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T-4086-80
Robert Douglas Rain (Requérant) c.
Commission nationale des libérations condition- nelles (Intimée)
Division de première instance, le juge suppléant Smith—Winnipeg, 22 septembre 1980 et 21 mars 1981.
Brefs de prérogative Certiorari Requête en cassation de la révocation par la Commission des libérations condition- nelles de la libération conditionnelle du requérant Arresta- tion du requérant, prévenu de voies de fait, alors en libération conditionnelle pleine et entière - Suspension de la libération conditionnelle Interrogatoire du requérant par l'agent des libérations conditionnelles et l'agent de classement au sujet de ses accusations criminelles Comparution du requérant sans avocat, devant la Commission qui révoque sa libération condi- tionnelle Preuve contradictoire quant à la demande par le requérant que son avocat soit présent à l'audience La révocation par la Commission de la libération conditionnelle devrait-elle être cassée? Requête rejetée Loi sur la libération conditionnelle de détenus, S.R.C. 1970, c. P-2, modifiée, art. 6.
Requête en cassation de la révocation par la Commission des libérations conditionnelles de la libération conditionnelle du requérant. Le requérant fut arrêté et prévenu de voies de fait alors qu'il était en libération conditionnelle pleine et entière. Le même jour, sa libération conditionnelle fut suspendue. Deux semaines plus tard, il fut interrogé par son agent des libérations conditionnelles et l'agent de classement au sujet de l'accusation de voies de fait. On lui notifia que sa suspension ne serait pas levée et qu'on recommanderait à la Commission de révoquer sa libération conditionnelle. On l'avisa qu'on ne permettait pas aux avocats de comparaître devant la Commission. Le requé- rant a donc comparu sans avocat devant la Commission et soutient que sa demande d'autoriser son avocat à être présent lui a été refusée. La Commission, par l'un de ses membres, soutient que le requérant n'a à aucun moment demandé à être représenté par un avocat. Il échet d'examiner si la révocation de la libération conditionnelle prononcée par la Commission devrait être cassée motif pris que la Commission aurait manqué à son obligation d'équité en refusant au requérant sa demande d'autoriser son avocat à être présent.
Arrêt: la requête est rejetée. La libération conditionnelle du requérant fut suspendue en raison de son arrestation pour voies de fait. Si l'accusation s'avère fondée, cela constituerait un manquement à une condition de sa libération conditionnelle. Cela étant, son agent des libérations conditionnelles avait non seulement le droit mais l'obligation de l'interroger au sujet de sa conduite. Compte tenu des pouvoirs étendus en la matière accordés à la Commission des libérations conditionnelles par la Loi sur la libération conditionnelle de détenus, la révocation de la libération conditionnelle du requérant ne devrait pas être cassée motif pris uniquement qu'il a été interrogé au sujet de prétendues nouvelles infractions criminelles. La position d'un agent des libérations conditionnelles ou d'un agent de classe- ment est différente de la Commission: ni l'un ni l'autre n'a le
pouvoir de révoquer une libération conditionnelle. Le requérant n'a pas requis la présence d'un avocat lorsqu'il a été questionné par l'agent des libérations conditionnelles et l'agent de classe- ment et d'ailleurs il n'y avait pas droit à ce moment-là. Le plus qu'ils pouvaient faire était de recommander à la Commission que sa libération conditionnelle soit révoquée. Une telle recom- mandation n'avait aucun effet direct sur ses intérêts. Seule la Commission pouvait prendre la décision de révoquer sa libéra- tion conditionnelle. En outre, la preuve que le requérant a requis la présence de son avocat à l'audience de la Commission est contradictoire. Il y avait des preuves admissibles et convain- cantes qui permettaient raisonnablement à la Commission d'ar- river à la conclusion que la libération conditionnelle du requé- rant devait être révoquée.
Distinction faite avec l'arrêt: Dubeau c. La Commission nationale des libérations conditionnelles [1981] 2 C.F. 37.
REQUÊTE. AVOCATS:
Arne Peltz pour le requérant. Craig Henderson pour l'intimée.
PROCUREURS:
Ellen St. Community Legal Services, Winni- peg, pour le requérant.
