitude personnelle de celui qui a obtenu le jugement étranger. Si le tribunal anglais constate qu'un individu assujetti à sa compétence a enfreint une convention, ou a agi en contravention de quelque obligation fiduciaire ou en quelque manière a violé les principes de l'équité et de la conscience, et qu'il serait inique de sa part de demander l'exécution d'un jugement obtenu en contraven tion à de telles obligations, il le lui interdira, non par un édit au for étranger, mais en disant qu'en conscience le justiciable a l'obligation de ne pas exécuter le jugement.
Il y a une décision les faits sont analogues à ceux de l'espèce: Armstrong c. Armstrong [1892] P. 98.
Il s'agissait d'une requête en divorce du mari pour cause d'adultère de sa femme avec le coin- timé. Le requérant avait obtenu une ordonnance donnant commission d'interroger des témoins à
Vienne. Le cointimé excipa de la compétence de la Cour. En attendant que l'on statue sur la requête excipant de la compétence de la Cour, la commis sion du requérant l'autorisant à obtenir les déposi- tions des témoins à Vienne fut suspendue. Entre- temps les mandataires du requérant à Vienne assi- gnèrent les témoins devant un tribunal constitué dans cette ville pour consigner leur témoignage. Cela fut fait en vertu d'une ordonnance des juri- dictions viennoises, obtenue sur le fondement de l'article 179 du Code autrichien, laquelle constitua un tribunal à cette fin.
La procédure qui eut lieu à Vienne dépassait la simple consignation de témoignage car les témoins interrogés sous serment étaient soumis à la con- trainte de la procédure étrangère. L'instance n'était pas un accessoire de l'action principale puisque les dépositions consignées ne pouvaient servir lors de l'instruction de l'action principale; elle devenait donc une action séparée et indépen- dante, inutile et vexatoire, qu'engageait le requé- rant.
On demandait une injonction qui aurait interdit au requérant de procéder selon l'ordonnance de la Cour viennoise relativement au litige ou, subsidiai- rement, qui obligerait celui-ci à choisir entre la poursuite de son action en Angleterre ou la pour- suite de l'instance engagée à Vienne.
La Cour rendit une ordonnance lui interdisant de poursuivre l'instance engagée devant le tribunal de Vienne.
En la prononçant, le juge Jeune déclara [aux pages 100 à 102]:
[TRADUCTION] Est-ce une procédure que le tribunal devrait permettre au requérant? Je ne crois pas, pour deux raisons. Premièrement je pense qu'elle est inutile en ce sens que le requérant ne peut en obtenir aucun avantage légitime; deuxièmement je crois qu'elle peut être, ou est, injurieuse pour la procédure régulière dont la Cour est saisie. Il est reconnu que les dépositions ainsi consignées ne pourront servir devant le tribunal. Toute autre considération mise à part, la Loi de 1957, expressément et exhaustivement, dispose des moyens d'obten- tion de preuves et son art. 47 prévoit qu'en certains cas on peut donner une commission pour l'interrogatoire de témoins à l'étranger de la manière qui y sera indiquée. Mais la Cour a statué qu'elle n'est pas autorisée à ordonner de donner sembla- ble commission en l'espèce en l'état la cause se trouve actuellement. Ce qui a été fait à Vienne a été présenté comme accessoire à l'action principale; mais manifestement il ne s'agit pas d'un accessoire en ce sens que les dépositions consignées devant la Cour de Vienne peuvent de quelque façon être administrées en preuve devant la Cour d'ici. L'affaire Peruvian
Guano Co. c. Bockwoldt (23 Ch. D. 225) le montre bien, semble-t-il: peu importe que la deuxième instance ait été enga gée devant un tribunal étranger ou devant un tribunal de notre pays, dans les deux cas la règle est qu'une telle instance ne devrait pas être permise lorsqu'on ne peut en obtenir qu'un avantage illusoire. En la présente espèce, je ne crois pas qu'on puisse en obtenir quelque avantage légitime que ce soit. Ce qui m'amène au deuxième motif dont j'ai parlé. Le seul avantage qu'on ait invoqué serait que le requérant pourrait être à même de faire comparaître devant le tribunal viennois des témoins dont il ne connaît pas les dépositions et, sous la contrainte du serment, d'en obtenir la consignation. Il pourra ainsi connaître tout ce que les témoins peuvent prouver sans être dans l'obliga- tion d'administrer cette preuve devant la Cour comme ce serait le cas si c'était en vertu d'une commission qu'il avait pu obtenir ces dépositions. C'est là, me semble-t-il, entraver le cours normal de la justice devant notre juridiction. En outre nous ignorons quel sera le droit applicable aux témoins interrogés; il pourrait y avoir, et d'après ce qu'a dit M. Ram, je crois qu'il y aura, contrainte des témoins; ils seront soumis pour ainsi dire à l'équivalent d'un contre-interrogatoire par l'avocat du requé- rant et, semble-t-il par la Cour elle-même; on pourrait leur demander des informations qui sortent du cadre régulier d'un témoignage. Il me semble que c'est une façon de considérer le témoignage que nous ne devrions pas permettre et qui va beaucoup plus loin que toute procédure d'interrogatoire préa- lable reconnue par le droit judiciaire de notre pays. Cela équivaut à interroger les témoins de la partie adverse avant le procès. On n'arrange pas les choses en disant que l'intimée aura le droit de comparaître devant ce tribunal; car si elle a ce droit, elle a aussi celui de choisir de ne pas comparaître. Pour moi la chose est donc claire: le requérant n'avait pas le droit de faire ce qu'il fait. Il ne peut en retirer aucun avantage légitime; au contraire le cours de la justice pourrait en être sérieusement entravé. Je crois qu'on devrait lui interdire toute autre action de ce genre; aussi y aurait-il lieu à injonction personnelle lui interdisant de poursuivre la procédure qu'il a engagée devant le tribunal viennois.
On pourrait appliquer la plupart des commen- taires du juge Jeune, tant sur les faits que sur le droit, aux faits de l'espèce et au droit qui y est applicable.
En l'espèce la défenderesse, comme le requérant devant le juge Jeune, ne peut retirer «aucun avan- tage légitime» de cette procédure. La déposition obtenue dans l'un comme dans l'autre cas ne peut servir devant la juridiction saisie et ni l'une ni l'autre n'aurait rendue l'ordonnance accordée par le tribunal étranger.
L'avantage dont profite la défenderesse en est un auquel, vu les faits et le droit applicable en notre juridiction, elle n'a pas droit. Ce n'est pas un avantage légitime. La défenderesse en s'appuyant sur les voies de droit d'une juridiction étrangère dans une instance qui n'est pas vraiment accessoire (et qui ne peut l'être sans une ordonnance de la
Cour) à l'action dont la Cour a été régulièrement saisie et qui donc en constitue une séparée et distincte, a contourné le droit de notre juridiction, le droit applicable en cette espèce.
C'est à mon avis, une façon de faire que la Cour ne devrait pas permettre à la défenderesse.
Pour ces motifs, j'ai rendu l'ordonnance pronon- cée à la clôture de l'instruction.
La demanderesse aura droit à ses dépens quelle que soit l'issue de la cause.
Je ne puis terminer sans ajouter que j'en suis arrivé à cette conclusion avec tous les égards dus à la Cour de District des États-Unis pour le District nord de l'Ohio; ce que les présents motifs devraient clairement montrer. C'est d'ailleurs ce qui m'a amené à dire que le distingué juge de ce tribunal s'est trouvé dans une position désavantageuse en ce qu'il ne pouvait connaître les arguments s'opposant à ceux de la requérante.
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