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T-9227-82
Robert Collin (requérant)
c.
Raymond Lussier (intimé)
Division de première instance, juge Decary— Montréal, 7 février; Ottawa, 24 février 1983.
Contrôle judiciaire Brefs de prérogative Certiorari Détenu transféré d'un établissement à sécurité moyenne à un établissement à sécurité maximale Le requérant demande l'annulation, par voie certiorari, de la décision de le transférer aux motifs que le transfèrement (1) est ultra vires en ce qu'il constitue une punition déguisée; (2) contrevient aux art. 13 et 14 du Règlement sur le service des pénitenciers, et à l'art. 22 de la directive 260 du commissaire en ce que le requérant a été transféré à un établissement dont les conditions de sécurité sont plus sévères qu'il n'est nécessaire; (3) contrevient à l'art. 7 de la Charte en ce qu'il porte atteinte à la sécurité du détenu Détenu non coupable d'infractions disciplinaires Le détenu occupait le poste de commis aux affaires judiciaires et avait constitué des dossiers concernant l'administration de l'établissement Le détenu souffre d'une maladie du coeur Il échet de savoir si l'établissement à sécurité maximale peut dispenser les soins médicaux nécessaires en cas d'urgence Motifs du transfèrement énoncés par le coordonnateur régional des transferts en termes vagues, imprécis Conclusion de la Cour selon laquelle le transfèrement du détenu découle de ses activités à titre de commis aux affaires judiciaires Le transfert constitue une punition déguisée et est ultra vires vu la notion de «prison au sein d'une prison» Violation des art. 13 et 14 du Règlement sur le service des pénitenciers vu le transfèrement du détenu à un établissement dont les conditions de sécurité sont plus sévères qu'il n'est nécessaire La sécurité de la personne du détenu mise en danger du fait de sa détention dans un lieu les conditions sont telles qu'elles provoquent chez le détenu un état d'angoisse accru La justice fondamentale doit être respectée lorsque les décisions d'un organisme administratif risquent de porter atteinte à la sécurité d'une personne Lorsque le transfèrement d'un détenu a pour effet de porter atteinte à la sécurité de sa personne, il ne s'agit plus d'une simple décision administrative mais d'une décision touchant au droit constitutionnel Cas- sation, par voie de certiorari, de la décision de transférer le détenu et ordonnance de retour du détenu dans un établisse- ment à sécurité moyenne Compétence de la Cour fédérale d'accorder le redressement, sous forme de dommages-intérêts, prévu à l'art. 24(1) de la Loi constitutionnelle de 1982 Dommages-intérêts de $18,136 accordés au détenu au titre de perte pécuniaire, dommages moraux, privation de soins médi- caux et atteinte à la sécurité de sa personne (diminution de l'espérance de vie et dommages-intérêts exemplaires) Charte canadienne des droits et libertés, étant la Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.), art. 7, 24(1) Loi cana- dienne sur les droits de la personne, S.C. 1976-77, chap. 33, art. 54 Loi sur la Cour fédérale, S.R.C. 1970 (2e Supp.), chap. 10, art. 2, 17, 18, 28 Loi sur les pénitenciers, S.R.C. 1970, chap. P-6, art. 13(3), 29(1)(b),(3) Règlement sur le
service des pénitenciers, C.R.C., chap. 1251, art. 13, 14, 38(2) Règle 600 de la Cour fédérale.
Le requérant sollicite un bref de certiorari en vue de faire annuler la décision de l'intimé, le directeur d'un Centre régio- nal de réception, de le transférer de l'établissement Leclerc, un pénitencier à sécurité moyenne, à l'établissement de Laval, un pénitencier à sécurité maximale. Le requérant demande égale- ment une ordonnance lui accordant, conformément au paragra- phe 24(1) de la Loi constitutionnelle de 1982, la réparation que le tribunal estimera juste et convenable. Le requérant allègue, au soutien de sa requête, (1) que la décision de l'intimé est ultra vires en ce que le transfèrement constitue une punition déguisée; (2) que cette décision contrevient aux articles 13 et 14 du Règlement sur le service des pénitenciers et à l'article 22 de la directive 260 du Commissaire aux services correctionnels, en ce que le requérant a été transféré à un établissement on les conditions de sécurité sont plus sévères que ne le requiert son cas; et (3) que cette décision contrevient à l'article 7 de la Charte en ce qu'elle porte atteinte à sa sécurité et constitue une négation des garanties prévues par la Charte. Le requérant occupait, à l'établissement Leclerc, le poste de commis aux affairs judiciaires des détenus. Il avait participé activement, avant son transfèrement, à la constitution de dossiers mettant en cause l'administration et le personnel de l'établissement. L'un de ces dossiers donna lieu à une action devant cette Cour; les deux autres dossiers traitaient de la disparition, des cuisines de l'établissement, de quantités considérables de viande, dispa- rition que les détenus attribuaient directement au personnel de la prison, et de l'emploi, par les autorités pénitentiaires, d'im- portantes sommes d'argent versées par les détenus au fonds de développement social. Le requérant n'a jamais été déclaré coupable d'infractions disciplinaires. Selon le coordonnateur régional des transferts, le comportement inacceptable du requé- rant et la nécessité d'assurer le bon ordre de l'établissement justifiaient le transfert du détenu. Le requérant demanda la révision de son cas, mais sans succès. Il allègue que sa détention à l'établissement de Laval lui cause un préjudice grave: elle met sa vie en danger, en ce sens qu'il lui est impossible d'avoir rapidement accès aux soins médicaux que nécessite son état de santé (il est cardiaque), et que le stress auquel il est soumis pourrait être fatal.
Jugement: la Cour casse, par voie de certiorari, la décision de transférer le requérant et ordonne que ce dernier soit replacé dans un établissement à sécurité moyenne. En l'absence de faits précis démontrant que le requérant était susceptible de compro- mettre la sécurité de l'établissement, il devient évident que la décision de le transférer découle de ses activités à titre de commis aux affaires judiciaires. Les motifs du transfèrement du requérant ont été énoncés par le coordonnateur régional des transferts en termes vagues, imprécis. La décision de l'intimé équivaut à une punition déguisée; elle est ultra vires compte tenu de la notion de «prison au sein d'une prison« établie par la Cour suprême du Canada dans l'arrêt Martineau c. Le Comité de discipline de l'Institution de Matsqui. Aux termes de cette notion, le transfert à un établissement dont les conditions de sécurité sont plus sévères constitue une punition, car cela diminue la liberté du détenu.
La décision de l'intimé contrevient aux articles 13 et 14 du Règlement sur le service des pénitenciers et à l'article 22 de la directive 260 du commissaire en ce que le requérant a été transféré à un établissement dont les conditions de sécurité sont
plus sévères que ne le requiert son cas. L'article 13 prévoit que, conformément aux directives du commissaire aux services cor- rectionnels, un détenu doit être incarcéré dans l'établissement qui semble le plus approprié compte tenu de la protection du public et du programme de traitement disciplinaire. L'article 22 de la directive 260 prévoit qu'un détenu ne doit pas normale- ment être maintenu dans des conditions de sécurité plus sévères qu'il n'est nécessaire. Compte tenu du fait que le requérant a fait partie de la population carcérale générale de l'établisse- ment jusqu'à la veille de son transfèrement, et du fait qu'il était, en tout temps, autorisé à circuler à l'intérieur de l'établis- sement, il n'a pas été démontré qu'il ait été susceptible de compromettre la sécurité de l'établissement à sécurité maxi- male. L'arrogance et l'impolitesse du requérant ne justifient pas le transfèrement. Puisque les directives du commissaire font l'objet d'une mention spéciale à l'article 13 du Règlement, il s'ensuit qu'elles constituent plus que des guides; elles ont force de loi et le détenu est en droit d'exiger que soient respectés les critères qui y sont élaborés pour ce qui concerne tant l'établisse- ment il est détenu que le niveau de sécurité de l'établisse- ment auquel il est transféré. De plus, l'article 14 du Règlement exige un examen attentif du dossier d'un détenu avant de procéder à son transfert. La directive 257, qui prévoit la préparation de rapports périodiques sur l'évolution du cas, a été émise afin de satisfaire aux exigences de l'article 14. La preuve établit, toutefois, que le requérant n'a jamais pris connaissance du «Rapport récapitulatif sur l'évolution du cas», un document non confidentiel à l'origine, semble-t-il, de la décision de le transférer.