Le sous-procureur général du Canada pour l'intimée.
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
LE JUGE SUPPLÉANT SMITH: Cette espèce con- siste en une requête demandant une ordonnance de la nature d'un bref de certiorari pour casser la décision, en date du 1 er avril 1980, de l'intimée de révoquer la libération conditionnelle du requérant. L'affidavit du requérant énonce les faits suivants qui ne sont pas contestés.
Le 12 décembre 1975, le requérant fut con- damné à une peine de dix ans d'emprisonnement à l'établissement de Stony Mountain pour homicide involontaire coupable.
Le 30 avril 1979, il obtenait une libération conditionnelle de jour. Le 24 août 1979, l'intimée lui accorda une libération conditionnelle pleine et entière. Il s'installa alors au 628, avenue Herbert, à Winnipeg, et vécut en concubinage avec Eliza- beth Woodrow, une femme divorcée qui avait la garde de ses enfants et vivait avec eux. Il présente Mme Woodrow comme sa femme. Il a habité jusqu'au 5 février 1980. Au cours de cette période, il s'est querellé avec le fils de sa
femme, Tod: il aurait essayé de l'empêcher de se [TRADUCTION] «défouler un peu trop».
Le 5 février 1980, il fut arrêté et prévenu de voies de fait, sur la personne de Tod, causant des lésions corporelles. La Cour des juges provinciaux exigea un cautionnement de $1,000 qui fut fourni par la concubine. Cependant, le même jour, sa libération conditionnelle fut suspendue et il fut renvoyé à l'établissement de Stony Mountain. Environ deux semaines plus tard, il fut interrogé par Steve Belle, son agent des libérations condi- tionnelles, et par Ron Schultz, un agent de classe- ment. A cette occasion, il a subi un interrogatoire serré qui a porté sur l'accusation de voies de fait. Il dit qu'il refusa de répondre mais que, sur l'insis- tance de MM. Belle et Schultz, qui le pressaient extrêmement, il a fini par répondre. A la fin de l'interrogatoire, on lui notifia que sa suspension ne serait pas levée et qu'on recommanderait à l'inti- mée de révoquer sa libération conditionnelle. On l'avisa aussi qu'il avait droit de se faire entendre par la Commission des libérations conditionnelles. Il réclama alors la présence de son avocat à l'au- dience de la Commission des libérations condition- nelles mais se fit répondre qu'on ne permettait pas aux avocats de comparaître devant la Commission.
Une brève déclaration des faits reconnus par les parties, produite à l'instance devant moi comme pièce 1, montre clairement que la Commission a toujours eu pour politique tant avant qu'après l'audience en l'espèce, de ne pas autoriser d'avo- cats à ses audiences en matière de révocation.
Le requérant, ainsi notifié qu'il n'avait pas droit à un avocat, s'est préparé à l'audience de la Com mission sans conseil juridique.
L'audience de la Commission a eu lieu le 1" avril 1980; il y a contradiction dans la preuve administrée au sujet de ce qui s'est passé à l'au- dience, laquelle était présidée par deux membres de la Commission nationale des libérations condi- tionnelles, MM. Belle et Schultz étant aussi présents.
La preuve administrée par le requérant apparaît
aux paragraphes 12 16, inclusivement, de son affidavit, que voici:
[TRADUCTION] 12. L'intimée a paru intéressée uniquement par l'accusation criminelle alors retenue contre moi et m'a ques- tionné longuement sur le sujet. Dès les premières questions, j'ai
rappelé à la Commission que l'affaire était instruite par la Cour criminelle et que mon avocat était Mc Hersh Wolch. J'ai déclaré que je ne voulais pas que la Commission des libérations conditionnelles instruise aussi l'affaire. J'ai notifié la Commis sion que j'avais plaidé non coupable et que l'enquête prélimi- naire n'avait pas encore eu lieu.
13. La Commission a insisté pour me questionner au sujet de l'instance criminelle alors pendante. En conséquence j'ai demandé qu'on autorise mon avocat à être présent. Ce qui a été refusé. Les membres de la Commission m'ont dit que l'intimée n'autorise pas la présence des avocats aux audiences consécuti- ves à une suspension.
