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T-4640-80
La Reine et le procureur général du Canada (Demandeurs)
c.
Wayne Perry, Robin Mercer, Vernon Abram Warkentin, Bruce Norman Nahorny, Normand Rivest, Patrick Tupper, Douglas Harold Church, Brian Alexander Wilson, David E. English, Frede- rick G. Brock, Robert William Randall et Gareth Leland Gwilliam, tant à titre personnel qu'en qua- lité de représentants de tous les employés du gou- vernement du Canada compris dans l'unité de négociation du groupe des contrôleurs de la circu lation aérienne (Défendeurs)
Division de première instance, le juge Walsh— Ottawa, le 9 octobre 1980.
Brefs de prérogative Injonction quia timet Relations du travail Les demandeurs sollicitaient une injonction interlocutoire interdisant aux contrôleurs de la circulation aérienne de déclencher des grèves «sauvages» illégales Un nombre relativement faible de contrôleurs aériens n'ont pas, à diverses occasions, rempli les fonctions prévues dans le contrat en vigueur, au mépris des instructions de leurs chefs syndicaux Les interruptions de service ont depuis cessé Des voya- geurs ont connu et connaîtront, si les interruptions de service se reproduisent, des difficultés, des inconvénients et des pertes pécuniaires Il y avait à déterminer si l'action concernant une classe de personnes, prévue à la Règle 1711, était appro- priée en l'espèce Il fallait également déterminer si une injonction devait être accordée sur la base quia timet Il a été jugé qu'il y avait lieu de prononcer une injonction pour interdire tout arrêt de travail déclenché de concert avec les autres membres de l'Association canadienne du contrôle du trafic aérien Règle 1711 de la Cour fédérale Loi sur les relations de travail dans la Fonction publique, S.R.C. 1970, c. P-35, art. 101(2)a), 103.
Arrêts mentionnés: Heath Steele Mines Ltd. c. Kelly (1978-79) 7 C.P.C. 63; Blackie c. Le ministre des Postes (1976) 61 D.L.R. (3e) 566.
REQUÊTE. AVOCATS:
W. Nisbet, c.r. pour les demandeurs.
C. H. MacLean et D. Jewitt pour les
défendeurs.
PROCUREURS:
Le sous-procureur général du Canada pour
les demandeurs.
Nelligan/Power, Ottawa, pour les défendeurs.
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
LE JUGE WALSH: Les demandeurs sollicitent une injonction interlocutoire interdisant aux défen- deurs et à tous les contrôleurs de la circulation aérienne au service du gouvernement du Canada qui appartiennent à l'unité de négociation du groupe des contrôleurs de la circulation aérienne et qui sont des employés au sens de la Loi sur les relations de travail dans la Fonction publique, S.R.C. 1970, c. P-35, de se mettre en grève en violation de l'alinéa 101(2)a) de ladite Loi, et ce, jusqu'à ce qu'il ait été statué sur la présente action.
Les présentes procédures sont engagées à la suite de défauts de se présenter au travail au temps prévu et de départs avant l'heure intervenus à plusieurs reprises, depuis le 1" septembre 1980, aux différents aéroports canadiens, notamment à ceux de Dorval, de Toronto et de Vancouver. De ce fait, le contrôle de la circulation aérienne est sérieusement perturbé, ce qui met en danger la vie de voyageurs qui ont connu et connaîtront des difficultés, des inconvénients et des pertes pécu- niaires si cet état de choses persiste.
On ne saurait trop insister sur la gravité des interruptions, même temporaires, de la circulation aérienne. Il échet d'en tenir compte pour décider si une injonction doit être accordée quia timet, puis- que pour le moment ces interruptions ont cessé. Survenues en septembre, d'habitude sans préavis, dans le cadre de ce qu'on appelle communément une grève [TRADUCTION] «sauvage» déclenchée par des militants syndicaux au mépris des instruc tions de leurs chefs de remplir les fonctions pré- vues dans leur contrat, puisque celui-ci n'expirait qu'au 31 décembre 1980, ces interruptions de ser vice ont causé des retards sérieux dans les vols et des annulations pour lesquels les compagnies d'aviation ne sont pas obligées d'indemniser les passagers. Des correspondances sont manquées, des réservations d'hôtel dans des lieux de villégia- ture ne peuvent pas toujours être annulées, des personnes âgées, dont certaines sont en mauvaise santé, passent des heures entières à attendre dans les aéroports ou doivent se loger à l'hôtel à leurs frais, des enfants non accompagnés rendant visite à des grands-parents ou à des amis sont abandonnés,
la plupart du temps sans argent, dans un aéroport étranger, des personnes qui doivent voyager d'ur- gence pour se faire soigner ou rendre visite à des parents malades ou mourants sont bloquées à l'aé- roport, des opérations commerciales échouent par suite de rendez-vous manqués, les compagnies d'aviation doivent supporter d'importants frais pour les heures supplémentaires d'agents de voyage harcelés et d'autres membres du personnel. Bref, le problème est si lourd de conséquences pour les tiers, les passagers, que ces grèves ou débraya- ges illégaux ne doivent jamais être tolérés et que s'il existe le moindre risque de voir cet état de choses se reproduire, l'injonction doit être accor- dée.