La décision de l'intimé contrevient également à l'article 7 de la Charte canadienne des droits et libertés. Cet article garantit le droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de la personne. Le droit d'accès aux soins médicaux se rattache au droit à la sécurité de la personne. La preuve démontre qu'en cas de maladie, les mesures d'urgence, la nuit, à l'établissement de Laval, sont inadéquates. La jurisprudence reconnaît qu'une personne qui a fait un infarctus, tel le requérant, est sujette à un état d'angoisse particulier. Il découle de l'ensemble du dossier que la détention du requérant à l'établissement de Laval porte atteinte à la sécurité de sa personne. L'article 7 de la Charte prévoit qu'il ne peut être porté atteinte aux droits qui y sont garantis qu'en conformité avec les principes de justice fondamentale. Faire une distinction dans le contenu de la justice fondamentale en fonction de celui qui viole ce droit serait vider de sens la garantie conférée par la Charte. L'article 7 de la Charte confère aux trois droits qui y sont mentionnés un statut particulier. Par conséquent, lorsqu'on porte atteinte à la sécurité de la personne, la justice fondamentale exige qu'un organisme administratif agisse équitablement, c'est-à-dire qu'il doit aviser la personne de l'infraction qu'elle aurait commise et lui donner l'occasion de se défendre. L'organisme administratif a également le devoir de statuer en toute impartialité, en tenant compte de tous les éléments de preuve. Le transfert d'un prisonnier à un établissement dont les conditions de sécurité sont plus sévères n'est pas une simple décision d'ordre adminis- tratif; c'est une décision qui met en cause le droit constitution- nel et la justice fondamentale doit, par conséquent, être respec- tée. Si la Loi sur les pénitenciers et le Règlement y afférent, du fait de leur silence en matière de transfèrement, devaient être interprétés comme ne permettant pas l'application de ces prin- cipes, on devrait les considérer comme inconstitutionnels.
La décision de l'intimé contrevient également à l'obligation d'agir équitablement imposée aux administrateurs depuis l'ar- rêt Martineau. L'intimé ne peut justifier le défaut de produire les rapports de sécurité préventive sur lesquels serait fondée sa décision en invoquant l'article 54 de la Loi canadienne sur les droits de la personne qui crée une exception quant au droit des personnes d'avoir accès à leurs dossiers. Même si les motifs à l'origine d'un transfèrement sont souvent d'ordre sécuritaire, il reste que la nature de ces motifs doit être divulguée au détenu, ce qui n'a pas été fait en l'espèce.
Cette Cour a compétence pour accorder le redressement, sous forme de dommages-intérêts, prévu au paragraphe 24(1) de la Loi constitutionnelle de 1982. Le requérant est détenu dans un pénitencier fédéral et l'intimé est un «office, commission ou autre tribunal fédéral» tel que défini à l'article 2 de la Loi sur la Cour fédérale. De plus, les articles 17 et 18 de la Loi confèrent à la Division de première instance compétence pour instruire une demande de redressement sous forme de domma- ges-intérêts et pour délivrer un bref de certiorari ou de manda- mus. La Cour accorde au requérant des dommages-intérêts de $18,136 au titre de la perte pécuniaire, des dommages moraux, de la privation de soins médicaux et de l'atteinte à la sécurité de la personne du requérant (diminution de l'espérance de vie et dommages-intérêts exemplaires).
JURISPRUDENCE
DÉCISIONS SUIVIES:
Martineau c. Le Comité de discipline de l'Institution de Matsqui, [1980] 1 R.C.S. 602; Nicholson c. Haldimand- Norfolk Regional Board of Commissioners of Police, [1979] 1 R.C.S. 311.
DECISIONS APPLIQUÉES:
Re Abrahams and Attorney -General of Canada (1983), 142 D.L.R. (3d) 1 (C.S.C.); Landman et al. v. Royster et al. (1971), 333 F.Supp. 621 (U.S.D.C.); Cardinal et al. v. Director of Kent Institution, [1982] 3 W.W.R. 593 (C.A.C.-B.); Regina v. Gaming Board for Great Britain, Ex parte Benaim et al., [ 1970] 2 Q.B. 417; Re Rowling v. The Queen (1980), 57 C.C.C. (2d) 169 (H.C. Ont.); Wolff et al. v. McDonnell (1974), 94 S.Ct. 2963.
DECISION EXAMINÉE:
Re Anaskan v. The Queen (1977), 76 D.L.R. (3d) 351 (C.A. Ont.).
DECISIONS CITÉES:
Commission des droits de la personne du Québec c. Anglsberger, [1982] C.P. 82; Curr c. La Reine, [ 1972] R.C.S. 889; Dodge v. Bridger et al. (1978), 4 C.C.L.T. 83 (H.C. Ont.); Mercier c. Smith, Cour supérieure, Mont- réal, 500-05-021 261-753, jugement en date du 29 novembre 1979.
REQUÊTE. AVOCATS:
Nicole Daignault pour le requérant. Stephen Barry pour l'intimé.
PROCUREURS:
Nicole Daignault, Montréal, pour le requé- rant.
Le sous-procureur général du Canada pour l'intimé.
Voici les motifs du jugement rendus en français par
LE JUGE DECARY: Le requérant demande l'émission d'un bref de certiorari ou une ordon- nance de la nature d'un tel bref, annulant la décision de l'intimé de transférer le requérant de l'institution Leclerc, pénitencier à sécurité moyenne, à l'institution Laval, pénitencier à sécu- rité maximale.
Le requérant allègue au soutien de sa requête que:
(1) la décision est illégale et ultra vires des pouvoirs de l'intimé en ce que le transfèrement constitue une punition déguisée;
(2) la décision va à l'encontre des articles 13 et 14 du Règlement sur le service des pénitenciers, C.R.C., chap. 1251, et de l'article 22 de la directive du commissaire 260, en ce que le requérant a été transféré dans une institution le degré de sécurité est plus sévère que celui que nécessite son cas. L'article 22 a remplacé l'arti- cle 8 de la directive 260 la suggestion et du consentement du procureur de l'intimé dans la requête;
(3) la décision contrevient à l'article 7 de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.), en ce qu'elle met en danger la sécurité de la per- sonne du requérant et constitue une négation des garanties à lui conférées par ladite Loi;
(4) pour tout autre motif que le procureur du requérant pourrait soulever avec la permission du tribunal.
Le requérant demande de plus l'émission d'un bref de mandamus, ordonnant le respect des droits constitutionnels, statutaires, réglementaires et légaux du requérant et son transfert dans une institution à sécurité moyenne.
Le requérant demande enfin une ordonnance, conformément au paragraphe 24(1) de la Loi constitutionnelle de 1982, accordant au requérant
la réparation que le tribunal estimera convenable et juste eu égard aux circonstances.