14. Le seul objet d'enquête de l'intimée a été les voies de fait imputées. J'ai d'abord répondu à quelques questions mais j'ai rapidement refusé de répondre aux autres.
15. Après que la question de l'accusation criminelle actuelle- ment retenue contre moi eut été traitée, j'ai tenté de faire valoir certains points au sujet de la révocation de ma libération conditionnelle. J'ai tenté de parler de mes progrès dans ma lutte contre l'alcoolisme, de mes études et de ma situation de famille. Je me suis fait dire par l'intimée que ces questions n'étaient pas pertinentes en l'espèce. A la lumière de cette position, je ne savais pas si je devais produire les lettres que j'avais apportées avec moi à l'audience. Toutefois, j'ai décidé de faire connaître à la Commission que j'avais en ma possession divers documents qui appuyaient mon affaire et que je demandais qu'elle en prenne connaissance. Les lettres furent produites. Aucun des deux membres de la Commission n'a paru les examiner ni les lire. On ne m'a posé aucune question sur leur contenu.
16. J'ai alors quitté la salle d'audience pour quelques minutes. On m'a ensuite rappelé et notifié que ma libération condition- nelle avait été révoquée sans aucun crédit de réduction de peine.
Les lettres mentionnées au paragraphe 15 sont jointes à l'affidavit et marquées pièces «A» à «H» respectivement.
La preuve administrée contredisant en grande partie le contenu des paragraphes cités de l'affida-
vit du requérant se trouve dans l'affidavit de M. R. Evans, l'un des deux membres de la Commission qui présida l'audience, dont les paragraphes 4 à 9 se lisent comme suit:
[TRADUCTION] 4. A aucun moment avant ou au cours de l'audience, le requérant n'a demandé à la Commission à être représenté par un avocat à l'audience.
5. A aucun moment au cours de l'audience, il n'a été dit au requérant que ses progrès dans sa lutte contre l'alcoolisme, ses études et sa situation de famille n'avaient aucune importance pour la décision. En fait, la Commission a pris en compte ces questions.
6. S'il est exact que les circonstances entourant les voies de fait imputées mentionnées dans l'affidavit du requérant déposé sous serment le 29 août 1980 ont bien fait l'objet de discussions, ce ne furent pas les seuls points discutés; c'est l'ensemble de la conduite du requérant depuis que lui a été accordée une libération conditionnelle le 24 août 1979, particulièrement sa conduite précédant immédiatement sa suspension, qui a fait
l'objet de l'intérêt premier de la Commission et a été discuté longuement au cours de l'audience, en présence du requérant.
7. Les pièces «A» à «G», jointes à l'affidavit du requérant du 29 août 1980, ont été présentées par ledit requérant au cours de ladite audience et ont été alors examinées par la Commission.
8. A aucun moment au cours de ladite audience, le requérant n'a refusé de répondre, ou n'a paru réticent à le faire, aux questions que lui posait tel ou tel membre de la Commission.
9. Le fait que des accusations criminelles étaient pendantes au moment de ladite audience n'a eu aucune portée sur la décision de la Commission de révoquer la libération conditionnelle du requérant en l'espèce; en fait, elle a été révoquée le 1»' avril 1980 pour les motifs donnés dans la lettre de l'intimée du 16 avril 1980, adressée au requérant, et dont une copie, marquée pièce «B», est attachée à mon affidavit.
Une copie de la lettre du 16 avril 1980, adressée par l'intimée au requérant et mentionnée au para- graphe 9 de l'affidavit de M. Evans, est aussi annexée comme pièce «I» à l'affidavit du requé- rant. La portion de celle-ci qui importe en l'espèce est la suivante:
[TRADUCTION] Monsieur Rain,
Le 1e' avril 1980, la Commission nationale des libérations conditionnelles vous a entendu en réponse à votre demande d'audience après suspension. La présente confirme que la Com mission a décidé de révoquer votre libération conditionnelle sans crédit de réduction de peine pour les motifs suivants:
1) Contravention aux instructions spéciales en se livrant à des voies de fait sur les enfants trois reprises avouées).