Il convient de souligner que [TRADUCTION] «se porter malade» (sans certificat médical), faire des [TRADUCTION] «séances d'étude» (il s'agit en réa- lité de discussions destinées à encourager les débrayages ou ralentissements), procéder, sous prétexte de respecter scrupuleusement les règles, à des ralentissements qui constituent, dans la plupart des cas, un refus d'exécuter ses fonctions, et les autres euphémismes du même genre utilisés pour désigner les cessations de travail sont, à mon avis, autant de tactiques qui équivalent à faire grève sans être assez honnête pour l'avouer, afin d'éviter toute perte de salaire ou toute suspension.
En l'espèce, l'attitude du syndicat est irrépro- chable. Les seuls à blâmer sont les auteurs de ces actions.
L'argumentation de l'avocate de l'un des défen- deurs, auquel l'action a été signifiée, est très solide. Elle fait valoir, et cela est incontestable, que les différents défendeurs cités pourraient disposer de moyens de défense différents et que l'action con- cernant une classe de personnes visée à la Règle 1711 de la Cour n'est pas appropriée en l'espèce. Pour appuyer sa thèse selon laquelle toutes les personnes engagées dans une procédure n'ont pas le même intérêt, l'avocate a fait mention des arrêts Heath Steele Mines Ltd. c. Kelly (1978-79) 7 C.P.C. 63, une cause du Nouveau-Brunswick, et Blackie c. Le ministre des Postes (1976) 61 D.L.R. (3e) 566. Adopter cette thèse rendrait irre- cevables des procédures quia timet. Il ne saurait y avoir de violation d'une injonction qui n'a pas été rendue. Aussi les agissements antérieurs d'aucun des défendeurs dénommés ni d'aucun autre
membre du syndicat qu'ils sont dits représenter dans les procédures ne sont-ils en cause, sauf pour indiquer la possibilité d'une reprise des activités illégales de la part des défendeurs dénommés ou d'autres membres de l'unité de négociation, qui pourraient bien être des personnes différentes. Le fait qu'un nombre relativement faible des membres du syndicat ait défié les recommandations de ses représentants syndicaux et se soit livré à des arrêts de travail illégaux n'en rend pas moins nécessaire de citer collectivement comme défendeurs tous les membres de l'unité de négociation du groupe des contrôleurs de la circulation aérienne, puisqu'on ne saurait déterminer lesquels d'entre eux s'engage- ront dans de nouvelles activités illégales. Je me suis du reste exprimé ainsi aux pages 780 et 781 des motifs du jugement rendu hier dans l'affaire La Reine c. Rahoman' affaire relative aux grèves déclenchées par des membres de l'Alliance de la Fonction publique du Canada:
La jurisprudence posant qu'il ne peut être ordonné de repren- dre le travail qu'à des membres d'une unité de négociation faisant illégalement grève et non pas à une personne en tant que telle, et les procédures étant en l'espèce dirigées contre les membres des unités de négociation ayant illégalement cessé le travail plutôt que contre les groupes eux-mêmes, l'ordonnance sera libellée de manière à interdire aux membres de participer à toute cessation concertée illégale de travail avec d'autres mem- bres des groupes.
En l'espèce, les grévistes ont agi contrairement aux recommandations des représentants syndicaux. Tout indique cependant qu'il ne s'agissait pas de décisions individuelles, mais de décisions prises de concert et après discussion avec les autres mem- bres du syndicat.
L'avocate des défendeurs soutient également que, selon la jurisprudence, il ne suffit pas que des actes illégaux aient été accomplis dans le passé, mais qu'il doit exister des motifs réels et actuels de craindre qu'ils ne se reproduisent s'ils ne sont pas interdits. I] est avéré qu'à l'heure actuelle, le con- trôle de la circulation aérienne se fait normale- ment et l'avocate prétend qu'il n'existe aucune jurisprudence qui justifie le prononcé d'une injonc- tion lorsque les travailleurs sont, de leur plein gré, retournés au travail sans y être forcés par une injonction, à seule fin de fournir aux demandeurs une menace qu'ils pourraient laisser planer sur les contrôleurs de la circulation aérienne. Elle rejette
' [1981] 1 C.F. 773.
l'argument voulant qu'une injonction rendue contre des personnes qui n'ont pas l'intention de l'enfreindre ne cause aucun préjudice, prétendant que cela porte au contraire atteinte à leurs libertés civiles.