Au soutien de sa requête, le requérant, Robert Collin, allègue par affidavit, avec pièces A à I inclusivement, que, au cours de sa détention à Leclerc, il était employé comme commis aux affai- res légales des détenus. Il a, au cours de l'été 1982, été particulièrement actif dans la préparation de trois dossiers collectifs qui touchent à l'administra- tion de l'institution Leclerc: (1) le dossier de la double occupation qui a donné lieu à un recours devant la Division de première instance de la Cour fédérale sous le T-6575-82; le jugement rendu le 23 septembre 1982 fait présentement l'objet d'un appel devant la division d'appel de cette Cour sous le A-1102-82; (2) le dossier de la cuisine, qui fait état d'une enquête recherchant les causes et les remèdes à la situation de l'alimentation à l'institu- tion Leclerc; (3) le dossier de l'implication du comité des détenus dans le budget du développe- ment social: une tentative d'obtenir des pièces justificatives de certaines dépenses, dont 66% sont défrayés par les détenus.
Pendant son incarcération, le requérant a été l'objet de très peu de rapports d'infractions aux règlements de l'institution; il a été acquitté lors de l'audition par le tribunal disciplinaire pour l'un de ces rapports et l'on n'a pas procédé quant aux autres rapports.
Il est convaincu que son transfèrement en insti tution à sécurité maximale est à son travail relatif à ces dossiers collectifs.
Ce transfèrement serait non fondé et lui cause- rait un préjudice extrêmement grave: (1) il met- trait en danger la vie du requérant qui dit avoir fait un infarctus en septembre 1978 et subi deux autres attaques cardiaques depuis. Il lui serait impossible d'avoir un accès immédiat aux soins médicaux que pourrait nécessiter son état. De plus, il ne pourrait obtenir la diète végétarienne qu'il avait à l'institution Leclerc. L'atmosphère qui régnerait à Laval augmenterait le stress qui pour- rait lui être fatal; (2) il subirait une perte de rémunération, son salaire passant de $36 par quinze jours à $18 pour la même période; (3) il serait privé de relations familiales et de toute visite. En effet, à la première visite que lui faisait sa mère, âgée de 69 ans, elle a été sujette à une
fouille à nu que rien ne justifiait. Il refuse de lui voir imposer pareille humiliation à nouveau.
L'intimé a produit en réponse deux affidavits. Le premier est celui du Dr Jean-Yves Balthazard, responsable des services médicaux à l'institution Laval, et il fait état d'un hôpital constitué de deux départements; l'hôpital serait bien équipé pour subvenir aux exigences immédiates que peut néces- siter le cas du requérant.
L'intimé a encore produit l'affidavit de M. François Alarie, coordonnateur régional des trans- ferts au ministère du Solliciteur général du Canada, lequel allègue que le requérant a été transféré pour des raisons ayant trait à la sécurité de l'institution Leclerc et s'appuie sur un docu ment intitulé «Rapport récapitulatif sur l'évolution du cas» lequel rapport est produit comme pièce P-1 à l'appui dudit affidavit.
Les deux déclarants ont été interrogés sur affi davit le 28 janvier 1983. La transcription des notes sténographiques de ces interrogatoires a été pro- duite au dossier de la Cour.
De l'ensemble de la preuve il ressort ce qui suit:
Robert Collin, le requérant, est âgé de 47 ans. En 1964, il a été condamné à mort pour meurtre et sa peine a été commuée en emprisonnement à perpétuité en 1968. II est incarcéré depuis 19 ans. Il s'est intéressé, au cours des années, aux droits des détenus et est devenu un véritable technicien du droit carcéral; il est ce qu'il est convenu d'appe- ler un «jailhouse lawyer».
En octobre 1981, Robert Collin, après quelque temps passé en libération, était réincarcéré à l'ins- titution Leclerc, un pénitencier à sécurité moyenne portant la cote sécuritaire S-5, et y demeura jus- qu'au 26 octobre 1982, date à laquelle il fut trans- féré à l'institution Laval, un pénitencier à sécurité maximale, portant la cote de sécurité S-6.
Pendant sa détention à l'institution Leclerc, Robert Collin a occupé le poste de commis aux affaires légales jusqu'au moment de sa démission, le 28 septembre 1982, après quoi il a été affecté à l'atelier de métal.
Bien qu'une demande de transfèrement datée du 18 octobre 1980, selon la pièce P-1 de l'affidavit de François Alarie, ait été formulée dans son cas, il
est resté en population générale à l'institution Leclerc jusqu'au 24 octobre 1982 à 20 h 5, moment il fut placé en ségrégation administra tive tel qu'il appert à la pièce I de l'affidavit du requérant, rapport du 24 octobre 1982, sur lequel on n'a cependant pas procédé vu le transfèrement.
A cause de son poste de commis aux affaires légales des détenus, le requérant était muni d'un permis permanent de circuler dans l'institution Leclerc, qui ne lui a jamais été retiré, même après sa démission du 28 septembre 1982, car il conti- nuait de s'occuper du dossier de la double occupa tion, et son procureur a déposé au dossier de la Cour l'original du permis lors de l'audition.
Le 26 octobre 1982, immédiatement après son arrivée au pénitencier Laval, Robert Collin demandait par écrit les motifs de ce transfèrement et ce ne fut que le 4 novembre suivant qu'il reçut une réponse de M. François Alarie, coordonnateur des transfèrements; cette lettre est la pièce H de l'affidavit de Robert Collin et se lit comme suit:
Nous accusons réception de votre lettre du 26 octobre 1982, concernant votre transfert du Leclerc à l'établissement Laval.
Ce transfert fut décidé suite à la recommandation des autorités de l'établissement Leclerc basé sur votre attitude et votre comportement jugés inacceptables dans un établissement à sécurité médium. Ces données sont clairement établies dans le rapport de gestion de cas et dans les rapports de la sécurité préventive. Vos relations tendues et verbalement agressives envers le personnel des unités résidentielles et leur effet d'en- traînement au niveau de la population justifient une telle mesure pour assurer le bon ordre de l'établissement.
Nous espérons que vous saurez réévaluer la situation, vous impliquer positivement au niveau des programmes offerts au Laval et mériter un retour éventuel au médium.
Les motifs du transfèrement sont, comme on le voit, évoqués en termes vagues et imprécis. On y réfère à un rapport de gestion de cas et à des rapports de sécurité préventive sans cependant dire clairement de quelle nature sont les griefs qui fondent la décision de transfèrement. Ils ne sont appuyés par aucune condamnation du tribunal dis- ciplinaire au cours de l'incarcération à Leclerc du requérant.
Le requérant s'est adressé à la direction régio- nale pour demander une révision de cette décision étant donné que sa santé et la sécurité de sa personne étaient ou risquaient d'être durement atteintes par son incarcération au maximum
Laval. La réponse qui lui est parvenue, datée du 9 novembre 1982, est signée de Guy Villemure, administrateur régional, programme aux délin- quants, et dispose de la demande de révision en une seule phrase:
Je crois savoir que déjà vous avez questionné votre transfert auprès du coordonnateur régional des transferts par note de service des motifs à l'appui de ce déplacement.
Il m'apparait [sic] donc inutile d'élaborer davantage sur ce point particulier.
Le reste de la lettre est un commentaire dont un paragraphe est particulièrement révélateur:
Nul ne peut faire abstraction de la volubilité de Robert Collin ni de son esprit de synthèse cependant, s'il voulait faire un véritable effort et se prendre en mains [sic] tout en laissant aux autres détenus le soin de régler leurs propres problèmes, il s'éviterait sûrement les désagréments et une foule de petits ennuis.
Il est raisonnable de comprendre que l'implica- tion de Robert Collin comme commis aux affaires légales à l'institution Leclerc constitue le motif du transfèrement.