2) Menaces de tuer l'un des enfants, par téléphone, à son surveillant.
3) Buvait depuis une semaine.
4) En prévention de tout autre comportement agressif.
5) Ne réalise pas la gravité de ses problèmes.
La Commission a aussi dit que vous devez faire preuve d'une plus grande compréhension de la gravité de vos problèmes de relations personnelles et de la façon agressive dont vous les abordez. Avant que toute autre libération ne soit envisagée, la Commission est d'avis qu'un rapport psychiatrique complet ainsi qu'une évaluation psychologique s'avèrent nécessaires.
Certains faits supplémentaires non litigieux sont rapportés dans l'affidavit du requérant. Le para- graphe 20 dit que le 25 juin 1980, plus de deux mois et demi après la décision de la Commission des libérations conditionnelles, il fut jugé et trouvé coupable de voies de fait sur la personne du garçon Tod, motif pris que, même en admettant qu'il exerçait, de fait, l'autorité parentale à l'égard du garçon, la force utilisée était excessive dans les circonstances. Il fut condamné à six mois d'empri- sonnement à cumuler à la peine présentement purgée.
Le paragraphe 18 dit que, lorsque sa libération conditionnelle fut révoquée, en plus de perdre sa liberté, qu'elle lui octroyait conditionnellement, il a perdu les crédits de réduction de peine qu'il avait accumulés au cours des années passées en déten- tion à l'établissement de Stony Mountain. La libération conditionnelle est un privilège, non un droit, mais sa révocation, manifestement, a porté atteinte à l'intérêt qui est le sien d'être libre et de conserver les crédits de réduction de peine, de plus de 13 mois, déjà accumulés.
La preuve administrée révèle aussi qu'au cours des années passées à Stony Mountain, il s'est inscrit et a complété huit cours en arts que l'Uni- versité du Manitoba offrait à l'établissement; alors qu'il était en libération conditionnelle de jour, il a suivi d'autres cours directement à l'Université et pensait poursuivre sa dernière année pour avoir droit à un grade ès arts. Il est clair qu'il a été assidu dans ses études et son dossier académique est fort bon.
Lui et sa femme sont alcooliques; son alcoolisme est prononcé depuis longtemps. Sa situation actuelle est reliée, nul doute, à son alcoolisme car il semble qu'il ait bu pendant une semaine avant l'affaire des voies de fait sur le garçon Tod. Lui et sa femme sont devenus membres des Alcooliques anonymes il y a plusieurs mois. La pièce «E» annexée à l'affidavit du requérant, une note du 6 mars 1980, écrite par l'aumônier catholique de Stony Mountain, dit, en parlant du requérant et de sa femme:
[TRADUCTION] Je connais Doug et Elizabeth depuis longtemps et me plaît en leur compagnie. Ils sont tous deux membres des Alcooliques anonymes.
Les pièces «F» et «G» parlent aussi en termes élogieux des efforts sincères du requérant et de sa femme pour combattre l'alcoolisme, de leur pré- sence régulière aux assemblées des A.A. et de leur application à suivre le programme des A.A.
Ces faits étant énoncés, j'en viens au moyen invoqué au soutien des conclusions. L'avis de requête demande la cassation de la décision de la Commission des libérations conditionnelles de révoquer la libération conditionnelle du requérant pour les motifs suivants:
[TRADUCTION] 1. Ladite révocation de libération condition- nelle sortait des compétences attribuées, était un excès de pouvoir et est entachée d'erreurs de droit apparentes.
2. L'intimée, LA COMMISSION NATIONALE DES LIBÉRATIONS CONDITIONNELLES a agi à tort, est sortie de ses compétences, et a commis un excès de pouvoir en prenant en compte des considérations non pertinentes comme les accusations criminel- les pendantes, l'étude des détails desdites accusations et l'inter- rogatoire du requérant à leur sujet.
3. Subsidiairement au motif 2 ci-dessus, LA COMMISSION NATIONALE DES LIBÉRATIONS CONDITIONNELLES a manqué à son devoir d'agir équitablement en décidant de révoquer ou non la libération conditionnelle du requérant, notamment:
a) en refusant au requérant sa demande d'avoir droit à la présence d'un avocat lors de l'audience sur la révocation et,
b) en négligeant ou en refusant d'entendre et de prendre en compte les preuves et moyens soumis par le requérant au cours de l'audience sur la révocation.