Bien que les défendeurs prétendent qu'il n'y a eu aucun arrêt de travail depuis le 28 septembre 1980, un conflit est survenu entre les 2 et 5 octobre, relativement au bilinguisme dans le con- trôle de la circulation aérienne à l'aéroport de Dorval. Ce conflit était censé, après consultations, avoir été réglé le 6 octobre, avec un accord entrant en vigueur le 15 octobre. Or, d'après son affidavit, Malcolm F. Morell, chef des opérations, a été informé que, le 7 octobre 1980, la perturbation des vols causée par les contrôleurs de l'équipe du soir a restreint le volume de la circulation d'une façon plus importante que ce que prévoyaient les restric tions convenues.
A Toronto, les conflits portaient sur la classifi cation. Le 4 septembre 1980, la direction du minis- tère des Transports a, après étude, déclaré que le Conseil du Trésor avait accepté en principe de réviser les critères de classification, mais que l'étude prendrait un an. Il n'y a eu aucune garantie de changement. Les contrôleurs qui ne s'étaient pas présentés au travail les 1", 5 et 28 septembre ont été suspendus pour une journée, la suspension antérieure de 5 jours qui avait précipité la grève du 28 septembre ayant été annulée. Ces suspensions sont susceptibles de donner lieu à des griefs.
Il serait inutile d'examiner tous les affidavits soumis et le temps ne le permet d'ailleurs pas. Heureusement, la dissension semble s'être calmée pour le moment. Par contre, on ne saurait affirmer que tous les points ayant donné lieu au conflit, notamment à Montréal et à Toronto, ont été défi- nitivement réglés. Il se peut que les prétentions des contrôleurs soient fondées et que les retards exces- sifs à fournir l'équipement adéquat et à régler les points litigieux soulevés les aient beaucoup frus- trés. Mais que leur grève ait ou non un motif légitime ne saurait justifier la violation de la loi et de leur contrat.
Il convient de souligner que, durant les arrêts de travail en septembre, les membres ont agi contrai- rement à l'avis de leur syndicat. M. Aubry, vice- président de l'Association canadienne du contrôle
du trafic aérien, fait état d'un [TRADUCTION] «arrêt de travail temporaire et spontané». Bien qu'il déclare qu'actuellement, [TRADUCTION] «aucun arrêt de travail n'est projeté ou n'est sus ceptible de se produire», il est clair que le syndicat n'a plus l'obéissance de certains de ses membres. Bien que ces membres soient relativement peu nombreux et que la grande majorité des membres respecte la loi, ces derniers devront supporter l'in- convénient d'une injonction propre à assurer que les contrevenants actuels ou virtuels ne déclenche- ront pas d'arrêts de travail durant la durée de validité du contrat. Il est de notoriété publique que le fait pour quelques membres agissant de concert de ne pas se présenter au travail ou de ralentir le travail peut perturber complètement les services aériens.
L'avocate des défendeurs se demande pourquoi les demandeurs n'ont pas tout d'abord, en applica tion de l'article 103 de la Loi sur les relations de travail dans la Fonction publique, cherché à faire déclarer la grève illégale par la Commission des relations de travail dans la Fonction publique. La réponse est qu'il était superflu de tenir une audi tion pour déterminer le caractère illégal des «grèves sauvages» des contrôleurs de la circulation aérienne et que, ainsi qu'il a été souligné dans d'autres affaires, les retards dans l'application des pénalités—pénalités qui, en tout état de cause, sont probablement inadéquates—rendraient inutile cette procédure, surtout lorsque ce qui est demandé est une injonction quia timet. De plus, dans le cas de l'Alliance de la Fonction publique, une telle décision influait sur les négociations. Les parties admettent que, d'après la jurisprudence, l'existence de cette loi ne prive pas la Cour de sa compétence sur ces procédures. Finalement, l'avo- cate des défendeurs soulève la question du retard à agir, faisant valoir que ces procédures auraient être engagées immédiatement après le 28 septem- bre. Il suffit pour repousser cet argument de rap- peler qu'il y a des raisons de croire qu'à l'aéroport de Dorval tout au moins des difficultés se sont élevées pas plus tard que le 7 octobre.
Une injonction sera donc prononcée, qui sera libellée de façon à interdire tout arrêt de travail déclenché de concert avec les autres membres de l'Association canadienne du contrôle du trafic aérien.
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