Le 2 décembre 1982, la requête introductive d'instance du requérant était déposée au greffe de la Cour fédérale et ce n'est que le 19 janvier 1983, lors de la signification au procureur du requérant de l'affidavit de François Alarie pour l'intimé, que le requérant a eu connaissance du rapport récapi- tulatif sur lequel se fonde le transfèrement men- tionné dans la lettre du 4 novembre 1982.
L'interrogatoire sur affidavit de M. Alarie a eu lieu le 26 janvier 1983. A la fin d'un long interro- gatoire, M. Alarie, aux pages 68 et 69 de la transcription des notes sténographiques, reconnaît que les véritables raisons pour lesquelles M. Collin a été transféré ont à voir avec ces fameux rapports de la sécurité préventive mentionnés à la lettre du 4 novembre précédent, et, en particulier, avec un incident de sécurité survenu au Leclerc et men- tionné dans un rapport de sécurité préventive.
Plus tôt au cours de l'interrogatoire, M. Alarie avait admis qu'ayant eu l'occasion d'examiner le dossier de M. Collin au moment d'une demande de transfèrement à sécurité moindre qu'avait formu- lée M. Collin en juin 1982, les raisons du transfè- rement actuel étaient effectivement fondées sur des événements survenus entre le mois de juin 1982 et le mois d'octobre de la même année.
A la fin de ce même interrogatoire, plus précisé- ment à la page 75, M. Alarie reconnaît qu'on fait allusion au rôle que jouait M. Collin dans l'établis- sement Leclerc dans les rapports de la sécurité préventive, c'est-à-dire à son rôle de commis aux affaires légales, mais il maintient que la raison du transfèrement n'est pas directement reliée aux dos siers collectifs sur lesquels M. Collin a travaillé au cours de l'été. Cependant, jamais il ne dévoile la nature exacte des prétendus incidents ayant trait à la sécurité de l'établissement qui seraient, d'après lui, la cause du transfèrement.
Considérant l'ensemble de la preuve soumise devant le tribunal, le tribunal conclut que le trans- fèrement de M. Collin est le résultat de son acti- vité comme commis aux affaires légales, d'autant plus qu'avant l'été dernier, il n'avait encore jamais, dans l'exercice de ses fonctions, entrepris des dos siers qui mettaient en cause l'administration du pénitencier ou le personnel de l'institution.
A ce moment, cependant, les dossiers constitués par M. Collin mettent en cause les agissements du personnel du pénitencier. Une analyse des pièces soumises à l'appui de l'affidavit du requérant, particulièrement les pièces D et E, révèlent que les détenus attribuent directement aux agents d'unité résidentielle et aux autres membres du personnel la responsabilité de la disparition des cuisines du pénitencier de 1,000 à 1,500 livres de viande mensuellement.
Par ailleurs, dans le dossier de l'implication du comité des détenus dans le budget de développe- ment social, il appert que les détenus mettent en doute le bien-fondé de dépenses pour une somme de $44,450 dont ils ont eux-mêmes défrayé $29,450.
Le 14 juillet 1982, le chef du développement social répondait à la demande du comité des déte- nus d'obtenir des pièces justificatives de ces dépenses:
Je pense que ces achats ont été faits et autorisés par le D.-A.Soc.* et que sauf si [sic] il y a soupçon de malhonnêteté dans un de mes départements, je pense que ces achats et ceux effectués dans l'avenir sont du domaine de la gestion.
(*directeur-adjoint à la socialisation)
Enfin, le 10 août 1982, le directeur de l'institu- tion informait le comité des détenus des limites de leur rôle de la façon suivante:
Votre implication dans le budget de développement social consiste à faire connaître, à l'intérieur de comités de discussion à cet effet (sports, activités culturelles, etc.) vos priorités sur les dépenses à venir.
Les dépenses passées ont été faites de bonne foi et c'est la prérogative des gestionnaires de gérer.
En l'absence de faits précis démontrant que le requérant est devenu un risque sécuritaire dans l'institution Leclerc, et devant ce qui ressort de l'analyse des pièces déposées à l'appui de l'affida- vit du requérant, il semble évident qu'on a trans- féré le requérant parce que son activité à l'inté- rieur de ses fonctions de commis aux affaires légales devenait gênante.
L'état de santé de M. Collin tel qu'allégué dans son affidavit n'est nullement contredit par l'affida- vit du D' Balthazard. Au contraire, ce qui ressort de l'interrogatoire du D' Balthazard, c'est qu'ef- fectivement il est extrêmement difficile pour une personne incarcérée au maximum Laval d'obtenir rapidement des soins, particulièrement la nuit.
Le requérant ayant établi que son transfèrement constitue une punition déguisée, la question à laquelle le tribunal doit répondre est la suivante: la décision est-elle légale ou ultra vires des pouvoirs de l'intimé?
La source des pouvoirs de l'intimé c'est d'abord la Loi sur les pénitenciers, S.R.C. 1970, chap. P-6. Le paragraphe 13(3) prévoit que le commissaire ou tout fonctionnaire agissant sous ses ordres peut ordonner un transfert d'un pénitencier à l'autre. Par ailleurs, le paragraphe 29(3) de la même Loi autorise le commissaire aux services correctionnels à faire des directives pour l'administration des pénitenciers, sous réserve de la Loi et de tous les règlements édictés par le gouverneur en conseil.
La directive du commissaire 260 qui s'intitule «TRANSFERTS À L'INTÉRIEUR DU CANADA», auto- rise à l'alinéa 5b les directeurs des Centres de réception régionaux, poste qu'occupe l'intimé Ray- mond Lussier, à ordonner par mandat, un transfert de détenu:
5....
b. ... d'un établissement fédéral dans leur propre région à
un autre établissement dans cette même région ...
Il est stipulé à cette même directive à l'article 21 que
21. Les transferts peuvent être effectués pour des motifs dictés par les nécessités de la garde, par les affectations aux programmes (y compris les programmes médicaux) et par les exigences administratives du Service.
Cependant, il est aussi stipulé à l'article 22 qu'un détenu doit seulement être transféré dans un établissement qui satisfait aux exigences de son classement en matière de sécurité.
Par ailleurs, la Loi sur les pénitenciers donne à l'alinéa 29(1)b) le pouvoir au gouverneur en con- seil de faire des règlements relatifs à la discipline des détenus.
Le Règlement sur le service des pénitenciers a pourvu aux mesures disciplinaires à l'article 38.
Il est stipulé au paragraphe 38(2):
38. ...
(2) Un détenu n'est puni que
a) sur l'ordre du chef de l'institution ou d'un fonctionnaire désigné par le chef de l'institution; ou
b) sur l'ordre d'un tribunal disciplinaire.
Le fait de transférer un détenu d'une institution à sécurité moindre à une autre institution à sécu- rité plus grande constitue effectivement une puni- tion car c'est une diminution de sa liberté. Ce fait est reconnu par la jurisprudence.
Dans l'affaire Oswald v. The Attorney General of British Columbia, une affaire non rapportée, portant le C.C. 801304 de la Cour suprême de la Colombie-Britannique, le juge en chef McEa- chern, dans son jugement du 30 décembre 1980, déclare à la page 7:
[TRADUCTION] L'établissement de Kent est un pénitencier à sécurité maximale. L'établissement de Matsqui est un péniten- cier à sécurité moyenne et le transfèrement de Matsqui à Kent a pour effet de réduire, en quelque sorte, la liberté d'un prisonnier.
Et il ajoute:
[TRADUCTION] La liberté d'un prisonnier enfermé dans une unité de ségrégation est encore plus réduite, de sorte que les prisonniers emploient l'expression isolement cellulaire (terme que le directeur n'accepte pas) pour décrire la ségrégation.