4. Aussi, subsidiairement au moyen 2 précité, l'intimée, LA COMMISSION NATIONALE DES LIBÉRATIONS CONDITIONNEL- LES est, à tort en droit, sortie de sa compétence et a commis un excès de pouvoir en refusant la requête du requérant d'avoir droit à la présence d'un avocat lors de l'audience sur la révocation, contrairement à l'article 2d) de la Déclaration canadienne des droits.
5. ET pour tout autre motif que pourrait révéler le dossier et qu'aurait fait valoir son avocat, que la Cour pourrait reconnaître.
L'avocat du requérant s'est presque uniquement borné à faire valoir les moyens allégués aux para- graphes 2 et 3. Au début de sa plaidoirie, l'avocat du requérant a renoncé à l'alinéa 3b). Il a donc déclaré en substance que l'unique objet de la requête qui demeurait était l'allégation du requé- rant selon laquelle la Commission lui aurait refusé la présence d'un avocat à l'audience.
L'avocat a fait valoir que cette affaire était en substance semblable à celle de Dubeau c. La Com mission nationale des libérations conditionnelles [[1981] 2 C.F. 37] dans laquelle, par ma décision, en date du 29 mai 1980, l'ordonnance de la Com mission révoquant la libération conditionnelle du requérant, en date du 4 mars 1980, était cassée. Il a mentionné deux ou trois différences entre les espèces dont une seulement, à mon avis, importe pour la décision en la présente requête. Au moment de l'instruction de la requête dans l'af- faire Dubeau, l'instance criminelle contre lui n'avait pas été ouverte devant la Cour; mais, à l'instruction de la présente requête, nous savions que trois mois environ après la décision de la Commission des libérations conditionnelles de révoquer la libération du requérant, celui-ci avait
été reconnu coupable des voies de fait dont il était prévenu et condamné à six autres mois d'emprison- nement.
A mon avis, si la Commission a refusé la pré- sence d'un avocat à l'audience, à tort, et si le requérant a ou peut avoir subi un préjudice en conséquence, cette condamnation subséquente ne peut rétroactivement valider cette erreur.
Toutefois, les affaires sont différentes sur d'au- tres points qui méritent examen.
Dans l'affaire Dubeau, il n'y avait aucune preuve que le requérant avait été interrogé par son agent des libérations conditionnelles au sujet des accusations criminelles retenues contre lui. En l'es- pèce, il fut interrogé longuement à ce sujet par son agent des libérations conditionnelles et par l'agent de classement. D'après son témoignage, cet inter- rogatoire a eu lieu environ deux semaines après la suspension. Nous ne connaissons pas les questions posées ni les réponses faites mais nous savons que M. Belle, l'agent des libérations conditionnelles, a déclaré sur la formule de requête d'une audience après suspension du requérant, en date du 12 février 1980 (pièce «A» annexée à l'affidavit de M. Evans), que les motifs de la suspension étaient:
[TRADUCTION] 1. Violation des instructions de votre agent des libérations conditionnelles et d'un N.A.D. (la lettre «N» est probablement erronée) de ne pas frapper les enfants de votre concubine.
2. Menaces de tuer l'enfant battu.
3. La prévention de l'inexécution d'une modalité ou condition de la libération conditionnelle.
4. La protection de la société.
Il n'y a rien au dossier qui indique que le requérant ait jamais frappé ou été accusé de frap- per les enfants de sa concubine avant l'incident qui conduisit à son arrestation le 5 février 1980 mais M. Belle doit avoir possédé des informations qui l'ont amené à dire que la suspension était motivée par la «Violation des instructions ... de ne pas frapper les enfants de votre concubine.»
La source de cette information et sa nature exacte n'ont pas été révélées mais le requérant est lui-même une source possible.