Et à la page 17, toujours du même jugement, le juge déclare:
[TRADUCTION] Je ne doute pas qu'un emprisonnement à l'inté- rieur même d'une prison puisse être légal ou illégal, suivant les circonstances particulières de chaque cas.
Cette décision s'appuie sur le concept de «prison au sein d'une prison> tel qu'établi par la Cour
suprême du Canada dans Martineau c. Le Comité de discipline de l'Institution de Matsqui' [ci-après appelé Martineau (N° 2)].
L'affaire Oswald a été portée en appel [Cardi- nal et al. v. Director of Kent Institution] 2 . Sur ce point précis de la notion de «prison au sein d'une prison», la Cour d'appel a confirmé encore une fois l'opinion du juge en chef McEachern. En effet, à la page 604, le juge MacDonald, juge d'appel, un des deux juges majoritaires, s'exprimait ainsi:
[TRADUCTION] Ce que signifie l'isolement disciplinaire .... Il s'agit manifestement d'une privation grave qui peut avoir des conséquences physiques et mentales néfastes. C'est pourquoi la loi exige qu'il y ait équité dans la procédure.
Dans la présente instance, étant donné l'absence de motifs clairs révélés par l'intimé pour justifier le transfèrement à un pénitencier à sécurité maxi- male, ce transfèrement constituant de plus, en l'instance, une punition pour le requérant, la déci- sion est illégale et ultra vires des pouvoirs de l'intimé.
Comme second motif pour demander que soit émis un bref de certiorari à l'encontre de la déci- sion de l'intimé, le requérant a allégué que le transfèrement a été fait dans une institution le degré de sécurité est plus sévère que celui que nécessite son cas.
L'article 13 du Règlement sur le service des pénitenciers se lit comme suit:
13. Le détenu doit, conformément aux directives, être incar- céré dans l'institution qui semble la plus appropriée, compte tenu
a) du degré et de la nature de la surveillance jugée nécessaire ou désirable pour la protection de la société; et
b) du programme de traitement disciplinaire jugé le plus approprié au détenu.
L'article 14 du même Règlement, qui traite de la classification, se lit comme suit:
14. Le dossier d'un détenu doit être soigneusement examiné avant qu'une décision ne soit prise relativement à la classifica tion, première ou nouvelle, ou au transfert du détenu.
La directive portant sur les transferts à l'inté- rieur du Canada, 260 des directives du commis- saire aux services correctionnels, stipule à l'article 22:
22. Les détenus ne doivent être transférés que dans des établissements qui satisfont aux exigences de leur classifi-
1 [1980] 1 R.C.S. 602.
2 [1982] 3 W.W.R. 593 (C.A.C.-B.).
cation sécuritaire. Normalement, ils ne doivent pas être maintenus dans une situation ou dans des conditions de sécurité plus sévères qu'il n'est nécessaire.
Enfin, la directive du commissaire 250 intitu- lée «GESTION DES CAS» stipule à l'article 5:
5. Les peines doivent être administrées et gérées conformé- ment aux procédures et aux instructions approuvées par le Comité supérieur de gestion et publiées dans le Manuel des politiques et procédures de la Gestion des cas.
Le chapitre 2 de ce manuel donne les critères que doit employer le Service canadien des péniten- ciers pour décider de la classification d'un détenu. Il appert que cette classification se fait en fonction d'une cote sécuritaire donnée aux diverses institu tions. Cette procédure est décrite dans «Introduc- tion to Canadian Prison Law and Administra tion», publiée par l'Université Queen's de Kingston, dont les auteurs sont le professeur Fergus O'Connor assisté de Peter Wardell et de Me Charlene Zeagman. Tous les éléments qui ser- vent à déterminer dans quel pénitencier, à son arrivée, sera gardé un détenu doivent être compa- rés, selon le manuel de gestion de cas, à des critères intitulés «Critères Benchmark» et à un guide pour l'interprétation des Benchmarks en vertu desquels il apparaît que la classification de 1 M. Collin est au niveau S-5, c'est-à-dire un niveau 1de sécurité d'un individu qui, sans avoir jamais participé à des prises d'otages, sans avoir d'histoire d'évasion, a cependant été incarcéré à la suite d'une condamnation pour une infraction majeure au Code criminel, S.R.C. 1970, chap. C-34, c'est-à-dire, dans son cas, un meurtre, et purgeant par ailleurs une peine de plus de 10 ans d'incarcération.
La directive du commissaire 257 intitulée «INSCRIPTIONS ET RAPPORTS», stipule à l'article 4:
4. Il doit y avoir, applicable à chaque détenu, un système clairement défini d'inscriptions et de rapports afin d'assu- rer que des renseignements adéquats et fiables seront disponibles au moment de prendre des décisions concer- nant l'évolution du plan de séjour du détenu concerné.
Et à l'article 5:
5. Dans les établissements, et ce pour chaque détenu, on doit prendre note quotidiennement des activités et on doit faire un rapport périodique sur l'évolution du sujet; on doit verser des copies de ces rapports au dossier du détenu.
Cette directive a été émise pour répondre aux exigences de l'article 14 du Règlement sur le service des pénitenciers.
Parmi ces divers rapports se trouve le «Rapport récapitulatif sur l'évolution du cas». C'est ce rap port qui a été soumis par M. Alarie comme pièce P-1 de son affidavit.
Comme le dit M. O'Connor dans l'ouvrage cité ci-haut:
[TRADUCTION] Du point de vue du détenu, le rapport récapitu- latif sur l'évolution du cas est le document le plus important émanant du Service correctionnel canadien au cours de la sentence. Ce rapport est préparé par l'équipe de gestion des cas et soumis à l'autorité chargée de prendre une décision concer- nant le transfèrement .... Avant de compléter le rapport réca- pitulatif sur l'évolution du cas, l'équipe de gestion des cas procède à un examen approfondi du cas, et elle en discute avec le détenu.
Et plus loin:
[TRADUCTION] Le rapport récapitulatif sur l'évolution du cas n'est pas censé être un document confidentiel et les renseigne- ments qui y sont contenus peuvent être communiqués au détenu.
Dans le cas qui nous occupe, non seulement il n'y a pas eu d'entrevue avec M. Collin, mais il appert que le rapport en question ne lui a jamais été montré. On remarque sur ce rapport, à la dernière page, un endroit spécifiquement destiné à recevoir la signature du détenu et il est prévu au manuel de gestion de cas que si le détenu refuse de signer ce rapport, on doit le noter dans l'espace réservé à sa signature.
Non seulement il n'y a pas eu de consultation avec M. Collin mais dans son interrogatoire sur affidavit, M. Alarie nous informe que l'étude du dossier en vue du transfèrement n'a été faite, dans ce cas comme dans les autres, semble-t-il, que sur les documents soumis par le pénitencier. Or, la signature qui apparaît sur ce document est celle, non pas des personnes responsables de M. Collin, c'est-à-dire Mme Latour, son agent de gestion de cas, et M. Boulerice, le responsable de l'équipe de gestion de cas, mais bien celle de M. Germain, autre agent de gestion de cas, qui n'a jamais eu la responsabilité de M. Collin. M. Alarie nous dit qu'il suppose que ce n'est qu'une question de signa ture et que le rapport a effectivement été préparé par Mme Latour. Cependant, il nous dit aussi qu'il n'y a eu aucune demande d'information supplé- mentaire concernant ce rapport, pas plus qu'il n'y
a eu d'entrevue avec le personnel responsable de M. Collin.
L'article 13 du Règlement sur le service des pénitenciers réfère directement aux directives du commissaire. Ces directives deviennent de ce fait plus que des guides et le détenu est justifié d'exiger que soient respectés les critères élaborés dans ces directives pour tout ce qui concerne tant l'endroit il doit être en détention que le niveau de sécurité de l'institution il est transféré.
Il faut noter que si, dans l'affaire Martineau (N° 2), la Cour suprême a décidé que les directives du commissaire n'avaient pas force de loi, les directi ves dont il était alors question ne faisaient pas l'objet d'une mention spéciale ni dans la Loi ni dans le Règlement sur le service des pénitenciers.
Tenant compte du fait que M. Collin a continué d'être détenu parmi la population générale de l'établissement jusqu'à la veille de son transfère- ment, tenant compte aussi du fait que son permis permanent de circuler ne lui a jamais été retiré, rien ne démontre que M. Collin soit devenu un risque communautaire suffisamment élevé pour être incarcéré dans une institution de cote S-6.
La décision de l'intimé Lussier contrevient au devoir d'agir avec équité, imposé aux administra- teurs par la jurisprudence depuis l'affaire Marti- neau (No 2). Dans cette affaire, la Cour suprême s'est largement inspirée des décisions américaines et anglaises. Or, plusieurs de ces décisions sont pertinentes pour analyser la nature du transfère- ment en l'espèce.
Dans l'affaire Landman et al. v. Royster et al. 3 , le juge Merhige décrit les conditions et procédures de transfèrement à l'intérieur de la prison connue sous le nom de Virginia State Farm, transfèrement de la population générale à l'unité de ségrégation appelée C -cell. A la page 627, le juge s'exprime ainsi:
[TRADUCTION] Les critères en vertu desquels on décide d'en- fermer un homme dans l'unité appelée C -cell ou de l'en sortir sont extrêmement flous. Son attitude, sa mauvaise influence, sa tendance à défier l'autorité ou sa conduite rebelle, notées dans les rapports écrits ou oraux des gardiens, peuvent le condamner à la sécurité maximale pendant de nombreuses années.
3 (1971), 333 F.Supp. 621 (U.S.D.C.).
Dans cette affaire, le tribunal décide que le requérant avait droit à une protection procédurale et il conclut la page 634]:
[TRADUCTION] Le tribunal est convaincu que la peine infligée à Landman est due essentiellement au fait qu'il s'est prévalu de son droit de produire des requêtes devant les tribunaux et qu'il a aidé d'autres prisonniers à le faire.
Dans l'affaire qui nous occupe, l'intimé a fait état du caractère et de la personnalité du requé- rant. Il a été question de son arrogance, de son impolitesse envers le personnel des pénitenciers. Ces critères, qui pourraient à la rigueur justifier un transfèrement dans une autre institution de même cote sécuritaire, sont insuffisants pour un transfèrement en pénitencier à sécurité maximale.
Le procureur de l'intimé a cité la jurisprudence constante de la Division de première instance de cette Cour s'appuyant sur les larges pouvoirs donnés au Service canadien des pénitenciers par la Loi et son Règlement pour suggérer d'écarter l'in- tervention des tribunaux dans les affaires de trans- fèrement. Cette jurisprudence est entièrement basée sur la décision Re Anaskan v. The Queen 4 . La Cour d'appel d'Ontario avait alors décidé que les prisonniers n'ayant aucun droit d'être détenus dans une institution en particulier, les affaires de transfèrement étaient une décision purement admi nistrative et, en conséquence, la Cour avait refusé de se reconnaître juridiction. L'affaire Martineau (No 2) a définitivement renversé cette jurispru dence.
Pour n'avoir pas produit les rapports de la sécu- rité préventive sur lesquels est prétendument basée la décision de transfèrement de M. Collin, M. Alarie se réfère à l'article 54 de la Partie IV, «Protection des renseignements personnels» de la Loi canadienne sur les droits de la personne, S.C. 1976-77, chap. 33, qui crée une exception à l'accès des individus à leur dossier. Cet article 54 se lit [en partie] comme suit:
54. Le ministre compétent dont relève une banque fédérale de données peut la dispenser de l'application de tout ou partie du paragraphe 52(1) si, à son avis, la divulgation tant de l'existence d'un dossier ou d'éléments d'un dossier concernant un individu dans la banque que la divulgation de renseigne- ments y figurant est susceptible
4 (1977), 76 D.L.R. (3d) 351 (C.A. Ont.).
d) dans le cas d'un individu condamné pour infraction à une loi du Parlement,
(i) d'avoir de graves conséquences sur son programme pénitentiaire, sa libération conditionnelle ou sa surveillance obligatoire,
(ii) d'entraîner la divulgation de renseignements qui, à l'origine, ont été obtenus expressément ou implicitement sous le sceau du secret, ou
(iii) de causer, à lui ou à quiconque, des dommages, corporels ou autres;
e) d'entraîner la divulgation de renseignements personnels concernant un autre individu;
Dans l'affaire Martineau (N° 2), le juge Dick- son, en particulier, s'est appuyé sur la cause améri- caine Wolff et al. v. McDonnell 5 . Dans cette affaire, la Cour suprême des États-Unis a examiné les procédures disciplinaires dans le Nebraska State Prison System. La Cour a reconnu que les autorités des prisons ont un intérêt légitime à protéger les délateurs anonymes à l'intérieur des prisons. Cependant, cet intérêt ne doit pas aller jusqu'à renverser le droit d'un prisonnier de con- naître la nature de ce qu'on lui reproche, cette nature se distinguant de l'identité de l'informateur.
Dans l'affaire Regina y. Gaming Board for Great Britain, Ex parte Benaim et al. 6 , à la page 431, lord Denning, M.R., déclare:
[TRADUCTION] Si la Commission des jeux de hasard était tenue de divulguer ses sources de renseignements, personne ne dirait mot sur ces clubs, par crainte de représailles.... Si la Commission était obligée de révéler tous les détails, elle pour- rait trahir le délateur et le placer dans une situation dange- reuse. Mais j'aurais cru que, sans aller aussi loin, la Commis sion devrait, dans chaque cas, être en mesure de fournir au requérant suffisamment de renseignements sur les objections soulevées à son sujet pour lui permettre d'y répondre. Cela n'est que juste et la Commission doit toujours être juste, sinon, les présents tribunaux n'hésiteront pas à intervenir.
Il arrive fréquemment que des transfèrements soient effectués et que les motifs invoqués au soutient de ces transfèrements soient des raisons sécuritaires. Cependant, on ajoute généralement de quelle nature sont ces raisons, c'est-à-dire, à titre d'exemple: soupçon de tentative d'évasion, ou soupçon d'intention de prise d'otage, etc. Dans le cas en l'espèce, aucune mention n'a été faite de la nature des raisons sécuritaires sous-tendant le motif avancé pour transférer le requérant.
5 (1974), 94 S.Ct. 2963.
6 [1970] 2 Q.B. 417, la p. 431.
Dans l'affaire Re Rowling v. The Queen', les faits sont les suivants: un prisonnier détenu dans une prison est transféré dans une autre prison, moins [TRADUCTION] «plaisante». Les raisons du transfert ne lui sont fournies qu'après sa demande de révision et on invoque alors [TRADUCTION] «soupçon de prise d'otage». Bien que la Cour refuse d'intervenir dans ce cas d'espèce, le juge Cory, de la Haute Cour de justice de l'Ontario, se référant à l'affaire Martineau (N° 2), n'en déclare pas moins qu'il y a un devoir d'agir équitablement imposé à l'autorité qui décide du transfèrement, et il ajoute à la page 176:
[TRADUCTION] Bien que le Ministre soit également habilité à transférer un prisonnier d'un établissement à un autre, il ne fait pas de doute que celui-ci doit être traité équitablement, lorsque ses droits fondamentaux sont en jeu. La réadaptation du prison- nier est un principe important de la détermination de la peine. La meilleure façon de protéger la société serait sans aucun doute de réadapter tous les prisonniers. Si chaque prisonnier était parfaitement réadapté, l'établissement rendrait à la société un citoyen utile à sa collectivité. Les autorités péniten- tiaires peuvent contribuer à la réadaptation des prisonniers en faisant preuve d'équité dans leurs rapports avec ceux-ci.