A nouveau, la lettre de la Commission adressée au requérant en date du 16 avril 1980 (pièce «I» de
l'affidavit du requérant et pièce «B» de l'affidavit de M. Evans), donne comme deux premiers motifs de la décision de révoquer la libération:
1) Contravention aux instructions spéciales en se livrant à des voies de fait sur les enfants trois reprises avouées).
2) Menaces de tuer l'un des enfants, par téléphone, à son surveillant.
Ces deux motifs sont les mêmes que les deux premiers des motifs de suspension de M. Belle avec deux additions significatives. La première est que le requérant a avoué s'être livré à des voies de fait à trois reprises sur les enfants. Il n'est pas sûr que ces ajouts veulent dire que le requérant a fait cet aveu à la Commission à l'audience ou à son sur- veillant ou aux deux. Le surveillant, qui était présent à l'audience, peut l'avoir dit à la Commis sion; qu'il l'ait fait ou non, je ne saurais le dire. Un aveu de ce genre, fait à un surveillant, ou à quelqu'un d'autre, ou régulièrement obtenu par la Commission du requérant à l'audience, constitue une preuve pertinente admissible pour décider de révoquer ou non la libération.
Le second ajout porte sur les menaces de tuer l'un des enfants, faites au téléphone à son surveil- lant. Ce qui signifie manifestement que le surveil- lant a directement eu connaissance de ces menaces du requérant. En outre, l'information doit avoir été fournie par le surveillant à la Commission. Sem- blable déclaration faite à son surveillant est certai- nement admissible et constitue une preuve pertinente.
En l'espèce, je crois être en droit de présumer que la libération conditionnelle du requérant fut suspendue en raison de son arrestation pour voies de fait contre Tod. Si l'accusation s'avère fondée, cela constituerait un manquement à une condition de sa libération conditionnelle. Cela étant, son agent des libérations conditionnelles, M. Belle, avait non seulement le droit mais l'obligation de l'interroger au sujet de sa conduite. C'est ce qu'ils ont fait, lui et M. Schultz, dans le but premier de décider quelle recommandation devrait être faite à la Commission. Je ne peux concevoir aucune objection valide à la procédure suivie. Dans l'af- faire Dubeau, j'ai conclu qu'on pouvait soutenir que la Commission des libérations conditionnelles n'aurait pas interroger Dubeau au sujet des accusations criminelles pendantes mais que dans
les circonstances, et compte tenu des pouvoirs fort étendus en la matière accordés à la Commission des libérations conditionnelles par la Loi sur la libération conditionnelle de détenus, S.R.C. 1970, c. P-2, modifiée, la révocation de la libération conditionnelle du requérant ne devait pas être cassée motif pris uniquement qu'il avait été inter- rogé au sujet de prétendues nouvelles infractions criminelles.
L'article 6 de la Loi sur la libération condition- nelle de détenus dispose que:
6. Sous réserve de la présente loi, de la Loi sur les péniten- ciers et de la Loi sur les prisons et les maisons de correction, la Commission est exclusivement compétente et a entière discré- tion pour accorder ou refuser d'accorder une libération condi- tionnelle ou une absence temporaire sans escorte en vertu de la Loi sur les pénitenciers et pour révoquer une libération condi- tionnelle ou mettre fin à une libération conditionnelle de jour.
La position d'un agent des libérations condition- nelles ou d'un agent de classement est fort diffé- rente de la Commission: ni l'un ni l'autre n'a le pouvoir de révoquer une libération conditionnelle.
Ma décision de casser la révocation dans l'af- faire Dubeau était fondée sur le refus de la Com mission, dans les circonstances de l'espèce, de per- mettre au requérant d'être représenté par un avocat à l'audience. A mon avis, la perte de la liberté conditionnelle dont la libération condition- nelle donne la jouissance, ajoutée à la perte des réductions de peine méritées pouvant résulter de la révocation d'une libération conditionnelle, étaient sérieusement préjudiciables à ses intérêts et, pour cette raison, il avait droit, en toute justice, à un avocat à l'audience.