Dans l'affaire Re Abrahams and Attorney - General of Canada [(1983), 142 D.L.R. (3d) 1 (C.S.C.)], jugement rendu le 25 janvier 1983 par l'honorable juge Wilson, jugement unanime de la Cour suprême du Canada, aux pages 7 et 8, le juge Wilson s'exprime ainsi:
[TRADUCTION] Puisque le but général de la Loi est de procurer des prestations aux chômeurs, je préfère opter pour une inter- prétation libérale des dispositions relatives à la réadmissibilité aux prestations. Je crois que tout doute découlant de l'ambi- guïté des textes doit se résoudre en faveur du prestataire.
Le droit carcéral, comme la loi sur l'assurance- chômage, est du droit social. Le but de cette loi, une fois assurée la protection de la société, est de favoriser la réhabilitation du détenu. En consé- quence, malgré les larges pouvoirs attribués au Service canadien des pénitenciers, toute difficulté de langage doit être interprétée en faveur de l'ad- ministré. Les obligations imposées à l'administra- teur par les articles 13 et 14 du Règlement sur le service des pénitenciers doivent être respectées. La Cour conclut que dans l'espèce, l'intimé Lussier a manqué à son devoir d'agir avec équité en transfé- rant le requérant dans une institution le niveau de sécurité est plus élevé que celui que nécessite son cas.
1 (1980), 57 C.C.C. (2d) 169 (H.C. Ont.).
Le requérant allègue encore, comme troisième motif au soutient de sa demande de révision de la décision, que celle-ci contrevient à l'article 7 de la Loi constitutionnelle de 1982 en ce qu'elle met en danger la sécurité de sa personne et constitue une négation des garanties à lui conférées par ladite Loi.
L'article 7 est la première des garanties juridi- ques enchâssées dans la Constitution canadienne et se lit comme suit:
7. Chacun a droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de sa personne; il ne peut être porté atteinte à ce droit qu'en confor- mité avec les principes de justice fondamentale.
Cet article reprend d'une part une partie de l'objet de la Déclaration canadienne des droits, S.C. 1960, chap. 44 [S.R.C. 1970, Appendice 1I1], laquelle reprenait elle-même la garantie donnée par la Constitution américaine dans ses Cinquième et Quatorzième Amendements.
On a retiré de la Constitution canadienne le quatrième droit qui était celui à la propriété. Cependant, le droit à la sécurité de la personne demeure et il s'agit de définir ce que contient ce droit.
La Loi constitutionnelle de 1982 étant en vigueur depuis le mois d'avril 1982 seulement, le procureur du requérant s'est contenté de référer à deux ouvrages relativement récents: Hogg, P. W., Canada Act 1982 annotated, The Carswell Com pany Limited, Toronto, 1982, et Beaudoin, G. A., et Tarnopolsky, W. S., Charte canadienne des droits et libertés, Wilson & Lafleur/Sorej, Mont- réal, 1982. Ces deux ouvrages qui analysent la nouvelle Constitution sont utiles pour définir cette notion de la sécurité de la personne. Beaudoin et Tarnopolsky citent la page 336] la Commission de réforme du droit qui nous offre la définition suivante:
... la sécurité de la personne signifie non seulement la protec tion de l'intégrité physique mais encore le droit aux choses nécessaires à la vie ... .
On reconnaît dans cet ouvrage à la page 339 que le droit d'accès aux soins médicaux se rattache au droit à la sécurité de la personne.
Or, l'affidavit de Robert Collin décrit sa santé physique et son état de cardiaque. Il soulève dans la question du préjudice qui lui est causé par son transfert à l'institution Laval le fait qu'il doit maintenant, pour avoir accès aux soins médicaux, procéder par requête alors qu'à l'institution Leclerc, il avait un accès beaucoup plus facile à l'infirmerie. Par contre, l'affidavit du D' Baltha- zard, le médecin institutionnel responsable des soins médicaux à l'institution Laval, fait état de l'existence d'un hôpital «bien organisé» à l'institu- tion Laval. Cependant, lors de son interrogatoire sur affidavit, le Dr Balthazard décrivant la procé- dure d'urgence pour l'accès aux soins admet que la nuit, dans les cellules ils sont enfermés à clé, il n'existe pas de sonnette d'alarme pour les détenus. Il admet encore que, pour attirer l'attention en cas d'urgence, le détenu doit ou crier ou frapper sur les barreaux de sa cellule. Bien que responsable des soins médicaux, il admet n'être pas au courant de la façon dont les détenus peuvent avoir les soins immédiats nécessaires. Il reconnaît que les gar- diens, qui n'ont aucune formation spéciale pour déterminer si les symptômes des malades sont urgents ou non, se font probablement l'intermé- diaire entre le détenu et le personnel hospitalier, réduit à une seule infirmière la nuit, qui décidera d'intervenir ou non à partir de l'interprétation des symptômes que lui soumettent verbalement les gardiens bien plus que sur ces symptômes eux- mêmes. Il ajoute qu'il n'est présent au pénitencier que le matin et qu'il a conservé une pratique privée en plus de ses responsabilités à l'institution Laval.
Les maladies cardiaques étant une des causes les plus fréquentes de décès dans ce pays, le comporte- ment à adopter par un profane qui se trouve en présence d'un malade semblant souffrir d'une crise cardiaque est devenu un lieu commun. Les recom- mandations de base sont les suivantes: ne faire faire aucun exercice violent à la personne affectée et l'acheminer le plus rapidement possible vers un service d'urgence d'hôpital. Dans ces circons- tances, il est étonnant de lire ce que nous dit le Dr Balthazard lors de son interrogatoire:
La douleur est très intense mais ne l'empêche pas de cogner sur les barreaux, ne l'empêche pas de crier.
Le Dr Balthazard ne croit pas que le stress occasionné par la détention à l'institution Laval soit une cause d'angoisse spéciale pour une per- sonne atteinte d'une maladie cardiaque. Il admet
cependant que l'anxiété conduit au stress et que le stress peut déclencher une crise cardiaque.
La jurisprudence pour sa part reconnaît qu'une personne qui a déjà eu une attaque coronarienne subit des anxiétés spéciales. Dans l'affaire Mercier c. Smith 8 , le juge Forest déclare:
Il en demeure que le demandeur reste handicapé sérieusement, ne peut risquer des activités demandant plus d'efforts que la normale, subit quotidiennement des inconvénients, des anxiétés, les tourments de toute personne qui a déjà eu une attaque coronarienne et il a une incapacité partielle permanente qui résulte de cet accident.
Il résulte de l'ensemble du dossier que la déten- tion à l'institution Laval déjà, après un mois de détention, le requérant avait entendu tirer des coups de feu à huit occasions différentes, le Dr Balthazard admet avoir constaté le décès dans leur cellule pendant la nuit de deux de ses patients, en l'espace du seul mois de janvier 1983, cette déten- tion, en augmentant l'anxiété du requérant due à son état de santé, risque d'aggraver sa maladie et en le privant d'accès à des soins médicaux adé- quats, elle porte atteinte effectivement à la sécurité de sa personne.
L'article 7 de la Loi constitutionnelle de 1982 déclare que:
7.... il ne peut être porté atteinte à ce droit sauf en conformité avec les principes de justice fondamentale.