Dans l'espèce actuelle, le requérant n'a pas requis la présence d'un avocat lorsqu'il a été ques- tionné par M. Belle et M. Schultz et d'ailleurs, à mon avis, il n'y avait pas droit à ce moment-là. Le plus qu'ils pouvaient faire était de recommander à la Commission que sa libération conditionnelle soit révoquée. Une telle recommandation n'avait aucun effet direct sur ses intérêts, quoiqu'elle puisse avoir une influence sur l'opinion que se faisait la Com mission du cas. Seule la Commission pouvait pren- dre la décision de révoquer la libération condition- nelle et le requérant avait le droit de présenter, à l'audience de la Commission, tous les faits et arguments favorables à sa cause.
L'analyse qui précède montre qu'il y a des dis tinctions importantes à faire entre l'espèce pré- sente et celle de Dubeau et que ces distinctions ne sont pas favorables à la présente requête. Un autre point doit être considéré. Dans l'affaire Dubeau, il est clair que le requérant a requis la présence de son avocat à l'audience de la Commission et je l'ai fait refuser. Dans l'instance présente, la preuve à ce sujet est totalement contradictoire, tout comme celle concernant la volonté du requérant de répon- dre aux questions. Voir les paragraphes 12 et 13 de l'affidavit du requérant et les paragraphes 4 et 8 de l'affidavit de M. Evans, l'un des membres de la Commission des libérations conditionnelles qui siégea à l'audience, lesquels ont tous été cités précédemment.
Aucun des déposants n'a été contre-interrogé au sujet de sa déposition sous serment, de son affida vit, et aucune tentative n'a été faite à l'audience d'administrer quelque preuve additionnelle. Les faits qu'énoncent les deux affidavits ne peuvent être tous fondés. Toutefois, sans mettre en doute la bonne foi du requérant, je trouve difficile de croire qu'un membre de la Commission nationale des libérations conditionnelles ait délibérément fait des déclarations fausses sur ce qui s'est passé en sa présence à une audience. Je ne trouve rien dans la preuve administrée qui suggère que les membres de la Commission ne cherchaient pas à conduire l'audience impartialement et en accord complet avec la responsabilité. En conséquence, je suis incapable de constater que le requérant a établi qu'il a requis ou s'est vu refuser la présence d'un avocat à l'audience.
Il y avait des preuves admissibles convaincantes qui permettaient raisonnablement à la Commission d'arriver à la conclusion que la libération condi- tionnelle du requérant devait être révoquée.
Le certiorari étant un recours discrétionnaire, ma conclusion finale est qu'il n'est pas approprié pour moi d'exercer ce pouvoir discrétionnaire en faveur du requérant.
La requête est donc refusée.
La décision qui précède étant la seule à laquelle je pouvais normalement arriver, je pense souhaita- ble néanmoins d'ajouter ce commentaire. La preuve, quoiqu'elle ne soit pas aussi concluante qu'on aurait pu le souhaiter, indique fortement que
c'est l'alcoolisme aigu du requérant qui est la cause première de tous ses démêlés avec la loi. Plusieurs des lettres jointes comme pièces à l'affi- davit du requérant montrent que lui et sa femme, qui a un problème semblable bien que moins grave, réalisent maintenant la précarité de leur avenir à moins qu'ils ne viennent à bout de ce problème. Il semble que pendant plusieurs mois ils aient été membres des Alcooliques anonymes et aient fidèle- ment assisté à leurs assemblées et suivi leur pro gramme, s'aidant mutuellement. Les auteurs de ces lettres pensent que leurs efforts étaient sincères et qu'ils faisaient des progrès. S'ils ont continué à suivre fidèlement le programme des A.A. au cours des nombreux mois qui ont suivi l'époque ces lettres ont été écrites, il devrait bientôt, sinon maintenant, être possible de constater s'ils sont parvenus à surmonter leurs problèmes.
Le dossier académique au-dessus de la moyenne du requérant pour les cours d'arts suivis à l'univer- sité dénote une bonne intelligence et de l'habileté. S'il réussit à échapper à sa dépendance de l'alcool, il est probable qu'il pourra devenir réellement utile à la société.
Pour cette raison, j'espère et m'attends à ce que les autorités pénitentiaires et la Commission des libérations conditionnelles soient informées de tout progrès de sorte que, si la situation le permet, il puisse à nouveau se voir accorder une libération conditionnelle.
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