Ces mots «les principes de justice fondamentale» ne sont pas les mêmes que ceux qui étaient employés par la Déclaration canadienne des droits de 1960, lesquels faisaient référence au «due pro cess of law» repris de la Constitution américaine.
Il faut se rappeler que dans l'arrêt Curr 9 le juge Laskin a interprété cette clause «due process of law» d'une façon restrictive, c'est-à-dire en la limi- tant à une protection procédurale.
Cette interprétation restrictive s'est peu à peu diluée jusqu'à ne plus signifier que: «according to law». Cependant, les affaires Nicholson [Nichol- son c. Haldimand-Norfolk Regional Board of Commissioners of Police, [1979] 1 R.C.S. 311] et Martineau (No 2) ont introduit dans la jurispru dence le concept du devoir d'équité et jusqu'à
8 Cour supérieure, Montréal, 500-05-021 261-753, jugement en date du 29 novembre 1979 (Annuaire de jurisprudence du Québec 1980, 2435).
9 [1972] R.C.S. 889.
l'adoption de la Loi constitutionnelle de 1982, c'est cette notion que les auteurs ont appelée «la nou- velle justice naturelle», que les tribunaux ont appli- quée aux matières administratives.
Quels sont donc la portée et le sens de la clause des principes de justice fondamentale dans la Loi constitutionnelle de 1982? En droit anglais, les mots «justice fondamentale», «justice naturelle», «British justice», ont toujours été considérés comme synonymes. Leur contenu repose sur deux principes de base: la règle audi alteram partem d'une part et la règle nemo judex in sua causa, d'autre part.
La protection assurée par l'article 7 de la Charte canadienne des droits et libertés est attachée à la personne et au droit lui-même. Faire une distinc tion dans le contenu de la justice fondamentale en fonction de celui qui viole ce droit, ce serait vider de sens la garantie conférée par la Loi constitu- tionnelle de 1982.
Les arrêts Nicholson et Martineau (N° 2) avaient à décider de la juridiction respective de la Cour d'appel fédérale et de la Division de première instance de cette même Cour conférée par les articles 18 et 28 de la Loi sur la Cour fédérale, S.R.C. 1970 (2 e Supp.), chap. 10. Indépendam- ment de cette juridiction, l'article 7 de la Charte confère aux trois droits mentionnés à cet article un statut particulier. En conséquence, la justice fon- damentale, lorsqu'il est question d'une atteinte portée à la sécurité de la personne, impose à toute Administration le devoir d'aviser l'administré qu'une décision est considérée et qu'on lui fasse connaître le grief qu'on peut avoir contre lui. Par ailleurs, l'administré doit se voir offrir la possibi- lité de se défendre et de faire des représentations pertinentes. L'Administration a, de plus, le devoir de juger du cas en toute impartialité et de prendre sa décision en fonction de la totalité de la preuve qui lui est soumise.
En matière de transfèrement dans un péniten- cier à sécurité plus grande que celui est détenu le prisonnier, lorsque ce transfèrement a pour effet de porter atteinte à la sécurité de la personne, il ne s'agit plus d'une simple décision administrative mais bien d'une décision touchant au droit consti-
tutionnel et, par conséquent, la justice fondamen- tale doit être respectée.
Si la Loi et le Règlement sur le service des pénitenciers, du fait de leur silence en matière de transfèrement, devaient être interprétés comme ne permettant pas l'application des principes de jus tice fondamentale dans ce cas, on devrait les consi- dérer comme étant inconstitutionnels.
Pour les motifs exposés ci-haut, la Cour accorde l'émission du bref de certiorari, annule et casse la décision de l'intimé, Raymond Lussier, de transfé- rer le requérant, Robert Collin, de l'institution Leclerc à l'institution Laval.
Pour les mêmes motifs, la Cour ordonne à l'in- timé de transférer immédiatement le requérant, Robert Collin, dans une institution à sécurité moyenne et de respecter les droits constitutionnels, statutaires et réglementaires du requérant.
Dans son avis introductif d'instance, le requé- rant a demandé au tribunal une ordonnance lui accordant la réparation que le tribunal estime convenable et juste eu égard aux circonstances, conformément au paragraphe 24(1) de la Loi constitutionnelle de 1982.
Ce paragraphe crée un recours en cas d'atteinte aux droits et libertés garantis par la Loi constitu- tionnelle de 1982 et se lit comme suit:
24. (1) Toute personne, victime de violation ou de négation des droits ou libertés qui lui sont garantis par la présente charte, peut s'adresser à un tribunal compétent pour obtenir la réparation que le tribunal estime convenable et juste eu égard aux circonstances.
La première question soulevée par ce paragra- phe est celui de la qualité pour agir. Le requérant étant en l'instance la victime, il a de toute évidence qualité pour agir.
La seconde question qui se pose est celle de la compétence du tribunal. En l'instance, le requérant est un détenu dans un pénitencier fédéral et l'in- timé est un «office, commission ou autre tribunal fédéral» tel que défini à l'article 2 de la Loi sur la Cour fédérale. Par ailleurs, les articles 17 et 18 de la même Loi donnent compétence à la Division de première instance tant pour entendre d'une
demande de redressement sous forme de domma- ges-intérêts que pour émettre un certiorari ou un mandamus.
Quant à la réparation convenable et juste eu égard aux circonstances, la Loi confère au tribunal une discrétion absolue.
Le requérant a fait la preuve du préjudice qu'il a subi et le tribunal l'évalue comme suit:
1. Perte pécuniaire $ 136.00
2. Dommages moraux:
pour avoir été privé de la visite de
sa mère pendant les 4 mois de sa
détention à l'institution Laval 500.00
3. Soins médicaux:
Pour avoir été privé tant de sa diète végétarienne que lui a refusé [sic] le
D' [sic] Balthazard que de l'accès à des
soins médicaux adéquats: 2,500.00
4. Atteinte à la sécurité de sa personne:
a) diminution de l'espérance de vie: tenant compte de l'âge du requérant, de sa condamnation à perpétuité et des progrès de la
médecine: 7,500.00
b) dommages exemplaires: 7,500.00
Total: $18,136.00
Pour établir le montant de ces dommages, le tribunal s'appuie sur la jurisprudence suivante: dommages moraux: Commission des droits de la personne du Québec c. Anglsberger'°; soins médi- caux: Mercier c. Smith [précité]; atteinte à la sécurité de la personne, dommages exemplaires: Dodge v. Bridger et al."
Au cours de l'audition, le procureur de l'intimé n'a fait aucune représentation à l'encontre du quantum proposé par le requérant. Il s'est contenté de dire que le requérant aurait demander des dommages par le biais d'une action conformément à la Règle 600 de la Cour fédérale. Les Règles de pratique de la Cour fédérale ont pour but de faciliter la marche normale des procès plutôt que de la retarder ou d'y mettre fin prématurément. Elles visent aussi à faire apparaître le droit et à en assurer la sanction. Le requérant ayant fait la preuve tant de la responsabilité de l'intimé que du
10 [1982] C.P. 82, la p. 85.
11 (1978), 4 C.C.L.T. 83 (H.C. Ont.).
préjudice qu'il a subi, ce serait diluer le recours prévu au paragraphe 24(1) de la Loi constitution- nelle de 1982 que de l'obliger à introduire une nouvelle instance devant la Cour fédérale pour obtenir la réparation à laquelle il a droit.
En conséquence, la Cour condamne l'intimé, Raymond Lussier, à payer au requérant, Robert Collin, la somme de $18,136 (DIX-HUIT MILLE CENT TRENTE-SIX DOLLARS) avec les intérêts depuis la date de l'assignation.
La Cour rejette la requête verbale de l'intimé de lui accorder un sursis pour l'exécution du présent jugement.
La Cour condamne l'intimé aux dépens.
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